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Condom Lead de Arab et Tarzan Nasser

« Condom Lead », premier court-métrage palestinien sélectionné au festival de Cannes (2013), était présenté cette année en ouverture de la programmation « Palestine » à Clermont-Ferrand. Les réalisateurs, Tarzan et Arab Nasser, frères jumeaux, offrent une terrifiante déclaration d’amour et de désespoir dans un film court, sans paroles et avec une grande économie de moyens (budget quasi inexistant, tournage en un jour).

2009. L’opération Cast Lead/Plomb durci contre la bande de Gaza dure 22 jours sans interruption. Au cœur de la débâcle, un couple tente chaque nuit de faire l’amour. Peine perdue : les déflagrations des obus réveillent le bébé endormi dans la chambre, la femme se lève pour l’apaiser… et l’homme n’a plus qu’à gonfler le préservatif tout juste ouvert. Recyclage ludique et amer en ballons incongrus qui envahissent la chambre conjugale nuit après nuit. Jusqu’à la scène finale : accoudé à son balcon, l’homme observe, le temps d’une cigarette, la ville et la nuée de ballons transparents qui la survole.

La simplicité du scénario, l’absence de dialogue, la guerre suggérée par le hors champ sonore et les jeux de lumières dans la pénombre de la chambre, tout concourt à un propos minimal et terriblement éloquent. Urgence du geste vital. S’aimer pour conjurer la peur, pour rester dans l’ici et maintenant. Pour continuer d’exister. Eros et Thanatos intimement mêlés, une fois de plus. Le mouvement de rapprochement du couple est décomposé en micro-gestes, un dosage millimétré d’une lenteur et d’une précaution à couper le souffle. Comme si une maladresse, une précipitation brusque pouvait engendrer l’explosion venue de l’extérieur. Faire l’amour en marchant sur des œufs. Un certain érotisme se dégage de ces effleurements, de ces milles attentions, l’acte est réduit à sa pure nécessité. On ne peut s’empêcher de penser au texte de Mahmoud Darwich, le poète palestinien (« Une mémoire pour l’Oubli ») et à sa quête de café durant l’assaut de Beyrouth. Où la volonté de perpétrer le geste ordinaire et journalier est cruciale. Savourer le café devient question de vie ou de mort. Le gouffre est là, dans l’impossibilité menaçante d’accomplir le rite matinal et essentiel :« Comment faire pénétrer l’odeur du café dans mes cellules, tandis que les obus s’abattent sur la cuisine ouverte au-dessus la mer, répandant des senteurs de poudre et la saveur du néant ? (…) Je ne me demande plus si les murs du couloir offrent une protection suffisante contre la pluie d’obus. L’important, c’est qu’il existe une paroi pour me dérober à ce ciel transformé en métal dévoreur de chair. (…) Je veux sentir l’odeur du café. Cinq minutes. Je veux une trêve de cinq minutes pour un café. (…) Tous mes sens sont tendus vers cet unique appel. »

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L’échappée générale des ballons/préservatifs développe une fin à deux versants, une interprétation ouverte et ambivalente. Ils arrivent pour ponctuer une interrogation toujours plus féroce et actuelle : comment envisager de donner encore la vie dans un monde où la folie des hommes broie tout sur son passage, jusqu’aux velléités d’accouplement ? Comment l’assouvissement d’un désir solide et tenace est-il encore tangible ? Comment penser l’avenir dans un décor si funeste ? Et pourtant la capote, objet utile et pragmatique, passe du concret trivial au message poétique, drôle et politique. La multitude de baudruches surplombant la cité vient réaffirmer l’omniprésence d’une résistance du quotidien, sa force et sa patience. Et le spectateur oscille : veut-il voir dans le calme de la contemplation de l’homme sur son balcon une forme de résignation, ou au contraire de confiance dans cette métamorphose éphémère et onirique du paysage ? Beau pied de nez alors à la laideur de la réalité…

Juliette Borel

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C comme Condom Lead

Fiche technique

Synopsis :En écho à la violente opération militaire « Plomb durci » (Cast Lead en anglais), le film évoque la difficulté de faire l’amour en temps de guerre…

Genre : Fiction

Durée : 14’

Pays : Palestine

Année : 2013

Réalisation : Arab et Tarzan Nasser

Scénario : Arab et Tarzan Nasser

Image : Zaid BaQaeen

Montage : Zaid Baqaeen

Son : Philip Hashweh

Interprétation : Rashid Abdelhamid, Maria Mohammedi, Eloïse Von Vollenstein

Production : Made in Palestine Project

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Nouveau rendez-vous Format Court : Lancement des After Short, jeudi 26 février 2015 !

À partir de ce mois-ci, Format Court vous propose un nouveau cycle de rendez-vous, les After Short, des soirées de networking réunissant la profession et les cinéphiles.

Retrouvez-nous pour notre 1er After Short, un apéro sympa ouvert aux amoureux du court et à ceux qui aiment tout simplement le cinéma, au coeur du 11ème (quartier Oberkampf, St-Maur).

Venez échanger autour d’un verre (punch offert !) avec nous, rencontrer d’autres « courtivores » et discuter avec les professionnels présents (réalisateurs, producteurs, comédiens, techniciens, organisateurs de festivals, …).

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Quand ? Jeudi 26 février 2015, à partir de 19h
Où ? Bar Les Pieds sous la Table
130 rue Saint-Maur, 75011 Paris
Comment ? Métros proches : Goncourt, Couronnes, Parmentier
Possibilité de manger sur place !

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Short Screens #47 : « Rêveries »

Divagation de l’esprit ou délicieuse contemplation, la rêverie s’offre à nous tel un océan qui dort et c’est âme et corps que nous y plongeons sans aucun remords. Huit courts métrages, instantanés éphémères de fantasmes inavoués, d’utopies réinventées et de douces nostalgies vous permettront, le temps d’une séance, une belle échappée cinéphilique. En février, Short Screens n’attendra pas Morphée pour vous faire rêver. Un projet à l’initiative de l’asbl Artatouille et Format Court.com

Rendez-vous le jeudi 26 février, à 19h30, au cinéma Aventure, Galerie du Centre, Rue des Fripiers 57, 1000 Bruxelles – PAF 6€

Visitez la page Facebook de l’événement ici

Programme

REIZIGERS IN DE NACHT d’Ena Sendijarevic/Pays-Bas/2013/ fiction/9’46
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Une femme travaille dans une station service, seule, la nuit. Des gens qu’elle ne connaît pas entrent et sortent de son monde, la laissant dans sa petite bulle. Jusqu’à ce qu’une nuit, un étranger spécial entre.

LA NUIT AMÉRICAINE D’ANGELIQUE de Pierre-Emmanuel Lyet/France/2013/animation/7’25
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En allant voir La Nuit américaine de François Truffaut, Angélique découvre qu’on peut inventer sa vie. Se prendre pour Nathalie Baye, obtenir l’admiration de son père, choisir un métier incompréhensible…

Article associé : la critique du film

MODERN DAYDREAMS : DEERE JOHN de Mitchell Rose/États-Unis/2001/fiction/3′
MC  Modern Daydreams
Histoire dansée d’un amour impossible.

LES MAINS BALADEUSES de Noémie Gillot/France/2009/fiction/8’30’
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Comment compenser sa solitude quand on est une jeune femme à l’imagination fertile?

