À nos idéaux perdus
« This is Alaska » est un court métrage suédois au titre très suédois (sic). Expérimental pour les uns, faussement documentaire pour les autres, le film de Mårten Nilsson et Gunilla Heilborn explore du côté de l’utopie, de l’individualisme à l’extrême et de la contradiction.
Alaska. Mythe en soi, plaine immaculée, état le plus vaste des États-Unis, logo à la mode sur les t-shirts. Loin de la jungle moderne, Louise, Tim et les autres sont de purs individualistes idéalistes. Ayant élu l’Alaska comme lieu de vie, ils témoignent face caméra de leur choix, de leur retour aux racines et de leur liberté absolue. Même si leur pays d’adoption est froid, enneigé et désert, ils parlent tous de bonheur, sauf que leurs visages trahissent leur pensée et que leurs intervieweurs contredisent en off leurs idéaux.
Vu à Rotterdam, à Clermont-Ferrand et à Silhouette, le film s’intéresse au retour aux racines, à la quête désespérée de l’utopie et à la notion de bonheur. Il remet aussi en question cette tendance actuelle à vouloir revenir aux vraies valeurs, à ce besoin d’osmose avec la nature, et met en lumière le fossé entre le monde des hommes et le monde sans les hommes.
Devant cet individualisme exacerbé, les réalisateurs font preuve de sens critique et d’humour en commentant leurs images (“Gardez à l’esprit que les gens qui auraient réussi ailleurs ne seraient pas là.”) et en interrogeant leurs cinq témoins sur leurs motivations et sur la réussite de leur expérience alaskienne. Lorsqu’un couple gelé au milieu de nulle part répète à la caméra « I’m so happy! » avec un sourire peu crédible ou qu’une femme se mord la lèvre en réalisant qu’il n’y a pas d’hommes en Alaska et demande à son intervieweuse le nom du grand amour de sa vie, le contrepoint se fait tout naturellement. Ces gens-là, filmés dans des décors absurdes (un extérieur poudreux, un atelier d’individualisme, une salle pleine d’oiseaux empaillés), refusant d’admettre leur ennui et leur désœuvrement, n’ont pas l’air très heureux de leur nouvelle vie. Mais tout n’est pas perdu. Il leur reste des exercices de gymnastique et des mécanismes de survie…
Les autres films de Mårten Nilsson et Gunilla Heilborn cultivent des points communs avec « This is Alaska » : une intrigue décalée, une base de témoignage, des sujets pluriels, un lien avec la danse (Gunilla Heilborn est chorégraphe), un rapprochement avec la nature, et une épice ironique. Nous, on aime. Tout simplement. Sans désillusion et sans contradiction.