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Randall Lloyd Okita et le cinéma de l’abîme

Artiste pluridisciplinaire avec un style tout à fait singulier, le cinéaste canadien Randall Lloyd Okita explore les questions existentielles et sociétales à travers une vision très personnelle des choses. Lauréat du prix Format Court au dernier Festival Nouveau Cinéma à Montréal, son dernier film « The Weatherman and the Shadowboxer », montré à notre séance de février, se situe, à l’instar de ses films précédents, aux lisières des cinémas narratif et artistique. Un bref aperçu des œuvres clefs de la filmographie de l’auteur révèle un regard sensible, audacieux et intimiste.

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Machine with Wishbone (2008)

Le premier film qui fait remarquer ses talents est une animation déjà virtuose réalisée à partir de l’œuvre sculpturale d’Arthur Ganson. Les machines dites kinétiques de l’artiste américain ainsi que la machine-lit, une jolie invention de Randall Lloyd Okita lui-même, servent de protagonistes de ce court métrage déjanté, entre célébration d’art et éloge de science. C’est qu’en quelque sorte, Randall Lloyd Okita et Ganson sont tous deux des homines universales, artistes et savants accomplis de la Renaissance postmoderne.

Le film repose sur une recherche formelle et esthétique approfondie. Le semblant de narration consiste en l’animation d’un os dit « de bonheur » auquel se réfère le titre. Le réalisateur instaure ainsi une pseudo-piste narrative et crée une tension dramatique. La partition stéréotypée et bien appuyée renforce le décalage entre les pôles opposés d’une forme cinématographique et un fond de non-sens. Il apparaît dès lors dans l’œuvre une dimension surréaliste, « magrittesque », du genre : « Ceci n’est pas le récit d’un os de bonheur ! »

Fish in Barrel (2009)

Film psychologique explorant les questions existentielles avec une esthétique à la fois troublante et fascinante, « Fish in Barrel » se présente tel un thriller psychologique habillé en art vidéo. Le protagoniste anonyme, plongé dans un huis clos de solitude et de désarroi, élabore un mécanisme sophistiqué afin de se libérer de son ennui profond, toujours à l’aide de la sculpture kinétique vue dans « Machine With Wishbone ». Cependant, ce second film flirte plus ouvertement avec le narratif, tout en jouissant d’une poésie et d’un esthétisme accrus, sous forme d’une danse macabre chorégraphiée soigneusement et avec aplomb.

Le travail du son, d’une exécution formidable en soi, est primordial. Entre silences et bruitages, ce sont les bas-fonds mêmes de la psyché humaine qui surgissent ; ces glauques et sombres interstices où l’on se lasse de son éternelle lutte, celle entre la fuite et la confrontation à la vie, entre énergie vitale et énergie destructrice. La question fondamentale de l’existentialisme moderniste du 20ème siècle trouve ici une forme nouvelle, mise à jour.

Visuellement épuré, le film joue avec des effets spéciaux intéressants, notamment le slow motion et le bullet time mêlant photographie et montage, pour figer le temps et plonger le spectateur dans une expérience psychologique intense et étouffante.

Things I Can’t Tell You (2012)

Expérience cinématographique ambitieuse déjà par sa durée de 25 minutes, « Things I Can’t Tell You » est, comme son nom le suggère, dépourvu de toute narration manifeste. Cette œuvre qui défie toute catégorisation facile se situe à mi-chemin entre le cinéma et le vidéart, entre constat et énigme. Visuellement, le film est composé d’un diptyque de deux corps en feu (celui du réalisateur lui-même) qui s’approchent l’un de l’autre pour tenter en vain de se rejoindre. Il s’agit d’un imperceptible video loop (ou boucle) filmé ultra rapidement avec un taux de 1000 images par seconde et ensuite ralenti considérablement, le tout engendrant un curieux effet de distanciation et d’hyperréalisme. La symétrie inexorable de l’image combinée avec une lenteur exacerbée crée un effet onirique voire hypnotique.

Éloigné des codes cinématographiques conventionnels, le film explore par le biais de son formalisme les binômes complexes de l’instantané et la temporalité étirée ; de la distance et la proximité, et évoque inévitablement une portée allégorique autour de la notion de l’identité et l’altérité. D’une grande maturité, « Things I Can’t Tell You » prépare en quelque sorte l’objet hybride qui est « The Weatherman and the Shadowboxer », et témoigne d’une maîtrise parfaite du médium cinématographique, que Randall Lloyd Okita sait extraire de sa définition classique et réinventer en l’assimilant à d’autres formes artistiques.

Adi Chesson

Articles associés : la critique du film, l’interview de Randall Lloyd Okita

Nouveau Prix Format Court au Festival de Brive !

Le mois prochain, Format Court attribuera pour la deuxième année consécutive un prix à l’un des 22 films sélectionnés aux Rencontres européennes du moyen-métrage de Brive. Le Jury Format Court (composé de Georges Coste, Aziza Kaddour, Nadia Le bihen-Demmou, Marc-Antoine Vaugeois) élira le meilleur film de la compétition.

Le moyen-métrage primé bénéficiera d’un focus spécial en ligne, sera programmé lors d’une séance Format Court organisée au Studio des Ursulines (Paris, 5ème) et bénéficiera d’un DCP doté par le laboratoire numérique Média Solution.

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Compétition Européenne 2015

BOA NOITE CINDERELA de Carlos Conceiçao, Portugal

COMME UNE GRANDE de Héloïse Pelloquet, France

DER DAMM (LE BARRAGE) de Nikolaus Müller, Autriche

HORS CADRE, UNE TRILOGIE de Coco Tassel, France

IEC LONG de Joao Pedro Rodrigues et Joao Rui Guerra Da Mata, Portugal

LA TERRE PENCHE de Christelle Lheureux, France

LES ENFANTS de Jean-Sébastien Chauvin, France, Suisse

LES FLEUVES M’ONT LAISSÉE DESCENDRE OÙ JE VOULAIS de Laurie Lassalle, France

L’ÎLE À MIDI de Philippe Prouff, France

LUPINO de François Farellacci, France, Italie

MAMMA ÄR GUD de Maria Bäck, Danemark, Suède

M(MADEIRA) de Jacques Perconte, France

MON HÉROS de Sylvain Desclous, France

MOTU MAEVA de Maureen Fazendeiro, France

MUTSO, L’ARRIÈRE-PAYS de Corinne Sullivan, France, Géorgie

NOCTURNES de Matthieu Bareyre, France

NOTRE DAME DES HORMONES de Bertrand Mandico, France

PETIT HOMME de Jean-Guillaume Sonnier, Suisse

PETIT LAPIN de Hubert Viel 2015, France

SOUVENIRS DE LA GÉHENNE de Thomas Jenkoe, France

TON COEUR AU HASARD de Aude Léa Rapin, France

VOUS QUI GARDEZ UN COEUR QUI BAT de Antoine Chaudagne et Sylvain Verdet, France

Giacomo Abbruzzese : « Transfigurer la réalité m’intéresse plus que la capturer »

Ancien du Fresnoy, Giacomo Abbruzzese a voyagé dans un sens comme dans l’autre avant de poser ses valises à Paris, il y a quelques années. Auteur de plusieurs courts, il a réalisé « Stella Maris », un film qui nous a beaucoup intéressés à Brest et à Villeurbanne (où il a eu une Mention spéciale du Jury Format Court). Au début de l’année, nous l’avons rencontré pour un long entretien aux abords du Canal St-Martin. Au cours de cette discussion, le réalisateur italien est revenu sur son parcours, ses envies de cinéma politique, son goût pour les personnages étrangers et les récits épiques, son travail avec les acteurs ainsi que son intérêt pour la prise de risques et l’inattendu.

Format Court : Tu es italien, tu vis en France depuis cinq ans. Ces dernières années, à fois que tu as tourné un film, tu l’as fait dans un pays différent, mais avec une production française. « Archipel » a été tourné en Israël et Palestine, « Stella Maris » et « Fireworks » se sont faits en Italie, « This is a Way » a été réalisé aux Pays-Bas. Qu’est-ce qui te donne envie d’aller tourner dans des pays différents ? Penses-tu qu’un jour, tu tourneras en France ?

Giacomo Abbruzzese : J’ai besoin d’un peu plus de temps pour tourner les films que je voudrais faire en France. J’ai un rapport très fort à ce pays. J’aime beaucoup le cinéma français des années 60- 70 ; la nouvelle vague m’a formé autant que le cinéma italien. J’aime beaucoup la littérature française de la première moitié du XX siècle, notamment Céline, Camus. Je ne pourrais pas faire un film en France avec une certaine légèreté.

Pourquoi ?

G.A : Les réalisateurs français sont tellement nombreux. Je veux raconter et filmer quelque chose qui a du sens, faire un film parce que je dois le faire et pas le déléguer à quelqu’un qui est né ici.

En même temps tu fais des films en Italie alors que tu as d’importantes références italiennes…

G.A : Oui, mais c’est mon pays. Je cherche à trouver ma voie, ma place, à prendre possession d’une autre langue, d’une autre culture, à les traduire en langage cinématographique. Un des longs métrages que je prépare se passe en France, mais c’est un film sur des jeunes étrangers, sur la Légion étrangère. Ça a un rapport avec ma personne. Je suis étranger en France. Quand j’écris, il m’est plus facile d’imaginer des dialogues pour des étrangers que pour un français. Imaginer le point de vue d’un étranger en France est plus facile pour moi que celui d’un Français en France.

Ce que tu me dis me fait penser à ton film « Archipel » où tu t’intéresses au point de vue d’un palestinien en Israël, filmé comme un étranger.

G.A : Souvent dans mes courts, les protagonistes sont des étrangers. Dans mes longs-métrages, ce sera aussi le cas. Le point de vue d’un outsider me fascine beaucoup plus que celui d’une personne de l’intérieur. De nombreux films et livres m’ont toujours hanté sur cette question-là.

Comme lesquels ?

G.A : Par exemple, « Teorema » de Pasolini ou « L’Étranger » de Camus. La question de l’étranger dans le sens le plus large m’intéresse. J’ai aussi toujours été fasciné par la littérature mineure, écrite par des étrangers dans des langues majeurs, comme ce fut le cas de Kafka par exemple.

Quand tu évoques l’étranger, cela me fait penser à « Fireworks » dans lequel chaque personne parle sa propre langue (le grec, le français, l’arabe, l’italien…). Pourquoi as-tu souhaité travailler avec des comédiens de langues et cultures différentes ?

