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Pride de Pavel G. Vesnakov

Un homme qui pleure

À Michał

« Bonsoir, je suis gay, fier, bien dans ma peau, heureux, et j’aime me faire enculer… ». Bercé d’une rigueur verbale où la concession morale est aussi présente que la tolérance au sein de la politique nazie envers les Juifs, les communistes et les homosexuels, cette logorrhée révolutionnaire fait l’effet d’une bombe. On a entendu ces mots à l’aube de l’an 2000 dans un film de Jean-Gabriel Périot, dont le titre prend l’apparence insolente d’une fausse question : « Gay ? »

Le cinéaste a choisi une forme simple : seul dans le cadre, parlant directement à la caméra, assumant tout. Face à cette radicalité éprise de nécessité de dire une réalité que beaucoup refusent de voir et placent directement du côté de la provocation ou de la pathologie, on peut y déceler son exact miroir dans le court-métrage bulgare intitulé « Pride », réalisé par Pavel G. Vesnakov (2013). Ici, on n’évoque que les concessions faites auprès du pouvoir; affleurent successivement les atteintes aux fiertés morales, lesquelles trouvent place au cœur d’une condition sociale spécifique, celle du post-communisme et d’une réaffirmation du nationalisme. Ici, pas d’expression direct du désir; face à une litanie normative développée par son paternel, l’homosexuel ne parle pas, il n’a droit qu’à une montée de larmes et à la stupéfaction silencieuse. Grand prix à Clermont-Ferrand l’an dernier, ce film a également été présenté récemment au Festival du Film Court de Villeurbanne. L’occasion de tenter une formulation verbale sur le conformisme ambiant, même (ou surtout) couvert sous les apparats de la prétendue liberté d’expression, au risque d’aborder par-delà ce que beaucoup refuse d’admettre comme la logique (nécessairement défaite et ruinée) des sensations.

Le vide et la morale

Qu’y a-t-il de provocateur à dire ces sentiments et la manière dont ceux-ci trouvent forme ?

« Pride » n’est pas directement l’histoire d’une lutte cachée derrière des cris, mais plutôt le récit du désir considéré comme défaillance. Le point de vue n’est pas celui de l’homosexuel, mais d’un vieux bonhomme qui découvre que son petit-fils est un amoureux d’un autre garçon. Récit : Un soir, le vieil homme rentre de la pêche et il regarde à travers le pare-brise de sa voiture. Que voit-il ? On l’ignore longtemps, puis on découvre l’objet de vision; deux jeunes garçons se parlent, s’embrassent, sur un terrain de basket.

C’est d’ailleurs là le premier enjeu du film : pointer la distance qui sépare le vieux de cette réalité amoureuse qu’il ne conçoit pas. La séquence suivante, dans la cuisine, est l’expression directe de son dégoût. Et pourtant, encore un élément qui marque l’écart; la table. Dans le discours, un double effondrement : du côté du vieil homme, l’homosexualité est une pathologie à soigner, une contradiction par rapport à ce qu’il croit bon et normal, une tache dans la trajectoire exemplaire de sa progéniture. Du côté du jeune homme qui demeure silencieux et prostré sur sa chaise pendant toutes les lamentations morales de son paternel, dont on remarque bientôt les larmes et les frissons d’angoisse, c’est l’effondrement d’une confiance, d’une existence possible, d’une entente avec lui-même et avec le cercle familial. Si son grand-père, qui l’a éduqué, le menace aujourd’hui de castration, alors le mépris et la solitude lui sont promis.

Que se joue-t-il ici ? D’où provient le dégoût ? Pourquoi un tel déversement d’intolérance et de conformisme ? L’histoire d’un dégoût. On est forcé de faire appel à l’histoire. Dès 1933, Joseph Staline rompt avec la libéralisation sexuelle et féministe qui avait suivi la révolution de 1917. Gorki trouve les mots; l’homosexualité, à partir de là, sera “l’expression d’une déviance bourgeoise”. En miroir, Hitler au même moment fait de l’homosexualité la marque immorale des élites, confondue avec l’horreur que représente à ses yeux déments la Judaité et le communisme. Étrangement, à la suite de la Seconde Guerre Mondiale, la liberté retrouvée des peuples, que ce soit à l’Ouest ou à l’Est, implique des mécanismes normatifs liés à la restructuration morale des familles. À l’Est particulièrement, « l’homme nouveau » est indubitablement hétérosexuel.

Alors, on continue d’enfermer l’amour homosexuel dans une acception pathologique, on la réprime politiquement et socialement. Les choses n’ont pas tellement changé aujourd’hui. Au contraire, la valse aux conformismes et aux nationalismes a repris, faisant régner des inégalités qu’il ne faudrait pas critiquer sous peine de se faire taxer d’illégitime par les médias. La valse ne fait écho qu’à une réduction drastique de la signification des termes, même ceux qui a priori ont été choisis pour inclure les différences plutôt que pour identifier des limites : liberté, égalité, fraternité. Or, il ne faut pas oublier que se reposer sur les mots, c’est inviter à la normalisation. Et avec elle, accepter la mort des hommes.

Les larmes de Georgi

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Pavel G. Vesnakov use d’une mise en scène temporellement cassée, suivant son personnage principal dans des moments faibles, zonant dans sa voiture ou des no man’s land, au cours de l’appréhension difficile d’une réalité qu’il voit comme décadente, alors même qu’elle est l’expression vive d’une valeur à laquelle il a cru toute sa vie : démocratie. On n’épiloguera pas ici sur la définition de cette notion par les pouvoirs communistes entre 1948 et 1989. Le film est un portrait, en même temps qu’une mise à plat générationnelle; il s’offre comme un symptôme à la fois clairvoyant et sans doute trop simple. Symptôme dans l’absence totale de considération du grand-père envers la liberté d’aimer de son petit-fils, mais également dans l’incompréhension face aux choix de sa fille, venue lui dire qu’elle allait divorcer. Le monde s’effondre-t-il ? Non. Mais la conformité résiste à la surface des esprits. Question qui n’est pas sans rapport : Où sont les femmes dans cette économie symbolique ?

Les larmes retenues de Georgi, peut-être trop bouleversé pour pouvoir avoir l’audace de s’abandonner dans la douleur, nous ramènent à d’autres larmes qui défiaient les pouvoirs. On pense à Michelangelo Antonioni, à Maurice Pialat, à Aki Kaurismäki. Ou bien plus précisément aux larmes de Jadwiga, cette fille de dix-sept ans qui décide contre vents et marées de garder l’enfant qu’elle porte, dans « Premier Amour » de Krzysztof Kieślowski.

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Les larmes, c’est cet état intermédiaire, cette déclaration d’amour à la vie malgré sa dureté, ou plutôt la dureté des normes. D’où viennent vraiment les larmes ? Humiliation. Injustice. Que faire avec ces larmes ? Que faire de cet épanchement du sujet dans sa lutte pour l’irrévérence et l’amour, contre la supercherie des principes et de la communication ? Dans une société qui ne se considère pas puritaine, tout est prétexte à la provocation et à la perversité. Dans une société qui se considère comme puritaine, tout est prétexte à la dégénérescence et à l’immoralité. Le problème est que dans les deux cas, on refuse de voir ce qui est pourtant évident : deux hommes (deux femmes) peuvent s’aimer.

