Gwendoline Clossais est bretonne comme une galette et joyeuse comme une farandole. Depuis sept ans, elle illustre la rubrique “Le film dessiné” publiée sur Cinergie.be (site de cinéma belge). Si son style est identifiable à ses taches d’encre de Chine parsemant ses dessins, Gwendoline se fait reconnaître dans le civil par son rire cristallin, son goût immodéré pour les crêpes, et son impressionnante collection de collants colorés. En novembre, la 30ème édition du festival Média 10-10 (Namur) l’accueillait en tant que membre du jury professionnel et dans le cadre d’une exposition consacrée à ses illustrations pour Cinergie. Pour la circonstance, une interview illustrée s’imposait.
De quelle façon l’idée d’illustrer des courts métrages est-elle apparue?
Thierry Zamparutti y pensait depuis de nombreuses années quand on a commencé à en discuter à l’époque où je faisais un stage dans sa boîte de production (Ambiances asbl). L’idée m’intéressait, il l’a proposée, il y a sept ans, à Cinergie sous la forme d’une rubrique. Depuis, on collabore mensuellement. Il me soumet des films et je retranscris par l’image ce que j’ai vu et ressenti. Avec le temps, on remarque qu’on a souvent les mêmes goûts.
Comment t’y prends-tu après avoir vu un film ? Tu détermines d’emblée une scène qui t’intéresse, tu restitues une atmosphère ou bien tu privilégies une technique de dessin ?
C’est assez instinctif comme travail : l’image se crée dans ma tête. En général, l’exécution est assez rapide. L’illustration va dépendre du film, de son ambiance et de la première impression qu’il me laisse. Pour certains, c’est plus compliqué que pour d’autres : je n’ai pas d’idées, du coup je me creuse plus les méninges. À priori, je ne travaille qu’à l’encre de Chine mais pour certains films, cette technique ne convient pas forcément car mon geste ne correspond pas à ce que je souhaite. Je cherche ailleurs alors, vers l’ordinateur ou la photographie, par exemple.
Est-ce que ton travail autour des courts métrages a influencé tes autres dessins ?
Oui, surtout au niveau de la technique. Il m’a permis de me remettre à la photo et d’utiliser l’ordinateur. Au début, j’avais beaucoup d’appréhensions par rapport à l’ordinateur, ce n’était pas un outil qui m’intéressait, puis à force de m’y mettre, j’ai découvert des choses que je ne pouvais pas faire à la main. Après, je ne dessine pas forcément de la même façon quand je dois faire quelque chose destiné à être publié ou si c’est pour moi : j’essaye de m’appliquer plus, de faire moins « crassou ». Même mon trait est plus léger et il y a moins de taches partout…
À ce sujet, dans de nombreuses illustrations, on retrouve des taches d’encre. Serait-ce ta signature ?
Probablement. Ces taches sont apparues avec l’encre de Chine : parfois, elles sont voulues, parfois pas.
Parlons de ton enfance et des buvards…
Ah, les buvards ! J’avais oublié leur existence… C’est peut-être lié, après tout : quand j’étais petite, je dispersais aussi de l’encre partout.
Sortie de clown (Nabil Ben Yadir, Belgique)
Gwendoline, à qui sont ces pieds ?!
Et bien, ce sont les miens ! La photo a été prise en Bretagne, dans une crêperie où je travaille de temps en temps. Je me suis installée dans la cuisine, sur de grands plateaux en inox. Pourquoi de l’inox ? Il m’en fallait pour rappeler l’univers plus que froid de « Sortie de Clown ».
En Bretagne, il y a beaucoup d’inox ?!
Dans les crêperies, oui !
En allusion au clown de ce film, tu as rajouté un nez rouge. Pourquoi l’avoir croqué plutôt que photographié ?
Je voulais coiffer un de mes orteils d’un vrai nez rouge mais je n’en trouvais pas. À ce moment-là, je n’avais pas trop de temps alors, j’ai eu recours au dessin. Et puis, les clowns étaient rares dans la crêperie, sinon je leur aurais emprunté leur accessoire pour la photo !
En fanfare (Véronique Jadin, Belgique)
Dans cette image, la photographie côtoie toujours le dessin, mais elle occupe une place plus marginale. Pourquoi ne pas avoir dessiné les mains des personnages ?