TEHRAN-GELES d’Arash Nassiri/France/2014/expérimental/18′
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Les enseignes nocturnes de Téhéran sont incrustées sur des images aériennes de Los-Angeles. Durant ce vol, des enregistrements téléphoniques nous racontent des souvenirs qui ont eu lieu à Téhéran.

Article associé : la critique du film

THE PRINTED RAINBOW de Gitanjali Rao/Inde/2006/animation/ 15′
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Le film raconte une histoire de monotonie urbaine et d’évasion grâce à l’étiquette d’une boîte d’allumettes, dans un monde imaginaire de curiosité et de couleurs.

Article associé : la critique du film, l’interview de Gitanjali Rao

LA COPIE DE CORALIE de Nicolas Engel/France/2008/comédie musicale/22′
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Monsieur Conforme, gérant du magasin de reprographie Copie Conforme, vit depuis trente ans dans le souvenir d’une femme disparue. Virginie, sa jeune assistante, décide de prendre les choses en main et affiche un avis de recherche sur les murs de la ville.

Articles associés : la critique du film, l’interview de Nicolas Engel

FOLDED de Kendy Ty/ France/2013/documentaire/4′
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Mélanie nous parle de son premier amour, un jeune homme qui aimait l’origami…

Randall Lloyd Okita : « C’est bien de faire des courts, de se sentir libre, mais il faut disposer d’écrans »

Réalisateur du sublime « The Weatherman and the Shadowboxer », Prix Format Court au Festival du Nouveau Cinéma (FNC) 2014, Randall Lloyd Okita est un jeune auteur de Toronto ayant déjà réalisé plusieurs courts-métrages. Son dernier film, projeté ce soir aux Ursulines, dans le cadre de la séance spéciale autour du FNC, évoque avec mystère et émotion le parcours de deux frères aux vies très différentes, séparés par un événement survenu dans leur enfance. En rencontrant Randall Lloyd Okita à Toronto, nous sommes revenus sur son parcours, l’importance de la musique dans son travail, sa collaboration avec l’ONF (l’Office national du film du Canada), son rapport à l’expérimental et son lien au personnel et à l’ambiguïté.

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Format Court : Tu as réalisé plusieurs films très visuels ces dernières années. Comment as-tu réussi à devenir un artiste et à travailler loin des codes classiques ?

Randall Lloyd Okita: Pendant des années, j’ai travaillé comme assistant sur des films et des émissions de télévision. J’ai appris le fonctionnement des choses, mais après, quand j’ai commencé à travailler sur mes propres projets, ça a été dur de trouver des fonds. Malgré tout, en développant mes films, j’ai eu le temps de trouver ce que je voulais faire et de réfléchir aux obsessions que je voulais voir incarnées à l’écran. J’essaye généralement de ne pas trop penser au style, le prochain projet devient mon obsession, la prochaine image devient ce que j’ai envie de tester. « Machine with Wishbone », l’un de mes premiers films, a été inspiré par le travail d’un autre artiste, un de mes mentors, Arthur Ganson, qui a construit des sculptures en fer. À deux, on a crée un monde mécanique pour les faire tenir. Je savais ce que je voulais faire, j’avais envie d’explorer, de creuser. Les images fonctionnent sans mots, elles n’ont pas besoin de dialogue narratif, restent universelles.

Penses-tu que tes films pourraient être projetés ailleurs qu’en salles, dans les musées par exemple, qu’ils pourraient fonctionner comme des performances et être vus différemment ?

R.L.O. : J’aimerais penser que certains d’entre eux pourraient être projetés dans les musées. Ce ne sont pas des comédies qu’on aime voir dans des grandes salles. L’intersection entre l’installation, la sculpture et le cinéma pourrait marcher.

Le problème, c’est que mes films sont souvent considérés comme expérimentaux et que le terme « expérimental » n’est pas anodin. Être classé dans une telle catégorie signifie tellement de choses, les gens hésitent à aller voir ce type de films, ils ont peur d’être déçus. Pour moi, tout peut être expérimental, c’est une catégorie difficile. Certains films perdent en visibilité à cause de cette catégorisation. La manière dont et comment les gens regardent les courts m’intéresse. J’ai approché des galeries, ça n’a pas trop marché. Je peux transporter un DVD, un disque dur, mais c’est plus compliqué avec une sculpture !

De nombreux réalisateurs canadiens ont du mal à faire connaître leur travail. « The Weatherman and the Shadowboxer » a été vu au TIFF (Toronto), au FNC. C’est bien de faire des courts, de se sentir libre, mais il faut disposer d’écrans.

Les projets ne se font pas toujours avec un public en tête. Je suis assez chanceux de ne pas avoir été tout seul sur le projet. On a fait des projections, rencontré des publics. Travailler avec l’Office national du film du Canada (ONF) m’a offert plus d’accès et de publics. Le projet est également beaucoup plus narratif et personnel que mes précédents. Les gens y réagissent, c’est quelque chose de très encourageant.

Tu aimes bien faire des allers-retours entre animation, réalité, imaginaire et réalisme. Qu’as-tu trouvé de particulier dans l’animation  ?

R.L.O. : En général, j’ai très peur des technologies surtout si je ne les comprends pas. J’ai besoin de les expérimenter, j’essaye de trouver des collaborateurs qui s’y connaissent et d’avoir les bons outils. Pour ce projet, j’ai pensé très rapidement à l’animation. Quand on a commencé le développement avec l’ONF, on pouvait vraiment expérimenter, tester des choses vu je n’avais pas fait beaucoup d’animations avant. Ça m’a appris beaucoup de choses. Tout le processus a été nouveau pour moi : le développement. 2D, 3D cadre par cadre. Mon film est beaucoup plus narratif et personnel que mes autres projets, il comporte plusieurs personnages. Les gens y réagissent, c’est très encourageant. Ils ont des questions sur le film. À partir du moment où le film a été terminé, ça a été plus facile d’en parler. Je sens que je suis plus ouvert à la discussion quand le film est derrière moi. La clé est de prendre le risque de perdre un peu de clarté pour gagner en émotion.

Je pense que c’est aussi lié à quelque chose de personnel, de proche de toi. Depuis quand portes-tu ce projet de « The Weatherman and the Shadowboxer » ?

R.L.O. : J’y pense depuis très longtemps, le projet est lié à des proches, à leur sensibilité, à leur identité, à leur histoire. Je ne voulais pas parler de quelqu’un ou d’une vie en particulier. Le challenge, c’était de se situer par rapport à l’histoire, de ne pas donner de nom, de ne pas personnaliser les personnages. L’important pour moi, c’était de parler des démons. J’avais déjà abordé ce sujet dans « Fish in Barrel ». L’une de mes luttes, c’est d’essayer d’exprimer des choses difficiles, des conflits internes, des luttes peu évidentes.

R.L.O. : Le film est illustré par une voix-off. Était-ce pour offrir une réalité supplémentaire ?

Je ne pensais pas à l’effet que ça aurait sur le public. Je voulais prolonger la discussion avec ma famille, explorer ces idées de conflits et trouver un moyen pour que le public s’y intéresse. La voix-off a été un bon moyen pour cela.

Tu dis avoir pensé à ce film depuis longtemps. Que souhaitais-tu y raconter ?