G.A : D’un coté, j’aime beaucoup travailler avec des acteurs qui viennent d’un peu partout. De l’autre, je change souvent de langue dans une même journée par nécessité. L’histoire de « Fireworks » touchait un sujet très controversé qui se passait dans ma ville d’origine. Que faire de la plus grande industrie sidérurgique d’Europe qui empoisonne toute une communauté mais qui lui fournit en même du travail ?

À l’époque, personne n’avait abordé ce sujet, après le film, ça a explosé. Il est devenu un film-manifeste pour le mouvement écologiste de ma ville. Des gens utilisaient des images du film comme profil Facebook, lorsque le film était projeté, même à minuit, la salle était toujours pleine, c’était vraiment très, très fort pour un court métrage. Ils le considéraient comme un acte politique, car j’y filmais un groupe d’éco-terroristes, solidaires des ouvriers, à la manière des Brigades internationales pendant la guerre civile espagnole.

Dans tes films, on ressent fort l’idée de la révolte. Pourquoi y a-t-il toujours un lien à l’explosion, à l’attentat, au feu d’artifice ?

G.A : Avant de faire des films politiques, j’essaie de les faire politiquement. Souvent, mes films sont tournés dans des lieux dont l’accès est interdit, avec une sorte de démarche antagoniste. Rien que ce fait-là peut provoquer une autre forme de jeu chez les acteurs car on est en train de faire un happening. Sur le tournage de « Fireworks », des voitures de police nous plaquaient contre le sol à la fin d’une scène, sur « Archipel », nous avons échappé plusieurs fois à l’armée israélienne. Il y a toujours un hors-champ dans mes films et c’est aussi à travers lui que je crée et obtiens une autre façon de jouer. Je m’installe dans quelque chose qui est à la fois de l’ordre du théâtre et de la performance.

L’engagement et la conviction sont nécessaires dans tes propositions de réalisateur ?

G.A : Je viens d’une famille très modeste, ce qui n’est pas non plus commun chez les réalisateurs ou les artistes. Je vois souvent des films sur les pauvres ou sur les ouvriers avec un regard misérabiliste et folklorique. Moi, j’essaie de les filmer autrement. Mes personnages ont envie de tout, ils ont faim, ils ne sont pas résignés. C’est pour ça que j’essaie de faire des récits épiques. Je n’aime pas les films bienveillants qui nous confortent dans nos idées. J’essaie de créer un trouble dans nos certitudes, de faire des films qui divisent, de pousser l’engagement dans des territoires où il ne peut plus y avoir de consensus, où les contradictions se révèlent. Mais ce ne sont pas des films réalistes, plutôt des films qui travaillent sur l’imaginaire.

Tes films sont à chaque fois des fictions. Tu aurais pu t’essayer au cinéma direct, engagé. Pourquoi n’as-tu pas fait de documentaires ?

G.A : J’ai fait un documentaire cette année, « This is The Way ». Je travaille aussi sur un autre documentaire sur le street art. En même temps, transfigurer la réalité m’intéresse plus que la capturer. Je pars de la réalité, mais ensuite je vais vers autre chose. Ce qui m’angoisse parfois dans le documentaire, c’est ce discours de vérité alors qu’avec l’image, tu peux travailler avec le faux. C’est plus puissant. Je n’ai pas de message univoque ni de leçons à donner.

Tu as bien des choses à exprimer.

G.A : Oui, mais j’aimerais qu’avec mes films, les spectateurs fassent une promenade libre, un voyage dans une architecture que j’aurai imaginé…

Tu m’as dit que dans ta famille, on ne faisait pas forcément de films…

G.A : Ma mère est secrétaire, mon père est employé à la mairie. Il n’y avait pas d’artistes chez nous. J’ai été le premier de toute ma famille à être allé à la fac. Quand je faisais mes études à Bologne, je suis allé à un festival qui projetait des films d’écoles européens, dont des films du Fresnoy. J’y ai vu un film d’un réalisateur chilien, Enrique Ramirez, qui m’a marqué. Là, j’ai compris qu’il fallait faire une école. Je n’avais pas fait grand-chose à montrer à l’époque, seulement des films faits avec des copains, programmés dans quelques petits festivals. Je n’avais pas de dossier assez solide pour tenter une école comme le Fresnoy. À ce moment-là, j’ai eu la chance de partir en Palestine comme assistant réalisateur. Le projet devait durer dix jours, j’ai fini par y rester un an et demi. Ça a déclenché une expérience incroyable qui m’a beaucoup marqué personnellement mais aussi professionnellement. À la fin, je suis devenu directeur artistique de la télévision publique en Palestine et j’enseignais le scénario à l’école d’art de Bethléem. À la fin, je suis parti et j’ai postulé au Fresnoy avec les projets d’ « Archipel » à tourner entre Israël et la Palestine et de « Fireworks » qui se passait dans ma ville d’origine.

Pourquoi avoir tenté cette école, bien moins classique qu’une autre ?

G.A : Je viens du cinéma expérimental, je me sentais plus dans une démarche Fresnoy que dans une démarche Fémis. Après, je souhaitais être dans une école internationale. Au bout du compte, j’ai fait peut-être le film le plus narratif de l’histoire du Fresnoy, « Fireworks », mon film de fin d’études. Il ne correspondait pas au « moule » plus hermétique de l’école.

Ce n’est pas évident, l’hermétique. Personnellement, je trouve que « Stella Maris » est film le plus accessible que tu aies fait.

G.A : Je voulais essayer de faire un film qui soit vraiment narratif. Mes grands amours au cinéma sont liés aux films de Godard, mais j’apprécie de plus en plus la complexité de raconter un récit, comme le font Scorsese ou James Gray. J’essaye maintenant de travailler beaucoup plus sur le récit en me laissant des libertés d’expérimentation. En tant qu’artiste, je sens le sens le devoir constant de chercher des choses nouvelles dans les images et dans leur façon de raconter des histoires. De l’autre côté, j’ai envie que le public puisse suivre mes histoires. Je veux faire des films que même ma famille peut voir.

Si on évoque « Stella Maris », qu’as-tu eu envie d’y raconter ?

G.A : Dans un certain sens, « Stella Maris » est un film chrétien, même si je ne suis pas croyant. Il aborde le mystère, le pardon, la confession. J’avais envie aussi de parler des traditions immuables qui se répètent depuis des siècles et du monde qui change tout autour. C’est aussi un film tragi-comique, un challenge pour un court métrage de moins de trente minutes de travailler sur les deux bords.

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Le film frappe par sa musique très forte, très peps. Est-ce que pour toi, l’expérimentation passe aussi par la musique ? Est-ce que ça te permet d’exprimer un autre message ?

G.A : Mes films représentent aussi mes goûts. J’ai des goûts très hétérogènes, que ce soit dans le cinéma ou la musique. Ca ne m’intéresse pas de faire des films trop cohérents en terme de style. Ça risque de devenir une griffe d’auteur. Je suis quelqu’un d’assez incohérent, donc j’aime que mes films avancent par ruptures, par juxtapositions et du coup, j’essaie de travailler sur des glissements de ton, de style, plutôt que sur une idée de continuité, d’homogénéité. J’aime surprendre le spectateur. Avec ce projet, je savais dès le debout que je voulais faire un film sur la Madone que ça se terminerait en techno !

C’est une forme de petit coup d’état.

G.A : Oui !

Le trouble, la rupture, ce sont des choses que tu as pu expérimenter au Fresnoy ou pas ?

G.A : Au Fresnoy, l’expérimentation, tu l’as fait souvent par toi-même. Il y a bien des commissions à passer, des moments où tu es sous pression, mais la meilleure chose de l’école, c’est que tu peux faire plus ou moins ce dont tu as envie. Après, ça dépend de ta détermination en tant que réalisateur, mais on ne va jamais te censurer, on va te laisser faire. Chaque école a son identité mais après, on est des artistes, on ne doit pas respecter les dogmes de style internes, c’est la dernière chose qu’on doit faire.

Tu as fait deux courts métrages (« This is the Way », « Stella Maris ») avec La Luna Productions. Qu’est-ce qui t’a donné envie de travailler avec Sébastien Hussenot ?

G.A : Notre première rencontre a était assez improbable, elle a lieu au Festival de Dubaï ! On a commencé à parler de « Stella Maris » mais comme c’était un court métrage très complexe et cher qui demandait beaucoup de travail, j’en ai eu assez à un moment d’attendre les fonds et j’avais envie de tourner. J’ai proposé à Sébastien de me donner un budget de 5000 euros pour faire un film en deux mois, du tournage au mixage. C’est devenu « This is the Way ». Je me suis demandé quel outil mon personnage pouvait utiliser pour se filmer et j’ai choisi un téléphone portable. C’est le film où je m’affiche le moins en auteur, où je m’efface le plus derrière la vie de mon personnage.

Tu as fait une apparition dans « Toujours moins », un film de Luc Moullet. Tu n’as pas envie de passer devant la caméra ?

G.A : Jamais dans mes films. J’ai déjà assez de choses à penser quand je tourne. J’ai joué parfois dans les films d’amis, mais je ne pense pas être un acteur. Après, quand tu aimes le cinéma, tu aimes les tournages, et jouer dans un film, c’est être sur un tournage.

Finalement, en faisant autant de courts métrages, as-tu l’impression d’avoir appris à faire du cinéma ?

G.A : Oui, je pense que l’on apprend à faire des films en en faisant. C’est indispensable. Je ne comprends pas comment font certaines personnes qui attendent des années pour pouvoir financer leur long et qui ne font plus rien entre temps. Moi, j’ai besoin de filmer, de faire constamment des films, dont des courts métrages. On apprend de nos erreurs.f Les vrais lieux d’apprentissage sont l’écriture, le tournage, le montage. Ça, c’est la vraie école de cinéma. La plupart des choses que j’ai apprises a eu lieu pendant la réalisation de mes films. Même s’il n’y a pas de financement, il ne faut pas attendre qu’il arrive. Il faut, surtout au début, tourner avec des amis, faire des choses même si ratées pour pouvoir comprendre où on s’est trompé et où on peut s’améliorer.

Comment procèdes-tu pour l’image et le montage ? Ils participent à l’écriture et à la perception de tes films.

