« Judge you wanna hear my plea, Before you open up your court, But I don’t want no sympathy, ‘Cause I done cut my good man’s throat. » (« M. le Juge, écoutez ma défense avant de me juger. Je ne demande pas de pitié, j’ai bien égorgé mon vieux. ») – Bessie Smith (Send Me to the ‘Lectric Chair).
Commandé par le Festival de Rotterdam dans le cadre de »Urban Screens », une série de films projetés sur des façades de la ville hollandaise, et sélectionné à l’Étrange Festival de Paris, « Send Me to the ‘Lectric Chair » est une expérience filmique unique, bizarre, et abstruse. Co-signé par l’improbable duo Guy « déjanté » Maddin et Isabella « Trésor » Rossellini, ce court réussit, avec peu de moyens, à redéfinir la notion de cinéma expérimental à l’ère postmoderne.
Guy Maddin n’est pas un cinéaste comme les autres. Éclectiques, excentriques et expérimentales à souhait, ses œuvres n’ont jamais laissé indifférents les amateurs de cinéma underground. « Send Me to the ‘Lectric Chair », son dernier court métrage, co-réalisé avec Isabella Rossellini, vedette de bon nombre de ses films précédents, narre, au sens le plus léger du terme, les derniers moments de la vie d’une ex-diva sur le point d’être électrocutée. Le récit, allusion directe à la célèbre chanson éponyme de Bessie Smith, laisse sous-entendre une histoire d’infidélité et de revanche, tout en esquissant une image pervertie de la femme fatale vieillissante, au crépuscule de sa vie. À partir de cette base morbide, les réalisateurs extrapolent à leur gré : l’onirique rencontre le glauque, le sensuel épouse le cauchemardesque,… Tout est permis dans cet univers pulsionnel, ténébreux, renfermé et noir et blanc.
Le parti pris de l’achromatisme, la pellicule abîmée, la bande-son extravagante et le jeu d’acteurs surexplicite, typiques de l’œuvre du cinéaste canadien, sont autant d’éléments stylistiques qui renvoient aux cinémas muet et classique. Le résultat se présente comme une surcharge sensorielle et une mosaïque stroboscopique réunissant le formalisme d’un Eisenstein (montage rythmé et associatif), l’expressionnisme d’un Murnau (psychologisme, gros plans symboliques, images mentales), et le postmodernisme d’un Jarman (sexualité accouplée avec la mort). Décortiquées, des citations postmodernes ébranlent les références du spectateur, des costumes (référence à Louise Brooks dans « Le journal d’une fille perdue ») au décor (évocateur de l’art-déco du XXème), en passant par la musique (le blues rauque de Bessie Smith), jusqu’au choix d’interprétation même (Isabella Rossellini, portrait craché de sa mère).
En subordonnant adéquatement le fond à la forme, Maddin et Rossellini proposent une lecture autre du genre expérimental, souvent perçu comme étant trop ésotérique. Chez eux, la distanciation et l’artifice qui marquent la diégèse n’atténuent en rien la puissance de la représentation du délire, un délire de plus en plus crédible malgré son basculement progressif vers le fantasque. Si « Send Me to the ‘Lectric Chair » est un film déconcertant, c’est autant par son sujet lugubre et la déconstruction de l’imaginaire qu’il opère, que par le lyrisme dont les réalisateurs réussissent à le doter.
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