R.L.O. : Je pense que c’est une histoire d’identité, de mémoire et de ce qu’on ne peut pas dire. C’est dur de dire qu’on peut aimer et détester quelqu’un en même temps, que ce soit un ami ou un frère. Ce qui nous arrive au stade de l’enfance peut nous influencer dans notre vie future et on doit apprendre à gérer sa vie avec les bonnes et les mauvaises choses.

La musique est très présente dans tes films. Comment la considères-tu dans ton travail ?

R.L.O. : C’est incroyablement important pour moi. Dans mes derniers films, j’ai travaillé avec des compositeurs, cela m’a apporté beaucoup dans la relation de confiance et de compréhension de l’autre. Je m’exprime en couleurs, je ne sais pas décrire la musique, je n’ai pas le vocabulaire adapté. Je dis : « Ce passage devrait être rouge ou noir ». La conversation sur la musique commence très tôt, le style débarque vite. Avec les compositeurs, les sensibilités s’accroissent, ont de la valeur. Je sens que je peux essayer plus de choses, rendre les choses plus visibles grâce à la musique.

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Avec les animateurs, comment as-tu procédé ?

R.L.O. : On a parlé ensemble de beaucoup de films d’animation – on a évoqué le travail de Norman McLaren – mais aussi de prises de vues réelles, d’images en double exposition et de grand contraste.

Avant, tu auto-produisais tes films. Maintenant, tu es suivi et soutenu par une structure plus grande, l’ONF. Comment ce changement t’a-t-il aidé pour développer tes projets ? Comment considères-tu le travail avec une équipe plus grande et l’entraide ?

R.L.O. : Avant, on était les seuls producteurs de nos films. À mes débuts, c’était dur, je n’avais pas assez d’expériences. Il n’y a pas trop d’alternative au Canada, dans le monde même, pour trouver un équilibre entre soutien, encouragement et liberté.

Quand j’ai commencé à travailler avec l’ONF, je me suis retrouvé avec une grande équipe. Dès le début, ils ont été très intéressés par mon projet. On a eu de grandes conversations et on a construit quelque chose ensemble. J’ai grandi en regardant tellement de films originaux et incroyables produits par l’ONF et racontés par des narrateurs intelligents et passionnés qui avaient une vraie vision de ce qu’ils voulaient raconter que je ne pouvais pas imaginer un meilleur endroit pour faire mes propres films.

Propos recueillis par Katia Bayer

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Retour sur la carte blanche à Envie de tempête Productions à Clermont-Ferrand

Dans le cadre de son Prix Procirep du Producteur de Court-Métrage, Frédéric Dubreuil a bénéficié d’une carte blanche lors de la 37e édition du Festival de Clermont-Ferrand. Il y a présenté une sélection de courts-métrages produits au sein de sa société Envie de tempête Productions ainsi que des films qu’il apprécie particulièrement.

Dans le premier programme, il s’agissait plus exactement d’une programmation pour célébrer les 15 ans d’Envie de tempête, par conséquent uniquement constituée de films produits par la société depuis sa création. L’occasion de voir ou revoir des courts-métrages d’auteurs que suit particulièrement Frédéric Dubreuil. Parmi ces films, 200 000 fantômes de Jean-Gabriel Périot, un documentaire expérimental sur la catastrophe nucléaire d’Hiroshima. Le réalisateur manie à merveille les photos d’archives pour montrer ce qu’était la ville d’Hiroshima avant et après le 6 août 1945, mais aussi et surtout pour poser la question de l’oubli face au temps qui passe. Comment oublier de telles horreurs ? Avec cette œuvre, Jean-Gabriel Périot nous glace le sang, insistant sur le devoir de mémoire.

Dans cette programmation, on a pu également voir le dernier film de Sébastien Betbeder, Inupiluk, nommé aux César 2015. Avec une grande poésie et le sens de l’intimité, le réalisateur raconte la rencontre entre deux amis français, Thomas et Thomas, et deux Inuits, Ole et Adam, tout droit venus du Groenland, pour découvrir la France. Ce moyen-métrage manie avec humour tant les dialogues que les situations, et nous touche parce que les personnages prennent le temps d’observer, de communiquer et de vivre tout simplement.

Autres auteurs ayant fait partie de la tribu Envie de tempête, Cagla Zencirci et Guillaume Giovanetti, avec leur film Ata. Le court-métrage se passe justement dans la ville de Clermont-Ferrand où une jeune Turque rejoint son amoureux français. Seulement, à peine arrivée, elle se retrouve seule, son compagnon devant partir quelques semaines pour raisons professionnelles. Durant son absence, elle fait la connaissance d’Ata, un ouvrier ouïgour qui travaille sur un chantier juste à côté de chez elle. Un peu comme dans Inupiluk, l’accent est mis sur la rencontre et le lien malgré les grandes différences entre les personnages, et sur l’importance de l’humanité au final.

Frédéric Dubreuil a également choisi de montrer l’un des premiers films produits par Envie de tempête, On a train de Barnabás Toth qui parle aussi d’une rencontre entre deux inconnus très différents l’un de l’autre. Enfin, on retrouve dans cette première sélection un film réalisé par le producteur lui-même, rappelant qu’à l’origine, Envie de tempête Production avait été créée pour produire ses propres films. Il a choisi de montrer ici une comédie déjantée intitulée La place du cœur où quatre éclopés se battent pour une place réservée dans le bus.

Dans le deuxième programme voulu plus « politique », Frédéric Dubreuil a réuni coups de cœur de producteur et films représentant la « ligne éditoriale » de sa société. Il a choisi de mêler le militantisme et la distraction à travers des formes de narration originales.

Parmi ces films, on a pu découvrir ou redécouvrir un petit bijou d’Agnès Varda, Réponse de femmes, documentaire tourné en 1975, qui fait sourire par sa désuétude mais qui retient notre attention de par son propos qui n’a pas beaucoup changé en 40 ans et par le côté « osé » de sa mise en scène.

On a aussi retrouvé deux courts-métrages produits en 2001 par la société de production pas moins engagée, Lardux. Le premier est Je m’appelle de Stéphane Elmadjian. Il dresse le portrait d’hommes français, irlandais, espagnols, … qui ont chacun été confronté à la violence à des périodes différentes du XXe siècle tels que la Seconde Guerre Mondiale, des révolutions ou des manifestations. La voix off de Feodor Atkin raconte la dureté de ce qu’ils ont vécu à la première personne et Stéphane Elmadjian filme des visages abîmés de sorte à nous rappeler les atrocités de l’humanité.

Le deuxième film de la société Lardux proposé dans cette carte blanche est À propos d’Éric P de Pierre Merejkowsky dans lequel celui-ci fait un portrait à la limite du documentaire et de la fiction d’Éric P., militant écologiste qui a lutté contre la construction du tunnel de Somport, mais qui n’a été ni entouré ni suivi dans ce combat. Le réalisateur se penche ainsi sur la personnalité d’un homme engagé mais déchu en comparaison avec José Bové, connu et reconnu.