G.A : Les gens qui lisent mes scénarios y voient déjà les images du film. Ils sont très précis, très visuels. Quand je travaille sur un film, je m’occupe du cadre souvent. Je ne suis pas le genre de réalisateur qui laisse le chef op se débrouiller et qui ne travaille qu’avec les comédiens. Un film, c’est avant tout des images. Le directeur photo, c’est quelqu’un avec qui j’aime me confronter, mais je ne veux pas déléguer. Comme pour le montage, je suis tout le temps là. J’ai besoin d’être plongé dans le film pour trouver ce que je cherche. Mais en tant que réalisateur, j’essaie d’éviter de tout vouloir contrôler, j’aime aussi me perdre, trouver l’inattendu. C’est pour ça que je tourne souvent à l’extérieur, parce que la réalité peut toujours me surprendre.

Un jour, mon monteur m’a dit que je tournais exactement ce que j’allais monter. Je ne fais pas de plans de secours. Parfois, bien sûr, c’est très risqué, tu peux avoir un problème au montage, tu as besoin d’un raccord de plus, ça peut aider. Mais je pense qu’au cinéma, il faut prendre des risques et donc faire des choix.

Propos recueillis par Katia Bayer

Article associé : la critique du film

Nashorn im Galopp de Erik Schmitt

En novembre 2014, l’équipe de Format Court remettait pour la troisième année consécutive son prix au Festival du film court de Brest. « Nashorn im galopp » d’Erik Schmitt, un court-métrage d’animation et de fiction allemand, avait séduit notre jury par sa singularité.

Bruno, jeune homme d’une petite trentaine d’années, « vit comme un robot », il « se promène dans la ville avec des idées plein la tête mais qu’il ne partage jamais » avec les autres. Ce sont ses mots. Il croit au Genius Loci, locution latine signifiant l’esprit du lieu. Berlin aurait une âme, matérialisée ici sous forme de serpent, et laisserait des messages à ses habitants prêts à les recevoir. Un jour, alors que Bruno d’humeur un peu maussade se questionne sur les rapports que chacun entretient avec sa ville, celle-ci semble soudainement vouloir le mener quelque part. S’ensuit alors un parcours dans la ville, allant d’indices en indices, jusqu’à la rencontre avec Vicky, jeune femme excentrique qui paraît être sur la même longueur d’onde que lui et avec qui il va enfin pouvoir partager ses pensées. 002 Ce court-métrage empli de poésie urbaine s’inscrit dans une époque où le street art se développe de manière considérable dans le monde. La ville devient un espace d’expression pour de nombreux artistes. Ceux-ci jouent souvent avec les éléments insignifiants qui la composent pour les transformer en œuvre d’art, faisant ainsi ressortir aux yeux de ses habitants, qui d’ordinaire « la piétinent comme une horde de rhinocéros au galop» (« nashorn im galop » en allemand, d’où le titre), la beauté secrète dont elle regorge.

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Ici, la poésie d’Erik Schmitt est rendue par la pixilation, technique qui consiste à animer image par image des acteurs ou des objets. En usant de collages et de superpositions d’images, il joue principalement sur les échelles de tailles et les effets d’optique. En mettant ses doigts juste devant l’objectif, il fait mine par exemple de pouvoir tenir les toits de Berlin en arrière-plan. En superposant deux images à l’échelle de plan différente au montage, il fait alors de Bruno un petit personnage haut comme trois pommes qui chatouille les aisselles de Vicky. Entre la voix-off de Bruno qui fait part de ses pensées, des enchainements de musique classique et de musique punk, des dialogues très ponctuels et des bruitages accentués, la bande-son participe aussi au lyrisme de ce film.

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La filmographie d’Erik Schmitt (« Forever Over », « Telekommando », « Now follows ») déborde de poésie exaltante. Ses films nous emportent dans des univers d’apparence gais et légers mais en fait profondément philosophiques. Dans « Nashorn im galopp », l’humour délicat et les métaphores visuelles invitent le spectateur à s’interroger sur la place qu’il a dans une société de plus en plus individualiste où les relations entre les gens perdent de leurs valeurs. Son œuvre n’est pas sans rappeler les débuts de Michel Gondry qui a souvent eu recours aux mêmes types de procédés filmographiques pour transporter ses spectateurs dans un monde empreint de douceur dans lequel ils peuvent s’oublier le temps d’un film.

Zoé Libault

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N comme Nashorn im Galopp

Fiche technique

Synopsis : Bruno erre dans les rues de Berlin, la tête pleine d’interrogations, à la recherche de ce qui se cache derrière les innombrables façades et édifices. Il cherche à saisir l’âme de la ville, ce petit quelque chose que les autres ne remarqueront peut-être jamais. Au moment où il s’y attendait le moins, il rencontre une alliée.

Genre : Fiction, animation

Durée : 15′

Réalisation : Erik Schmitt

Année : 2013

Pays : Allemagne

Scénario : Erik Schmitt

Image : Johannes Louis

Montage : Erik Schmitt

Musique : Nils Frahm, David Nesselhauf

Son : Elia Brose

Interprétation : Tino Mewes, Folke Renken, Marleen Lohse

Production : Detailfilm

Article associé : la critique du film, l’interview de Erik Schmitt

D comme Disorient

Fiche technique

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Synopsis : Polyphonie de récits de migrants retournés vivre dans leurs pays d’origine après avoir longtemps vécu à l’étranger. Qu’ils soient Vietnamiens, Iraniens, Chinois, Pakistanais, académiciens, travailleurs contractuels, réfugiés politiques, entrepreneurs, étudiants,… ils ont tous été confrontés à une même expérience : celle du retour au pays. Expérience marquante, vécue parfois tel un nouveau exil ou comme un retour chez soi, les protagonistes ont aussi en commun la capacité d’analyser et de raconter avec humour, distance et d’une façon vivante leur parcours de vie marqués de départ(s) et du retour.

Genre : Documentaire

Année : 2010

Durée : 36′

Pays : Belgique

Réalisation : Laurent Van Lancker et Florence Aigner

Production : Atelier Graphoui

Article associé : la critique du film

Coup de projecteur sur le Collectif Comet

Les regroupements de jeunes cinéastes et techniciens en associations font florès dans le milieu du court-métrage. On ne compte plus les collectifs et autres groupes de créateurs en activité, pour des périodes plus ou moins longues, à Paris ou en région. Il est néanmoins nécessaire de tourner son regard vers ces associations de temps en temps car elles constituent un vivier de jeunes talents plus que prometteurs qu’il est important d’identifier et de promouvoir à leurs débuts. Le Collectif Comet, qui s’est rendu à Bruxelles ces derniers jours pour présenter une rétrospective de son travail, est l’une d’entre elles.

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Cette association de jeunes créateurs, réalisateurs pour la plupart, s’est constituée en 2010 sur les bancs de la prépa nantaise Ciné-Sup où les membres fondateurs du collectif se sont rencontrés. Portés par une envie irrépressible de tourner, ces jeunes étudiants se sont emparés du matériel de l’école et sont partis tourner une poignée de courts-métrages à l’arrache en parallèle de leurs études, s’improvisant cadreurs, perchmen ou acteurs selon les besoins. Ce qui aurait pu ne rester qu’un club d’étudiants sévissant le temps d’un cursus a cependant débordé le cadre de l’université nantaise. Une fois leur diplôme en poche, les membres du collectif se sont dispersés pour poursuivre leurs formations respectives dans diverses facultés, sans perdre pour autant le goût de faire l’école buissonnière et de se réunir régulièrement pour tourner des films, animés par cette même envie d’expérimenter mais soucieux «également de franchir les étapes d’une professionnalisation qui assiérait leur exigence grandissante.

À Bruxelles, un autre collectif accueillait ces cinéastes et leurs films : le Collectif en Rumsteek, groupe de jeunes gens qui ont investi récemment un local de banlieue pour en faire un lieu alternatif. C’est dans leur immense salon transformé en salle de cinéma que s’est déroulée la projection, dans une atmosphère festive face à un public venu en nombre et particulièrement communicatif. Trois projections se sont ainsi succédées tout au long de la soirée, avec deux programmes regroupant chacun trois courts-métrages suivis de la projection du premier long-métrage produit par le Collectif Comet, « Trois contes de Borges » de Maxime Martinot, film qui a commencé une belle carrière en festival (en remportant deux prix lors de la dernière édition du prestigieux FID Marseille) et qui fait l’objet d’une projection ce mardi 3 mars au Cinéma L’Archipel dans le cadre des “Rencontres avec le jeune cinéma français”.

Des origines du collectif, un aperçu nous est donné dans le premier programme de courts-métrages de la soirée qui fit le grand écart entre retour au source et dernier crû, réunissant des productions plus anciennes et des films tout juste sortis du moule (dont le très drôle et cruel « J et le poisson » de Cécile Paysant, film d’animation découvert en début d’année au festival Premiers Plans d’Angers). « L’Horizon des événements » de Jeanne Cousseau, tourné en 2012, nous invite de son côté à une déambulation nocturne dans les rues de Nantes où une caméra portée suit, bringuebalante, l’itinéraire incertain d’un énigmatique jeune homme à travers les rues de la ville. De ce premier jet très « roots », l’on devine les conditions de tournage amateur et bon enfant d’alors, porté par un besoin d’expérimenter, de se jeter dans le bain de la fabrication coûte que coûte au prix d’une opacité intrinsèque à toutes ces esquisses que l’on réalise d’abord pour soi. La vision de ces protagonistes tournant leurs regards vers le ciel pour apostropher les étoiles renseigne peut-être sur les origines du nom du collectif en même temps qu’elle contient déjà l’ambition de regarder plus loin, de poursuivre un geste de cinéma initié dans la fragilité et l’incertitude.

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Deux autres réalisatrices membres du collectif, Lana Cheramy et Camille Polet, s’amusent à déshabiller les garçons et à les jeter dans la moiteur de l’été, tirant profit de parenthèses estivales toujours propices aux tournages entre amis. « Presque une île » (Cheramy) et « On n’attend plus les martiens » (Polet) font à chaque fois le récit de retrouvailles, tantôt douloureuses tantôt festives de jeunes hommes le temps d’une brève embellie. D’un coté, Cheramy conte le retour dans son village natal d’un jeune homme parti vivre à Paris et ses retrouvailles avec un ami d’enfance resté sur place, abandonné à sa solitude et à ses tourments. Ce récit d’un amour contrarié émeut par l’économie que la réalisatrice fait des dialogues et des situations, s’attachant à filmer ces corps adolescents rejouant une intimité brisée par l’éloignement. Ellias et Bob, le rat des villes et le rat des champs, ne trouvent plus la force de rire ni les mots pour se parler, et déplacent leur malaise pour occuper le temps. L’importance donnée aux lieux et à l’inscription géographique des corps pose la qualité première de nombreux films produits par le collectif : une attention toute particulière accordée aux décors, une propension à élargir le cadre pour tirer profit de la ciné-génie des territoires investis, démarche essentielle et malheureusement absente d’un large pan de la production de courts-métrages.

