À l’occasion du festival Anima 2009, Folioscope et Cinéart ont sorti conjointement le cinquième volume du « Best of Anima » en DVD. La compilation comprend des films primés, des coups de cœur, et des bonus. Revue globale du disque suivi d’un regard plus détaillé sur trois titres.
Le « Best of » de cette année, orné d’une couverture orange surmontée d’un oeil mécanique (illustration : Teresa Sdralevich), comprend douze films. Nombre d’entre eux semblent être reliés par une dimension littéraire et poétique. Au moins deux ont un rapport direct avec l’art du vers. Le premier, « BlauwBlauw » de Sandy Claes et Daan Wampers (Belgique), illustré par un poème, met en scène une femme soupçonnée d’infidélité. Le deuxième, « The Tale of How » du Blackheart Gang (Afrique du Sud), dépeint, sous la forme d’une comptine, une ménagerie aquatique au sein de l’océan Indien, avec un côté fantastique proche des « Histoires comme ça » de Kipling.
Un autre thème repéré dans la collection est celui de la solitude. Deux films de science-fiction illustrent cette tendance : « Le jour de gloire » (France) mêle militarisme, matière première, argile et acier, alors que « Arka » (Pologne) combine délire, maladie, vieillesse et tragédie shakespearienne. Dans la même veine, mais dans des genres tout à fait différents, se situent « Le Pont » (Belgique, France), l’histoire d’un père et de son fils isolés sur une « île » surélevée et utopique, et « L’Évasion » (France, Belgique), une réflexion sur la condition d’un détenu, comparable au Lieutenant Fontaine bressonnien.
Sur un DVD, comme dans un festival, certains films marquent plus que d’autres. Nous en avons extrait trois de ce « Best of », pour leur originalité et la qualité de leur animation.
« The Pearce Sisters » de Luis Cook
Récompensé du Prix du Jury d’Anima, ce court métrage britannique a remporté pas moins de 16 prix mondiaux. Adapté d’un conte de Mick Jackson, le film de Luis Cook raconte l’histoire de deux soeurs extrêmement disgracieuses vivant seules sur une plage désertique, dans un environnement sordide et repoussant. Leur vie quotidienne consiste à pêcher, à nettoyer et à traiter des poissons. Ces activités s’exercent derrière un nuage de fumée de cigarettes et sur un fond de pluie incessante, jusqu’au jour où un événement dramatique, l’arrivée d’un naufragé, bouscule la banalité de leur existence.
« The Pearce Sisters » est un film marqué par un humour lugubre, un réalisme brut, et une esthétique grotesque. Même si ils sont physiquement monstrueux, les personnages sont fort réalistes. La grande sœur est désenchantée et désexualisée, tandis que la petite est odieusement rusée et dévouée à sa sœur. Lorsqu’une présence masculine vient perturber leur routine en s’échouant sur la plage, la portée sexuelle de cette rencontre fortuite est mise à mal par un retournement grossier de la situation. Champ : les deux filles admirent leur hôte dévêtu. Contrechamp : celui-ci, en se réveillant, régurgite à leur vue. Le ménage n’aura pas lieu à trois : l’homme termine vidé et fumé tel un poisson.
Sur le plan stylistique, le réalisme émane d’un travail d’image soigneux et sobre, avec des jeux de perspectives, des plongées et des contreplongées, ainsi qu’un graphisme composé de dessins traditionnels et sur ordinateur. À ceci s’ajoutent un récit quasiment sans dialogue, très peu de musique, et une synesthésie riche. Quand les sœurs Pearce vident le trésor de leur pêche, les bruits, les couleurs et les formes évoquent sans équivoque les textures et les odeurs des poissons.
Comme le mentionne Luis Cook sur le site du film, « The Pearce Sisters » se démarque des autres productions des studios Aardman favorisant l’animation en volume et en plasticine et un ton plus léger et gai, à la « Wallace and Gromit ».
« Le Voyageur (s’exclame alors) » de Johan Pollefoort
Lauréat du prix SACD de la compétition nationale à Anima, et d’une mention au festival d’Annecy, cette animation belge sortie de La Cambre propose une interprétation libre du « Voyage », un poème de Charles Baudelaire. Le réalisateur expose, en quelques six minutes non dialoguées, les péripéties d’une jeune Africaine ayant quitté son village, son pays et son continent pour se confronter à de nouveaux horizons. Elle passe de main à main, tel un jouet, avant de se rendre compte que sa situation ne la mène nulle part.
Le récit se déploie à la manière d’un kaléidoscope audiovisuel, mis en mouvement à la fois par une musique africaine rythmée et par des dessins dynamiques. L’arrivée de la jeune femme en Europe s’ensuit d’une série d’images fantasmagoriques : un taxi devient un tapis volant, la ville et ses habitants se transforment en une colonie de fourmis, et la protagoniste elle-même se métamorphose en papillon, symbolisant, entre autres, sa fragilité. Les couleurs, vives, voire fluorescentes, marient bien l’art tribal africain avec l’expressionnisme européen à la Munch, conformément à la thématique de la rencontre entre les cultures et les continents.
Derrière ce thème transparent de l’interculturel, se cache un autre, plus sombre et plus original, celui de la femme déplacée, à la merci des circonstances et des hommes. La façon dont cette problématique est traitée n’est pas sans rappeler les œuvres d’auteurs diasporiques et post-colonialistes, notamment Jean Rhys. Dans « Le Voyageur », la situation cynique vécue par le personnage féminin atteint son apogée lorsque celui-ci entame une danse macabre et frénétique, le tout s’articulant dans un registre très poétique, sur fond de musique de jazz.
« Dji vou veu volti » de Benoît Feroumont
« Dji vou veu volti » de Benoît Feroumont est un des films les plus légers de ce « Best of ». Cette animation dont titre signifie en wallon « Je vous aime » réinterprète le célèbre « Roméo et Juliette » de Shakespeare, sous un ton mêlant le dramatique et l’humoristique. Roméo, luth à la main et sérénade aux lèvres, vient courtiser la belle Juliette sous son balcon. Las des déclamation répétitive du chant (qui n’est rien d’autre que le titre répété ad nauseam), les sous-titres assument leur autonomie (!) et se mettent à se rebeller contre le protagoniste. L’animation est totale, puisque le sous-titrage devient un personnage à part entière, agissant tantôt comme obstacle, tantôt comme complice dans l’intrigue amoureuse. L’effet humoristique provient précisément de la confrontation entre le récit et un élément purement technique (l’affichage des sous-titres). Un procédé original mais pourtant très familier, qui rappelle les courts métrages des années 40 des Warner Brothers, dans lesquels le dessin animé et les images live-action se rencontraient pour créer un choc entre deux médiums jusque là complètement dissociés.
Conformément au côté mélodramatique du film, au sens originel du terme « drame musical », la musique joue un rôle primordial dans la mesure où elle remplace presque entièrement le dialogue. La partition, signée Johan de Smet, principalement opératique, à la manière du bel canto italien et du drame wagnérien, s’achève sur des accents comiques, à l’instar des chansons de variété.
Best of Anima 5 : DVD de 12 courts métrages accompagnés de bonus (la bande-annonce du festival et les autoportraits des réalisateurs). Coproduction : Folioscope et Cinéart
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