Cette sélection a également proposé quatre films, certes assez différents les uns des autres, mais qui se moquent tous de manière assez poussive et à la limite du mauvais goût de notre chère société. Évoquons tout d’abord Viejo pascuero de Jean-Baptiste Huber dans lequel un enfant des bidonvilles chilien écrit une lettre d’insultes au Père Noël pour les cadeaux qu’il lui a fait. Le film est assez touchant lorsqu’on découvre que l’enfant, malgré sa misère, croit dur comme fer au Père Noël et à la magie qui l’accompagne, mais aussi au rock ‘n’ roll lorsqu’on découvre la manière dont il s’adresse au vieux barbu.

Ensuite, Il était une fois l’huile, film d’animation ayant beaucoup circulé en festival en 2010-2011, réalisé par Vincent Paronnaud, joue autour d’une parodie de publicité et de programme pour enfants. Tel un dessin animé éducatif, deux enfants se retrouvent en effet à faire un voyage merveilleux dans l’usine de fabrication des huiles Méroll (servant aux voitures et fritures !) en compagnie de la mascotte de la marque, Goutix. Le film est 100% politiquement incorrect; ce qui le rend absolument jouissif.

Dans le cadre de ce programme, on a pu voir aussi A heap of trouble de Steve Sullivan, un film très court (4 minutes), tout à fait barré comme savent le faire les Anglo-Saxons. N’en disons pas plus, de peur de dévoiler la cause du trouble de ce quartier résidentiel britannique, si ce n’est qu’il ne dérangera que les personnes les plus prudes et fera bien rire les autres. Autre film limite, Le poteau rose de Michel Leclerc ou la façon très crue mais aussi très drôle de raconter une histoire d’amour à la manière d’un journal intime filmé avec la patte « gaucho » du co-réalisateur du Nom des gens.

Enfin, Frédéric Dubreuil a souhaité remettre quelques films forts de Jean-Gabriel Périot produits par Envie de tempête tels que Eût-elle été criminelle et The Devil. Là encore, le réalisateur nous perturbe ou plus exactement nous questionne sur l’Histoire et ses horreurs que sont ici la Seconde guerre mondiale et le racisme aux États-Unis. Quelles sont les limites de l’humain ? Qu’est-ce qui anime les combats ? À travers une sublime utilisation des archives, Jean-Gabriel Périot prouve à nouveau qu’il est un grand humaniste.

Dernier film à composer cette carte blanche : Jean et Monsieur Alfred réalisé par Frédéric Dubreuil, pointant les inégalités sociales à travers une sorte de conte comique. Selon ses dires, il a placé ce film faute d’avoir pu mettre la main sur L’île aux fleurs de Jorge Furtado tandis qu’il n’avait aucun problème de droit et de copie pour le sien. Réjouissant de ce fait de pouvoir voir l’un des tous premiers films du réalisateur devenu producteur et de comprendre ainsi son goût pour les films engagés avec un ton léger.

Cette carte blanche a permis à Frédéric Dubreuil d’échanger autour d’idées, d’évènements et de constats sociaux sans « se prendre la tête » pour autant. Selon lui, « le court-métrage est l’endroit de la prise de parole directe, sans censure » et ces deux programmes visibles au Festival de Clermont-Ferrand en ont été la preuve. À l’heure où il est plus que jamais d’actualité que d’être solidaires et engagés, ce programme a donné davantage d' »envies de tempête.

Camille Monin

Article associé : l’interview de Frédéric Dubreuil 

The Weatherman and the Shadowboxer (Des ombres et des ondes) de Randall Lloyd Okita

Présenté au sein du focus Québec au Festival Nouveau Cinéma (FNC) de Montréal, le film d’animation « The Weatherman and the Shadowboxer », de Randall Lloyd Okita, a séduit l’équipe de Format Court par son style personnel et novateur, et la maîtrise de sa narration. Le film, lauréat de notre Prix Format Court au festival, présente deux personnages, deux frères qui ont pris des chemins séparés, suite à une enfance bafouée dont les faits restent ambigus : l’un, un présentateur de météo, entretient une image publique mondaine qu’il  porte comme un masque, l’autre devient un « shadowboxer », un combattant de l’ombre qui refuse de fuir la vérité et la violence qui est en lui.

Ou peut-être que l’histoire de ces deux frères n’est qu’un prétexte ? Une allégorie des différentes postures qu’un homme peut adopter face à son propre malheur : le déni ou l’acceptation. Sans dialogues, « The Weatherman and the Shadowboxer » dévoile au spectateur le profil de ces deux frères par le biais d’une voix off. Le texte du narrateur est un des éléments phares du film : poétique et universaliste. Ce sentiment de film allégorique est renforcé par le fait que les deux personnages n’ont pas de visage, pas de voix; toutes les émotions passent par les images, par ce qu’elles ont à elles seules le pouvoir de transmettre.

Le « weatherman » est exposé au monde à travers l’écran de télévision mais son corps est rempli d’autres images mises en abyme : images météorologiques, images d’une ville en feu, données informatiques, explosions, autant d’éléments révélateurs d’un corps et d’un esprit tourmentés, mais sous contrôle permanent. Le second, le « whadowboxer », apparaît toujours de dos ou dans l’ombre, entre deux murs, tel un animal traqué, et communique avec ses poings pour affronter ses démons. Ici, Randall Lloyd Okita nous parle avant tout avec des images, des couleurs, des textures, et une bande sonore soigneusement travaillée par ses collaborateurs et compositeurs : Lodewijk Vos et Joseph Murray.

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Le film se démarque par sa façon de traiter le thème de la mémoire et de la construction de l’individu, notamment par l’exploration, au-delà du texte, d’un langage visuel mêlant plusieurs techniques : prise de vue réelle, animations 2D et 3D, photographies surexposées, superpositions d’images, flashbacks, ralentis. La texture de l’image, un mélange intense entre fermeté et beauté, fait de couleurs sombres appuyées et de contrastes travaillés entre ombres et lumière, évoque le style du polar et de certaines bandes dessinés.

Le film commence par plonger le spectateur dans un univers inquiétant et s’ouvre sur des enfants qui jouent et qui, lorsqu’ils se retournent, ont les yeux rayés, effacés. Cette introduction est accompagnée d’un son agressif et inquiétant qui crée une ambiance digne d’un film d’horreur, accentuée par l’apparition même du titre souligné de rouge vif sur fond noir. Randall Okita joue avec les genres. Film d’horreur, néo-noir, bande dessinée, « The Weatherman and the Shadowboxer » est un film hybride inclassable, sur un sujet très personnel mais rendu ici universel. Le réalisateur montre une vraie maîtrise des outils de narration : un univers visuel qui enveloppe le spectateur, un texte d’une grande justesse, un son composé de bruits tonitruants et de musique interprétée au piano, participent à rendre ce portrait de deux âmes en peine poignant et incisif.

Agathe Demanneville

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W comme The Weatherman and the Shadowboxer

Fiche technique

Synopsis : L’histoire envoûtante de deux frères profondément marqués par un événement dont ils se souviennent différemment. Alliant des images saisissantes à une direction artistique impressionnante, ce film est une ode élégiaque à l’appartenance et à la survie.