Le film de Camille Polet représente le pôle joyeux du moyen-métrage de Cheramy où la mélancolie invite à se prémunir de la tristesse en rejouant aux jeux de l’enfance. Si les deux frères du court-métrage de Polet ont cessé d’attendre les martiens, c’est parce qu’ils ont compris qu’ils doivent libérer leur fantaisie une dernière fois avant de débarquer dans le monde des adultes. La narration décousue présente ainsi une succession de saynètes impressionnistes, comme autant de vignettes extraites des souvenirs de l’enfance rejoués pour la dernière fois. Baignades, jeux insouciants et confidences murmurées au pied des tentes de camping composent ces vacances idéales qui s’achèvent par la fabrication d’une carte des étoiles vers laquelle les frères tournent leur regard. Un éloge du bricolage qui rejoint une pratique du cinéma comme artisanat où le manque de moyens pousse à inventer des solutions avec des bouts de ficelles.

Heureusement, les parenthèses estivales et leurs invitations aux jeux ne sont pas uniquement l’apanage des jeunes gens, comme le prouve le court-métrage de Benjamin Hameury « Les voisins », projeté également au cours de cette soirée. Le jeune cinéaste, membre très prolifique du collectif tant par sa capacité à jongler avec différentes casquettes (réalisateur, monteur, acteur) qu’à maintenir une cadence obstinée dans le tournage de ses propres projets, élabore un film surprenant en plaçant au centre d’une intrigue pseudo-policière les habitants d’un quartier résidentiel réservé aux personnes du troisième âge. Cette communauté de retraités, apprenant au début du film qu’un bagnard s’est échappé de la prison située sur une île voisine et craignant l’infiltration de cet intrus dans leur quartier, s’organise alors en milice d’auto-défense.

Une fois ce postulat établi, le cinéaste déplie patiemment son récit avec un goût certain pour les digressions, chacun des personnages creusant son obsession dans son coin et ouvrant une multitude de sous-intrigues n’appelant pas nécessairement à des résolutions. C’est ici que réside la force du film, dans ce relâchement joyeux qui invite le spectateur à se prêter au jeu de ces petits vieux et à s’adonner au plaisir de piétiner sur place, le souci qu’ils affichent d’élaborer des stratégies et de mener l’enquête valant plus pour l’agitation qu’il provoque que pour les éventuelles réponses qu’il apporterait. En laissant dans le hors-champ toutes certitudes quand à la réalité d’une menace extérieure, Hameury ne borne son film à aucun genre et permet aussi bien à la comédie qu’au fantastique de filtrer par les jointures d’un scénario ludique, mis au service avant tout de la bonhomie et de la fantaisie de ces acteurs amateurs.

« Staub », le dernier film du programme réalisé par Léo Richard, synthétise bien le sentiment éprouvé au sortir de cette projection. Ce (très) court-métrage horrifique conte la trajectoire d’un jeune homme dont l’image est capturé par un groupe de vidéastes vampires pour être ensuite ingérée et mise en relation avec des plans extraits de classiques du cinéma (« Nosferatu », « Vampyr », « M le maudit »). Le film parvient à concilier en un temps record deux mouvements, celui d’un hommage aux plus illustres figures de la cinématographie en même temps qu’une récupération ludique de ce matériel pour produire un objet neuf.

La vision de ces jeunes gens (campés par les membres du collectif eux-mêmes) triturant leurs appareils et leurs instruments de musique dans cette petite chambre pour accomplir leur dessein renvoie malicieusement à la position de ces jeunes cinéastes, faisant feu de tout bois et élaborant leurs films en groupe, dans une conception artisanale du cinéma portée avant tout par le plaisir.

Le Collectif Comet n’a pas fini de sévir, et alors que ces jeunes gens s’apprêtent à achever leurs cursus respectifs et à quitter l’école pour se jeter dans la jungle du cinéma professionnel, la transformation de leur collectif en maison de production pourrait valoir comme transition idéale. Affaire à suivre.

Marc-Antoine Vaugeois

Découvrez « Feast », le court métrage de Disney récompensé aux Oscars !

Il y a quelques jours, « Feast », le premier film de Patrick Osborne, produit par Disney, a remporté l’Oscar du Meilleur court-métrage d’animation. Le film accompagne le long-métrage « Big Hero 6 » (lui aussi oscarisé), sorti en salles le mois passé.  Nous vous proposons de le découvrir/retrouver en ligne dès aujourd’hui.

Synopsis : L’histoire de la vie sentimentale d’un homme vue à travers les yeux de son chien, Winston, et révélée au gré des plats qu’ils partagent.

Pour en savoir plus sur le film et l’intérêt porté par Disney pour le court-métrage, consultez notre interview de l’équipe du film (Patrick Osborne, réalisateur, Jeff Turley, directeur artistique et Kristina Reed, productrice)

Prochaine Soirée Format Court, Best of Brest !

Pour la troisième année consécutive, Format Court accueille le Festival Européen du Film Court de Brest pour un Best of Brest ! Cette séance spéciale se tiendra le jeudi 12 mars prochain, dès 20h30, au Studio des Ursulines (Paris 5e) en présence de nos invités : Massimiliano Nardulli, programmateur du festival, l’équipe de « Sans les gants » de Martin Razy mais aussi Erik Schmitt, réalisateur de « Nashorn im Galopp » (Allemagne), lauréat du dernier Prix Format Court, remis en novembre 2014.

Programmation

Ja, Vi Elsker
 (Yes, We Love) d’Hallvar Witzo (Fiction, 14’30, 2014, Norvège, Hummelfilm AS). Mention spéciale du Jury au Festival de Cannes 2014, Prix Shorts TV (Compétition OVNI) au Festival de Brest 2014, Prix du public au Festival d’Angers 2015


Synopsis : Quatre générations, chacune en crise, aux quatre coins de la Norvège le jour de la fête nationale.

Hjonabandssela (Chum) de Jörundur Ragnarsson (Fiction, 15′, 2014, Islande, Dorundur, SagaFilm). Meilleur court métrage Islandais 2015, sélectionné au Festival des Films du Monde 2014 (Montréal)

Synopsis : Deux amis de toujours vont voir leur petite vie tranquille perturbée lorsqu’une superbe femme pulpeuse de leur âge les rejoint dans le jacuzzi.

Article associé : la critique du film

Reizigers in de Nacht (Travellers into the Night)
 d’Ena Sendijarevic (Fiction, 9’46, 2013, Pays-Bas, Netherlands Film Academy). Prix du jury jeune au Festival Les Enfants Terribles 2014 (Belgique) & au Festival Tous Courts 2014 (France)

Synopsis : Une femme travaille dans une station service, toute seule, la nuit. Des gens qu’elle ne connaît pas font étape dans son monde et en ressortent, encore et encore, la laissant seule dans sa petite bulle. Jusqu’à cette soirée, où un drôle d’étranger fait son apparition.

Article associé : la critique du film

Sans les gants de Martin Razy (Fiction, 18’30, France, 2014, Pharos Productions). Prix Beaumarchais au Festival de Brest 2014, en sélection au Festival d’Aubagne 2015. En présence de l’équipe

Synopsis : Dylan est un jeune boxeur prometteur. Il apprend coup sur coup que Samia la fille dont il est amoureux trouve qu’il fait gamin et qu’il ne peut pas participer au championnat dont il rêve car trop jeune. Dylan décide de grandir.

Articles associés : la critique du film, l’interview du réalisateur

I’ve Been A Sweeper de Ciarán Dooley (Fiction, 12’15, Irlande, 2014, DIT School Of Media). Sélectionné au Festival de Belfast 2015 et au Cork Film Festival 2015

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Synopsis : Un balayeur nettoie les planchers des pubs emblématiques de Dublin le dernier jour de sa vie.

Article associé : la critique du film

Nashorn im Galopp d’Erik Schmitt (Fiction, Animation, 14’59, Allemagne, 2013, Detailfilm). Prix Format Court & Mention spéciale du jury jeune au Festival de Brest 2014. En présence du réalisateur

Synopsis : Bruno erre dans les rues de Berlin, la tête pleine d’interrogations, à la recherche de ce qui se cache derrière les innombrables façades et édifices. Il cherche à saisir l’âme de la ville, ce petit quelque chose que les autres ne remarqueront peut-être jamais. Au moment où il s’y attendait le moins, il rencontre une alliée.

Articles associés : la critique du film, l’interview du réalisateur

En pratique

Jeudi 12 mars 2015, à 20h30. Accueil : 20h

– Durée de la séance : 84’

– Studio des Ursulines : 10 Rue des Ursulines, 75005 Paris

– Accès : RER B Luxembourg (sortie rue de l’Abbé de l’Épée), Bus 21, 27 (Feuillantines), 38 ou 82 (Auguste Comte), 84 ou 89 (Panthéon). Métro le plus proche : Ligne 7, arrêt Censier Daubenton (mais apprêtez-vous à marcher un peu…)

Entrée : 6,50 €

Réservations vivement recommandées : soireesformatcourt@gmail.com

Figs in Motion de Trevor Anderson

Expérimental, 8′, Canada, 2010, Dirt City Films

Synopsis : Deux hommes se transforment en ballerines à tête de cheval et tutu, pour un ballet aussi bestial qu’impromptu.

En 2010, à l’occasion de l’exposition Edgar Degas « Figures in Motion », la Art Gallery of Alberta (Edmonton, Canada) passe commande au réalisateur Trevor Anderson. Cela donne naissance à « Figs in Motion », une petite perle d’improvisation filmée en caméra super 8. Deux hommes en tenue de ballerine s’adonnent à des entrechats chaotiques accompagnés au piano. Après une pause cigarette et bourbon, ils dansent, coiffés de tête de chevaux sur un morceau punk rock. Le tout en fumant des nasaux. Le cadre est décomposé en trois cases aux images identiques, en noir et blanc, d’abord synchrones, puis décalées dans le temps et finalement différentes. Cette décomposition du mouvement rappelle le travail d’Eadweard Muybridge. Rien d’hasardeux dans ce rapprochement entre les danseuses impressionnistes et les prises de vue équestres du photographe : Degas s’est intéressé de près aux études argentiques de ce dernier.

