Certes, c’est la crise, le réchauffement de la planète, la catastrophe écologique, les émeutes de la faim, la guerre en Irak, au Darfour, au Congo, à Madagascar, en France (ben oui, les amis, en France aussi !)… Certes, certes, certes ! Et quand bien même, pas un seul des courts métrages belges d’animation présentés à Anima cette année ne s’ancrait dans le réel de nos jours difficiles – « Persepolis » est loin des préoccupations de notre plat pays dirait-on -, la plupart de ces films pourtant, étaient tristes, mais d’un triste ! – version condition de l’homme moderne, ab abstracto, entre solitude, folie, isolement, dérèglement, absurde… Et pourtant, on n’a rien vu, on vous le dit, de toute la banale atrocité qui traverse notre époque. Ou presque ! On n’a presque rien vu de ce monde, et si on ne s’est pas pendu au sortir des projections, c’est grâce à quelques films…
À l’école, la chaire semble triste
Sans doute qu’une partie de notre déception trouve son origine dans le fait que beaucoup de ces courts métrages sont des films d’écoles et qu’en tant que tels, ils se veulent des démonstrations de talents. Soit ils ne nous ont pas convaincus des talents en question, comme ce fut le cas d’ « Adalbert » (Albert Jacquard) de Guillaume Dubois, petite histoire de détective, « Une Toile » (KASK Hogeschool Gent) d’Ophélie Tailler où des fils d’araignées – très jolies – emplissaient la toile – ou encore de « 36ème dessous » (Albert Jacquard) de Thomas Dumont, qui nous a semblé fait de clichés et nous a rendu tristes. Soit ils nous ont convaincus, certes, mais de rien d’autre : « Rhum Salé » (La Cambre) de Remi Vandenitte, joli film tout en encre et contrastes blancs noirs sur la mer, disparitions, réapparitions d’images où l’on se noie seul et à plusieurs, ou encore « Bitte Wenden » (KASK Hogeschool Gent) de Joris Bermans où l’on se perd en rond, chacun son tour, vers nulle part, nous laissant ainsi un peu sur notre faim, passant sans doute les lois de l’exercice, mais sans vraiment nous emmener dans un univers à eux. Plus réussi, « Time Out » (KASK Hogeschool Gent) de Sarah Menheere, un beau film assez audacieux par sa technique qui mélange le noir et blanc et la couleur, le dessin crayonné et la peinture épaisse, qui danse autour des jeux de couleurs et tisse le portrait d’une solitude moderne au bord de la folie. Par contre, « Milovan Circus » (La Cambre) de Gerlando Infuso, sélectionné déjà dans de nombreux festivals, y compris à Annecy, résiste toujours à la quatrième vision et continue d’émerveiller par son univers original, sa technique impressionnante et sa poésie grave et délicate.
Ailleurs on a lu tous les livres
Plus professionnels, puisque presque tous produits par Arnaud Demyunck, on a pu revoir « La Svedese » de Nicolas Liguori, crayonné nostalgiquement et magnifiquement, un bel enchantement qui nous laisse de plus en plus sur notre faim parce qu’une fois saisi ce que dessine le film (la rencontre amoureuse entre Ingrid Bergman et Roberto Rossellini) et bien, disons qu’on n’est pas plus avancé et qu’on commence à s’ennuyer de son atmosphère triste et nostalgique. Et si « La Vita Nuova » de Christophe Gautry est un très bel exercice poétique autour de Gérard de Nerval, il nous laisse un peu indifférents parce qu’il est difficile, au-delà de la maestria plastique dont il fait preuve, d’en saisir l’émotion. Il tente pourtant de rendre, dans un entremêlement de réalité et de temporalité, cette émotion qui agite Nerval justement, en lutte avec sa folie grondante – la folie, d’ailleurs, notez-le, au passage ! Beau, rond, et doux, « De si Près » de Rémi Durin, suit la longue rêverie d’un grand-père qui replonge dans son passé de militaire. Un film triste et nostalgique qui s’empêtre un peu les pédales dans des allers-retours temporels et qu’on aurait préféré finalement libéré de ces contraintes narratives tissées dans la thématique d’une impossible transmission – les séquences des flashbacks étaient sacrément réussies ! Au rayon du double pire (entendre le pire de notre monde et le pire de la programmation), on s’est insurgé devant « Candy Darling » de Silvia Delfrance (sorte de cauchemar préhistorique – entendre pour ceux qui le regarde- sur les rapports homme-femme, mère-fille et long long en plus !). Et l’on est resté coi devant le clip « Dictée Magique » d’Aaron Fuks, une sorte de balade électrique urbaine plutôt drôle, mais qu’on a le sentiment d’avoir déjà vu … dans les années 60 ou 70 et 80…