Réalisation : Randall Lloyd Okita

Durée : 10′

Année : 2014

Pays : Canada

Genre : Animation

Image : Samy Inayeh

Animation : Sam Javanrouh, Peter Auld, Helen Thach, Francis Goulet, Ferryanto Tantono, Marlon Castro, Blayke Nadeau, Benjamin Figueroa, Sol Friedman

Montage : Mike Reisacher

Voix : Randall lloyd Okita

Musique : Lodewijk Vos, Joseph Murray

Production : Office national du film du Canada

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Les courts primés aux Bafta

Hier soir, tout le monde était aux Bafta (équivalent des César/Oscars au Royaume-Uni) : Julianne Moore, Léa Seydoux, David Beckam, Richard Linklater & tous leurs copains. Mais aussi Daisy Jacobs  et Michael Lennox et Ronan Blaney, les trois réalisateurs de courts-métrages primés.

Meilleur court métrage d’animation : The Bigger Picture de Daisy Jacobs 

Syn. : Des personnages animés grandeur nature racontent avec un humour noir la triste histoire de l’accompagnement d’un parent âgé. « Tu veux la mettre dans une maison de retraite ? Alors, dis-le-lui ! » siffle un des frères à l’autre. Mais comme Mère n’entend pas partir, leurs vies se désagrègent à mesure qu’elle s’accroche à la sienne.

Meilleur court-métrage de fiction : Boogaloo et Graham de Michael Lennox et Ronan Blaney (Irlande, Royaume-Uni)

Syn. : Jamesy et Malachy sont sur la lune quand leur père au cœur tendre leur présente deux poussins. En élevant ces être minuscules, se déclarant végétariens et rêvant de gérant un élevage de poulets, les garçons sont en état de choc lorsque leurs parents annoncent que de grands changements sont à venir dans la famille.

S comme Son Seul

Fiche technique

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Synopsis : Après une nuit de tournage, le chef opérateur du son et le perchman finalisent leur travail par l’enregistrement d’une série de sons seuls.

Genre : Fiction

Durée : 15′

Pays : France

Année : 2014

Réalisation : Nina Maïni

Directeur de la photographie : Etienne Lesueur

Montage : Suzanne Van Boxsom

Son : Jules Valeur

Interprétation : Philippe Duquesne, Pascal Demolon, Juliette Savary

Production : La Fémis

Article associé : la critique du film

Son Seul de Nina Maïni

Prix de la Meilleure Première Œuvre de Fiction (SACD) au dernier Festival de Clermont-Ferrand, le court-métrage « Son Seul » de Nina Maïni fait partie des films de fin d’études du dernier crû de la prestigieuse Fémis. La jeune cinéaste, issue du département son, livre un court-métrage humble, émouvant et drôle dont la qualité première est de prendre pour sujet le cinéma comme artisanat et pour héros deux figures discrètes et connues des plateaux de tournages : l’ingénieur du son et son perchman.

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Gaby et Pierre, respectivement campés par Philippe Duquesne et Pascal Demolon, se retrouvent seuls après une journée de tournage pour enregistrer des «sons seuls» sur une plage, à savoir des sons d’ambiance destinés à alimenter le montage du film en cours de fabrication. Les deux quinquagénaires, amis de longue date ayant roulé leur bosse ensemble, profitent de ce moment d’intimité pour évoquer leur avenir en même temps qu’ils s’appliquent à enregistrer leurs sons seuls, en courant notamment après des cris de mouettes difficiles à obtenir.

Le court-métrage de Nina Maïni force l’admiration, d’abord parce que l’émotion qu’il produit n’excède jamais le cadre très simplement défini par la mise en scène : aucun ajout de musique, aucun effet ostentatoire produit par des mouvements d’appareils sophistiqués ne vient suppléer aux intentions affichés par le récit et la dramaturgie. La réalisatrice s’en remet essentiellement au jeu de ses interprètes, tout en déployant patiemment une mise en scène discrète, construite sur un jeu savant et ludique entre les différentes échelles de plans.

La grammaire du cinéma burlesque à laquelle se réfère la jeune cinéaste a toujours reposé sur un traitement égal de l’image et du son, les films de Jacques Tati ou de Luc Moullet constituant de lointains modèles. Nina Maïni fait à son tour preuve d’inventivité en exploitant la dimension comique de sa situation de départ, où l’effet burlesque n’est pas seulement produit par les mouvements physiques des personnages mis en perspective dans des cadres élargis, mais également par la proximité que produisent les sons enregistrés par les protagonistes à l’intérieur des scènes. La place accordée aux éléments sonores ambiants est prépondérante et le film y trouve son équilibre dans l’économie qu’il fait des dialogues entre les personnages, où le peu de mots qu’ils échangent livrent l’essentiel sans verser dans la psychologie.

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Le mérite en revient aux interprètes, le couple Duquesne/Demolon parfaitement accordé, dont nous avions découvert et apprécié l’alchimie dans un précédent court-métrage comique : « Les Chiens verts » de Mathias et Colas Rifkiss (2012). La bonhomie délicieuse de Philippe Duquesne contraste ainsi avec le tempérament de chien fou de Pascal Demolon, les deux acteurs se rejoignant néanmoins au même endroit dans leur jeu, celui de l’enfant, joueur et primesautier, qui s’exprime dans le regard désarmant de tendresse et d’innocence de Duquesne et dans les moues boudeuses de Demolon. Cette qualité de jeu apporte la dernière touche essentielle au constat qu’énonce le film : les artisans du cinéma ne cesseront jamais d’être des enfants, recherchant sans cesse le plaisir dans le travail.

Et le film de se clore de la plus belles des façons, en laissant défiler son générique alors qu’un montage sonore fait se succéder des amorces de prises de sons, les voix des techniciens anonymes s’agglomérant pour constituer un cœur dans un ultime sursaut burlesque. L’élégance et l’humilité dont fait preuve la jeune cinéaste ravit et nous rend curieux d’une prochaine réalisation.

Marc-Antoine Vaugeois

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Bruocsella ! de Ian Menoyot

Fiction, 49′, Belgique, 2013, FOVEA

Synopsis : Seule dans l’agitation urbaine humide et persistante, Jeanne tente de retrouver le nord.

Lauréat du Grand Prix, du Prix de la presse ainsi que du Prix d’interprétation féminine lors de la dernière édition du Festival Côté Court de Pantin, le moyen-métrage « Bruocsella ! » de Ian Menoyot avait su convaincre les différents jurys et tiré son épingle du jeu parmi d’autres films en compétition. Fruit d’une auto-production laborieuse portée de bout en bout par un jeune cinéaste exigeant dont la précision et la rigueur transparaissent à chaque instant, « Bruocsella ! » s’impose avant tout comme un geste fort dont le titre résonne comme un cri du coeur, un cri d’amour.

Cri d’amour pour une ville et pour un visage : celui de Flora Thomas, grande fille au regard magnétique et impénétrable qui fait corps avec la cité, jungle froide et éteinte mais bouillonnante de l’intérieur. Le parcours de Jeanne dans les rues de Bruxelles, aux confins de la solitude et du désenchantement, culmine dans une scène de dialogue bouleversante entre la jeune femme et un rat des villes dostoievskien (Boris Kish, sublime) qui dresse le portrait amer et désabusé de notre société moderne et de ses capitales qui broient les individus. Un film fort et un geste de cinéma qui augure les plus grandes espérances pour son auteur.

Marc-Antoine Vaugeois

Clermont-Ferrand, le palmarès 2015

Le 37ème Festival international du Court Métrage s’est achevé à Clermont-Ferrand ce samedi 7 février 2015. En voici le palmarès.