Nos deux petits rats de l’opéra cultivent ici l’art de la chute (au sens propre), accentué par le retard temporel et la répétition dans les trois cadres. Le contraste obtenu par leur travestissement est délectable, leur corps tout de poils et de barbes jouent de ces charmants tutus et collants. Grâce burlesque ou gaucherie délicate pour cet objet clownesque ? Une parfaite jouissance de l’absurde.

Juliette Borel

À la rencontre du jeune cinéma français : Maxime Martinot, mardi 3 mars, 20h30 au cinéma l’Archipel

Après avoir diffusé les courts-métrages de Shanti Masud et de Frédéric Bayer-Azem, L’Archipel accueillera le premier long-métrage inédit en salles de Maxime Martinot, « Trois contes de Borges » dans le cadre du cycle « À la rencontre du jeune cinéma français », réalisé en partenariat avec Format Court.

Les « Trois contes de Borges » mettent à l’oral trois textes du célèbre écrivain argentin, publiés en 1975 : El otro, El disco et El libro de arena. Trois contes fantastiques où se monnaient les objets de l’éternité qui, à portée de main, mettent en péril nos rapports au temps, à l’image, au langage.

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Réalisé dans une grande liberté et grâce au concours d’une multitude de jeunes techniciens encore étudiants, ce premier long-métrage de Maxime Martinot produit par le Collectif Comet est une oeuvre résolument atypique, de par son format (le film est intégralement tourné en 16 mm) et son modèle économique (trois sessions de tournages correspondant chacune à l’un des trois contes) dans un premier temps. Ensuite, parce qu’il témoigne de l’exigence d’un jeune réalisateur attentif aux mouvements de la nature, à la puissance de la parole et soucieux de développer une véritable écriture cinématographique, geste rare et précieux qui s’inscrit parfaitement dans la ligne éditoriale de ces rencontres.

À l’issue de la projection, le cinéaste dialoguera avec Marc-Antoine Vaugeois (rédacteur à Format Court).

Programme : Trois contes de Borges (2014)

Durée : 1h17

Infos : Cinéma L’Archipel : 17 boulevard de Strasbourg – 75010 Paris M° 4, 8, 9 Strasbourg St Denis/Château d’eau /Bonne Nouvelle

Tarifs

– 8 € / plein
– 6,5 € / réduit (étudiants, demandeurs d’emplois, plus de 60 ans sur justificatif sauf week-end et jour de fête)
– 4 € pour les – de 14 ans

Lost in Chinatown

Invité d’honneur de la trente-septième édition du festival du court métrage de Clermont-Ferrand, l’Empire du Milieu s’y est offert une rétrospective de six programmes rassemblés sous le titre évocateur de « Apprivoiser le dragon », composée de pas moins de vingt-neuf courts métrages de fictions, d’animation et de documentaires.

Les films programmés à Clermont-Ferrand offraient un portrait composite de la Chine contemporaine où l’attachement aux valeurs traditionnelles côtoyait le besoin frénétique de liberté. Au cœur des films, on a été frappé de retrouver en filigrane un goût prononcé pour des histoires atypiques et des personnages en proie à la solitude et à l’isolement. Un doux sentiment de « perditude » parsemait ces œuvres originales, témoins précieux d’une société en pleine mutation.

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Si « 6th March » de Chun Wong présenté dans le programme 1 et déjà remarqué au Festival de Clermont-Ferrand l’an dernier, met en évidence les clivages idéologiques de la Chine d’aujourd’hui dans une mise en scène de la garde à vue de trois étudiants hongkongais. « Dalinuoer » de Nan Ma, présenté dans le programme 2, quant à lui, aborde la notion de frontière et de décalage à travers une histoire plus intimiste, celle d’un homme qui vingt ans après, part à la recherche de sa fille qu’il n’a jamais vue. Filmé en plans larges renforçant ainsi l’impression de solitude des personnages, « Dalinuoer » est une belle histoire d’amour entre deux écorchés en pleine crise existentielle qui les conduit à parcourir ensemble des paysages désertiques et désolés, reflets du vide intérieur qui les habite.

Dans le même programme, on est content de retrouver « On The Way To The Sea » (Prix Spécial au Jury Labo à Clermont en 2011), un documentaire expérimental réalisé par Tao Gu sur le tremblement de terre qui a touché la région chinoise de Wenchuan le 12 mai 2008. Le décalage est ici provoqué par la forme du film qui mêle des éléments fictionnels à des fragments documentaires tendant habilement la réflexion vers l’abstraction.

Dans le programme 3, on est impressionné par la justesse des fictions « Katyusha » de Jie Ding et « See Tiger Together » de Xiaorao Zhou. Les deux traitent de la naissance d’un amour impossible. La première utilise la mise en abyme en montrant le tournage d’un film d’époque dans un petit village reculé de la Chine. Xu est un adolescent bien plus intéressé par l’une des actrices du film que par l’école. Il fait tout pour dénicher un rôle de figurant dans le but d’approcher l’objet de son affection même si celui-ci ne le remarque qu’à peine. Katysusha, nom que Xu donne à celle qui l’intrigue, navigue entre espoir et désillusion, passé et présent, fantasme et réalité. La seconde fiction aborde la rencontre improbable entre une danseuse de pole dance russe et un Chinois. Tanya débarque en Chine pour y danser dans un club à la clientèle lubrique. Dès les premiers plans, elle se positionne en marge, noyée dans une réalité qu’elle a du mal à appréhender et dont elle ne maîtrise pas les clés culturelles et linguistiques. Sa prestation pour être engagée dans le club se termine d’ailleurs par une splendide chute. Peu sociable et renfermée, Tanya utilise la danse comme moyen d’expression mais elle reste malgré tout en dehors de cette société qui la mate sans vraiment la regarder. Elle se passionne pour les tigres. Ainsi passe-t-elle ses moments de liberté à regarder une chaîne de télévision sur les animaux dans un petit snack situé à proximité de son logement. Elle y fait la connaissance de Youzi, un autochtone qui a fui sa ville d’origine. Tous deux étrangers, intrigués et attirés l’un par l’autre, tentent de se rapprocher mais la barrière linguistique les empêche de se comprendre. Comme les protagonistes de « Lost in Translation » de Sofia Coppola, Tanya et Youzi partagent leur solitude sans jamais se rencontrer vraiment. Banal en apparence, ce premier film brillamment mis en scène sonne le glas de la « perditude » soulevant par là les questions d’appartenance et d’identité dans un pays immense à la culture diversifiée.

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« Home Video Argentina » de Xiao-Xing Cheng, présenté dans le programme 4 et sélectionné au Cinéma du Réel en 2005, est un documentaire expérimental qui relate les retrouvailles du réalisateur avec l’un de ses oncles parti vivre en Argentine dans l’espoir d’un avenir meilleur. Raconté à la première personne, ce journal intime cinématographique tourné en caméra DV est un essai particulier sur l’exil et l’immigration. Porteur d’illusions et d’espoirs, l’oncle, surnommé « Petit six », a quitté sa Chine natale en croyant faire fortune en Argentine. Des années après, Xiao-Xing et sa mère, eux-mêmes immigrés à Paris, rendent visite à cet oncle mystérieux et découvrent un homme vieilli et marqué par le sacrifice. Au lieu de la belle vie promise, il travaille sans relâche en tant que gérant d’un magasin d’alimentation, installé dans un minuscule deux-pièces au-dessus de la boutique, gagnant à peine de quoi subvenir à ses besoins. L’autre face de l’immigration est montrée sans fard ni jugement dans ce court métrage qui s’approche du film de famille sans toutefois en être un tant le point de vue du cinéaste participe d’une certaine universalité. En naviguant entre mémoire familiale et mémoire collective, Xiao-Xing déterre le passé et met en lumière le destin des quelques exilés que la misère et l’espoir ont conduit à rêver entre deux rives.

Le programme 5 réserve quelques jolies surprises dont l’audacieux documentaire « The Questioning » de Rikun Zhu ainsi que le très poétique « The Present » de Ruijun Li plongeant le spectateur dans un espace infini de la province de Gansu, située au nord-ouest de la Chine. Dorji est un garçonnet qui appartient à la communauté ethnique des Yugur (descendants de Mongols). Il occupe la plupart de son temps à aider son grand-père grabataire et à surveiller le troupeau de moutons en compagnie de sa mère. Il nourrit une amitié avec Tsolmon, vivant à dix kilomètres à la ronde. Ensemble, ils parcourent les contrées désertiques à cheval jusqu’au jour où Tsolmon doit s’en aller. Doté d’une grande économie de moyens, « The Present » s’inscrit dans la lignée des films ethnographiques contemplatifs. Sans être toutefois un documentaire, le film s’attache à présenter le quotidien d’une minorité chinoise trop peu connue.

Enfin, dans le dernier programme, le 6, « Le Banquet de la concubine » de Hefang Wei fait office d’animation originale sur le désir et la jalousie. Sous la prospère dynastie Tang, en 746, l’empereur Li organise un banquet en l’honneur de Yang, sa concubine favorite. Le jour de la fête, le bien aimé se fait attendre. Désespérée, la préférée se noie dans les vertus éthyliques d’un breuvage efficace persuadée que l’empereur la trompe avec une autre concubine. En lice pour les César 2014, le mélange doux-amer d’érotisme et de perfidie féminins du film de Hefang Wei avait fait mouche à sa sortie. Mais loin de la légèreté qu’il semble dégager, « Le Banquet » dépeint l’univers de la Chine féodale où l’individualité n’a pas de place.D’une Chine à l’autre, la question demeure.

S’étalant sur la décennie écoulée, les six programmes révèlent les intérêts et les obsessions de la jeune génération de cinéastes chinois permettant une réflexion sur la situation actuelle d’un pays et d’une culture aussi complexe qu’interpellante.

Marie Bergeret

Les courts primés aux Oscars 2015

Moins repérés que les longs (« Birdman », « Boyhood », « Ida »), les courts ont aussi eu droit à leurs prix cette nuit aux Oscars. Si « La Lampe au beurre de Yak » n’a pas été distingué par les membres de l’Académie, trois autres films sont repartis avec leurs statuettes dorées.

Fiction : The Phone Call de Mat Kirkby et James Lucas (Royaume-Uni)

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Animation : Feast de Patrick Osborne et Kristina Reed (États-Unis)

Documentaire : Crisis Hotline : Veterans Press 1 de Ellen Goosenberg Kent et Dana Perry (États-Unis)

Drôles de César

Vendredi soir, de 19h à 1h du matin, les membres de l’Académie des Arts et Techniques du Cinéma ont vécu et supporté tant bien que mal la très longue des Nuit des César. Ceux qui avaient prévu le coup avaient emmené un coussin avec eux et récupéré leurs manteaux avant la fin. Les autres, coincés au milieu des rangées, fermaient de temps en temps un oeil en espérant que les caméras de Canal ne leur fassent pas de mauvaises blagues.

