Tous à table
Le Canadien Denis Villeneuve, sélectionné à Cannes en 1997 à la Quinzaine des réalisateurs pour un long métrage collectif intitulé « Cosmos », collectionne, depuis plus de 20 ans, prix et distinctions dans le monde entier. Pour ce réalisateur de 42 ans, le court métrage n’est pas un exercice, mais bien un moyen d’exprimer un univers visuel particulier sur un format qui se prête à toutes les audaces. Son dernier opus « Next Floor », a obtenu le Grand Prix Canal+ du meilleur court métrage en 2008 lors de la Semaine de la Critique au Festival de Cannes. Il ne repart, hélas, qu’avec une mention spéciale du Jury jeune au Festival du court métrage de Bruxelles.
En 1974, Luis Buñuel, dans « le Fantôme de la liberté » se jouait des conventions sociales et mettait en scène de typiques bourgeois réunis autour d’un table pour… déféquer. La nutrition, chose honteuse, était, elle, cachée dans un petit endroit au fond du couloir dans lequel on se séquestrait à double tour. L’acte de manger, de digérer et de déféquer se rangent parmi les expériences les plus fondamentales, les plus corporelles de l’homme. Le repas est un acte social, contrairement à la défécation…simple question de moeurs.
Pourtant, se nourrir peut se révéler quelquefois aussi obscène, il suffit de revoir « La grande Bouffe » de Marco Ferreri pour se convaincre que la représentation charnelle de la nourriture pose de profondes questions philosophiques quand elle est faite non pour se nourrir mais pour mourir. C’est un peu le postulat de « Next Floor » de Denis Villeneuve. Onze convives entourés de musiciens, d’une valetaille afférée et d’un maître d’hôtel pour le moins inquiétant déchiquètent, absorbent, sucent, avalent, gobent, les plats de chair animale qui se suivent et ne semblent pas avoir de fin.
Au menu, félin, tatou, rhinocéros et autres jolies atrocités filmées avec une délicatesse qui éveille des sentiments entre dégoût et fascination. Gros plan sur les bouches, les os, les yeux, la viande, les invités de cet étrange rituel, alourdis, tombant d’étages en étages avec force fracas. Impassibles, ils recommencent, animés d’un désir de possession sans limites, d’une violente frénésie de consommation. Si durant cet anti banquet platonicien, pas une parole ne s’échange, s’y dévoile pourtant une vérité humaine qui passe justement par l’oralité, mais l’oralité primitive.
Métaphore d’une société consumériste, destructrice et auto destructrice ? « Next Floor » n’affirme rien et laisse le champ libre à toutes les interprétations. Sa force visuelle et sa mise en scène réglée comme une machine infernale en font une œuvre d’une cohérence remarquable qui ne laissera personne indifférent.