« Pride » dresse le constat d’une rupture de communication. Comme si des fils avaient été coupés, ou bien que depuis la Seconde Guerre mondiale, l’Europe dans son ensemble jouait à cache-cache avec ce qu’elle appelle la diversité. Sans le sacré qui avait pour avantage d’identifier les interdits, sans une confiance dans le fourbi psychanalytique teinté de fausse pudeur et de moralisme dissimulé, on pourra tout de même tenter les mots, c’est-à-dire tenter le bonheur. La tentative critique ramène à la réalité du désir; question de ressemblances. L’amour est pluriel, il peut être homosexuel. Et tous ceux qui pensent qu’il ne s’agit pas d’un amour en soi, et de tout ce que cela implique, s’identifieront au vieil homme perdu auquel échappent le consentement aux normes et la conscience de sa condition sociale. Par ailleurs, le cinéma s’adresse à tous ceux qui croient dans les puissances révolutionnaires du cœur.

Mathieu Lericq

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La course des courts aux Oscars 2015

La cérémonie des Oscars 2015 aura lieu dans un peu plus d’un mois. Découvrez les 15 courts-métrages nominés, toutes sections confondues (fiction, animation, documentaire). Parmi les bonnes surprises, trois films repérés par Format Court : « La Lampe au beurre de Yak », « The Bigger Picture » et « Feast ».

Fiction

Aya de Oded Binnun et Mihal Brezis (Israël, France)

Boogaloo et Graham de Michael Lennox et Ronan Blaney (Irlande, Royaume-Uni)

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La Lampe au Beurre de Yak de Hu Wei (Chine, France)

Parvaneh de Talkhon Hamzavi et Stefan Eichenberger (Suisse)

The Phone Call de Mat Kirkby et James Lucas (Royaume-Uni)

Animation

The Bigger Picture de Daisy Jacobs (Royaume-Uni)

The Dam Keeper de Robert Kondo et Dice Tsutsumi (États-Unis)

Feast de Patrick Osborne et Kristina Reed (États-Unis)

Me and My Moulton de Torill Kove (Canada)

A Single Life de Joris Oprins (Pays-Bas)

Documentaire

Crisis Hotline: Veterans Press 1 de Ellen Goosenberg Kent (États-Unis)

Joanna de Aneta Kopacz (Pologne)

Our Curse de Tomasz Śliwiński et Maciej Ślesicki (Pologne)

The Reaper (La Parka) de Gabriel Serra Arguello (Mexique)

White Earth de J. Christian Jensen (États-Unis)

Ballade du bois vert de Jiří Barta

Animation, 11′, 1983, République tchèque, Krátký Film Praha

Synopsis : Célébration de l’éternel renouvellement de la vie dans la nature printanière.

Pour la deuxième année consécutive, Format Court remet un prix au festival Premiers Plan d’Angers dans la compétition Plans animés, débutant ce vendredi 16 janvier 2015.

C’est l’occasion pour nous de vous présenter un court-métrage d’animation extrait de la rétrospective Jiří Barta, le Président du Jury des courts métrages, proposée par le festival. Cette oeuvre de Land Art, jouant avec l’anthropomorphisme, est une allégorie de la vie et de la nature. Le défi de l’animation en stop motion en extérieur, parfaitement réussi, fait de ce film un bijou de l’animation tchèque.

Zoé Libault

Concours « Sosh aime les inRocKs lab », appel à films

Le concours création vidéo « Sosh aime les inRocKs lab », dédié aux artistes et réalisateurs émergents, redémarre ces jours-ci pour une deuxième édition. Après avoir récompensé de jeunes artistes (Giulia Grossmann et Damien Jibert), le lab repart à la recherche de projets singuliers qui expérimentent avec les formats et les techniques et se nourrissent d’influences variées.

L’inscription

Les vidéastes émergents ont jusqu’au 31 mars 2015 (à 12h) pour s’inscrire en remplissant le formulaire en ligne.

Les formats acceptés sont variés : vidéo d’art, film court, court métrage d’animation et clip, sans contrainte de thème ni de durée. Les vidéos présentées doivent être récentes (moins de 2 ans) et mises en ligne publiquement sur Dailymotion, Youtube ou Vimeo.

Les lauréats

Nouveauté de cette deuxième édition : une sélection des 40 vidéos en compétition sera annoncée sur le site des inRocKs lab le 8 avril 2015. Un jury de professionnels de l’art contemporain, du cinéma et des cultures numériques sélectionnera parmi elles les 5 lauréats dont les vidéos seront présentées fin mai à la Gaîté lyrique, à Paris, au cours du Festival des lauréats.

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Les prix

Le jury désignera parmi les lauréats les gagnants des deux prix, dont les noms seront annoncés au cours de la soirée de finale du concours au Trianon, à Paris, le 19 septembre.

– Le prix création vidéo, ouvert à tous les vidéastes émergents.
Le gagnant remportera une aide à la production de 3000 euros. Le film réalisé avec cette bourse sera projeté en compétition au festival Côté Court à Pantin.

– Le prix spécial, qui récompensera le travail d’un étudiant ou jeune diplômé (depuis moins de 2 ans) d’une des 46 écoles supérieures d’art publiques, membres de l’ANdEA, ou de la Fémis. Le gagnant remportera une aide de 2000 euros ainsi que le soutien du festival Hors Pistes au Centre Pompidou, qui présentera sa nouvelle production dans le cadre de son édition 2016.

De plus, l’équipe de L’Œil de Links, l’émission de Canal + consacrée au web créatif, désignera dans la sélection 2015 une vidéo coup de cœur qu’elle diffusera en mai 2015.

Plus d’informations sur la page FAQ et du règlement du concours.
Pour s’inscrire, remplissez le formulaire en ligne.

Carte blanche Format Court à Montréal !

Pour accompagner son 6ème anniversaire ce mois-ci (bouchon!), Format Court bénéficie de sa première carte blanche montréalaise, le jeudi 22 janvier à 19h15 au cinéma L’Excentris, grâce à la Distributrice de films, une jeune et dynamique structure de diffusion et de distribution de courts québécois rencontrée lors de notre visite au Festival du Nouveau Cinéma (FNC), en octobre dernier, à Montréal.

Conçue par Katia Bayer, Zoé Libault, Julien Savès et Marc-Antoine Vaugeois, cette séance spéciale, intégrée au rendez-vous « Ca s’ra pas long », réunit six films éclectiques (films d’écoles, auto-productions, films professionnels). Repérés par l’équipe de Format Court en festival et sur la Toile, ces films ont fait l’objet de publications sur notre site internet; certains d’entre eux ont même été primés par notre équipe. Issus de l’imaginaire des cinéastes d’aujourd’hui, ils font tous preuve de créativité, d’audace et de singularité, autant de termes intimement liés à la forme courte.

Programmation

Reindeer d’Eva Weber. Documentaire, 3’14’’, 2013, Grande-Bretagne, HSI London. Sélectionné au Festival de Sundance en 2013

Article associé : la critique du film

Syn. : Voyageant 400 km au-dessus du cercle polaire au village Karigasniemi à Utsjoki en Finlande, la cinéaste Eva Weber montre l’élevage de rennes qui a été le gagne-pain des autochtones Samí de l’Arctique durant d’innombrables générations.

La Maladie blanche de Christelle Lheureux. Fiction, expérimental, 45′, 2011, France, Les Films des Lucioles. Prix Format Court au festival de Vendôme 2011

Syn. : Un soir de fête dans un village isolé des Pyrénées. Un père et sa fille de cinq ans, Myrtille. Des adolescents, un chasseur, un berger, des lucioles, des brebis et des chats. Un monde nocturne où des histoires d’ombres chinoises, de miroir magique et de peintures préhistoriques s’entremêlent. Dans la nuit, un être préhistorique vient chercher Myrtille.