Comme d’habitude, Edouard Baer, le maître de cérémonie, invitait les primés à faire court. C’était sans compter les remerciements généralisés (« Merci à mes parents, mes enfants et mon poisson rouge sans qui je ne serais pas là »), les imprévus (Abderrahmane Sissako remontant plusieurs fois sur scène) et les moments d’émotion qui ne pouvaient que s’installer dans la durée (le discours généreux et touchant de Pierre Niney ou encore M et Ibrahim Maalouf jouant ensemble).

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Au bout de plusieurs heures aux César, on commençait toutefois à trouver le temps long et à gigoter sur son siège numéroté en velours. C’est à ce moment-là que le César du Meilleur court métrage d’animation a été décerné à Chloé Mazlo et à ses « Petits cailloux », un film coloré, un tantinet trop long, parfois un peu trop appuyé, s’intéressant aux angoisses d’une jeune femme incarnée par la réalisatrice elle-même. Malgré ses petites imperfections, le film doté de bonnes intentions et de jolies trouvailles animées, produit par Jean-Christophe Soulageon (Les Films Sauvages), s’est distingué face aux trois poids lourds bien moins intéressants : le mignon mais trop enfantin « La petite casserole d’Anatole » de Eric Montchaud, le visuel mais peu stimulant « Bang Bang ! » de Julien Bisaro et le beaucoup trop long « La bûche de Noël » de Patar et Aubier.

Par la suite, les choses se sont compliquées. Quand l’enveloppe s’est ouverte et que « La Femme de Rio » de Emma Luchini et Nicolas Rey a été désigné comme le Meilleur court métrage de l’année, certaines têtes fatiguées ont sursauté, l’hébétement s’est installé et les discours prévus par les autres courts-métragistes en lice sont allés valser à la poubelle.

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Sans qu’on sache vraiment pourquoi, « La Femme de Rio », l’un des pires films français jamais vus, faisait partie de la shortlist des 6 films en lice. Sans qu’on sache vraiment pourquoi, le film le plus faible en termes de scénario, d’intrigue et de jeu d’acteurs, a obtenu le César.

On sait à quel point le jeu est cruel pour les laissés-pour-compte et que le court, format mal aimé, a besoin de valorisation et d’une vitrine telle que celle des César pour gagner en visibilité. On sait aussi que chaque année, les César offrent leur lot de contentement et de mécontentement. Si la profession a su distinguer à juste titre certains films ( « Les Combattants », « Timbuktu »), elle est complètement passée à côté des cinq autres courts en lice pour le César (et en premier lieu « Les Jours d’avant » de Karim Moussaoui).

Katia Bayer

Abd Al Malik : « A partir du moment où l’on donne de la voix et que l’on représente, qu’on le veuille ou non, un milieu à qui l’on ne donne pas la parole, cela implique forcément une responsabilité »

Rappeur, compositeur, écrivain et réalisateur depuis l’adaptation de son livre éponyme Qu’Allah bénisse la France (nommé dans la catégorie Meilleur Premier Film aux César de ce soir), Abd Al Malik qui était présent à Clermont-Ferrand en tant que membre du jury de la compétition nationale, porte ses différentes casquettes avec autant d’élégance que d’à propos. Brève rencontre autour du cinéma et de l’engagement.

Format Court : Quel rôle le cinéma a-t-il joué et joue-t-il encore dans votre vie ? Quels sont les cinéastes qui vous ont influencé ?

Abd Al Malik : Le cinéma, pour moi, a été presque un prisme à travers lequel j’ai vécu mon enfance et mon adolescence. En tout cas dans le milieu duquel je suis issu, que ce soit positivement ou négativement il a été l’outil culturel par excellence. Il a donc tenu une place très importante. Après, en terme de passion personnelle, c’est vrai que le cinéma, la littérature et la musique sont à égale distance. Quant aux cinéastes, il y en a tellement. Des gens comme Visconti, Coppola, Kassovitz, Scorsese, Spike Lee ou même Truffaut et Bresson m’ont beaucoup inspiré.

Vous êtes, slameur, rappeur, écrivain et depuis peu vous êtes passé à la réalisation avec l’adaptation de votre livre « Qu’Allah bénisse la France » ? Pourquoi cette envie de réalisation, tout à coup ?

Mais en réalité, ce n’est pas une envie subite, c’est seulement que, j’ai fait les choses par étape. La première des choses qui m’a été le plus simple, le plus naturel, c’était la musique, et ensuite l’autre étape ça a été d’écrire des bouquins et donc pour moi, le cinéma était une suite logique. Ensuite, quelqu’un comme Matthieu Kassovitz notamment m’a beaucoup motivé et m’a dit que je devais passer à la réalisation.

Quel lien faites-vous entre l’écriture de slam, l’écriture romanesque et l’écriture cinématographique ?

Le lien, c’est l’image. C’est à dire un vrai rapport à l’image. Au cinéma, on peut faire des passerelles avec la littérature, la poésie, l’art pictural, la musique mais ce qui est merveilleux c’est que le langage cinématographique est un langage à part entière. Ce n’est ni de la littérature, ni de la poésie, ni de la musique même si on peut y retrouver tout cela. Grâce à la réalisation de mon premier film, je rentrais dans un rapport au monde et à l’art assez différent. C’était passionnant.

L’engagement est une notion que l’on retrouve beaucoup dans vos slams, ils sont pour la plupart engagés. Le cinéma pour vous doit-il être aussi engagé?

Oui, naturellement. Quand j’entends les gens qui disent « artiste engagé », c’est un pléonasme. Même un cinéaste qui va nous raconter une histoire d’amour nous raconte quelque chose de lui, même s’il n’est pas en train d’aborder des enjeux majeurs, c’est un engagement. Cela reste une voie singulière qui s’élève.

La position de l’artiste implique nécessairement un engagement…

Oui, pour moi, l’art et a fortiori le cinéma sont toujours engagés.

On vous considère souvent comme le porte-parole de la jeune génération issue de l’immigration. Vous en pensez quoi ?

Ce n’est pas mon intention mais c’est quelque chose que j’assume. De toute façon, à partir du moment où l’on donne de la voix et que l’on représente, qu’on le veuille ou non, un milieu à qui l’on ne donne pas la parole, cela implique forcément une responsabilité.

Vous êtes ici à Clermont-Ferrand en tant que membre du jury de la compétition nationale. Est-ce la première fois que vous faites partie d’un Jury de cinéma?

Non, ce n’est pas la première fois. Cet été, j’ai fait partie du Jury du Festival du film francophone d’Angoulême Mais c’est vrai que être ici à Clermont, c’est très important, pour moi.

Pourquoi ?

Parce que le festival du court métrage de Clermont est un festival prestigieux. Je suis ici et c’est merveilleux. Ces gens qui viennent de différents pays, ces différents films, cette espèce de rigueur, cette richesse en même temps, cette joie de partager…

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Quelles sont vos impressions générales par rapport à ce que vous avez déjà pu voir ?

J’ai envie de dire courage et liberté. J’ai vu du courage et j’ai vu de la liberté.

C’est quelque chose qui vous inspire?

Carrément, c’est un « boost » magnifique d’être là et de voir des films et de se dire que le réalisateur est allé jusque là. Et puis il y a les discussions avec les autres membres du jury. Cela permet des échanges merveilleux et de se remettre en question aussi. Je trouve que c’est des moments rares.

Avez-vous des envies de réaliser d’autres films ?

Pour tout vous dire, je suis déjà en train de travailler sur mon prochain long.

Et réaliser des courts métrages, c’est quelque chose qui reste envisageable ?

Oui, bien sûr. Moi, je réfléchis en termes d’opportunités. Il n’y a pas de calcul dans ma manière de travailler. Et si jamais l’opportunité se présente, j’avoue que c’est une forme qui m’intéresserait.

Propos recueillis par Marie Bergeret

Viejo Pascuero de Jean-Baptiste Huber

« Quelle merde vous avez dans le cœur et dans la tête, vieux Père-Noêl, pour laisser sous mon lit une toupie, une trompette et une balle en plastique !!! ». Hélas, c’est bien connu, plus l’espérance est grande, plus la déception est violente… Et pour Jaimito, petite canaille des bidonvilles de Santiago (Chili), qui tout au long de l’année s’était donné un mal fou à troquer son attitude de diablotin contre une réputation de garçonnet aussi mignon qu’exemplaire, rien n’excusera jamais, ô grand jamais, l’affront qui lui a été fait. La bicyclette, le train électrique, la paire de patins à roulettes et le jeu d’Atari : où sont donc les récompenses de cette année rude en complaisance ? Aider les vieilles à traverser et se tuer le cerveau à étudier n’aurait donc servi à rien ? Bien décidé à descendre le personnage légendaire de son piédestal, le jeune chilien lui a concocté une lettre qui sent clairement le sapin, dans une prose latine injurieuse n’ayant rien à envier à l’irrévérencieuse chanson de Renaud, « Le Père Noël Noir », qui à l’époque déjà, lui promettait un aller-retour express vers le Pôle Nord.

À la voix-off éraillée d’un gamin empreint d’une franchise de tête brûlée aussi attachant que l’était Antoine Doinel dans « Les 400 coups » de François Truffaut, se superpose des images de docu-fiction amateur, dévoilant un enfant en proie à l’errance dissimulé derrière des pitreries gaguesques, le rapprochant alors d’une autre célèbre figure du cinéma, le personnage burlesque de Charlot. En utilisant les armes du rire et du cynisme, Jean-Baptiste Huber en profite pour attirer l’attention du spectateur sur les répercussions de l’extrême précarité qui règne au sein des bidonvilles et dont les plus petits, pas toujours désirés, sont les premières victimes. Enfin, en confrontant tradition et condition sociale sur un ton explosif, le court-métrage « Viejo Pascuero » met en lumière des phénomènes sociaux tels que l’influence, les normes, le conformisme ou encore la comparaison sociale, desphénomènes universels auxquels aucun individu ne se soustrait, ce quelque soit sa situation socio-culturelle, économique, politique ou son groupe d’appartenance.

Lola L’Hermite

Abderrahmane Sissako, Président du Jury de la Cinéfondation et des courts métrages au prochain Festival de Cannes

Le réalisateur mauritanien Abderrahmane Sissako, auteur du très beau « Timbuktu », en compétition à Cannes l’an passé, présidera le Jury de la Cinéfondation et des Courts métrages à l’occasion de la 68e édition du Festival (13-24 mai 2015).