Compétition nationale

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Grand Prix : Ton cœur au hasard de Aude-Léa Rapin

Prix Spécial du Jury, Prix du public : Guy Moquet de Demis Herenger

Prix Egalité et Diversité : Leftover de Tibor Bànòczki, Sarolta Szabo

Prix de la Meilleure Musique Originale (SACEM) : Philippe Dubernet et Guillaume Durrieu pour Black Diamond de Samir Ramdani

Prix de la Meilleure Photographie (Nikon) : Anaïs Ruales Borja pour Burundanga

Prix de la Meilleure Première Œuvre de Fiction (SACD) : Son seul de Nina Maïni

Prix Adami d’Interprétation/Meilleure comédienne : Julie Chevallier, dans Ton cœur au hasard de Aude-Léa Rapin

Prix Adami d’Interprétation/Meilleur comédien : Daniel Vannet, dans Perrault, La Fontaine, Mon Cul ! de Hugo P. Thomas, Ludovic Boukherma, Zoran Boukherma et dans Ich bin eine Tata de Ludovic et Zoran Boukherma, Marielle Gautier et Hugo P. Thomas

Prix Etudiant de la Jeunesse : Perrault, La Fontaine, Mon Cul ! de Hugo P. Thomas, Ludovic Boukherma, Zoran Boukherma

Prix Canal + : Le dernier des Céfrans de Pierre-Emmanuel Urcun

Prix de la Presse Télérama : Vous voulez une histoire ? de Antonin Peretjatko

Prix du Rire « Fernand Raynaud » : Tarim le Brave contre les Mille et Un Effets de Guillaume Rieu

Prix Procirep du Producteur de Court Métrage : Takami Productions

Mention spéciale du jury à l’acteur Jonathan Couzinié, dans Ton cœur au hasard de Aude-Léa Rapin

Compétition internationale

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Grand Prix : Hole (Le trou) de Martin Edralin (Canada)

Prix Spécial du Jury : Minsu Kim In Wonderland (Minsu Kim au pays des merveilles) de  Chan-yang Shim (Corée du Sud)

Prix du Public : Père de Lotfi Achour (Tunisie, France)

Prix du Meilleur Film d’Animation : Somewhere Down the Line (La ligne de vie) de Julien Regnard (Irlande)

Prix du Meilleur Film d’Animation Francophone (SACD) : Deep Space de Bruno Tondeur (Belgique)

Prix Etudiant de la Jeunesse : Futile Garden (Terrain stérile) de Ghazaleh Soltani (Iran)

Prix Canal + : De Smet de Wim Geudens, Thomas Baerten (Pays-Bas, Belgique)

Prix des Médiathèques : Thread (Le fil) de Virginia Kennedy (Malaisie)

Mentions spéciales du Jury : Père de Lotfi Achour (Tunisie, France), That Day of the Month (Ce jour du mois) de Jirassaya Wongsutin (Thailande), Démontable de Douwe Dijkstra (Pays-Bas), The Beaten Path (Les sentiers battus) de Phurba Tshering Lama (Inde), Salers de Fernando Dominguez (Argentine)

Compétition Labo

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Grand Prix : Sieben Mal am Tag beklagen wir unser Los und nachts stehen wir auf, um nicht zu träumen (Sept fois par jour nous pleurons sur notre sort et nous nous levons la nuit pour ne pas rêver) de Susann Maria Hempel (Allemagne)

Prix Spécial du Jury : Cams de Carl-Johan Westregård (Suède)

Prix du Public : S de Richárd Hajdú (Royaume-Uni, Angleterre, Hongrie)

Prix Canal +  : Ser e Voltar de Xacio Baño (Espagne)

Mentions spéciales du jury : My Dad de Marcus Armitage (Royaume-Uni, Angleterre), Ser e Voltar de Xacio Baño (Espagne), S de Richárd Hajdú (Royaume-Uni, Angleterre, Hongrie)

Autres prix

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Nomination European Film Awards : Smile, And the World Will Smile Back (Souris et le monde te sourira) de Abdelkarim Al-Haddad, Ehab Tarabieh, Yoav Gross, Diaa Al-Haddad, Shada Al-Haddad, Ahmad Al-Haddad (Israël, Palestine)

Coup de cœur Canal+ Family : Indah Citra de Sarah Feruglio, Anthony Oliveira, Pierre-Antoine Naline, Maxime Orhnial (France)

Prix Orange : One Man, Eight Cameras (Un homme, huit caméras) de Naren Wilks (Royaume-Uni, Angleterre)

Le petit Clermont illustré !

Le 37ème Festival de Clermont-Ferrand s’est terminé ce soir. En voici un premier aperçu animé croqué par les réalisateurs que nous avons rencontrés, en prélude de leurs interviews.

Chris Landreth, réalisateur multi-primé (« Ryan », « Subconscious Password), membre du Jury international

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Daisy Jacobs et Chris Wilder, réalisatrice et animateur de « The Bigger Picture » (nommé aux Bafta, aux Oscars, …)

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Jean-Claude Rozec, réalisateur (« Cul de bouteille »« La Maison de Poussière »), Prix France Télévisions du Court Métrage 2015

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Rino Stefano Tagliafierro, réalisateur (« Beauty »)

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Et pour le lien animé, voici une illustration envoyée par Tomasz Siwiński, le réalisateur de « Une Chambre Bleue », Prix France Télévisions du Court-métrage 2015 ex aequo. Le film, projeté jeudi 12 février à 20h30 aux Ursulines, lors de la Soirée Format Court dédiée au Festival du Nouveau Cinéma, en présence de l’équipe, fera l’objet d’une exposition de dessins et de croquis préparatoires.

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Prix France Télévisions du court-métrage 2015

Lors du 37ème Festival International du court-métrage de Clermont-Ferrand, Tony Gatlif et les membres du Jury ont remis jeudi 5 février, le Prix France Télévisions du Court-métrage 2015 ex aequo à « La Maison de Poussière » de Jean-Claude Rozec et « Une Chambre Bleue » de Tomasz Siwiński. Le jury a également attribué une mention spéciale pour l’interprétation féminine à Laure Calamy pour « La Contre-Allée » de Cécile Ducrocq.

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Ces trois films seront projetés dans le cadre des Soirées Format Court, au Studio des Ursulines (Paris, 5ème). « Une Chambre Bleue » sera visible sur grand écran dès la semaine prochaine, jeudi 12 février à 20h30, lors de la Soirée Format Court dédiée au Festival du Nouveau Cinéma  (FNC) de Montréal. Le film sera présenté par son équipe et fera l’objet d’une exposition de dessins et croquis préparatoires.

Depuis 2009, le Prix France Télévisions du court-métrage est décerné chaque année à un film choisi parmi les achats ou préachats de France 2 et France 3, de l’année précédente et de l’année en cours. Cette année, le jury, présidé par Tony Gatlif, était composé de Katia Bayer (Format Court), Caroline Constant (L’Humanité), Isabelle Gibbal-Hardy (Grand Action), Daniel Goudineau (France 3 Cinéma), Nathalie Jacquet (Télé Câble Hebdo), Jacques Kermabon (Bref Magazine), Frédéric Prallet-Dujols (France Télévisions) et Pascal Sennequier (France 2 Cinéma).