Articles associés : la critique du film, l’interview de la réalisatrice

Choros de Michael Langan et Terah Maher. Animation, Expérimental, 12′44”, 2011, États-Unis. # Coup de Cœur Format Court – Festival Silhouette 2012

Syn. : Une danseuse donne vie à une ribambelle de figures féminines dans ce « pas de trente-deux » surréaliste.

Articles associés : la critique du film, l’interview des réalisateurs

Peau de chien de Nicolas Jacquet. Animation, 13’20, 2012, France, Joseph Productions. Prix Beaumarchais – Festival Court Métrange 2013

Syn : Pour échapper à une fin violente et certaine, un chien errant vole le manteau d’un mort. En le posant sur ses épaules, le chien disparaît et se dissimule dans la vie de son ancien propriétaire. Une étrange métamorphose s’opère, où le chien se change en homme. Il prend pour un jour la place de cet étranger et finira par rejoindre son destin.

Articles associés : la critique du film, l’interview de Nicolas Jacquet

Coda de Ewa Brykalska. Fiction, 22′, 2013, Belgique, INSAS. Sélectionné au Festival Côté court 2013

Syn. : Le départ d’un professeur vient sonner le glas d’un conservatoire de musique abandonné au milieu d’un quartier défiguré. Au milieu de cette ambiance apocalyptique, deux femmes trouvent encore à partager un moment de grâce.

Article associé : la critique du film

Grand-mère, veux-tu ? de Lucie Thocaven. Animation, 7′, 2009, Belgique, La Cambre. Prix SABAM au FIDEC 2009

Syn. : Une vieille dame seule et acariâtre reçoit la visite de sa petite fille et de son timide fiancé.

Article associé : l’interview de la réalisatrice

Plus d’infos : Page Facebook de l’événement, site internet de l’Excentris

Rencontres du cinéma taïwanais : 5 courts programmés, en entrée libre !

La 1ère édition des Rencontres du cinéma taïwanais, organisée cette semaine, jeudi 15 et vendredi 16 janvier au cinéma Les 3 Luxembourg (67 Rue Monsieur le Prince, 75006 Paris), prévoit 5 courts dans son programme. L’entrée est libre (dans la limite des places disponibles) et les réalisateurs, issus de la nouvelle génération de cinéastes taïwanais, seront présents pour une rencontre avec le public.

Réservation indispensable pour chaque projection à : info@cinema-taiwanais.com

Jeudi 15 janvier 2015, 22h

Two Juliets de Shen Ko-Shang – 2010 – 44 min – Sélectionné au Festival International du Film de Tokyo 2010

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Le soir de sa rupture, Ah-Mei rencontre un vieil homme qui se confie à elle : un amour interdit, une promesse impossible, un souvenir brûlant vont changer le cours de leurs histoires.

A Nice Travel de Shen Ko-Shang – 2013 – 18 min – Quinzaine des Réalisateurs de Cannes dans le cadre du projet Taipei Film Factory

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Les derniers moments d’une jeune femme sur le point de quitter Taïwan pour une nouvelle vie au Chili.

The Eighteenth Birthday Party de Chuang Ching-Shen – 2008 – Prix Spécial au JVC Tokyo Video Festival

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Emma a reçu une éducation très stricte. Pour ses 18 ans, son père organise une réception pour l’introduire dans la haute société. C’est l’occasion pour elle de régler ses comptes avec lui.

Vendredi 16 janvier 2015, 22h

A Breath from the Bottom de Chan Ching-Lin – 2012 – 42 min Sélectionné au Taipei Golden Horse Film Festival

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Lorsque le gouvernement, sous la pression des lobbies industriels, limite l’accès à l’eau aux citadins et aux agriculteurs, ces derniers se révoltent. Un jeune officier de la police militaire est tiraillé entre son père engagé dans les manifestations et sa promotion à venir.

 The Blackout Village de Wang Ui-lin – 2010 – 40 min – Prix du Meilleur Court-Métrage au Taipei Film Festival en 2011

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Défiguré après une électrocution, un employé municipal fait des rondes pour éviter que les habitants ne volent des câbles lors des coupures de courant, hanté par l’idée qu’ils ne subissent le même sort.

Irène d’Alexandra Latishev

Découvert à l’occasion du Poitiers Film Festival 2014 où s’enchainaient les portraits de femmes frustrées, malades et désespérées, « Irène » d’Alexandra Latishev était certainement celui qui renfermait le plus de tendresse à côté des horreurs quotidiennes du monde déchu où son héroïne s’accrochait à la vie. L’histoire est simple : une femme assez jeune travaille dans un magasin de photocopies quelque part au Costa Rica. Elle vit avec sa mère et son fils et n’a de relations que celles imposées par les hommes et dans lesquelles il lui est impossible de s’épanouir. Au moment où elle perçoit une brève lueur d’espoir, tout dérape et elle tombe dans une profonde dépression.

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« Irène » n’est pas seulement bien écrit, c’est également un court-métrage brillamment mis en scène. Son rythme posé épouse des paysages mornes et laisse le temps aux lumières orangées et souvent dures de se déployer. De même, la construction quasi symétrique du film propose des correspondances audacieuses entre la première et la seconde partie du film. Pour s’en rendre compte, il suffit de voir avec quelle aisance Alexandra Latishev, la réalisatrice, pose, sans pratiquement un mot, les bases d’un récit où la répétition est le socle de la vie. Le temps circulaire et immuable est notamment manifeste dans les photocopies qui se déversent des machines comme l’eau s’écoule dans un fleuve, et dans ces plans où Irène observe le regard lointain son fils se salir tout en étendant le linge. Il faut aussi s’attarder sur les relations entre les personnages, du câlin que la jeune femme fait à son enfant endormi en rentrant chez elle avant de se blottir elle-même dans les bras de sa mère.

Irène est une fille mourante, une femme perdue. Après avoir essayé une fois de plus, de rencontrer quelqu’un, on a l’impression que c’est sa féminité et sa condition même qu’elle pleure et dont elle ne sait que faire, entre les remontrances de sa mère et ses hallucinations avec son fils. Son univers la condamne à une existence répétitive et faussement libératrice. D’où ces scènes qui se rejoignent et s’écartent comme le premier plan frontal où la protagoniste, comme enfermée sur elle-même, s’ennuie pendant qu’un homme s’affaire derrière elle et son pendant final où seule sur le cheval de bois d’un manège, elle s’aventure au plaisir solitaire dans un doux mouvement de haut en bas. C’est retirée, sans mère ni enfant, sans conjoint ni amant, l’enfance retrouvée dans un corps d’adulte, que réside l’unique possibilité d’une vie nouvelle pour elle. Le final est émouvant comme le recours au romanesque est utopique. Ce qu’elle subit n’est rien d’autre qu’un suicide intérieur : sa seule manière de quitter un ordinaire mort, c’est un retour rêvé à une période de la vie où tout était plus simple.

Nicolas Thys

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I comme Irène

Fiche technique

Synopsis : Irène est mère célibataire et vit avec son fils de sept ans et sa mère qui cherche à tout contrôler. Un jour, dans le magasin de photocopies où elle travaille, elle rencontre Diego et sort avec lui mais rien ne se passe comme prévu. Cette rencontre fait ressurgir toute ses frustrations émotionnelles et sexuelles.