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© Cyril Duchene / FDC

Ce poète de l’Afrique d’aujourd’hui succède dans ce rôle aux réalisateurs Abbas Kiarostami, Jane Campion, Michel Gondry, Hou Hsiao-hsien ou Martin Scorsese.

Retour sur les Plans Animés des Premiers Plans Angers 2015

Composée de 20 premiers courts d’animation européens, la programmation des Plans Animés 2015 a brillé par son éclectisme rappelant que l’animation fait souvent preuve de plus de liberté et d’expérimentation que la fiction. Si le Jury Format Court a unanimement salué la poésie et la maîtrise de « Kijé » de la Française Joanna Lorho en lui consacrant un Prix Format Court (nous y reviendrons prochainement dans un focus spécial sur le site), d’autres courts de cette sélection valaient également le coup d’œil.

À commencer par « Entre chiens et loups » de Reza Amirriahi réalisateur iranien étudiant à La Poudrière, célèbre école de cinéma d’animation située à Valence par où sont passés notamment Paul Cabon (« Tempête sur Anorak ») et Benjamin Renner (« La Queue de la souris », « Ernest et Célestine ») pour ne citer qu’eux. Peinture animée dans un camaïeu de bruns « Entre chiens et loups », film de fin d’études, est le portrait de Sohab, jeune homme vivant à Téhéran qui, effectuant son service militaire, est contraint de réprimer violemment des manifestants. Extrêmement court, le film est sombre, faisant même appel aux figures picturales de Munch lorsque le cinéaste met en scène des manifestants aux visages déformés par leurs cris. Évidemment politique, le film critique un régime militaire et totalitaire dans une veine très différente de « Persepolis » de Marjane Satrapi. On suivra avec attention le parcours de cet auteur doté d’une belle maitrise.

On a également été marqué par « Port Nasty » de Rob Zywietz et « Oripeaux » de Sonia Gerbeaud et Mathias de Panafieu, deux films où il est notamment question de chasse, à la baleine pour l’un et aux coyotes pour l’autre. Si l’héroïne d’ « Oripeaux » évoque inévitablement la figure japonaise de Princesse Mononoké avec sa peau de bête sur le dos et son caractère guerrier quand elle défend une meute de coyotes contre des hommes qui cherchent à les abattre, le héros de « Port Nasty » (Prix Arte à Angers) est quant à lui plus clairement une victime, tentant maladroitement de se faire accepter par une bande de pêcheurs bourrus qui l’initie à la pêche à la baleine, dans une ambiance de fin du monde. Si l’une sauve ses protégés à quatre pattes, l’autre devra tuer pour ne pas être encore plus ostracisé.

Si les animaux restent une valeur sûre en animation (on passera sur « Chaud lapin » et « Imposteur » qui tout deux, mettent en scène des créatures animales hybrides à la manière des créatifs de chez Orangina, concept toujours un peu malaisant comme on dit au Québec), d’autres réalisateurs prennent le parti d’un univers plus proche de l’abstraction, ce qui est le cas de « Hunger » de Petra Zlonoga qui part du végétal (la graine) pour en venir à l’animal (l’œuf) et enfin à l’humain (la rencontre). Joli film avec un travail réussi sur le son, « Hunger » offre quelques moments de poésie bien pensés et loin de toute facilité.

On notera tout de même que peu après la clôture de la 27e édition du Festival d’Angers, nous apprenions la disparition du Festival de Vendôme qui venait en décembre dernier de fêter sa 24e année, un autre festival cher à la rédaction de Format Court et dont nous étions également partenaires.

Vendôme, tout comme Angers, a toujours privilégié la découverte de nouveaux auteurs et plus particulièrement à travers des programmes de courts. Si le succès chaque année plus important du Festival de Clermont-Ferrand vient rappeler l’importance de ce format, la suppression d’un festival reconnu et respecté comme Vendôme est clairement un mauvais signal pour la suite. Quel avenir pour Pantin, Brive, Belfort, Brest et les autres ? Les festivals, premiers lieux de diffusion du court métrage seront-ils sacrifiés par mesure d’économie et de rentabilité ? Restons vigilants, sur la durée.

Amaury Augé

Frédéric Dubreuil : « J’apprécie de prendre des risques et de proposer des œuvres pas forcément attendues »

Chaque année, la Procirep récompense une société de production de courts-métrages lors du Festival de Clermont-Ferrand, ce qui met en lumière un producteur, sa carrière et ses productions passées et à venir. En 2014, Envie de tempête Productions et son créateur-directeur Frédéric Dubreuil se sont vus remettre ce prix. Le producteur a bénéficié d’une dotation de 5.000€ à utiliser sur une prochaine production de court-métrage et d’une carte blanche lors de la dernière édition du Festival de Clermont-Ferrand.

Nous avons rencontré Frédéric Dubreuil dans ses bureaux du 20e arrondissement à Paris pour une discussion passionnée sur le métier de producteur tel qu’il le conçoit et sur le cinéma en général. Alors que le court-métrage Inupiluk est nommé aux prochains César et qu’il prépare deux tournages de longs-métrages, le producteur n’oublie en aucun cas ce qui l’a motivé à ses débuts, c’est-à-dire un cinéma engagé politiquement et artistiquement avec une nécessité de continuer à des films.

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Format Court : Peux-tu nous parler de ce qui t’a amené à faire du cinéma ?

Frédéric Dubreuil : Très jeune déjà, je faisais des petits films en super 8. Je devais avoir 6 ou 7 ans et je m’amusais à faire des petits films d’animation avec la caméra de mes parents. Depuis le début, sans que je puisse expliquer pourquoi, j’avais ce désir de faire du cinéma et plus particulièrement de la réalisation. J’ai donc orienté toute mon adolescence dans ce sens-là. J’ai commencé à faire du théâtre assez jeune en tant que comédien amateur. Après, je suis rentré dans une troupe permanente. Je suis devenu administrateur presse en même temps. En parallèle, je faisais un BTS audiovisuel option montage à Boulogne. Ça a duré deux ans. A côté, j’ai créé une association avec des amis techniciens pour faire des courts-métrages que je réalisais à l’époque. De fil en aiguille, pour essayer de toucher des subventions, on a décidé de créer Envie de Tempête Productions sur cette même base, dans l’idée de produire et diffuser mes films, mais aussi de produire d’autres ceux des autres. J’ai toujours eu le goût d’accompagner, que ce soit en presse pour la troupe de théâtre ou pour nourrir des projets des autres au niveau cinématographique.

En effet, je ne cherchais pas à vouloir être à tout prix réalisateur et à ne faire que ça. Il y avait vraiment cette idée de fédérer des compagnons et des camarades réalisateurs pour qu’on puisse, ensemble, faire des films, plutôt dans un esprit un peu frondeur avec initialement une volonté de remettre en question des choses. C’est pour cette raison que le format du court-métrage était naturellement évident puisque c’est selon moi, le seul endroit du cinéma où l’on peut se permettre d’être impertinent, tenter des choses et surtout, les rater. Ce droit-là est fondamental lorsqu’on apprend nos métiers.

Est-ce qu’à la base du nom de ta société de production, Envie de Tempête, il y a une intention militante ?

F.D. : Bien sûr oui, toujours aujourd’hui, je pense, même si ça a évolué avec mon âge et mon expérience. Pour la petite histoire, au début, nous avions pensé à Avis de tempête. Nous sommes allés à l’INPI pour protéger le nom et nous nous sommes aperçus que quelqu’un d’autre avait déjà déposé ce nom. En fouillant un peu, je me suis rendue compte que la personne avait déposé une quinzaine de noms en relation avec Avis de tempête et j’ai eu peur qu’elle protège plein de noms pour faire des procès derrière. Nous avons donc arrondi à Envie de tempête et je ne le regrette pas. Le nom est, à mon avis, plus percutant, voire plus amusant avec le jeu de mots. De plus, il correspond à notre idée de désir militant et à celui de faire des films. J’ai toujours eu envie que l’on apprenne par nous-mêmes, que l’on remette en question des choses, le cinéma de fait et que l’on continuer à chercher. J’apprécie le fait de prendre des risques et de proposer des œuvres pas forcément attendues. Je trouve mon plaisir de producteur dans ce genre de pari. Je préfère même quelque part, un film un peu raté mais qui tente quelque chose qu’un film bien fait mais dont on ne se souvient plus une semaine après. Au risque de paraître prétentieux, l’ambition qu’il y a derrière tout ça est de faire des films marquants.

Tu évoques des films marquants avec des aspects militants, mais y a-t-il pour autant une ligne éditoriale chez Envie de Tempête ? La question se pose surtout lorsqu’on observe les œuvres de deux des auteurs que tu suis, Jean-Gabriel Périot et Sébastien Betbeder, qui sont résolument différentes.

F.D. : En vieillissant, les choses s’affinent un peu, dans le sens où le côté militant et politique se retrouve dans différentes strates. Il y a d’un côté Jean-Gabriel Périot, un auteur qui propose une vraie proximité dans le propos et dans la forme et qui me touche depuis le début. On avait produit son premier film, We are winning don’t forget. J’aime beaucoup ce qu’il fait car il a quelque chose d’impertinent qui me correspond aussi et j’aime plutôt l’idée de mettre les pieds dans le plat en tant que producteur.

D’un autre côté, il y a Sébastien Betbeder qui est en effet beaucoup plus mesuré, mais qui présente tout de même des aspects politiques car il réalise des films profondément courageux, dotés d’une forme et d’un enjeu artistique. Ses films sont à la fois accessibles et dotés d’une exigence intellectuelle.

À mes yeux, défendre le cinéma comme un acte poétique, c’est un acte politique, simplement parce qu’imposer de la poésie aujourd’hui va à l’encontre du monde dans lequel on vit.

En parlant de Sébastien Betbeder, comment gères-tu sa capacité et son énergie de création ? Avec deux longs-métrages et un court-métrage en 2012, puis un court en 2014 et deux longs à venir en 2015, son rythme est assez effréné. Comment s’envisage une telle production en plus des autres projets de ta société ?

F.D. : Je crois que Sébastien et moi nous sommes rencontrés à un moment de nos vies où nous passions un cap l’un et l’autre : pour moi, de passer au long-métrage et pour lui, de continuer ses réalisations, mais à sa façon. Je pense qu’il a trouvé chez moi un compagnon de route, quelqu’un qui se bat, de A à Z pour ses films et qui le fait intégralement. Ceci étant, c’est sûr que comme Sébastien est très productif, ça me laisse assez peu de temps pour d’autres gens.

