Piètre acteur selon ses dires, ancien régisseur, fondateur de la maison de production Lazennec, trésorier de l’Académie des Arts et Techniques du Cinéma, auteur du rapport Rocca sur la diffusion du court métrage en France, et président de la plateforme de cinéma indépendant VOD UniversCiné, Alain Rocca est aussi le Président du Jury Officiel des longs métrages à Namur. Pendant une heure, un lundi, jour de pluie et de mendiants au chocolat, il se raconte.
Retour en arrière. Vous souvenez-vous d’un film qui vous ait marqué dans votre adolescence ?
Non. Je n’étais absolument pas client du cinéma d’expression quand j’étais enfant et adolescent. Moi, j’étais vraiment un client lambda du cinéma. Mes souvenirs sont liés aux films commerciaux. Les courts métrages, je ne m’en souviens même pas. Ceux qui ont représenté des chocs, comme « Star Suburb, la banlieue des étoiles » de Stéphane Drouot (1983), je les ai découverts plus tard. À cette époque, je commençais seulement dans le métier.
Pourquoi vous êtes-vous intéressé à la production et au court métrage si vous n’aviez pas une approche cinéphilique à la base ?
À la base, j’ai une formation et un métier d’ingénieur. Je suis arrivé à la production par le tournage, en passant par la régie, l’assistanat, et même en étant un piètre acteur.
Je ne crois pas qu’on arrive à la production par la cinéphilie, mais par goût du pouvoir, par une envie de maîtriser un peu ce qui se passe. Il y a deux patrons sur un film : celui qui le fait et celui qui permet qu’il se fasse. Le passage par la régie et le reste m’a permis de me rendre compte que les cinéastes étaient vraiment des décathloniens d’exception et qu’il aurait été très prétentieux de prétendre en faire partie, alors que la production me paraissait plus accessible.
Elle n’a pas été déterminante, mais elle m’a frappé. C’est relativement facile à comprendre, la production. Par contre, devenir producteur, c’est autre chose. J’ai eu la chance de voir un très grand producteur en activité. C’était impressionnant de le voir assembler toutes les pièces de puzzles techniques, artistiques, et financiers, comprenant des enjeux humains, commerciaux, et symboliques.
À l’époque, je faisais de la régie sur deux films produits par Fleshner, « Marche à l’ombre » (Michel Blanc, 1984) et « Les Spécialistes » (Patrice Leconte, 1985). J’étais copain avec les membres de la régie et avec ceux de l’administration de production. J’étais très concerné par la manière dont on assurait les choses au mieux. Ça me passionnait presque plus que ce qui se passait réellement sur le plateau. Cette impression est restée : j’ai toujours été plus excité par le fait qu’on réussisse à faire exister un film que par le film lui-même.
Lazennec s’est créé en 1985, et le premier film produit, « Samedi, dimanche à Cabourg » de Laurent Teyssere date de la même année…
Ah, vous êtes informée ! « Samedi, dimanche » c’est le vrai premier, alors que « Fin de série » de Philippe Harel est un premier légendaire…
Pourquoi faites-vous une distinction entre les deux, entre un vrai et un faux premier ?
Parce que « Samedi, dimanche à Cabourg », c’est le premier chantier. L’équipe est composée pour l’essentiel d’Adeline Lécallier avec qui j’ai fait toute l’histoire de Lazennec, et de tous mes potes techniciens de « Marche à l’ombre » et des « Spécialistes ». On est tous là, on se dit qu’on a tous à peu près les spécialités requises pour faire un film, alors on le fait.
Pourquoi est-ce le faux premier ? Parce que c’est un “faux départ”. Quand on attaque « Fin de série », on se retrouve dans la vérité de la production. Philippe Harel a une idée de film dans la tête, et nous, nous faisons en sorte que cette idée puisse devenir une réalité sur un écran. Dans « Samedi, dimanche », on ne joue pas ce rôle de passeur et l’enjeu que quelqu’un s’exprime n’est pas aussi présent. Ce qu’il y a, à la place, c’est une bande qui se marre et qui fait tout (cuisiner, jouer, pousser le travelling, …). Ce type d’expérience offre de formidables souvenirs, mais je ne sais pas si cela fait des films.
Trois ans après sa création, Lazennec a commencé à produire du long en maintenant son intérêt pour le court…
Moi, je venais du long métrage comme technicien et surtout de « Marche à l’ombre » et des « Spécialistes » qui n’étaient vraiment pas des petites productions. Mon modèle, c’était Chrisitian Fleshner. Je voulais être comme lui, sans savoir à l’époque ce que représentait vraiment Fleshner et quel était exactement son parcours. J’étais juste impressionné par le fait que c’était lui qui avait permis que des films vraiment intéressants et originaux puissent exister.