Genre : Fiction

Pays : Costa Rica

Durée : 28′

Année : 2013

Réalisation : Alexandra Latishev

Scénario : Alexandra Latishev

Image : Nicolas Wong

Son : Oscar Medina

Interprétation : Lilliana Biamonte, Rosibel Carvajal, Oscar González

Montage : Alexandra Latishev

Production : Universidad Veritas, Nueva Escuela Cine & TV

Article associé : la critique du film

Jean-Charles Mbotti Malolo, Prix Format Court au Festival de Villeurbanne 2014

Fin novembre 2014, Format Court a attribué pour la première fois un prix au Festival de Villeurbanne au meilleur film européen. Le Jury Format Court (Katia Bayer, Azziza Kaddour, Mathieu Lericq, Françoise Mazza) a été séduit par le film « Le Sens du toucher » réalisé par Jean-Charles Mbotti Malolo, un premier film subtil et vibrant à la croisée du mouvement, des couleurs et des sentiments.

Dans le cadre du prix, le film a été projeté à la séance anniversaire (6 ans!) de Format Court de l’année, le jeudi 8 janvier 2015 au Studio des Ursulines (Paris, 5ème). Il bénéficiera également d’un DCP relatif à un prochain film doté par le laboratoire numérique Média Solution.

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Retrouvez pour l’occasion dans ce focus lauréat :

La critique du film « Le Sens du toucher »

L’interview de Jean-Charles Mbotti Malolo

Le reportage « Jean-Charles Mbotti Malolo, en deux courts & deux mouvements »

L. H. d’Adam Sedlák

« Merde alors ! » Voilà ce qui nous traverse l’esprit lorsque l’on découvre la scène de crime au début de « L. H. » : les toilettes d’une université dont les murs de faïence blanche ont été recouverts d’une impressionnante couche d’excréments. Par qui ? Le mystère sert de point de départ à ce film d’école tchèque pour dresser un état des lieux peu reluisants mais cocasse de son pays. Et oui, cette situation improbable est « inspirée d’une histoire vraie ».

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L. H. : « Lord Hoven », le Seigneur du Caca. C’est ainsi que se fait appeler le vandale. L’inspecteur Arnõst est dépêché à l’université par son supérieur pour faire la lumière sur cette affaire. Le policier est à sa place au milieu des étudiants : gringalet vêtu en jean/t-shirt et roulant à vélo, Arnõst a toujours l’air d’un adolescent.

Son enquête sort de l’ordinaire mais elle est traitée tout à fait sérieusement, avec une telle gravité que cela en devient drôle : il faut voir Arnõst, imperturbable, relever des indices dans les toilettes maculées, analysant la consistance des excréments du coupable pour en déduire son régime alimentaire, à la manière d’un épisode des « Experts » coprophile. De façon tout aussi pince-sans-rire, le court-métrage reprend les conventions du film policier. Comme un serial killer et son profiler, Lord Hoven et Arnõst entretiennent des points communs troublant (leur obsession pour la matière fécale) ; ensuite, toujours comme dans nombre de films à suspense, la vie privée du policier interfère avec son enquête lorsqu’il a une aventure avec une suspecte.

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À plusieurs reprises, des personnages croisent le déféqueur en série sans soupçonner son identité. La résolution de l’affaire a de toute façon aussi peu d’importance que les motivations du « criminel » (une blague potache pour passer le temps). Ce qui intéresse le réalisateur Adam Sedlák, c’est ce que l’affaire des toilettes révèle de son pays : corruption et racisme ; merci de vous boucher le nez en entrant. La merde est partout, des policiers bidonnent leurs résultats d’enquête pour toucher des primes, la direction de l’université trafique des faux diplômes. Chez les étudiants, la recherche du vandale vire au délit de faciès : on accuse les Roms, puis les Slovaques, voisins peu appréciés. L’arrivée du policier à l’université se fait au son de la Moldau, célèbre morceau de musique classique et hymne de la République Tchèque : le décalage entre les images et le lyrisme de la musique fait sourire mais le recours à un morceau aussi emblématique permet surtout de montrer que c’est l’ensemble du pays qui est concerné par l’ironie du film.

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Le prénom Arnõst signifie « honnête ». Même lui, pourtant, ne l’est pas : cet amateur de plaisirs tarifiés est un faux naïf, à la fois manipulateur et manipulé. Pour échapper à l’ordure, il cherche pendant tout le film une destination de vacances lointaine sur le Web : il finira sur la plage d’un centre de vacance, un décor artificiel qui reflète ses compromissions tout au long de l’enquête.

Sylvain Angiboust

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L comme L. H.

Fiche technique

L.H.

Synopsis : Les toilettes d’une université sont recouvertes d’excréments par un mystérieux vandale. Un policier mène l’enquête.

Réalisation : Adam Sedlák

Genre : Fiction

Durée : 31’20

Pays : République tchèque

Année : 2013

Scénario : Adam Sedlák

Image : Tomáš Sovinský

Son : Jan Šulcek

Montage : Marek Štěpánek

Musique : Vložte kočku

Interprétation : Lukáš Příkazký, Jenovéfa Boková, Jiří Štěpnička, Petr Stach, Václav Neužil.

Production : FAMO

Article associé : la critique du film

2ème Prix Format Court au Festival d’Angers

Du 16 au 25 janvier, aura lieu le 27ème Festival d’Angers. Pour la deuxième année consécutive, Format Court y attribuera un nouveau Prix au festival dans la catégorie des Plans animés européens. Le Jury Format Court (composé de Amaury Augé, Katia Bayer, Géraldine Pioud et Nicolas Thys) élira le meilleur court en compétition parmi les 20 films retenus.  Celui-ci bénéficiera d’un focus en ligne, sera projeté dans le cadre des séances Format Court, au Studio des Ursulines (Paris, 5ème) et bénéficiera d’un DCP doté par le laboratoire numérique Média Solution.

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Films en compétition

– Chaud Lapin d’A. Magaud, S. Béjuy, M. Berreur, G.Gaston et F. Andrivon, France
– Dans la joie et la bonne humeur de Jeanne Boukraa, Belgique
– Eclipse de Jacky de Groen, Belgique
– Entre chien et loup de Reza Riahi, France
– Glad (Hunger) de Petra Zlonoga, Croatie
– Half Wet de Sophie Koko Gate, Royaume-Uni
– Imposteur de Elie Chapuis, Suisse
– J et le poisson de Cécile Paysant, France
– Kijé de Joanna Lorho, Belgique
– The New Species de Katerina Karhànkovà, République Tchèque
– La Nuit des jours de Emma Vakarelova, France
– Ø (Solitude) de Mai Ulrikka Sydendal, Danemark
– Opowieść o lesie (Of a Forest) de Katarzyna Melnyk, Pologne
– Oripeaux (Faded Finery) de Sonia Gerbeaud et Mathias de Panafieu, France
– Port Nasty de Rob Zywietz, Royaume-Uni
– The Phantom of the Cliff de Annlin Chao, Royaume-Uni
– Phobo de Hélène Ducrocq, France
– La Reine des neiges de Mina Perrichon, France
Le Sens du toucher de Jean-Charles Mbotti Malolo, France, Suisse
– Wind de Robert Löbel, Allemagne

Short Screens #46 : Je t’aime… moi non plus

L’amour est un oiseau si frêle dont nul ne peut se passer et c’est bien en vain qu’on le scelle au moment où il rêve de s’envoler. Pour rendre hommage à cette vague irrésolue, Short Screens a parcouru les chemins de traverse des amours imaginaires et vous propose huit courts métrages, coups de cœur aux battements tragi-comiques. Rendez-vous le jeudi 29 janvier à 19h30, au cinéma Aventure, Galerie du Centre, Rue des Fripiers 57, 1000 Bruxelles. PAF 6€.

