Tous les articles par Katia Bayer

A comme L’acteur

Fiche technique

Synopsis : Raphaël est acteur. Pour la première fois, il a le rôle principal d’un long-métrage. Personne ne comprend pourquoi il a été choisi. D’ailleurs, personne ne le comprend vraiment.

Genre : Fiction

Duré : 25′

Pays : France

Année : 2023

Réalisation : Raphaël Quenard, Hugo Davis

Scénario : Hugo David, Raphaël Quenard

Montage : Marc Allal, Hugo David

Musique : Hugo Rossi, Theodore Vibert

Son : Paul Jousselin

Étalonnage : Vincent Amor

Nationalité : France

Production: Lipsum Productions, Insolence Productions

Articles associés : la critique du film, l’interview du réalisateur

R comme Rapide

Fiche technique

Synopsis :  Jean est un « lent », il construit sa vie autour de ses angoisses, et se considère inadapté à la vie en société. Il vit en colocation avec Alex, qui lui, est un « rapide ». Passionné par l’aérodynamisme et l’eurodance, Alex vit vite, se pose le moins de questions possible. Un matin, il reçoit chez eux une amie « rapide », Lou, alors que Jean avait lui aussi prévu de recevoir une amie « lente », Caroline.

Genre : Fiction

Durée : 25’

Pays : France

Année : 2022

Réalisation : Paul Rigoux

Scénario : Paul Rigoux

Montage : Ugo Simon

Décors : Lucie Audau

Image : Quentin Lacombe

Son : Louis-Julien Pannetier

Interprétation : Edouard Sulpice, Mélodie Adda, Abraham Wapler, Mathilde Weil

Production: Le G.R.E.C

Chargé de production : Marcello Cavagna

Articles associés : l’interview du réalisateur, la critique du film

Rapide de Paul Rigoux

N’avez-vous jamais eu cette envie de rester cloîtré dans votre chambre de peur de ce qui puisse s’y trouver dehors ou au contraire, vous sentir si bien que vous pensiez toucher la lune ? C’est de ce tumulte au sein d’une colocation que naît l’histoire de Jean (Édouard Sulpice) et Alex (Abraham Wapler) : l’un, est anxieux et apathique, tandis que l’autre cherche à éviter la réflexion pour agir rapidement. Leur quotidien est perturbé lorsque Alex, accompagné de son amie Lou (Mélodie Adda) invite Jean et son amie Caroline (Mathilde Weil) à sortir de leur caverne pour pouvoir se confronter à une vie plus rapide. C’est de ce concept que Paul Rigoux nous signe son premier film produit avec l’aide du GREC, et qui marque sa première apparition aux César 2024 pour un film bourré d’humour et d’anxiété.

Des rires, de toute cette anxiété sociale dont Rapide traite voilà de quoi il en ressort, voilà ce qui nous reste de ce film. Un film qui se révèle comme une envie de la part de son réalisateur Paul Rigoux de jouer avec les codes de la comédie et de le mettre dans un contexte générationnel ou le stress est omniprésent. En racontant l’histoire de Jean et de sa confrontation forcée avec d’autres philosophies, le film explore une comédie qui découle de la dichotomie établie en préambule entre la lenteur et la rapidité, entre la réflexion et l’action. Tout cela peut sembler très théorique, mais est finalement traité avant tout comme pure interaction de comédie et comme une opportunité de voir toute la panoplie d’un casting merveilleux.

Le film tire ainsi sa drôlerie dans un premier temps de ses personnages et de ses acteurs qui les incarnent, Édouard Sulpice en tête de liste. Le jeune acteur qu’on a pu voir officier chez Guillaume Brac avec A l’abordage et François Ozon avec Mon Crime nous livre une composition hilarante. Une prestation qui va puiser dans un slapstick à la manière de Jerry Lewis, Tout en empruntant, dans ses mimiques, aux classiques de la comédie française des années 60-70. Pourtant, c’est avant tout la dynamique entre tous ces personnages qui fait le sel de ce film et de cette comédie. Cette alchimie qui est en partie due à la simplicité de la mise en scène qui laisse beaucoup, parfois trop de place aux acteurs et aux dialogues. Le film est ainsi rythmé par ces personnages lents et rapides qui confrontent leurs perceptions le temps d’une discussion.

