À Clermont-Ferrand, les courts de rattrapage se sont offert la présence de Luc Moullet et Lorenzo Recio, deux artistes de l’étrange, l’occasion pour nous de parler du DVD du plus loufoque des cinéastes de la Nouvelle vague « Luc Moullet en shorts : 10 courts métrages très drôles (sauf un) », édité chez Chalet Pointu. La compilation très éclectique réunit 10 petits films divinement iconoclastes traversant les genres (documentaire, fiction, docu-fiction, …) et un style à l’apparence froide et légère, teinté du burlesque de Tati et des théories de Brecht. Éloge du brin de folie de trois d’entre-eux.
Essai d’ouverture
Cultissime et tellement caractéristique de l’humour moulletien, Essai d’ouverture, lauréat du Prix Canal + à Clermont-Ferrand en 1989, se veut être une thèse sérieuse sur les mille et une tentatives d’ouvrir une bouteille de Coca-Cola. Tel un explorateur bochiman, Monsieur Moullet qui n’est pas tombé sur la tête, analyse l’objet sous toutes les coutures et use de tous les stratagèmes possibles et (in)imaginables pour déguster l’élixir impérialiste. Car c’est bien de cela dont il s’agit, derrière l’humour décapant du réalisateur, se cache une critique du système capitaliste à l’américaine dont la bouteille serait la pétillante égérie. Drolatique à souhait, cet Essai séduit par son savant mélange de didactisme appliqué et de comique artisanal.
Toujours plus
Dans la lignée de la critique douce et de la dénonciation amère, Toujours plus est un documentaire exposant l’obsession des Français pour les hypermarchés. Comparé à une usine à rêves à l’instar de l’Eglise et du Cinéma, le Grand Magasin, qu’il se nomme Intermarché, Auchan, Leclerc ou encore Carrefour offre à ses fidèles ouailles l’immense chance de posséder toujours plus. Temple de la consommation, il attise l’avidité existentielle qui sommeille en chacun de nous. Imprégné d’un sarcasme léger et d’une naïveté quasi primitive, le film prend parfois des allures de fable moderne et le ton solennel du commentaire en voix off, caractéristique des documentaires engagés d’une certaine époque, vient renforcer son côté décalé. À l’heure où l’une de ces indestructibles chaînes vit des moments difficiles, il est intéressant de plonger dans les premiers émois de la frénésie consommatrice.
Le système Zsygmondy
Le système Zsygmondy ou quand les tribulations de deux copines gravitant un pic de montagne amènent à explorer attentivement le comportement humain face à des contraintes imprévues. Allant totalement à l’encontre de la célèbre solidarité montagnarde, les jeunes citadines se montrent fort peu partageuses (surtout l’une) lorsqu’elles apprennent, après une journée de marche épuisante qu’il n’y a plus qu’une seule place au refuge. Et dans ce petit coin de nature, éloigné de tout, la civilisation et ses faiblesses bourgeoises laisse des empreintes indélébiles. Avec ses airs de Bronzés dégrossi, le film dépasse la parodie populaire pour rejoindre dans la joie et la bonne humeur un système plus psychanalytique qu’il n’y paraît. Preuve en est la touche musicale venant terminer ce vase clos : rien ne sert de coucher sous un toit, il faut savoir pourquoi.
« Luc Moullet en shorts : 10 courts métrages très drôles (sauf un) » : DVD édité chez Chalet Pointu