Visitez la page Facebook de l’événement ici.

Un projet à l’initiative de l’asbl Artatouille et Format Court.com

PROGRAMMATION

NOAH de Patrick Cederberg & Walter Woodman/ Canada/ 2013/ fiction/ 17′
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Une histoire qui se déroule intégralement sur l’écran d’ordinateur d’un ado. Nous sommes témoins de la dégradation rapide de la relation entre Noah, personnage éponyme, et sa copine, au fil de cette fascinante étude des comportements (et de l’amour) à l’ère numérique.

COUPLE de Thales Banzai/ Brésil/ 2014/ fiction/ 10′
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Ce moment où le couple s’essouffle…

VIEUX COMME LE MONDE de Hubert Fiasse & Carlos Gerardo Garcia/ Belgique/ 2013/ documentaire/ 11′
vieux comme le monde
Et toi l’infidélité… ça te parle? Tu pourrais peut-être nous en toucher un mot?

LOVE PAPER de Bambang K.M./ Indonésie/ 2012/ expérimental/ 8′
love-paper
C’est l’histoire de la relation entre un homme et une femme. Combien de temps durera-t-elle? Personne ne peut le prévoir…

LUCHA LIBRE de Ann Sirot & Raphael Balboni/ Belgique/ 2014/ fiction/ 12′
Lucha-Libre
Jean et Aurélie sont en couple et fréquentent régulièrement les marasmes du conflit amoureux avec toute la panoplie de mauvaise foi, de mutisme, d’enlisement, d’argumentation fleuve, de bonds et de rebonds qui l’accompagne.

MELONHEAD de Andy Fortenbacher/ USA/ 2013/ fiction/ 13′
melonhead
Gordon s’est entiché de Wendy, mais il ne sait pas comment conquérir son coeur. Après avoir reçu quelques conseils d’un terrible dieu, lui disant que les femmes sont animées par des choses effrayantes, Gordon prend le risque de proposer à Wendy un rendez-vous galant le plus terrifiant de sa vie…

I LOVE YOU SO HARD de Ross Butter/ Royaume-Uni/ 2013/ animation/ 4′
i love you so hard
Joel adore Jacqui tellement fort que ça va grave dégénérer.

Article associé : la critique du film

LONG BRANCH de Dane Clark & Lindsey Stewart/ Canada/ 2011/ fiction/ 14′
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Lynn se balade à New York à la recherche d’un coup d’un soir. Pensant avoir trouvé la bonne personne, elle se rend finalement à l’évidence, ce n’est pas exactement ce qu’elle avait en tête…

Plus d’infos : http://shortscreens.be/

Martin Scorsese. Courts métrages et documentaires

La collection DVD « Les Introuvables » s’est donnée comme ambition de faire revivre les chefs-d’œuvre cinématographiques des grands maîtres du cinéma. Dans le volet dédié à Martin Scorsese, on retrouve ses trois premiers courts métrages ainsi que deux films documentaires dans lesquels l’on pressent déjà les thèmes et obsessions de l’un des réalisateurs américains les plus prolifiques de sa génération.

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L’épopée cinématographique d’un rêve américain

En cinquante ans de carrière et plus de quarante films (longs, moyens et courts) à son actif, lauréat d’une Palme d’or pour « Taxi Driver » (1976) et de plusieurs Oscars dont celui du meilleur réalisateur pour « Les Infiltrés » (2007), Martin Scorsese peut se targuer de bénéficier du statut fort enviable des artistes appréciés aussi bien par la critique que par le grand public. Un cinéaste qui a trouvé le juste équilibre entre la compromission artistique et la marginalisation.

Alors qu’il fréquentait les cours de Haig Manoogian à la New York University, il tourne « What’s A Nice Girl Like You Doing in A Place Like This ? » (1963) ainsi que « It’s Not Just You, Murray! » (1964), deux courts métrages loufoques, réalisés en noir et blanc qui mettent en exergue la capacité du jeune Marty à mettre en scène un univers singulier empreint de nombreuses références cinématographiques. Car Scorsese fait partie de cette génération cinéphilique qui comme les De Palma et les Ford Coppola a vu et revu les classiques américains, de Griffith à Hitchcock en passant par Vidor et Berkeley. Rien n’a de secret pour lui. On s’accordera à dire que dès ses premiers films, Scorsese explore l’Amérique et son histoire vue au travers du prisme de l’immigration porté par des personnages aussi tendres qu’effrayants.

Ainsi le protagoniste de « What’s A Nice Girl Like You Doing in A Place Like This ? » est un écrivain en panne d’inspiration à tel point fasciné par un tableau qu’il finira par se retrouver à l’intérieur de celui-ci. Original, hybride, teinté d’humour, le film se présente comme une fable énigmatique où le réalisateur prend plaisir à passer du coq à l’âne en un montage d’images tout à fait novateur. Le titre fait référence à la rencontre (assez tardive dans le film) du narrateur avec une artiste peintre qui loin de le stimuler, le freinera dans sa quête artistique. L’art est alors considéré comme une réponse subversive à la trivialité quotidienne, un formidable moyen de s’ouvrir au monde.

« It’s Not Just You, Murray! » réalisé l’année d’après, met en scène un gangster new-yorkais d’origine italienne qui raconte son parcours de 1922 à 1965. Scorsese fait preuve de désinvolture en dressant un portrait au vitriol du rêve américain nourri d’illusions. Murray se présente en face caméra. Il s’adresse au spectateur directement, l’invite à écouter son histoire rocambolesque de riche mafieux qui a fait fortune dans la distillation d’alcool. Sans cesse remis en question par une mise en scène ironique, le court subit l’influence du film noir, des comédies musicales et du rococo fellinien. Ayant grandi dans le quartier new-yorkais de « Little Italy », Scorsese puise dans ses origines modestes une source d’inspiration inépuisable. Le personnage de Murray aurait été insufflé par son oncle et le personnage de la mère est interprété par Catherine Scorsese, la propre mère de l’artiste. Dès ce deuxième opus, le réalisateur laisse transparaître son goût pour les bas-fonds, la petite criminalité que l’on apercevra plus tard dans des films tels que « Mean Streets » (1973), « Gangs of New York » (2002) ou encore « Les Infiltrés » (2006). A la différence notoire qu’il se dégage de « It’s Not Just You, Murray! » un optimisme lumineux et un cynisme enjoué que l’on ne retrouvera plus dans les films suivants.

C’est en réponse à la participation active des Etats-Unis à la guerre du Viet-Nam que Scorsese réalise « The Big Shave » (1967), un film très court et percutant qui illustre la barbarie humaine. Dans une salle de bain d’une blancheur immaculée, un jeune homme blanc, bien sous tous rapports, se rase. Mais plus il se rase, plus il se coupe. D’apparence banale et anodine « The Big Shave » renvoie à l’absurdité des conflits, source de violence inutile. La musique (ou l’absence de musique), comme dans la plupart des films de Scorsese, contraste avec l’image et permet un décalage réflexif sur l’action permettant de renforcer la tension.