En somme, le film tire sa réussite de cette comédie de l’anxiété qui nous fait penser à un humour juif et psychanalytique que pouvez utiliser un certain Woody Allen dans Manhattan et Annie Hall ou encore plus récemment Larry David avec Curb your enthusiasm. De même, en abordant le sujet de la santé mentale, le film se réapproprie les codes du teen movie. Et ceci à travers la rencontre amoureuse et le parcours initiatique accolé au personnage de Jean qui essaye de trouver sa place dans un monde qui va trop vite. Une rencontre amoureuse présentée comme la libération d’un personnage emprisonné par ses propres peurs, attiré vers une philosophie qu’il pensait hors de lui.

Cependant, malgré cette réussite formelle, le film atteint sa limite dans la simplicité de son approche narrative. Avec entrain, le film déploie tout un cinéma de la bande de potes, mais de par sa linéarité et son côté théâtral, le film trébuche à certains moments quand il s’agit de dépasser son dispositif de mise en scène qui laisse parfois trop de place à ses acteurs. Ainsi, au fil de son déroulement, le film met en exergue une certaine légèreté quelque peu futile mais toutefois agréable, surtout à travers le traitement précédemment évoqué de la rencontre amoureuse et de la santé mentale. Une limite que l’on met facilement de côté à quel point le film traite avec habileté et humour des sujets aussi contemporains

En soit, Rapide émerge comme un film qui arrive au bon moment, une œuvre générationnelle qui place au cœur de son intrigue un comique de situation porté par un casting prometteur. Au même titre que son réalisateur Paul Rigoux, qui se profile comme un véritable espoir de la comédie française au cinéma.

Dylan Librati

Article associé : l’interview du réalisateur

Consulter la fiche technique du film

Paul Rigoux : « Pour moi, la comédie est une forme de catharsis »

Avec Rapide, Paul Rigoux signe son premier film produit et nous invite à explorer avec légèreté et humour l’anxiété d’une génération en proie au doute. Récompensé durant le dernier Festival Format Court de la mention spéciale du jury, il est maintenant nommé aux César 2024 dans la catégorie meilleur court-métrage de fiction. Une carrière de réalisateur qui pourtant n’était pas si évidente pour le jeune natif bordelais qui a travaillé une grande partie de sa vie dans la distribution. Avec recul et humour, il nous parle de l’impact qu’a eu le succès de Rapide sur sa vie et de son envie de faire de la comédie.

Format Court : Ça te fait quoi d’être nommé aux César ?

Paul Rigoux : C’est une grande joie évidemment, c’était déjà une grande fierté de figurer dans les 24 présélectionnés, mais de me voir parmi les 4 finalistes ça m’a fait exploser de joie. Maintenant, depuis ma nomination, je suis très sollicité et j’ai l’impression de vivre quelque chose d’un peu irréel. D’autant plus pour un court-métrage que j’ai pu réaliser il y a un an de cela avec le GREC qui est une association nommée pour la première fois.

Tu as toujours gravité autour du cinéma, qu’est-ce qui t’a fait passer du côté de la réalisation ?