Je trouvais que le métier de producteur était incroyable, mais que ce ne serait peut-être pas stupide de passer par le court pour arriver à gérer un budget aussi colossal qu’une production de long métrage. Par la suite, j’ai découvert que cela permettait aussi de construire une relation entre le cinéaste et le producteur et que ce lien serait très utile pour le passage au long.
C’est vrai que “vos” réalisateurs vous sont fidèles dans leur transition du court au long.
Ce n’est pas de la fidélité. Il n’y a pas plus infidèle qu’un cinéaste par rapport à un producteur.
Alors, comment appelle-t-on le fait que Rochant, Kassovitz, Klapisch ou Harel continuent à faire des longs chez Lazennec ?
Réalisateur/producteur, c’est une “association de malfaiteurs”. Faire un film, c’est faire un coup. Pour le faire, il vaut mieux avoir une bande qui fonctionne assez bien, au moins le temps du coup. Les films sont bien plus importants que l’amitié entre les gens. Une amitié ne résiste pas aux conflits qu’il peut y avoir sur un film. Ce qui résiste par contre, c’est l’intérêt bien compris des parties : si vous êtes un cinéaste, c’est beaucoup plus efficace de travailler avec un producteur que vous connaissez qu’avec un producteur que vous ne connaissez pas. Vous perdez beaucoup moins d’énergie et de temps avec un producteur qui veut vous produire et qui vous a suivi dans vos exercices de style préalables, dans vos courts métrages.
Plus qu’une fidélité, c’est une relation qui se crée. Moi, j’ai fait six films avec Rochant, vous imaginez bien que quelque chose d’énorme s’est construit entre nous, et que cela restera éternellement, quoi qu’on devienne. Je pense vraiment que le producteur et le réalisateur fonctionnent en synergie, qu’ils doivent être tous deux conscients qu’ils ont besoin l’un de l’autre. Parce que c’est bien joli de permettre que les films existent, mais il faut bien que quelqu’un les fasse.
Différents producteurs sont passés par Lazennec. Entretenaient–ils tous des relations avec des réalisateurs particuliers ?
Oui, toujours. À partir du moment où vous dites qu’un producteur a besoin d’identifier fortement le cinéaste avec lequel il travaille et vice-versa, vous êtes bien obligé d’avoir de nombreux producteurs dans la boîte si vous voulez faire beaucoup de films. Un certain nombre de producteurs a ainsi fait ses premières armes à Lazennec.
Vous avez continué à produire des films jusque il y a 9 ans. Pourquoi n’en produisez-vous plus depuis ?
Pour faire de la production, il faut être très engagé et oublier le reste. Le film que vous produisez compte plus que tout. Enfin, si je produis, moi, je produis comme ça. Je ne peux pas faire autrement. Je peux, par exemple, diriger les César et UniversCiné, en étant en même temps Président du Jury à Namur, mais si j’étais en train de produire un film, ce serait impensable de s’occuper du reste. Cela ne veut pas dire que je passe ma vie sur le tournage, mais que tous mes neurones sont mobilisés sur le film que je suis en train de produire. Depuis un petit temps, cette remobilisation à 100% ne me paraît pas nécessaire.
Si aujourd’hui, un projet formidable apparaissait, le produiriez-vous ?
Maintenant, c’est plus compliqué. J’ai d’autres engagements, donc il faudrait que j’abandonne un certain nombre de choses qui me plaisent. Mais pourquoi pas ? Vous savez, produire des films, c’est une drogue. J’y résiste très bien, mais ça n’empêche que je pourrais tout à fait recommencer.
Est-ce que Lazennec continue à produire des courts métrages ?
Non, on a arrêté d’en produire pour une raison très technique, à cause d’un contrôle fiscal. Ça faisait 20 ans qu’on militait pour que les courts puissent exister. Le court, c’est un endroit où personne, ni un technicien, ni un acteur, ni un producteur, ni un distributeur, ni un patron de festival, ne fait fortune. Il y a une volonté de gagner sa croûte, et de sauver sa peau, mais personne ne fait de profit dans le court. Et nous, pas plus que les autres. Après tout le monde y tire un intérêt : les techniciens apprennent leur boulot, les réalisateurs se font les dents, les producteurs aussi, etc. Il y avait quelque chose de noble chez tous ceux qui en faisaient, et tout à coup, je risquais des ennuis à cause d’un encadrement administratif. On a arrêté de produire du court, puis, c’est reparti doucement, mais plus du tout comme avant. Le court à Lazennec était un gros pôle de production qui crachait quand même 5 à 6 films par an.