La même année où il réalise le long-métrage de fiction « Alice n’est plus ici », Martin Scorsese décide de livrer le témoignage de ses parents à travers un documentaire succulent. « Italian American » (1974) est un film hommage à cette première génération d’immigrés italiens qui s’est battue pour se forger un chemin dans la jungle new-yorkaise. Bâtisseurs de leur vie, ils ne remettent aucunement en question le rêve américain, a contrario, ils le personnifient. Profondément conscient de ses origines, Scorsese a voulu faire part de celles-ci en filmant ses parents dans un documentaire qui se veut libéré de toute grammaire conventionnelle du genre car il n’hésite pas à dévoiler l’envers du décor, le dispositif cinématographique, et à se montrer en train de filmer. Plus proche de la discussion anecdotique que du récit historique sur l’immigration, le film dévoile la personnalité d’un père travailleur et taciturne face à une mère quelque peu envahissante. Considéré comme le contrepoint documentaire de « Mean Street », le film fait ressurgir le New York d’avant-guerre.

Quatre ans plus tard, fort du succès de « Taxi Driver » Scorsese tourne « American Boy : A Profile of Steven Prince », un documentaire aussi iconoclaste que « Italian American » sur le fils du directeur de la William Morris Agency. Partant du même principe que le dispositif fait partie prenante du processus artistique, il montre ce que le spectateur n’est pas supposé voir comme les interactions avec le cameraman, par exemple. Le film est une succession d’anecdotes sur la vie mouvementée du rejeton déjanté du rêve américain. Si la génération des parents de Scorsese représentait un rêve réussi, celle de Prince (dans laquelle Scorsese se reconnaît pleinement) en revanche, montre une certaine ambivalence par rapport à ce rêve. Ne s’y retrouvant pas, elle tente de déconstruire ce qui a été tissé auparavant en ayant recours à la drogue. Le film est tourné en deux week-ends dans la maison de Scorsese. Des images d’archives présentant un Steven Prince enfant sont là pour rythmer la structure narrative du film. Proche de l’improvisation, le film, considéré comme le pendant documentaire de « Taxi Driver », renvoie l’image d’un artiste en proie au doute et à la désillusion, reflet de toute une génération qui n’a déjà plus de repères. Par certains égards, il annonce la rage de « Raging Bull » (1980) qu’il tournera tout de suite après.

En cinq films phares des débuts de Scorsese, ce DVD offre un bel aperçu de l’œuvre d’un réalisateur boulimique qui a fait sienne la devise de King Vidor « Un film pour moi, un film pour eux ». Un parcours exemplaire et irréprochable, en somme !

Marie Bergeret

Martin Scorsese. Courts métrages & documentaires. Edition Wild Side

Stella Maris de Giacomo Abbruzzese

Découvert à Brest, primé à Villeurbanne (Prix des Industries Techniques du Cinéma Rhône-Alpes à la meilleure production, Mention spéciale Format Court), présenté ce jeudi 8 janvier 2015 au Studio des Ursulines en présence de l’équipe, bientôt à Angers et Clermont, Stella Maris de Giacomo Abbruzzese est une fiction stimulante que ce soit pour son sujet extrêmement original, les fessiers de ses personnages masculins et la force de son scénario.

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Giacomo Abbruzzese a déjà réalisé plusieurs courts-métrages avant et après son passage au Fresnoy. Habitué à tourner partout sauf en France, il nous a beaucoup surpris en fin d’année avec son dernier travail, Stella Maris. Toujours aussi militant mais moins dérangeant que dans ses films précédents, il a enfin fait le film qu’on attendait de lui, un film dans lequel on le sent pleinement en confiance pour aborder le long-métrage (en écriture).

Dans ce film tourné en Italie, trois groupes d’individus se croisent au moment de la procession annuelle de la Vierge dans le village local : une jeune femme et son père, l’illuminateur de la fête populaire, un groupe de prisonniers et le maire borgne. Autour d’une tradition (les détenus recouvrent la liberté si ils arrivent à toucher la statue de la Vierge en pleine mer), chacun est confronté à ses propres secrets, peurs et désirs.

Stella Maris est un film sur la lumière, l’obscurité, l’illumination (divine, ampoulée), la liberté, l’emprisonnement, l’engagement, le sacrifice, les croyances, la vilénie, l’amour et le mensonge. De ce film, on retient le rapport à la vérité et à la rédemption, l’hallucinante scène de fin, l’audace de ses francs-tireurs et son réalisme à l’italienne. Stella Maris, c’est enfin et surtout le film de fiction qui nous inspire et qui nous porte le plus depuis la fin de cette étrange année 2014.

Katia Bayer

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Article associé : l’interview du réalisateur

S comme Stella Maris

Fiche technique

Synopsis : Un village perdu au bord de la Méditerranée. À l’occasion d’une fête populaire, tous les habitants se rassemblent sur le bord de mer dans l’attente de l’arrivée par les eaux d’une statue illuminée, la Stella Maris, vierge de la mer. L’histoire d’un artisan de la lumière et de sa fille, d’un maire borgne, de feux d’artifice comme une bombe et du street art comme révolution.

Réalisation : Giacomo Abbruzzese

Genre : Fiction

Durée : 26’37’’

Année ; 2014

Pays : France, Italie

Scénario : Giacomo Abbruzzese

Image : Guillaume Brault

Son : Vincenzo Urselli

Montage : Marco Rizzo, Giacomo Abbruzzese

Décors : Egle Calò

Musique : Luc Meilland, Alessandro Altavilla

Production : La Luna Productions

Articles associés : la critique du film, l’interview du réalisateur

Tout était dit..

Hier, la sale info est tombée, horrible. Ce soir, c’est l’anniversaire de Format Court aux Ursulines. Pas évident de faire la fête.. A Format Court, l’illustration, le journalisme, la dérision, la critique nous touchent aussi (même si on ne parle que de court.. Et alors ?). Ce matin, en évoquant la séance sur la Toile, on est tombé sur le dessin-hommage de Bansky qu’on aime bien.

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Et puis.. Chose bizarre, on a retrouvé un autre dessin, celui de Charb, dont l’humour et le trait nous avaient tellement fait marrer qu’il représentait la photo de profil de notre compte Facebook. Le mot juste, la main qui dessine, le noir et blanc, le petit mouvement de la clé qui vole, la nuance entre le ciné-boulimique et la culture, la vraie. Voilà.. Tout était dit..

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Jean-Charles Mbotti Malolo : « La providence m’a permis de faire mon film. Quand je m’y suis attelé, j’avais envie de m’attaquer à quelque chose de difficile, avec de nombreux enjeux »

Issu de la double culture du hip-hop et de l’animation, Jean-Charles Mbotti Malolo a réalisé « Le Sens du toucher », lauréat de notre premier Prix Format Court au Festival de Villeurbanne. Présélectionné aux César de l’animation et projeté ce jeudi 8/1 lors de la séance anniversaire de Format Court aux Ursulines, ce premier film subtil et vibrant, à la croisée du mouvement, des couleurs et des sentiments, convie langue de signes, ondes visuelles et relations amoureuses. À Villeurbanne, Jean-Charles Mbotti Malolo est revenu sur son parcours, son intérêt pour la danse, son passage par Emile Cohl, sa collaboration avec la chanteuse Camille et les enjeux de son film, notamment par rapport à la notion de bruit.

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En découvrant ton travail, que ce soit ton film de fin d’études (« Le Coeur est un métronome »), un exercice sur iPad (« Le Paon ») ou ton court le plus récent, « Le Sens du toucher », on remarque que le mouvement et l’absence de paroles vont souvent ensemble. Les liens entre non verbal et gestuelle t’intéressent à ce point ?

