Un peu, beaucoup, passionnément…
Après un premier court métrage présenté en 2008 à La Quinzaine des réalisateurs, Louis Garrel revient à Cannes avec son second film, « Petit tailleur ». Tout comme dans « Mes Copains », l’icône du cinéma français d’auteur s’efface pour laisser place à sa bande, ses fidèles, Arthur, Sylvain, Lolita… Mais les copains de toujours ont grandi, et il se pourrait même que la vie ne ressemble pas à ce qu’ils avaient imaginé. Quant à l’amour, hélas…
Il y a la vie telle qu’on l’avait rêvée. Il y a la vie telle qu’elle est, décevante souvent…
Arthur court comme le lapin d’Alice. Il est en retard, et comme chaque matin, il se rend là où il doit être, dans l’atelier de confection du vieil Albert. Entre le montage d’un col et le lissage d’un pli sur la table à repasser, Arthur et Albert tissent des liens quotidiens qui semblent indéfectibles. C’est le soir déjà, et Arthur n’a pas vu la journée passer. Il est en retard à son rendez-vous. Comme s’il prenait le contre-pied d’une vie qui semble se dérouler sans qu’il y pense, dans une certaine immobilité, à nouveau, il court pour rejoindre Sylvain au théâtre. Ce soir, on joue La Petite Catherine de Heilbronn de Heinrich von Kleist à l’Odéon, l’histoire d’un amour d’essence quasi divine… diabolique, peut-être. Mais l’amour, c’est bien connu, ce n’est pas rationnel, ça frappe d’un coup, et c’est d’un coup qu’Arthur est frappé par l’interprète, Marie-Julie.
Ange ou démon ? Marie-Julie, c’est celle qui change le monde, la muse devant son miroir du poète Yeats qui fait « ses cils charbonneux, ses yeux de plus de lumière et ses lèvres plus écarlates ». Assis dans la nuit sur un banc public après la représentation, Marie-Julie chuchote à Arthur les répliques d’« Ivanov » de Tchékhov. Le transforme-t-elle ainsi en ce personnage confronté à l’ennui, à l’impuissance, l’immobilisme et la paresse ? Ou lui révèle-t-elle sa vérité profonde, à savoir qu’à l’image d’Ivanov, il est lui aussi un antihéros enlisé dans l’existence ? Reste à savoir si Arthur sera prêt à changer le cours de son histoire…
Garrel nous propulse sur l’écran noir de ses nuits blanches, dans un univers cinématographique qui ne se cache pas de l’être. Il y a d’abord le noir et blanc qui met le présent et le réel à distance et nous entraîne dans un univers hyper stylisé envahi de références. Il y a aussi cette voix-off, et son phrasé littéraire, qui donne au film une dimension romanesque, un côté Nouvelle Vague franchement revendiqué.
Du cinéma théâtral donc, qui flirte avec Musset, Marivaux. Artificiel ? Pour certain peut-être… Mais ce serait sans compter sur cette façon bien particulière de partir de la réalité pour créer l’artifice et de l’artifice, faire naître une autre réalité. Sans compter aussi sur les accidents et les ruptures que crée, à chaque détour, et avec un plaisir évident, le jeune réalisateur. Car comme dans son premier film, Garrel se joue avant tout des codes narratifs et formels et se montre, à tout instant, imprévisible. À ce premier baiser chorégraphié où Julie attend, appuyée contre un arbre, s’opposent des scènes quasi-documentaires dans l’atelier de confection d’Alfred. À cette voix-off artificielle qui dresse le portrait psychologique d’un personnage, à l’image d’un narrateur omniscient, s’oppose la voix du réalisateur qui justifie ses intentions de metteur en scène (ce que je montre, ce que je ne montre pas). Un procédé qui vient surprendre le cours d’une action, d’une scène, et chatouiller le réel pour mettre en évidence le réel du cinéma.
Loin de nous mettre en distance, ce geste cinématographique clairement revendiqué n’entrave pas pour autant l’adhésion complète à ce jeu de l’amour et du hasard, adhésion facilitée pour beaucoup, sans doute, par la forte personnalité d’Arthur Igual. Face à lui, Léa Seydoux, pourtant remarquable dans «La belle personne » (Christophe Honoré), semble, hélas, un peu pâlotte. Au regard de la piètre performance de Lolita Chammah, en charge du rôle de la séductrice dans Mes copains, on est en droit de se demander si Garrel n’aurait pas maille à partir avec l’image de la femme fatale…
Reste que « Petit tailleur » impose un style plus original qu’il n’y paraît par son subtil va-et-vient entre une distance ironique et une narration qui consiste à réguler la poursuite toujours relancée de l’objet du désir. Et ce désir, dont la réalisation est sans cesse différée, empêchée, menacée, retardée jusqu’à la fin d’un récit, nous entraîne dans une valse étourdissante qui ne retombe jamais.
Serait il possible d’avoir les répliques exactes tirées de la pièce Ivanov que récite Marie Julie à Arthur, je n’ai pas le bouquin et je ne les trouve nulle part sur le net.
Chère Léa,
Voici ce qu’elle lui dit :
« T’aimer cela veut dire pour moi, rêver comment je te guérirai de ton angoisse, comment je te suivrai au bout du monde. Tu montes au sommet, et je monte avec toi. Tu roules très bas, et je roule avec toi. »
Sarah