Sur la porte d’entrée, une pancarte dévoile leur cachette. Installés à proximité de l’arrêt République, les Lutins du court métrage attribuent depuis treize ans différents prix à une sélection de films courts.Stéphane Saint-Martin, son fondateur et directeur, revient sur son histoire, son évolution et ses obstacles.
Comment l’idée des Lutins est-elle apparue ?
À l’âge de 23-24 ans, j’ai travaillé comme opérateur projectionniste au CNC. Tous les films, qu’ils soient longs, courts ou même pornos, passaient par le service de la classification des œuvres. Les projectionnistes avaient la possibilité de tout voir, y compris ce qui ne sortait pas forcément en salle, en particulier les courts métrages. À ce moment-là, je mettais un casque, et je dévorais tout ce qui passait à l’écran, en me disant que le nombre de films – et de courts métrages en particulier – produits en France était stupéfiant. L’idée des Lutins est née de cette manière, mais aussi de Jamais vu, une association que je dirigeais avant les Lutins, qui montrait des films peu vus parce qu’ils étaient soit sulfureux, soit borderline. Les séances avaient lieu au cinéma La Clef et rencontraient un franc succès, notamment grâce aux facs du coin. L’expérience m’a plu, et m’a donné envie de monter un nouveau projet portant le nom des Lutins.
Pourquoi justement lui avoir donné ce nom-là ?
Le nom est né d’une nuit un peu arrosée dans un bar, avec des amis. Le lutin nous plaisait par son côté mythologique, espiègle, intelligent, et petit. Les Lutins du court métrage véhiculaient une autre image du cinéma.
Entre tout visionner et montrer le peu ou le jamais vu, qu’est-ce qui fait qu’à un moment donné, on décide de remettre des prix à des courts métrages ?
J’ai vécu dans une petite ville où le lien qu’on avait avec le cinéma passait le plus souvent par la petite lucarne. En dehors de toutes les séries américaines ingurgitées à cette époque-là, je me souviens de la Cérémonie des César. Le court métrage y était très peu représenté. Au départ, les César remettaient trois prix pour le court métrage (animation, documentaire et fiction), depuis quelques années, il n’en existe plus qu’un : le César du Meilleur court. C’est étonnant, d’ailleurs : la production de courts métrages est énorme en France, les corps de métiers (producteurs, décorateurs, ingénieurs du son, costumiers, …) font preuve d’une énergie assez folle et au final, ils ne sont jamais primés. À la place, on prime tout le temps les auteurs. L’idée est donc venue de leur offrir leur propre cérémonie.
En débarquant à Paris, tu avais vraiment l’idée d’essayer de te positionner par rapport aux César ?
Mais oui ! Pourquoi ne pas mettre en lumière les autres corps de métiers ? Ce n’était pas ma seule envie. L’autre était de séduire un public non averti. Le milieu du court est parfois fermé sur lui-même. Il s’imagine que ce format n’est pas destiné à un public non éclairé. Moi, je pense totalement le contraire. Certes, il y a un cinéma intellectuel et hermétique, mais il y a aussi un certain nombre de films qui sont accessibles.
À quoi ressemblaient les Lutins à leurs débuts ?
Au début, il y avait un Festival des Lutins annuel qui durait une semaine. Les courts nominés étaient regroupés en cinq programmes, et la clôture était consacrée à la Nuit des Lutins. En 1998, la première nuit des Lutins n’était réservée qu’aux professionnels. On ne leur envoyait pas de DVD, ils avaient droit à des séances spéciales. Les professionnels participaient au vote, ce qui avait un avantage énorme. Ceux qui votaient étaient uniquement ceux qui se présentaient à l’ensemble des projections, donc on était sûr qu’ils voyaient tous les films, exceptés sauf ceux qui dormaient dans la salle ! L’année suivante, le système a changé : on s’est ouvert au public. L’année suivante, on s’est ouvert au public en proposant à MK2 de diffuser les films nominés dans leur salles.
Aujourd’hui, les Lutins n’ont plus que leur Nuit. Pourquoi le festival a-t-il disparu ?