C’est assez particulier. Pour « Le Sens du toucher », je ne voulais pas m’enfermer dans la communication corporelle. Au tout début, je voulais faire un film dialogué, sans mouvement ni communication. C’est revenu malgré moi, j’ai lutté pour essayer de contrôler ça, mais je me suis rendu compte que j’avais encore des trucs à creuser autour du non verbal et du mouvement. L’idée de surdité, de langue de signes, de travailler avec des sourds, me plaisait beaucoup. « Le Coeur est un métronome » est la première utilisation de la danse et de l’animation, je pense qu’à l’époque, je n’étais pas allé assez loin.

En termes d’histoire ?

Oui. C’est mon film de fin d’études. J’avais besoin d’encore travailler là-dessus.Dans ma manière d’aborder le cinéma, les choses passent beaucoup plus par la posture, la gestuelle, le corps, l’acting, le mouvement que les mots. Pour mon prochain film co-réalisé avec Simon Roussin, « Please Please Please », écrit par Nicolas Pleskoff, je franchis une étape intéressante. Il s’agit d’un film sur James Brown, l’idée de mouvement et de danse est toujours là mais le projet est très dialogué. Amaury Ovise (Kazak Productions) m’a proposé de travailler sur ce film; ce qui me plaît, c’est cet enjeu du dialogue, ça fait longtemps que j’ai envie de m’y confronter.

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L’envie de faire de l’anim’, c’est lié à quoi ?

Quand j’étais petit, je dessinais beaucoup. J’ai vu un reportage sur l’école des Gobelins, j’ai voulu faire de l’animation. Je faisais beaucoup de portraits, j’avais un dessin assez réaliste. Je n’étais pas doué pour créer des choses et inventer des univers à partir de mon imaginaire.

Est-ce que tu avais essayé d’animer tes dessins, de faire bouger tes feuilles ?

Étrangement, oui. Juste après avoir vu ce reportage, à l’âge de 12-13 ans, je l’ai fait une fois, ça m’a amusé 5 secondes. Je n’avais pas d’ordinateur, du coup, je n’avais pas les moyens techniques pour faire de l’animation.

Les Gobelins, tu as essayé ?

Non. Très vite, je me suis rendu compte qu’aller à Paris pour faire les Gobelins et y vivre était juste impossible pour mes parents. L’aspect financier m’a freiné. À Cohl, l’année coûtait cher mais au moins, j’étais chez mes parents et je n’avais pas de frais. J’ai travaillé, je suis allé à la fac, j’ai fait des fresques, des décorations de magasin pour mettre des sous de côté. Quand j’ai commence à m’impliquer dans le dessin, c’était aussi pour le graffiti.

Et ton goût pour la danse ?

La culture hip-hop m’a influencé. Le dessin et le hip-hop sont deux choses qui vont ensemble, qui m’ont toujours porté. J’ai dessiné très tôt et je me suis toujours dandiné. J’ai sans cesse glissé de la danse au dessin.

Comment fonctionne l’enseignement à Emile Cohl ?

L’école propose une formation en 4 ans. Les deux premières années sont communes, les deux dernières sont spécialisées en animation, BD, illustration ou infographie. Je suis resté en animation. Avant, même quand je faisais du graffiti, je ressentais la frustration d’être un dessinateur de portraits plutôt doué pour recopier des trucs; j’étais un peu bloqué pour créer et développer des univers à part. En arrivant à l’école, j’ai réussi à débloquer ça et à aller vers quelque chose de plus personnel.

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Entre ta sortie de l’école et « Le Sens du toucher », qu’as-tu fait ?

J’ai travaillé sur des longs-métrages. En 2008, quand j’ai commencé sur « Kérity la maison des contes », on m’a dit que si j’avais une prétention d’animateur-réalisateur, il ne fallait pas que je la perde de vue. C’était facile de faire ses heures et de travailler sur les travaux des autres. Après mon film de fin d’études, je voulais très vite refaire un film mais je n’avais pas forcément quelque chose à raconter à ce moment-là. L’idée du « Le Sens du toucher » n’est pas venue tout de suite, le projet est né en 2009.

Est-ce que tu as eu envie d’y mettre des choses que tu n’avais pas pu creuser dans le précédent ?

C’est exactement ça. Sur mon film de fin d’études, mon scénario n’avait pas été validé. Je l’ai relu il n’y a pas longtemps et j’ai compris pourquoi. Je m’étais lancé dans un truc pseudo-politique étrange et je pense que je n’avais pas la maturité pour écrire des trucs engagés il y a sept ans. Ça n’avait ni queue ni tête. On m’a demandé de ne pas le faire tel, l’égo a joué, j’ai eu du mal à me positionner. Benoît Chieux qui gère cette section m’a conseillé faire de l’illustration, j’ai essayé de lui montrer que j’étais motivé et que je voulais faire de l’animation. J’avais une semaine pour faire des images. Il m’a demandé ce qui me plaisait dans la vie en dehors du dessin. Je lui ai parlé de la danse, je lui ai montré des vidéos. Il m’a dit : “Fais ça, fais de la danse”.

Comment ton premier film professionnel s’est-il fait ?

Au printemps 2010, Benoît Chieux m’a appelé pour travailler sur les décors de « Tante Hilda ». Je voulais rester concentré sur mon projet de court, mais je ne pouvais pas me permettre de refuser un projet de long chez Folimage. Je pensais mettre mon film entre parenthèses pendant un an. Deux mois après, des personnes de l’école de la Poudrière ont lu mon projet. Le comité artistique de Folimage a voulu le lire aussi. À ce moment, je me préparais pour présenter le projet de concours d’Annecy. Arte m’a primé et Folimage est devenu le producteur principal. La providence m’a permis de faire ce film. Quand je m’y suis attelé, j’avais envie de m’attaquer à quelque chose de difficile, avec de nombreux enjeux.

Qu’est-ce que tu as appris finalement sur ce film-là ?

Je pense que j’apprends beaucoup sur moi en travaillant au contact des gens. Grâce à ce film, je suis devenu beaucoup plus fort en dessin, j’ai appris à mieux animer et à dessiner. La rencontre avec Camille (qui a signé la musique originale du film ndlr) m’a aussi appris beaucoup de choses sur moi. C’est quelqu’un d’assez direct, qui sait ce qu’elle veut et qui arrive à dire les choses sans trop se prendre la tête. Au début de l’écriture, j’écoutais sa musique, des choses me touchaient. Sa façon d’écrire et de chanter créait des images en moi J’ai bizarrement connecté mon écriture aux émotions qu’elle me procurait. Mon film est allé vers sa voix. Je me suis dit que ce serait bien qu’elle fasse la musique, je ne voulais pas demander à une musicienne de l’imiter. J’ai réussi à la contacter et elle a accepté de participer au projet. Au début, je souhaitais aussi travailler avec Sly Johnson, un beatboxer qui fait des rythmes avec la bouche et qui avait déjà travaillé avec elle. Le premier jour de l’enregistrement, il n’est pas venu. Je me suis retrouvé confronté à Camille. Ça n’a pas été facile. Je me suis liquéfié sur place. Je n’ai pas su tout de suite la rattraper pour la ramener vers moi. Elle m’a dit : “Mec, réveille-toi, c’est toi le réalisateur, c’est ton film !”. Image_LSDT_Festival_009 copie_905

Vous avez donc fait le film qu’à deux. Il est différent du point de départ ?