Pendant plusieurs années, vous avez encadré des étudiants à la Fémis. Comment forme-t-on les futurs producteurs ?
Former, c’est un très grand mot pour le département production. Le but avoué de ce département, c’est de permettre à des jeunes gens qui en sont désireux de creuser la question de la production indépendante pendant quatre ans. Que signifie produire un film de cinéma aujourd’hui en France ? C’était vraiment passionnant de creuser cette question, et de le faire dans une école de cinéma dans laquelle évoluent les futurs techniciens de plateau et les directeurs de prod’. En plus, à la Fémis, les étudiants ont la possibilité de produire les films en interne. Ça leur donne un champ d’expérimentation très intéressant.
Malgré l’absence de profit, est-il intéressant d’envisager une plateforme pour les courts de Lazennec sur Internet ?
On y pense. On se demande ce qu’on va faire des nôtres. Personnellement, j’ai joué le jeu de deux, trois plateformes de courts : 6nema.com, VODMania, … On me disait qu’il y avait un marché, je n’y croyais pas. J’ai voulu vérifier si il y avait des remontées de recettes. Il n’y en a pas eu, ça m’a confirmé qu’il n’y avait pas de marché. Après, est-ce que ces plateformes marchent ? Je n’en ai aucune idée.
Si on regarde l’histoire des César, au départ, il y avait un César du meilleur film d’animation, un autre relatif à la fiction, et un dernier lié au documentaire. Comment se fait-il qu’au lieu des trois prix d’origine, il n’y en ait plus qu’un ?
Effectivement, on récompense un seul film, mais a priori, il y a un autre endroit spécialisé pour cela, les Lutins du court métrage. Ce serait absurde de faire une cérémonie avec plusieurs César, surtout que la distribution de médailles dans le court métrage, c’est un sport très pratiqué, notamment avec les festivals.
Je ne sais pas si un deuxième ou un troisième César de plus changerait les choses. Par contre, je suis très attentif aux actions que l’Académie accomplit dans le courant de l’année, dans des manifestations périphériques, avec les Nuits en or du court métrage et les DVD César.
Des DVD de Lazennec sont sortis dans le commerce, l’un en 2006, l’autre en 2008. Comment s’est opéré le choix des films ?
Lazennec a sorti à peu près 130 courts métrages. Là-dedans, il y en a une trentaine qu’on considère comme des objets de cinéma complètement finis. À l’origine, j’avais vraiment envie que mes enfants voient ces trente films-là. Du coup, je me suis dit : “il faut que ces films puisse se trouver sur un DVD, sur un support de cinéphile.” C’est pour ça qu’on a fait le premier, le deuxième, et qu’on va faire le troisième.
Avez-vous le sentiment depuis 2006, depuis votre rapport, que les choses ont changé dans le court métrage, au niveau de sa diffusion et de son caractère fondamental dans le cinéma ? Pensez-vous également toujours que ce sont les acharnés qui montrent le genre court ?
Je ne sais pas, vraiment. Cette étude pour le CNC avait été très surprenante. Je m’étais immergé pendant 3-4 mois dans le monde du court que je croyais connaître et j’avais découvert une planète entière dont j’avais une vague habitude. Je m’étais rendu compte à quel point le désir de cinéma de ce pays était important, mais que peu de possibilités réelles existaient pour que ce désir se mue en vie professionnelle. J’avais découvert à quel point c’était la véritable fonction sociale du monde du court métrage, en plus d’être un endroit rempli de choses cinématographiquement intéressantes. Ça m’avait incité à me dire que le court était indispensable et formidable, et que c’était une réponse à tous ceux qui estiment que le cinéma français n’est pas bon en développement. Le court est un drôle de monde dans lequel il y a des acharnés, une administration, et une ressource prélevée sur la filiale de longs métrages. Donc il faut vraiment une compréhension de la part des filières du long métrage, une administration intelligente, et des acharnés pour que tout cela continue. Parce que le désir de cinéma, lui, je n’ai pas d’inquiétude, il est toujours là.
Propos recueillis par Katia Bayer
Consulter les fiches techniques de « Star Suburb, la banlieue des étoiles », « Fin de série », et de « Présence féminine »
Le DVD César du meilleur court métrage 2009 et les DVD « Lazennec, 20 ans de courts métrages » sont sortis chez DVD Pocket.