Les projections avaient lieu dans les cinémas MK2. On avait un énorme succès, mais MK2 n’a pas voulu poursuivre l’aventure. Je n’ai jamais compris les raisons de cette séparation, mais cela m’a donné la rage de monter un événement national, le Tour de France des Lutins, dans différentes villes, avec comme partenaire Pathé, puis Pathé-Gaumont.
Avec MK2, le public était gagné d’avance. Ce n’était pas le cas en arrivant dans des salles dites commerciales comme celles de Pathé-Gaumont où le public ne savait souvent pas ce qu’était le court métrage. Et pourtant… Depuis des années, la moitié des gens qui viennent au Tour de France se renouvelle et n’a jamais vu de courts métrages.
Quels films montre-t-on à un public qui ne s’y connait pas en court ?
On fait très attention au programme qu’on diffuse. Cette année, 29 films sont nominés aux Lutins, et on en montre entre cinq et sept pendant la Nuit. On ne veut pas effrayer le public avec un programme trop élitiste et trop compliqué dans sa forme et son fond, mais on montrera quand même un film plus complexe que les autres. Cette année, ce film sera « Voyage autour de ma chambre » d’Olivier Smolders, un documentaire philosophique un peu particulier qui reste accessible si on prend le temps de le regarder. C’est un risque de le programmer, mais j’ai envie de le montrer. L’an passé, nous avions montré « Erémia Erèmia » d’Anthony Quéré et Olivier Broudeur. Les gens ne comprenaient pas pourquoi on l’avait programmé : ils n’aimaient pas le film, il leur apparaissait trop compliqué dans sa forme. Nous, ça nous a permis de montrer autre chose, un film différent.
Question pratique. Quels sont les films qui peuvent prétendre à une inscription aux Lutins ?
Aux Lutins, on est totalement différent du mode d’inscription en festival. Là-bas, l’inscription est volontaire : un producteur, un réalisateur, ou un ayant droit inscrit son film et envoie une copie au festival de son choix. Chez nous, c’est un peu différent. Pour être inscrit aux Lutins, il faut avoir un visa d’exploitation, comme pour les César. Ce mode rend les choses plus professionnelles et restreint aussi le nombre de films à visionner. À Clermont, le nombre de films français inscrits avoisine un nombre supérieur à 1.000. Notre but est de recentrer une production et d’amener à la lumière seulement quelques films.
La production annuelle française se compte en plusieurs centaines de films. 29 titres retenus, à l’arrivée, ce n’est pas beaucoup…
Le problème avec la mise en lumière du court, c’est qu’il y a tellement de films qu’on est obligé de réduire leur nombre, si on veut essayer de toucher un public non averti, ne serait-ce que la presse qui a déjà tellement de mal à parler du format court.
Qui intervient dans la sélection de ces films ?
Aux Lutins, il y a deux tours. Au premier tour, les films sont repérés par des professionnels du secteur qui s’intéressent toute l’année à la production française ou internationale. Ça va des télévisions (Arte, France 2, France 3, Canal+, …), aux festivals (Clermont, Pantin, Brest, Paris Cinéma, Silhouette, …), en passant par les commissions (le CNC, Unifrance, …). Le problème, c’est que ce premier tour évolue assez peu, et que les gens restent au même poste pendant des années. Idéalement, il faudrait qu’un jour, apparaisse à côté de ce groupe assez fixe, un autre comité qui changerait chaque année de membres (producteurs, réalisateurs, acteurs, techniciens, …), et qui accepterait de visionner 500 films. Mais aux César, ils rencontrent le même problème, à la différence que nos films retenus ne sont pas forcément les mêmes que les leurs, qu’ils ont moins de titres en présélection, et qu’ils ont un système de points alors que nous fonctionnons avec un système de voix. En gros, aux Lutins, pour qu’un film soit retenu, il faut un minimum de cinq voix en moyenne.
Pour le second tour, les choses ont évolué. Avant, on envoyait le coffret des films nominés à une liste de professionnels reprenant tous les corps de métiers. Environ 1500 professionnels votaient ainsi pour l’ensemble des prix. Depuis l’année passée, on a ouvert ce vote au public : on donne aux gens la possibilité de devenir adhérents, d’acquérir le coffret, de découvrir l’ensemble des films, et de voter, moyennant la somme de 25 euros.