Avec l’encre de Chine, j’ai tracé les personnages du film, mais les mains que j’avais dessinées ne me plaisaient pas. Du coup, j’ai introduit la photographie dans l’image : cette fois, j’ai demandé à mes collègues-copains, Romain et Benoît, les deux serveurs de la crêperie, de se tenir la main. Tu remarqueras que Romain a le bras un peu poilu : je lui dirai de s’épiler la prochaine fois !
En fait, ce n’est pas de ton enfance qu’il faut parler mais bien de cette crêperie !
Ah, la crêperie, c’est mon studio à moi. J’y ai mes crêpes, mes plateaux en inox et mes modèles !
Un monde pour Tom (Atelier Zorobabel, Belgique)
Tes compositions sont surtout liées à des fictions, plus rarement à des documentaires. Tu évites de travailler autour de films d’animation pour contrer tout risque de concurrence avec un univers visuel préexistant. Pourquoi avoir dès lors illustré « Un monde pour Tom », un film d’animation réalisé par des enfants encadrés par l’atelier Zorobabel ?
Ce dessin fait partie des tout premiers, il doit être le deuxième ou le troisième que j’ai fait. Tu remarques tout de suite la différence de style. J’avais accepté de faire l’illustration de ce court métrage d’animation en représentant surtout le travail des enfants. On les voit autour du tout petit Tom et de trois autres personnages. C’est évident que quand un film d’animation est déjà illustré, ce n’est pas la même chose que pour une fiction ou un documentaire : je ne peux pas m’approprier le dessin d’origine et je n’ai pas réellement la possibilité de redessiner autre chose. C’est pour ça qu’« Un monde pour Tom » a été le seul film d’animation que j’ai « illustré ». Je ne veux plus le refaire…
Tu ne peux pas t’approprier l’image du film mais tu pourrais la détourner…
Oui, en l’occurrence, c’est ce que j’ai fait pour ce court métrage, mais sur un film d’animation classique, ce serait bien plus complexe. Comment ne pas empiéter sur le style de quelqu’un quand on dessine soi-même ? Pour éviter tout souci, je ne veux plus réitérer l’exercice.
La Peur, petit chasseur (Laurent Achard, France)
« La Peur, petit chasseur » est un film très sonore. Comment as-tu procédé pour l’illustrer ?
Comme tout le film se passe justement au niveau du son, j’ai eu beaucoup de mal à l’illustrer car « La Peur, petit chasseur » est un plan fixe de 9 minutes dans lequel plusieurs actions ont lieu : un petit garçon joue avec son chien dans le jardin, sa mère sort de la maison, étend son linge, on entend un son, celui d’un train, devenir de plus en plus puissant, au même moment, le mari rentre, ivre, à la maison et commence à crier sur sa femme. C’est très pauvre, l’illustration d’un plan fixe dans lequel il se passe quelque chose seulement au niveau sonore, mais rien au niveau visuel. Du coup, j’ai eu recours à une pirouette : j’ai utilisé la seule image du film et j’ai ajouté des ondes sonores. Ce n’était pas évident comme exercice, mais je l’ai pris comme un défi parce qu’il n’y avait pas beaucoup de détails dans l’image (à part une arrière-maison avec un fil à linge et une niche).
Mompelaar (Marc Roels et Wim Reygaert, Belgique)
« Mompelaar » est un film « ovni » absolument décalé qui a beaucoup fait parler de lui cette année dans les festivals de courts métrages. Ton illustration est drôle et en même temps très sombre…
Très sombre, tu trouves ? Pourtant, tous les détails sont dans le film : la tête coupée, le petit chien qui, même s’il n’est pas hyper ressemblant, a un peu la même tête de con, l’enregistreur, les blablablas, le petit cadre au fond, la tapisserie moche que j’ai recréée à partir d’un site Internet spécialisé dans les tapisseries moches !
On sent que tu t’es plus éclatée dans cette illustration que d’habitude.
Oui, c’est clair. J’ai pu faire un truc plus déjanté que d’habitude. « Mompelaar » cultive un aspect étrange et incongru, mais il est très intéressant à croquer vu le nombre de détails très visuels qu’il comporte. En général, tu ne fais pas un truc complètement sobre pour un film aussi décalé.
Propos recueillis par Katia Bayer, Marie Bergeret et Adi Chesson
Illustrations : Gwendoline Clossais