« And echoed in the wells of silence. » – Paul Simon
Signé par l’artiste hollandaise Manon de Boer, « Two Times 4’33 » » livre une interprétation filmique en deux temps du morceau 4’33 du compositeur américain John Cage. Réalisé dans le cadre de la cinquième Biennale de Berlin, le film a également fait du bruit au festival du court métrage de Namur cette année où il a été sélectionné dans la catégorie OVNI.
Devant une caméra immobile qui aperçoit les courbes d’un piano à queue, Jean-Luc Fafchamps, pianiste et compositeur belge, salue un public hors champ, s’assied et livre une interprétation d’une des compositions musicales les plus controversées de notre temps. 4’33 » part du principe que tout son – même des bruitages ambiants – peut constituer la musique. Hermétique, absolutiste et surtout avant-gardiste, le morceau de Cage se dispense en effet du composant musical indispensable, le son intentionnel, et remet ainsi en question la nature même de la musique.
Dans la mesure où la principale innovation provient de son contenu, le film de Manon de Boer s’approche plus du documentaire que de l’expérimental. La réalisatrice ne fait rien d’autre que de filmer une performance à deux reprises et ne peut aucunement prétendre à la nouveauté de son sujet. Pourtant « Two Times » fait preuve d’une originalité au moins aussi grande et remarquable que la pièce de Cage…
À l’instar des trois »mouvements » de la partition de Cage, le découpage de de Boer divise le film en deux volets, chacun correspondant à une performance. Le premier est un gros plan fixe qui capture la discipline et l’état mental de l’interprète, entre l’intention musicale, la lecture attentive de la partition et la manipulation du métronome qui marque la durée des mouvements en l’absence de toute note.
Le deuxième, un long travelling, fait défiler les visages du public, montrant tour à tour toute la gamme émotionnelle et les codes de réception qui définissent non seulement cette œuvre unique, mais la musique classique occidentale en général. À travers ce complexe jeu entre interprète, public et spectateur, le spectacle lui-même est mis en abîme, ce qui n’est pas sans rappeler une des meilleures expériences d’opéra filmé, à savoir « La Flute enchantée » de Bergman/Mozart.
Le coup de génie final qu’offre de Boer apparaît dans la dernière partie du film tel une coda au deuxième volet. Dans des derniers plans du film, la caméra abandonne les spectateurs et voyage à travers la fenêtre, expression parfaite du rapport entre les deux espaces : le champ visuel, quittant l’intérieur, s’élargit vers le monde extérieur, le véritable compositeur/interprète de cette « musique » absolue.