T comme Tehran-Geles

Fiche technique

Tehran-Geles -Arash-Nassiri

Synopsis : Le film nous projette dans un paysage fantastique, une transposition architecturale de deux villes, Téhéran et Los Angeles, dans laquelle les néons grésillants de la capitale iranienne s’incrustent de façon anarchique sur les vues aériennes des quartiers de la Cité des Anges.

Genre : Fiction

Pays : France

Année : 2014

Durée : 18’09 »

Réalisation : Arash Nassiri

Scénario : Arash Nassiri

Image : Yald Fazel, Arash Nassiri

Son : Raphaël Hénard

Musique : Flavien Berger

Montage : Arash Nassiri, François Engrand

Production : Le Fresnoy

Article associé : la critique du film

Tehran-Geles de Arash Nassiri

Au-dessus de la ville, on voit un oiseau

Incroyable plongée dans un territoire fantastique, le film d’écoles d’Arash Nassiri s’attache à transposer une certaine image de Téhéran dans le paysage urbain de Los Angeles créant ainsi une utopie cinématographique des plus envoûtantes.

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Et si l’Iran n’avait pas connu la Révolution islamique? Et si le modèle américain que l’on projetait sur tous les murs de la ville dans les années 70 avait gagné la capitale iranienne, quel visage offrirait-elle aujourd’hui aux yeux du monde ? Autant de questions qui resteront sans réponse puisque l’Histoire en a décidé autrement. Il n’empêche que dans son film « Tehran-Geles », Arash Nassir, issu du Studio des arts contemporains Le Fresnoy, né en Iran et ayant grandi en France, a imaginé une ville à la croisée des chemins, un univers improbable qui répondrait au fantasme démiurgique de création d’une nouvelle Persepolis.

Aussi, dans ce court métrage expérimental, incruste-t-il des enseignes de la capitale iranienne sur les gratte-ciel de la Cité des Anges. Des témoignages téléphoniques d’hommes et de femmes commentant leur quotidien d’avant la Révolution contrastent avec les images aériennes qui évoquent une réalité contemporaine. Des arrestations par la police du Shah en passant par la mode vestimentaire, les souvenirs renvoient à un mode de vie disparu. On devine que ces personnes ont fui leur pays après la Révolution pour venir s’installer à Los-Angeles où l’on retrouve la plus grande communauté iranienne du monde.

Tehran-Geles -Arash-Nassiri

Le résultat est curieux et la démarche reste interpellante à plusieurs niveaux. Car loin d’être anecdotique, elle est au contraire une réflexion intelligente sur la manière de s’approprier le passé révolu de son pays d’origine et de lui imaginer un futur illusoire. Le jeune réalisateur exprime par là son attachement à ses racines tout en questionnant les bouleversements provoqués dans la société iranienne depuis la Révolution de 1979.

Il crée volontairement un décalage entre la fiction d’une réalité revisitée et la réalité des commentaires et joue habilement avec la notion de frontière et de territoire, tellement ancrés dans la mémoire de tout apatride. Avec cette projection futuriste où la musique de Flavien Berger pousse à s’enfoncer dans les abysses labyrinthiques d’une ville inexistante, Arash Nassiri signe ici une exploration vertigineuse et hypnotique de l’âme exilée.

Marie Bergeret

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La Légende Dorée de Olivier Smolders

Grand habitué des sélections Labo du Festival de Clermont-Ferrand, Olivier Smolders présente cette année en compétition internationale « La Légende Dorée », un nouveau projet qui adopte la forme du portrait documentaire pour mieux explorer la psyché d‘un patient d’institut psychiatrique à travers un livre de collages d’images, dont il est l’auteur et qui se trouve rempli d’histoires violentes et de personnages décadents. Un film captivant qui réfléchit sur le mensonge inhérent derrière chaque histoire et notamment celle qui souhaite devenir une doctrine.

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Philippe Grand’Henry, patient interné dans une institution psychiatrique, nourrit une obsession pour les personnages historiques déviants. Dans une longue “litanie” face caméra, il raconte la vie d’assassins irresponsables, de monstres de foire et autres musiciens damnés, à travers un livre de collage d’images de sa conception. Suivant le cheminement sinueux de sa pensée, qui se déploie par associations d’idées et ressenti personnel, « La Légende Dorée » met à nu la psyché de cet homme et entreprend une réflexion sur le pouvoir infini et pernicieux de l’Histoire et des mots.

« La Légende Dorée » se réfère à un livre du XIIIème siècle, portant le même nom et écrit par Jacques de Voragine, qui raconte la vie d’une centaine de saints et martyrs chrétiens. Il est considéré comme un ouvrage de référence sur la mythologie chrétienne, et plusieurs prédicateurs s’en sont servis pour légitimer leurs sermons en faisant de ces saints des modèles de vie à suivre.

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Le parallélisme sémantique obtenu entre les deux titres permet à Olivier Smolders d’entamer une réflexion autour de la puissance des mots comme vecteurs illusoires de vérité. Par exemple, Philippe Grand’Henry raconte tour à tour être le fils d’un pétomane et d’un cannibale, il mélange véracité historique et affabulation personnelle, et se crée une sorte de mythologie imaginaire, foncièrement intime. Sa collection d’images et d’histoires de “saints et martyrs extravagants” ne se présente pas comme vraie, mais elle définit sa personnalité et son essence, lui qui “n’est pas fou, mais qui a juste des problèmes de mémoire”. C’est en quelque sorte “sa” vérité et ce qui lui permet d’affronter la tristesse, la désorientation et la solitude inhérentes à toute existence.

Succession d’images fascinantes au fil de collages savants et minutieux, histoires ensorcelantes narrant les actions barbares du Dr Holmes, de la comtesse Bathory ou encore du compositeur italien Carlo Gesualdo, « La Légende Dorée » se révèle virtuose en fin de métrage avec une séquence finale qui juxtapose en surimpression certains personnages clés avec Philippe lui-même. Au cours de cette séquence, le conteur et les contés ne font plus qu’un tout qui s’en prend avec véhémence à toute forme de vérité avérée, et notamment à celle de Dieu. Asséné comme une véritable profession de foi, ce discours final met en garde contre l’utilisation néfaste des histoires, qui “ne devraient pas servir à autre chose qu’à rêver… qu’à faire souffrir sans faire le mal…”, et se conclut sur une note plus mélancolique où l’on découvre un homme fragilisé, non pas fou, mais complètement perdu.

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« La Légende Dorée » est une oeuvre riche qui questionne sur la vérité derrière tout homme. Cette vérité, n’est-elle pas qu’un assemblage disparate d’histoires contradictoires ? Ne devrait-elle pas se cantonner à ne définir qu’un seul être et ne pas essayer de s’imposer avec violence aux autres ?

Julien Savès

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L comme La Légende dorée

Fiche technique

La Légende Dorée 02

Synopsis : Collectionneur de musiciens maudits, d’assassins déraisonnables, de monstres de foire, de révolutionnaires paranoïaques, de pétomanes ou d’anachorètes suicidaires, un patient en institution psychiatrique présente une galerie de personnages historiques qui le hantent.