Les questionnements autour du long et autour du court ne sont pas tout à fait les mêmes. Après quinze d’expérience, j’arrive à démêler le fait que je suis un artisan dans l’âme. Je préfère donc suivre peu de réalisateurs et faire les choses bien plutôt que d’essayer d’être dans un flux perpétuel de renouvellement ou de trouver la bonne affaire. Cela ne nous empêche pas parallèlement, de suivre d’autres auteurs. On vient d’ailleurs de finir de produire trois courts-métrages.

À ce propos, quels sont les projets pour 2015 ?

F.D. : On produit deux longs-métrages coup sur coup de Sébastien puisqu’on finit le tournage de Marie et les naufragés en février puis on part le 23 mars au Groenland pour tourner à nouveau. On prépare aussi deux moyens-métrages : le premier de Thomas Blanchard qui joue dans Inupiluk et le deuxième de Darielle Tillon qui avait réalisé un long en 2009, Une nouvelle ère glaciaire et un court qui avait très bien marché en 2002, À la vitesse d’un cheval au galop. On va également travailler avec Philippe Petit qui fait partie de la bande de Quentin Dupieux. Je suis intéressé par tous ces gens car je ressens chez eux une vraie nécessité de faire des films. On se transmet donc nos énergies.

Tu as beau produire désormais des longs-métrages, tu continues à produire des courts. Quelles sont tes motivations à persister dans ce format ?

F.D. : Pour moi, le court-métrage représente l’avant-garde du cinéma. On a donc besoin de réfléchir sans arrêt sur ce qu’est le cinéma et vers quoi on tend. Le court-métrage permet de tenter ces choses-là et de s’affirmer comme tel. En d’autres termes, on a besoin d’être frondeur quand on fait du court-métrage. Après, il y a d’autres enjeux et d’autres contraintes à produire des longs-métrages. J’ai en réalité l’envie et le besoin de rester dans le court-métrage, d’une part pour rencontrer des gens et de tester une collaboration, d’autre part parce que j’ai l’impression ainsi, d’être au bon endroit pour le cinéma que je fais. Encore une fois, le pari est ce qui m’excite le plus. Par moment, une pépite arrive, à l’image de Jean-Gabriel Périot par exemple, avec des films superbes tels que Eût-elle été criminelle qui est d’une violence inouïe et d’une modernité énorme et qui, huit après, continuer à tourner encore en festivals.

Je pense qu’il y a tellement peu de places dans le long-métrage que nous, les jeunes producteurs ou les producteurs de courts, ne sommes pas les bienvenus. De ce fait, on nous met dans la marge si bien que tout notre enjeu est de justement faire briller cette marge. On en est obligé de se situer là. À chaque coup que je fais, je remets presque en question ma structure. Il s’avère que pour Marie et les naufragés, on a un petit budget de long, mais malgré ça, j’investis beaucoup et je joue de ma boîte. Il faut donc que le film marche. Je n’ai pas le choix, mais c’est aussi parce qu’on ne nous laisse pas le choix. C’est la seule place qu’on nous laisse et où l’on peut exister lorsqu’on n’est pas issu du sérail.

Il y a aussi des auteurs que tu as suivis pendant un temps et qui travaillent aujourd’hui, auprès d’autres structures de production, comme par exemple Jean-Gabriel Périot.

F.D. : J’ai en effet produit le premier film de Jean-Gabriel, ainsi que les suivants, ses quatre premiers films et sa première fiction exactement. On a eu une vraie histoire. Puis, à un moment donné, il a eu envie de faire un long-métrage. C’est tombé au moment où l’un de mes collègues a quitté la structure d’Envie de tempête et c’était un peu compliqué. À l’époque, je ne me sentais pas la force et le courage de l’accompagner sur du long et on s’est donc séparé d’un commun accord. La séparation s’est faite dans une bonne entente qui fait que l’on se retrouve aujourd’hui. Tout récemment, j’ai produit son dernier film, Si jamais nous devons disparaître ce sera sans inquiétude mais en combattant jusqu’à la fin, qui à peine terminé, était déjà sélectionné dans plusieurs festivals. Lorsque Jean-Gabriel est parti de chez nous, il a fait un petit passage chez Sacrebleu qui l’avait appelé. Après, il est allé naturellement chez Local Films car il montait des films pour Lorenzo Recio. Avec eux, il a fait son premier long,  Une jeunesse allemande, qui vient d’être sélectionné à Berlin. J’aurais adoré produire ce film qu’il nous avait proposé à l’époque. Je m’en suis voulu mais on n’était pas prêts, alors je ne regrette rien.

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Avec le recul, je m’aperçois qu’on a produit les films de bon nombre de personnes qui ont fait du long derrière avec d’autres boîtes : Emmanuel Gras, Guillaume Giovanetti et Cagla Zencirci aussi dont on a produit plusieurs films et Patrice Deboosère également qui prépare son premier long ailleurs. Il n’y a jamais eu de dispute avec ces auteurs, on ne s’est jamais fâchés. Ils sont partis comme dans une histoire d’amour en fait.

En parlant de la relation auteur/producteur, comment ça se passe avec tes auteurs vu que toi-même, tu réalises ?

F.D. : J’ai été moi-même auteur-réalisateur. Depuis environ quatre ans, je n’ai pas écrit une seule ligne ni réalisé un film. Je me situe comme producteur et c’est depuis ce temps-là qu’Envie de tempête existe vraiment dans le regard des gens. Aujourd’hui, je n’ennuie pas trop les auteurs que je suis avec mes propres réalisations. Je n’ai pas de frustration non plus car je prends beaucoup de plaisir à accompagner les autres. Le jour où je sentirai une quelconque frustration, je pense que je réaliserai à nouveau, mais aujourd’hui, je suis dans une autre dynamique et je n’ai pas l’urgente nécessité de raconter quelque chose sur un écran. En revanche, comme j’ai été réalisateur, j’ai une vraie proximité avec les problématiques de mes pairs. Je suis dans une pensée artistique avant tout parce que je sais l’importance que ça a pour un réalisateur et je pense que c’est une vraie qualité. Après, pour être honnête, j’ai 40 ans et les gens que je produis sont plus en liaison avec mon âge et mes problématiques que des jeunes réalisateurs. Néanmoins, je suis un peu partagé. Je trouve ça très bien de se nourrir de gens plus jeunes qui vont amener un nouveau regard, quelque chose de frais, mais j’ai aussi toujours la crainte de ne pas comprendre, de me retrouver trop âgé pour gérer ces films-là. Ceci dit, je tiens à prendre chaque année un nouveau réalisateur qu’on ne connaît de nulle part et qui m’envoie son scénario par la poste. L’objectif est par conséquent de renouveler un peu le cheptel et de s’ouvrir justement à des gens nouveaux.

Tu es le lauréat 2014 du Prix Prix Procirep du Producteur de Court-Métrage. Que représente ce prix pour toi ?

F.D. : C’est un prix qui m’a beaucoup touché car pour moi, c’est surtout un prix de camaraderie. Certes, c’est l’organisme de la Procirep qui génère ce prix, mais en fait, ce sont les copains producteurs qui votent pour les autres copains. C’est amusant car je constate chaque année que pour la plupart des producteurs qui reçoivent le prix, cela correspond dans leur carrière au moment où ils passent au long-métrage. Je pense que les copains producteurs remarquent quand l’un d’entre nous se lance et ils soutiennent ce mouvement-là. On se sent donc très épaulé, très porté par ces gens qu’on croise tout le temps et c’est assez agréable. C’est un prix fraternel en fait alors que bien souvent, on n’a pas assez le sens du collectif. Il faudrait qu’on se fédère plus pour prendre le pouvoir et pour pouvoir dire que c’est à notre tour d’arriver sur le long, autrement dit, de créer une nouvelle vague.

Peux-tu nous parler de la carte blanche dont tu as bénéficié durant cette 37e édition du Festival de Clermont-Ferrand ?

F.D. : En réalité, il y a deux programmes. Le premier correspond aux quinze ans d’Envie de tempête (CB1). On y montre quelques uns des films qu’on a produits et qui ont marché ces quinze dernières années, des films dont on est fiers et qu’on a envie de revoir. C’est pour cette raison qu’on a programmé par exemple, Inupiluk ou encore 200 000 fantômes.

Pour le deuxième programme (CB2), je souhaitais programmer L’île aux fleurs de Jorge Furtado, mais je n’ai malheureusement pas réussi à l’avoir. Je voulais aussi prendre un film de Chris Marker mais il était trop dur à trouver. Je me suis donc rabattu sur un programme qui me plaît beaucoup, mais qui aurait peut-être été un peu différent si j’avais eu plus de temps ou si le Festival de Clermont m’avais aidé à trouver les copies des films qui m’intéressaient. Néanmoins, les films que j’ai choisis pour ce deuxième programme (A heap of trouble,  Il était une fois l’huile, Viejo pascuero, …) correspondent à ce que je voulais montrer, c’est-à-dire qu’il est important de revendiquer que le court-métrage est aussi un acte politique, surtout avec ce qui se passe en ce moment. Après, ce ne sont que des films que j’ai particulièrement aimés. Ce sont des films qui rentrent dans un discours de fond mais revendiquent, tentent des choses et sont pour autant, de vrais films réussis. Ce sont des courts dans lequel il y a un réel enjeu qui dépasse le film et qui provoquent quelque chose. Parallèlement, ce sont des films distrayants et décalés. On y retrouve vraiment de la joie et du plaisir, voire un aspect assez festif qui colle d’ailleurs un peu à ma perception du Festival de Clermont.

Propos recueillis par Camille Monin

Article associé : Retour sur la carte blanche à Envie de tempête Productions à Clermont-Ferrand

Berlinale 2015, les courts primés

Le Festival de Berlin s’est terminé ce weekend. Le jury international a attribué, lors de la remise des prix, l’Ours d’Or et d’Argent ainsi que l’Audi Short Film Award. Il a également désigné un court métrage en compétition pour les European Film Awards dans la catégorie Meilleur court métrage.

Palmarès

Ours d’Or : Hosanna de Na Young-kil (Corée du sud)

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Ours d’Argent : Bad at Dancing de Joanna Arnow (États-Unis)

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Audi Short Film Award : Planet Σ de Momoko Seto

Nominé pour les European Film Awards 2015 : Dissonance de Till Nowak (Allemagne)