Waiting for something to happen
Trituration de la matière, effets miroirs, répétitions, chocs visuels… Depuis plus de dix ans, Nicolas Provost hante écrans et galeries d’art avec ses courts métrages hybrides. À mi-chemin entre le cinéma et les arts plastiques, le vidéaste flirte avec les genres, les formes, et se joue des codes narratifs. Plot Point, réalisé en 2007, explore ce qui fait l’essence même du film d’action américain. Film expérimental ? Fiction ? Documentaire ? Difficile de répondre à ces questions sinon par « tout à la fois ».
New York, un soir. Bienvenue dans la jungle urbaine. Des individus marchent, traversent les rues, se retournent, scrutent le ciel. Autour, des ambulances, des taxis, des bus roulent à flot continu…De la lumière partout, phares et néons publicitaires clignotants. Des voitures de police, lentement, sillonnent Times Square. Parmi la foule, des flics en civil échangent des regards entendus avec d’autres en uniformes, prêts à intervenir. Au coin de la rue, un vendeur de journaux énonce les gros titres, puis, un coup d’œil furtif à gauche et à droite, il enfile son capuchon. Une jeune beauté, col en fourrure, vient de traverser la grande avenue… Il va se passer quelque chose… Un flic au regard anxieux, costume noir, lunettes noires, cravate noire scrute le ciel…noir. Là-haut, un hélicoptère slalome entre les gratte-ciel. Il va se passer quelque chose…. Cette fois, c’est sûr !
Pas de doute possible, à la vision de quelques plans, voire aux photos du dernier film de Nicolas Provost, vous ne pourrez imaginer qu’il s’agit d’autre chose que d’un bon film policier à la sauce américaine. Et tout est là, en effet, pour nous le faire croire.
Sauf que… Sauf que, voilà, un film policier américain ne dure pas 15 minutes. Un film policier américain raconte l’histoire d’un « méchant » qui se fera inévitablement arrêter par les « gentils ». Rien de tout cela chez Nicolas Provost. Son but n’est pas de raconter une histoire avec introduction-développement-conclusion attendus, mais bien d’interroger la forme. En effet, Plot Point est un exercice de style dans la lignée oulipienne. Un peu comme Italo Calvino qui dans, Si par une nuit d’hiver un voyageur, proposait un roman intégrant dix débuts de roman sans y donner de suite, Nicolas Provost perce les règles du jeu de ce que l’on appelle au cinéma le « Plot Point », ce moment de déséquilibre qui fait basculer le quotidien dans le drame, qui fait passer du calme à l’angoisse, ce petit moment bien connu où « il va se passer quelque chose de terrible, c’est sûr ! ». En filmant, de façon remarquable, des scènes de rues quotidiennes au cœur de New York, le réalisateur fait monter la tension du spectateur. Grâce à un montage exceptionnel et une bande son adaptée, il parvient ainsi à recréer ce qui fait l’essence même du film d’action américain.
À chaque instant, le doute s’installe. On attend, le cœur battant, que le bus fonce sur la foule, que la vitrine du restaurant explose. Sa manière de fictionnaliser ces scènes documentaires interroge le spectateur sur le pouvoir que possède l’image à dire ce qui n’est pas, l’entraînant ainsi dans la paranoïa. Qui sera le héros de l’histoire ? Qui sera la victime, l’assassin ?
Étiqueté, trop rapidement peut-être, cinéaste « expérimental », la démarche de Nicolas Provost parvient à associer l’esthétique, les références et l’émotion. Film expérimental ? Fiction ? Documentaire ? Il s’est passé quelque chose.
Article paru sur Cinergie.be
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