Jeune diplômé de la Film School of Wales, Felix Massie est un animateur réservé, à l’origine de deux films pittoresques et morbides, « Keith Reynolds Can’t Make It Tonight » et « The Surprise Demise of Francis Cooper’s Mother ». Invitée au dernier Festival de Lille, cette nouvelle recrue de la boite de production The World of Arthur Cox se balade allègrement, de séance en séance, vêtu d’un t-shirt représentant un gros monstre vert fluo. Rapprochement de mise.
Quand t’es-tu réellement intéressé à l’animation ?
J’ai toujours dessiné. Quand j’ai découvert Wallace & Gromit et le court « The Wrong Trousers », j’ai un peu mieux compris ce qu’étaient l’animation, les maquettes, et la 3D. J’ai voulu travailler avec une caméra mais c’était trop cher, je me suis donc limité au dessin pendant tout un temps. Un jour, à l’âge de 16 ans, j’ai découvert le logiciel Flash qui m’a aidé à entrer dans l’univers de l’animation. Parallèlement, les dessins de Gary Larson m’inspiraient beaucoup, car ils racontaient des choses de façon très humoristique.
Tu t’orientais déjà vers l’humour ?
Si on manque de confiance, il vaut mieux tenter de faire rire. On peut être aussi sot qu’on le veut, ca n’a pas d’importance. Avec l’humour, il ne faut pas être plus confiant que ça. Ça m’arrange !
Le Royaume-Uni compte d’excellentes écoles d’animation. Comment ton choix s’est porté sur l’école du Pays de Galles, la IFSW ?
Quand on veut s’inscrire dans des écoles subventionnées par le gouvernement, on peut donner six préférences, six choix d’études. À l’époque, j’étais très intéressé par le graphisme et le design, donc j’ai choisi trois écoles de graphisme et trois d’animation, car je n’étais pas encore sûr de ce que je voulais faire. En deuxième année, l’animation m’est apparue comme une évidence, sauf que ce cours était supprimé dans tous les endroits où j’avais postulé. On m’a laissé encore une possibilité, la Wales School; c’est comme ça que je l’ai choisie. J’ai eu de la chance : c’était vraiment la meilleure des écoles proposées, et je suis tombé sur la bonne par hasard, sans me renseigner à son sujet au préalable.
Pourquoi estimes-tu que c’était la bonne ?
Parce que quand j’y suis allé, on m’a montré d’excellents courts récompensés en festivals : en particulier, un film de John Williams, « Robots » tellement bien fait qu’il m’a inspiré, « Astronauts », le film de fin d’études de Matthew Walker, le réalisateur de « John and Karen », et puis « t.o.m.» de Tom Brown et Dan Gray, sélectionné à Sundance et lauréat à Annecy. Cela fait du bien de savoir qu’il y a des gens si doués dans son université…
À la IFSW, on n’apprend pas simplement l’animation et les techniques comme dans beaucoup d’écoles, on nous apprend aussi comment construire une histoire. Et puis, en troisième année, c’est la liberté totale pour le film de fin d’études.
En deuxième année, tu as co-réalisé « Satisfactory » avec Joe Paine. Comment s’est conçu le travail à plein de doigts ?
Pour le film de deuxième année, on devait se concentrer sur un medium spécifique (2D, stop motion, CGI etc) et se regrouper pour travailler en équipe. Cette expérience de travail collectif a été très bénéfique pour la suite, car dans l’industrie de films, tu es souvent cantonné à un seul poste. « Satisfactory », je l’ai co-réalisé avec Joe Paine, qui était aussi étudiant en animation, mais qui est plutôt musicien, à vrai dire. Il a composé la musique de tous mes films, de « Keith Reynolds » et de « Francis Cooper » notamment. Il comprend très bien ce que la musique peut apporter à une image.
Est-ce que tu bénéficiais d’une liberté totale de sujet pour ce film ?
Oui. La seule consigne était le titre : ‘Recodage des conventions’. Je ne sais pas du tout ce qu’on a recodé, mais ça a été accepté !
« Keith Reynolds Can’t Make It Tonight » est ton film de fin d’études. Comment l’as-tu imaginé ? Y avait-il des contraintes imposées par l’école ?
En troisième année, la seule indication était que la durée ne devait pas dépassait trois minutes. On nous a dit que c’est une durée idéale car ainsi, le film était bien cadré et la perte de qualité nulle. Je n’ai pas tout à fait respecté cette indication, car mon film fait six minutes.
Au départ, n’ayant pas d’idée précise pour ce dernier film, j’ai repensé à des vidéos réalisées plus jeune qui comprenaient des silhouettes et des stick figures (‘I can’t colour in’). J’ai décidé d’en faire une version plus élaborée et de créer plus d’interactions entre les stickmen et de jouer avec les espaces, en mettant plein de carrés partout.
À l’université, on avait l’habitude de se réunir régulièrement pour présenter nos projets et d’avoir un retour des autres élèves. Lors que j’ai présenté mon idée, un ami qui avait travaillé sur « Satisfactory » m’a suggéré de voir « Flatlife » (Jonas Geirnaert) dans lequel l’action se situait dans quatre pièces simultanément. En le voyant, j’ai eu l’idée des pièces et de l’immeuble pour mon film.