P.R : Je ne viens pas du tout d’une famille d’artistes, ce qui fait que ma relation avec le cinéma quand j’étais adolescent notamment, était beaucoup lié à des grosses petite coquille sur la virgule ,comme les films de Christopher Nolan. Je me souviens entre autres que le film qui m’avait choqué à l’époque, c’était Seul contre tous de Gaspar Noé parce que ça me questionnait sur ce qu’on pouvait faire au cinéma. Mais c’est surtout pendant mes études de droit que je suis rentré dans une période de cinéphilie et que je me suis intéressé à des cinémas différents, comme celui de la nouvelle vague. C’est à ce moment-là qu’est née aussi l’envie de pouvoir concilier mes études et mes passions un peu plus artistiques. Moi, je viens de Bordeaux et j’ai toujours eu cette impression que le cinéma, c’était un environnement très loin du mien, un milieu très parisien. J’ai décidé par la suite de faire un master en droit du cinéma et c’est ainsi que j’ai pu après intégrer la Fémis, en distribution. Au début, je n’avais pas d’ambition de réaliser un film, en tout cas, je n’y trouvais pas ma légitimité. Je venais du juridique et je étais en rien un artiste. C’est en rencontrant tous ces élèves en réalisation et en scénario et en voyant toutes ces émulations créatives que ça m’a poussé à écrire et à réaliser mon premier court-métrage Ainsi commença le déclin d’Antoine et ensuite Rapide. Je me questionnais et ces rencontres m’ont décomplexé en un sens. Aujourd’hui, je suis content d’avoir pris cette décision.

« Ainsi commença le déclin d’Antoine »

Si tu pouvais pitcher Rapide à quelqu’un qui ne l’a pas vu, que dirais-tu ?

P.R : C’est l’histoire de deux colocs, Jean et Alex. L’un, est anxieux et apathique, tandis que l’autre cherche à éviter la réflexion pour agir rapidement. Leur quotidien est perturbé lorsque Jean invite son amie Caroline, tandis qu’Alex accueille Lou, ce qui fait confronter leurs deux visions de la vie.

Comment s’est passé le processus avec les comédiens ?

P.R : C’était beaucoup de dialogue et de discussions avant tout. Notamment, en ce qui concerne les personnages de Mélodie Adda et Abraham Wapler, à l’origine, je leur avais proposé les rôles de Édouard Sulpice et Mathilde Weil, qui étaient des personnages anxieux et lents. Et c’est lorsqu’ils ont lu le scénario qu’ils ont exprimé le désir de jouer les rôles des “Rapides”, estimant que ceux-ci leur correspondaient plus. Quant aux personnages des « Lents », Édouard et Mathilde, j’ai choisi de ne pas passer par des castings traditionnels. C’est après les avoir remarqués dans leurs apparitions respectives chez Guillaume Brac avec À l’abordage et chez Martin Gérard avec À l’ombre l’après-midi que j’ai décidé de les contacter directement.. Après en amont du tournage, c’était beaucoup de travail de répétitions parce que c’est un film très écrit et on n’avait au final que 4 jours de tournage. Je profitais aussi de l’opportunité pour réécrire le scénario et les dialogues qui ne marchaient pas pour peaufiner l’alchimie entre les personnages. Ça nous a vraiment permis d’arriver sur le plateau et d’être rodés à l’exercice. On avait juste, entre guillemets, à poser la caméra et ça s’est très bien passé.

Quelle était la place de l’improvisation sur le tournage ?

P.R : On a tellement travaillé le texte pendant les répétitions qu’au final sur place, il n’y avait quasiment pas d’improvisation sauf peut-être en ce qui concerne leur gestuelle. J’étais tellement concentré sur le texte que je leur ai laissé plus d’espaces et ils ont fini par apporter quelque chose de très comique à leur personnage notamment dans leur mimique. C’était assez naturel au final même pour le texte qui était récité limite au mot près.

De quoi est né Rapide ?

P.R : Je pense que Rapide est née en contradiction avec mon premier film. C’était un film très sérieux, très intello, très Nouvelle vague en fait, et je me souviens que quand je le montrais en festival, les moments qui m’intéressaient le plus, c’était quand les spectateurs rigolaient aux scènes où on se moquait du personnage principal. Je me suis rendu compte à ce moment-là que l’ironie pouvait être l’une de mes armes et c’est ainsi que j’ai décidé d’écrire un film plus léger et comique. Après le film est né aussi d’un constat que j’ai fait sur moi-même et sur ma personnalité fragmentée entre mon côté lent un peu intello solitaire et mon côté plus Rapide et fêtard. Ainsi, j’ai profité de ce moment de lenteur extrême qu’est le confinement pour pouvoir mettre sur papier toutes ces idées-là. Cette pause en plein chaos a beaucoup influencé l’écriture de Rapide.