Genre : Expérimental

Durée : 25’

Pays : Belgique

Année : 2015

Réalisation : Olivier Smolders

Scénario : Olivier Smolders

Directeur de la photographie : Jean-François Spricigo

Collages : Quentin Smolders

Montage : Olivier Smolders

Son : Marc Bastien

Interprétation : Philippe Grand’Henry

Production : Les Films du Scarabée, YUZU Productions

Article associé : la critique du film

Re:Frame – Scanning Time / Documenting Change

Le cinéma indien évoque dans un premier temps des images plutôt invraisemblables débordant de kitsch et le « mélodrame sur le mode de l’excès » comme dirait Peter Brooks. Le terme Bollywood suggère également une industrie faramineuse, la plus grosse production cinématographique du monde, exportée autant que son équivalent américain. Cependant, un certain cinéma indien a toujours évolué en marge du courant principal. Hors des sentiers battus et loin des formules populaires ou dogmatiques, celui-ci explore des narrations audacieuses et innovantes pour traduire les complexités d’une culture insaisissable, plurielle et hautement postmoderne.

Ce genre, qu’on nommera « expérimental », « parallèle » ou encore « d’art », connaît peu de diffusion en salle, relégué à de brefs circuits festivaliers, le plus souvent en dehors de l’Inde. La maison d’édition parisienne Lowave a consacré en 2009 un DVD à ce cinéma riche et méconnu regroupant sept courts métrages qui reflète l’Inde d’aujourd’hui.

Au rythme d’une berceuse hypnotique, « Endnote – Antaral » d’Ashish Avikunthak réinterprète la pièce absurde « Come & Go » de Samuel Beckett, en la transposant dans une Calcutta intemporelle et indéfinie. De la « dramaticule » originale, Avikunthak fabrique une sorte de « filmicule » en noir et blanc. Trois femmes, trois amies, Aditi, Ashwini and Kuheli, font écho aux protagonistes théâtrales Ru, Vi et Flo, elles-mêmes rappelant fort les Sœurs Fatales de « Macbeth ». Le récit se déroule autour d’une narration cyclique, ou les répliques superficielles et minimalistes se partagent entre l’un et l’autre personnage, les gestes se répètent de manière ritualiste, les jeux spontanés de l’enfance cèdent la place à une interprétation maniérée. L’artifice de la démarche est manifeste et pleinement assumé, la distanciation brechtienne poussée à son sommet. La mise en scène et l’image, quant à elles, favorisent un grand onirisme et une nostalgie.

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Avec « Bengali Tourist », Sarnath Banerjee, auteur de bande dessinée renommé, livre sa première animation, basée sur les récits de l’explorateur algérien Ibn Battuta, qui a beaucoup voyagé en Asie au 14ème siècle. Banerjee transpose le texte historique à Calcutta de nos jours, et le protagoniste Battuta est incarné en miroir par Digital Dutt, un personnage récurrent dans l’œuvre du dessinateur. L’histoire côtoie l’Histoire dans un amalgame de médiums ludiques et allègres, mêlant images en live action et dessins 2D. Une réflexion pleine d’humour noir sur le phénomène de tourisme de « consommation ».

L’artiste mondialement connue Pushpamala N est connue pour ses œuvres provocatrices, titillant les sensibilités et détournant les points de vue établis sur la question d’identité postcoloniale. Le titre de son court métrage « Rashtriy Kheer & Desiy Salad », qui pourrait se traduire comme « Dessert national et salade domestique » est bien évocateur en lui-même, et donne une synthèse parfaite des contrastes et contradictions de l’Inde d’aujourd’hui, notamment par l’hybridité « Occident/Orient » dans le mélange de plats, caractéristique de la culture urbaine.

Le récit pour ainsi dire prend la forme d’un portrait de famille, la famille idéale selon les standards indiens : père à l’armée, mère aux fourneaux et enceinte (la maternité est considérée comme un état sacré dans la société indienne), et fils coquin à souhait. Sauf que le travail de Pushpamala, loin de se conformer aux stéréotypes quelconques de genre ou d’identité, ne cesse de questionner ceux-ci.

Dans un cadre minimal (une caméra fixe qui ne joue qu’avec les grosseurs de plans), les trois personnages font tour à tour, sur un tableau noir, l’inventaire des choses qui leur tiennent à cœur (ou qui leur pèsent, dans le cas du fils) : les stratégies militaires, les recettes et techniques de préservation culinaire, le devoir scolaire,… Cet élément didactique renforce la dimension ludique de la farce pseudo-nationaliste.

En même temps, la distanciation est totale. L’image file deux fois trop vite. La bande son hyperbolique (elle aussi, trop rapide) juxtapose l’hymne national décliné en plusieurs versions (y compris celle de son compositeur, l’illustre poète Rabindranath Tagore) avec la célèbre ouverture à Orphée de Monteverdi. Les acteurs s’adressent au public imaginé (le spectateur), interrompent et reprennent leurs activités de manière aléatoire.

La réalisatrice joue avec audace entre le rendu vidéo délibérément amateur et une esthétique 35mm délibérément ratée, avec de nombreuses références aux codes visuels du cinéma muet. L’action en elle-même se situe dans les années 50. Nous sommes en pleine explosion technologique, dans une nation qui renaît à peine, après presque 200 ans de colonisation britannique. S’ajoutent au mélange d’innombrables références culturelles, politiques et historiques indiennes : du redoutable plat vindaloo à Warren Hastings en passant par les luttes entre démocrates et communistes. Le résultat est un court loufoque et chaotique, plein d’humour et d’autoréférentialité.

« Straight 8 » est un film traitant autant de l’histoire du pays que de celle du cinéma. La réalisatrice Ayisha Abraham retrace le parcours de Tom d’Aguiar, un fonctionnaire anglo-indien ayant fait carrière dans les télécommunications. Il raconte ses expériences personnelles et professionnelles à travers les décennies cruciales d’une Inde en plein bouleversement. Nous découvrons ainsi le portrait franc et émouvant de la vie indienne au moment de l’Indépendance, une époque encore épargnée des ravages du socialisme nehruvien. Par ailleurs, le regard posé par l’Anglo-indien se situe à une frontière fragile entre occupant et colonisé, appartenant à deux mondes sans vraiment pouvoir intégrer ni l’un ni l’autre.

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La démarche du film est particulière, ni fiction ni documentaire, il s’agit d’une exploration de la mémoire, sur un plan tant historique que cinématographique. Car le témoignage de Tom d’Agiuar, précis et techniquement détaillé, nous donne aussi un aperçu unique et précieux du cinéma amateur en Inde dans les années 40, qui plus est, dans le contexte très spécifique de Bangalore. Cette ville méridionale importante, surnommée Silcone Valley, incarne en quelque sorte parfaitement la dualité tradition/modernisme qui caractérise l’Inde.

Sorte de home movies avant la lettre, les fragments et extraits en pellicule 8mm filmés par Tom et ses amis présentent leur propre logique narrative et témoignent de la volonté de filmer, de capturer ou d’immortaliser le monde, alors que cette technologie venait juste de voir le jour.

L’appellation réductrice « expérimental » regroupe donc une énorme diversité de films qui ne tombent pas facilement dans les catégories de narration classique. À la lisière des genres, ces œuvres singulières et poétiques se présentent comme de savoureux moments qui divertissent, émeuvent, instruisent. N’est-ce pas finalement là que se trouve le vrai rôle du septième art ?

Adi Chesson

Re :Frame – Scanning Time / Documenting Change : Éditions Lowave