Et puis, je me suis mis à écrire l’histoire de « Keith Reynolds ». C’est ici que Joe Paine est revenu… Un ami de sa mère s’appelle Keith Reynolds et a téléphoné un jour pour dire qu’il ne pouvait pas venir ce soir-là (« I Can’t Make It Tonight »). On a trouvé que cette phrase représentait un bon titre, et j’ai commencé à inventer une histoire sur la raison pour laquelle il n’avait pas pu venir.
Dans tes films, on remarque cette technique de panoramas, soit horizontal dans « Satisfactory » soit vertical dans « Keith Reynolds ». Cela fait partie de ton style ?
En fait, quand on travaille avec Flash, on est un peu limité, donc l’animation en panorama, c’est quelque chose de relativement facile à réaliser que j’ai naturellement tendance à faire, mais qui est aussi lié à l’histoire que je désire raconter. « Satisfactory » parle du travail à la chaîne dans une usine, donc le panorama horizontal s’imposait, tandis que dans « Keith Reynolds », cette technique, verticale mais aussi horizontale, permettait de voir précisément ce qui se passait et ce qui allait arriver sans devoir couper dans l’action. Ça ajoute de l’humour au film, je pense.
Tes deux derniers films, « Keith Reynolds Can’t Make It Tonight » et « The Surprise Demise of Francis Cooper’s Mother » reposent sur des voix-off. À l’école, vous apprend-on à travailler avec la voix, et ne vous met-on pas en garde contre les films trop bavards ?
À l’université, on ne nous décourage pas d’utiliser la voix, mais on nous avertit lors que son usage n’est pas assez bon. On ne nous apprend pas spécialement à l’utiliser, et il n’y a pas de cours de scénario ni de dialogues. Mais c’est vrai que je m’intéresse à certains films ‘vocaux’. « Astronauts » de Matthew Walker m’a peut-être influencé, même si je ne voulais pas consciemment imiter ce que les autres avaient fait avant moi. De même, un de mes films préférés est « Skhizein » (Jérémy Clapin) dans lequel le protagoniste se retrouve à côté de lui-même.
Depuis ta sortie de l’école, tu travailles pour The World of Arthur Cox, une des boîtes de production les plus en vues d’Angleterre. Comment y es-tu entré ?
J’y ai fait mon stage professionnel en troisième année, et j’ai rencontré Matthew Walker à Annecy. En novembre 2006, j’ai rencontré à l’université Sarah Cox [co-fondatrice de la boîte et réalisatrice] qui était invitée à juger les films de fin d’année. Elle a vu « Keith Reynolds » et l’a aimé. J’ai fait de l’animation sur quelques projets pour eux, puisque je savais travailler avec Flash, et un mois plus tard, elle m’a demandé si je voulais être représenté par eux. Depuis, j’ai travaillé sur plusieurs projets et j’ai réalisé « The Surprise Demise of Francis Cooper’s Mother » .
Y a-t-il selon toi une philosophie qui relie les films d’Arthur Cox ? Qu’est-ce qui les distinguent des autres productions ?
Je ne sais pas. Ils sont tous centrés sur l’histoire, je crois. Même si visuellement, tous ces films sont très différents, ils sont tous reliés par un souci de narration et même d’humour. Sinon, on aime tous la nourriture bio chez Arthur Cox !
Dans ce dernier film, tu traites avec humour de la mort, qu’elle soit provoquée par un accident, une irresponsabilité, ou la paranoïa. Est-ce que tu te reconnais dans un humour noir et morbide ?
Au début, je pensais ne raconter que l’histoire de Francis Cooper. Sa mère meurt avant son père et il est choqué par l’idée que les hommes puissent mourir avant les femmes. D’autres histoires sont apparues en parallèle. En fait, le thème du film, c’est comment faire face à la perte de quelqu’un de proche, et aux émotions liées à cette perte, et déterminer le moment où les personnages ont subitement conscience d’une vérité qui leur permet de surmonter leur agitation émotionnelle. Sauf que mes personnages en font beaucoup trop !
En faisant ce film, je pense que je me suis inspiré des animations en stick figures. Il existe sur Internet tout un genre d’animations appelé Stick Deaths dont le but est de tuer des personnages d’une manière drôle. Cette idée m’est un peu restée, « le côté amusant de la mort ».
Voudrais-tu explorer d’autres techniques, comme l’animation en volume ?
Je ne pense pas que je m’aventurerais dans la stop-motion à ce stade-ci, je m’y connais tellement peu. Aardman fait des choses géniales avec cette technique. Je me sentirais ridicule si je faisais quelque chose de médiocre ! Non, les dessins sur ordinateur, c’est plus facile pour moi.
Question de fin. Étudiant, percevais-tu correctement la réalité du milieu d’animation ?
Non pas vraiment. Dans le monde réel, on se rend très vite compte qu’on a beaucoup moins de liberté que ce qu’on aurait voulu avoir. Pendant nos études, on ne réalise pas toutes les subtilités et complexités du métier, comme le travail en freelance, par exemple. À l’école, on croit qu’on trouvera tout de suite un boulot comme animateur, mais ce n’est pas vrai. La vérité, c’est qu’on ne sait jamais quand on recevra notre prochain chèque !
Propos recueillis par Adi Chesson et Katia Bayer. Traduction, retranscription : Adi Chesson. Mise en forme : Katia Bayer
Article associé : la critique du film