L’an passé, vous vous ouvriez au vote du public. Cette année, vous envisagez de vous mettre au numérique. Pourquoi ce nouveau changement ?
Cette année, le tour de France s’appellera la Nuit des Lutins. On sera présent dans plus de 35 villes, et on passera le 3 juin le même programme de films en numérique. Mais ce n’est pas tout. On aimerait également retransmettre dans toutes les salles, juste avant les films, la remise des Prix qui aura lieu à Paris. Simplement, ce n’est pas si simple que ça, parce que l’économie des Lutins n’est pas très florissante, que la retransmission satellitaire du faisceau coûte très cher, et que les courts métrages n’ont pas de fichiers numériques précis (DCP) pour être diffusés. Ce qui veut dire qu’on devrait les fabriquer nous-mêmes, pour qu’ils soient utilisés dans plus de 35 villes en même temps. Les devis des laboratoires sont très chers et nous ne sommes pas en mesure de les payer. Nous avons sollicité une aide spéciale au CNC, mais ils refusent de nous soutenir sur la numérisation d’un programme de 2 heures. Difficile de comprendre cette position alors que la Présidente Véronique Cayla tient un discours sur le numérique, mais ne bouge pas dans ce sens.
Qu’est-ce que représente un prix-Lutin aujourd’hui pour un film ?
C’est un prix honorifique. Vu qu’on a déjà du mal à se financer nous-mêmes, aller chercher des partenaires pour doter les prix, c’est encore moins évident. Les récompenses ne sont pas délivrées par des petits comités de jury de festival, mais bien par des professionnels issus de milieux différents. Comme les César ou les Oscars, ces prix honorent les films.
Y a-t-il des équivalents des Lutins dans les autres pays ?
Depuis 13 ans qu’on existe, on est unique au monde ! À Clermont-Ferrand, j’ai eu une discussion avec des responsables allemands, et je leur ai soumis l’idée qu’on puisse faire naître d’autres événements autour du court métrage avec d’autres pays, pour établir un réseau. Si on arrive à créer des Lutins à l’étranger, on pourra constituer un programme européen. Mais pour cela, il faut que chaque pays organise son propre événement en réunissant un certain nombre de films. Nous faisions déjà ce travail avec notre Lutin du meilleur film européen à l’époque. Pour des questions financières, ce prix a été malheureusement suspendu. La représentation de films européens était effectivement un plus.
Il y a quelques années, un film pouvait être récompensé du Lutin de la presse. Ce prix-là n’existe plus non plus. Pour quelle raison ?
C’est important de le dire. On était content de ce prix. La presse était présente, le comité pouvait compter jusqu’à 20 journalistes dont certains de Libération et des Inrocks. Ils participaient à ce prix, mais n’en assuraient pas la couverture, prétendument pour des raisons de place. Ce n’est pas simple : la presse est très souvent concentrée uniquement sur la question du long. C’est dommage : elle pourrait aussi parler d’événements importants autour du court métrage, faire des articles de fond sur les films, et non pas seulement donner les dates d’un festival.
Il y a trois ans, le DVD “10 ans, 10 films“ est sorti dans le commerce. Est-ce une initiative que vous pensez reconduire à l‘avenir ?
C’était intéressant de faire ce DVD pour marquer le coup, et ce serait bien de reconduire l’idée. Néanmoins, la question de la VOD m’intéresse plus. Le DVD est un bel objet, mais il reste cher à fabriquer et à acquérir. Si demain, un système sécurisé permettait aux adhérents de voir des films de la même qualité que sur un support DVD, je serais tout autant preneur. Peut-être envisagerons-nous de faire quelque chose autour de “20 films, 20 ans”, ou si on est trop impatient autour de“15 films, 15 ans” !
Propos recueillis par Katia Bayer
Article associé : La critique du DVD « Les Lutins du court métrage : 10 ans, 10 films »
Consulter les fiches techniques de « Voyage autour de ma chambre » et d’ « Erémia Erèmia »
Le site des Lutins : www.leslutins.com/du_court_metrage/