Reste les poules et le jazz… Si, si…
Sur ces visions plutôt crépusculaires de notre monde absurde et violent, quel bonheur s’empare de nous à la vue de quelques petits courts métrages ludiques impertinents, joyeux, ouverts, lumineux, allègrement subversifs ou tout simplement terriblement imaginatifs et inattendus. « Zachte Planten » (KASK Hogeschool Gent) d’Emma De Swaef, tourné dans une technique plutôt inhabituelle d’animation de petits personnages en laine, était une douce rêverie poétique et cruelle, drôle, dure et originale, où un homme coincé à sa table de travail s’évade de son bureau et de son ordinateur pour rêver à une forêt, où, tout nu, il gambade avec les moutons et manque de se faire écraser par un pied de géant ou avaler par une fleur venimeuse. « Bill et Bob », de Nicolas Fong, continue de nous séduire par sa vivacité, son impertinence et son beau travail de rythme musical, mais nous interroge quant à ce qu’il raconte sur les rapports Nord Sud : c’est que deux jumeaux sont séparés à la naissance par un tremblement de terre, mais tandis que l’un devient un merveilleux chirurgien plein de sous et de femmes sur notre continent, l’autre galère allègrement en Afrique – d’un point de vue philosophique et politique, on aurait préféré l’inverse… mais bon !
« J’ai faim » et « Paola la Poule Pondeuse », deux films d’ateliers réalisés par des enfants et coordonnés par Louise-Marie Colon avec Caméra etc (le premier avec Delphine Herman et le second avec Quentin Speguel) sont deux petites perles d’inventivités et de fraîcheur. Le premier, qu’on pourra bientôt voir à Annecy, suit les mésaventures d’un petit garçon esquimau qui mange beaucoup trop, tandis que le second, qui a emporté notre adhésion, raconte l’évasion d’une poule condamnée à pondre à l’usine mais qui, faisant la morte, prend la clé des champs, et entraîne, dans son sillage, une vache. Poule insurrectionnelle si l’en est, pas prête à baisser les bras, elle réinvente, à la ferme, le paradis perdu. Très coloré, très naïf, rapide et plein d’humour, pimenté d’une voix-off qui tisse toutes les voix des enfants, Paola la poule pondeuse est un film qui tranche par sa générosité matérielle et narrative et son thème, éminemment politique et là, vraiment subversif. Et il nous ramène à cette première vérité de tout récit, de toute représentation : qu’on peut croire tout et n’importe quoi puisque, comme les enfants le savent parfaitement, il suffit d’un « il était une fois ». Au cinéma aussi, et un arbre est un arbre si « on dirait que c’est un arbre ».
Enfin, « Jazzed » d’Anton Setola, était sans doute le film le plus abouti et plus intéressant présenté à Anima cette année et lui aussi bientôt en compétition à Annecy. À partir de toute une série de clichés cinématographiques sur le jazz, le jeune réalisateur flamand (qui aura commencé une école d’animation mais qui ne l’aura jamais terminée) réalise là son troisième film après deux courts métrages expérimentaux, un objet cinématographique hors pair, une belle expérience de cinéma. « Jazzed » est un film dansé, un film musique, une explosion de couleurs, de formes, d’images en mutations, qui se tisse autour d’un canevas simple et riche de possibilités : les clichés que véhiculent cette musique (celui de la femme fatale, des bars de la boîte de jazz, des néons de la ville, des courses en voitures, etc…) Setola parcourt tout cela avec une vivacité, une joie et un humour qui décapent, et s’évade vers McLarren, joue des couleurs à la Mondrian, explore les formes comme un Matisse… « Jazzed » nous plonge ainsi dans une succession d’états et d’émotions, et fait du spectateur une pâte modelée par toutes les impressions que balance son film. Une belle expérience de cinéma, véritable souffle de liberté et d’invention.
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