Il est mieux, car au début, j’avais prévu de faire quelque chose de bruitiste, de faire la musique et tout l’univers sonore à la bouche comme les personnages ne parlent pas. Au début, elle devait endosser le rôle de la femme. Camille aime les bruitages à la bouche, mais ça ne fonctionnait pas. J’ai dû changer mon fusil d’épaule et faire des bruitages très réalistes.

Tu as donc une série de bruitages de la bouche de Camille !

Oui. Parfois quand je mets iTunes en mode aléatoire, je tombe sur des trucs très bizarres (rires) !

Pour le film, tu as aussi collaboré avec Mathilde Combes, une comédienne sourde qui a fait le travail des voix. C’était important pour toi d’aller au bout de ta démarche ?

De manière générale, travailler avec des personnes en situation de handicap peut être très vite emprunté. Tu n’as pas forcément la légitimité en tant que valide et entendant. Je suis très sensible à ça. J’ai toujours souhaité raconter ce genre d’histoire avec des pincettes. Je suis allé voir Emmanuelle Laborit pour discuter du projet. Elle fédère la communauté sourde et avait deux points de vue sur le film à la fois comme actrice et sourde. Elle a tout de suite répondu à ma demande. Je lui ai montré l’animatique, elle m’a fait un retour sur le film. Malgré ma bienveillance et mes connaissances, j’avais peur que mon point de vue sur la communauté sourde l’emporte. Elle a mis le doigt sur ce qui manquait et ce qui avait besoin d’être retravaillé, mais elle m’a dit que ça allait de manière générale et ça m’a beaucoup rassuré. Mathilde a vu l’animatique aussi, elle a été très touchée par le propos et l’idée de mettre en place des ondes visuelles. J’ai fait également une formation en lange de signes pour comprendre l’univers des sourds et dans quoi je mettais les pieds.

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Beaucoup de gens m’ont dit en voyant le film que le son et les bruits étaient bizarres, qu’il y avait un problème d’enceinte dans la salle. Mais il faut savoir que les sourds ne sont pas forcément muets et dans la langue des signes, les mimiques, la posture de la bouche et l’expression du visage expriment beaucoup de choses différentes, Les sourds sont très bruyants dans leur manière de s’exprimer avec leurs voix, leurs cordes vocales, ils font du bruit avec leurs verres et leurs chaises car ils ne se rendent pas compte de ses effets. La notion de bruit ne fait par exemple pas partie de leur monde du tout et ça n’a pas été évident de restituer cette idée.

Tu as encore envie de travailler autour du handicap ?

Pour le moment, je suis en train de faire un court d’une minute sur la Grotte Chauvet qui abrite les plus vieilles peintures rurales du monde. C’est une collection d’une quinzaine de courts soutenue par Arte. Travailler sur un film d’une minute me change du « Le Sens du toucher » qui fait 15 minutes, une durée importante pour un film d’animation. La question du handicap a fait partie de ma vie. Je pense que ça reviendra à un moment dans mon travail.

Propos recueillis par Katia Bayer

Articles associés : la critique de « Le Sens du toucher » , le reportage Jean-Charles Mbotti Malolo, en deux courts & deux mouvements

À la rencontre du jeune cinéma français : Frédéric Bayer-Azem, mardi 6 janvier, 20h au Cinéma L’Archipel

Après avoir invité Shanti Masud en octobre, le Cinéma L’Archipel accueille Frédéric Bayer-Azem dans le cadre de son cycle « À la rencontre du jeune cinéma français », organisé en partenariat avec Format Court.

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En l’espace de trois courts-métrages, Frédéric Bayer-Azem a révélé un regard de cinéaste déjà affûté, libéré de toute grammaire ronronnante mais porté par une intransigeance de tous les instants. S’il ne s’approprie aucun « sujets », c’est pour mieux s’approcher des corps de ses interprètes qu’il filme avec respect et pudeur, les rendant à leur mystère et à leur beauté brut. Maîtriser l’ellipse, faire de chaque raccord une rupture en composant un montage aussi heurté et élégant que la chorégraphie d’un match de boxe, telles sont les qualités premières et essentielles d’un cinéma libre, fou, drôle.

À l’issue de la projection, le cinéaste dialoguera avec Marc-Antoine Vaugeois (rédacteur à Format Court).

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Programme

Les Ficelles (2012)
Pan (2013)
Geronimo (2014)
+ 1 surprise

Infos

Cinéma L’Archipel : 17 boulevard de Strasbourg – 75010 Paris M° 4, 8, 9 Strasbourg St Denis/Château d’eau /Bonne Nouvelle

Tarifs
– 8 € / plein
– 6,5 € / réduit (étudiants, demandeurs d’emplois, plus de 60 ans sur justificatif sauf week-end et jour de fête)
– 4 € pour les – de 14 ans

Événement Facebook : https://www.facebook.com/events/270711239719191/?fref=ts

Le Sens du toucher de Jean-Charles Mbotti Malolo

Au théâtre des sourds, dans un tonnerre d’applaudissements silencieux, deux jeunes gens dans le public se regardent, rougissent, se plaisent. À l’extérieur, quelques brefs mots-signes et hochements d’épaules servent à dépasser leur timidité et fixer un dîner chez l’homme. Telle est la prémisse du premier film de Jean-Charles Mbotti Malolo bien nommé « Le Sens du toucher » et primé par le jury Format Court au Festival de Villeurbanne cette année.

Fasciné par l’idée de l’amour comme chorégraphie, le danseur-réalisateur conçoit une animation qui explore une relation basée sur deux personnages on ne peut plus contrastés. Louis est réservé, maniaque de la propreté, coincé, sévèrement allergique aux chats. Chloé, en revanche, est exactement son contraire, bordélique, décontractée, désinhibée, une grande amatrice de l’espèce féline, surtout lorsqu’il s’agit de mignons petits chatons. Les aléas du couple en quête d’un terrain d’entente malgré les différences flagrantes qui les opposent prennent la forme d’une saltation stylisée, mêlant gestuelles rythmées et pas de danse sur fond d’un scénario dramatique bien ficelé.

Le choix d’une image en 2D entièrement dessinée à la main (bien qu’inspirée de comédiens filmés) permet à la fois de doter d’un grand réalisme les mouvements gracieux de corps dansants et de dépasser les limites de la réalité. Ce sentiment paradoxal est renforcé par le choix de garder les roughs (brouillons) monochromatiques à l’image finale, ce qui confère parfois un effet brut à un dessin autrement lisse et plein de couleurs.

La danse retrouve son écho dans l’utilisation de la langue des signes, « non verbale » par excellence avec ses propres codes de mouvement et d’expression. D’ailleurs, l’intérêt esthétique de ce langage à part entière a vraisemblablement déterminé le choix narratif de protagonistes sourds-muets. Pourtant, loin d’être un prétexte gratuit, ce parti pris aura permis à Mbotti Malolo de mener à bien un travail sensoriel poussé et cohérent, hautement synesthésique à tout moment. La bande-son y contribue considérablement : forcément dépourvue de tout dialogue et minimaliste à souhait, elle est soulignée par des bruitages et voix occasionnels, et une partition vocale rythmique – signée par la chanteuse Camille – pour accompagner le ballet visuel sans jamais prendre le dessus. Le résultat est un film poétique et touchant, délicatement équilibré entre fiction et danse, riche en émotions et sensations.

Adi Chesson

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