« Rapide »

On voit que tu traites cette dichotomie à travers la mode de tes personnages Rapide notamment.

P.R : Oui, c’était l’une des envies aussi avec ce film de pouvoir mettre des vêtements et des accessoires empruntés au style un peu techno et techwear. Cette fascination est née d’un délire que j’avais avec des potes où on s’amusait à acheter des lunettes et des accessoires un peu débiles. Avec le temps, la haute couture s’en est emparé, une marque comme Balenciaga a commencé à faire des collections avec des lunettes hyper profilées, des vêtements très proches du corps, très sport. C’est tout un univers visuel que j’aime beaucoup et que j’avais envie de filmer et qui rejoignait toute mes pensées théoriques en ce qui concerne le rapport au temps. En plus, c’est assez kiffant de filmer et de voir les acteurs porter ces lunettes aérodynamiques, ça me faisait marrer, quoi.

Comment as-tu réfléchi à toutes ces idées théoriques à travers ta mise en scène ?

P.R : Ça peut paraître un peu simple, mais ce que je voulais en amont, c’était de couper le film et sa narration en deux parties. Dans un premier temps, avoir une première partie très fragmentée et comique avec le personnage d’Édouard Sulpice qui se fait balader de scène en scène et où on se laisse autant embarquer que le personnage. Je voulais vraiment que ces premières minutes puissent accrocher le spectateur pour qu’il ait l’envie de voir la suite. Dans un deuxième temps, avoir une deuxième partie avec une mise en scène qui joue sur le temps long qui laisse plus la place aux dialogues entre le personnage d’Édouard Sulpice et de Mélodie Adda. Cela me permettait aussi de faire comme dans mon premier film et de jouer sur des plans-séquences. C’était un moyen pour que le fond et la forme se répondent.

On sent dans Rapide comme une influence de la comédie psychanalytique à la Woody Allen. Était-ce l’une de vos inspirations ?

P.R : Évidemment, Woody Allen était l’une de mes influences, rien que dans les dialogues et les scènes de balades dans la rue, mais aussi notamment à l’époque où il jouait dans ses films, comme Manhattan, ce personnage d’anxieux merveilleux. Je sais que j’ai été beaucoup influencé par le cinéma un peu bavard comme celui d’Eustache, Rohmer ou même de Hong Sang-Soo, un cinéma qui reflète l’anxiété. Après, on me demande souvent ça, mes inspirations, mais je crois que quand t’écris un film, une fois que tu te mets vraiment dans la prépa, t’arrêtes un peu d’être cinéphile et tu te concentres vraiment sur ton histoire. Après, évidemment, t’as tes inspirations qui sont infusées en toi, et tu ne peux pas trop t’en échapper du moins inconsciemment.

« Manhattan »

Qu’est-ce qui t’intéresse dans la comédie ?

P.R : Je suis convaincu que c’est principalement cette interaction avec le public, suite à la sortie de mon premier film, qui m’a profondément intéressé, et qui a suscité ma curiosité envers le genre de la comédie.. Je voulais vraiment m’éloigner de mon premier film qui faisait un peu redite avec ma vie, avec sa léthargie. Avec la comédie, tout en étant léger ça me permet de me libérer, de faire comme une catharsis. De pouvoir traiter via la comédie et la rencontre amoureuse de toute cette anxiété sociale, typique de notre génération et de notre époque où tout va un peu trop vite. Cela me fait du bien, et d’après les retours que j’ai reçus de ceux qui l’ont vu, c’est un film qui fait du bien et qui fait rire. Et pour quelqu’un comme moi qui est assez taiseux et timide, c’était aussi un challenge de pouvoir faire rire les gens.

Comment s’est passé ton expérience avec le GREC ?

P.R : C’était vraiment libérateur. A l’origine, moi, je développais le film avec un producteur et c’était vraiment un travail différent parce qu’on devait du coup candidater au CNC, aux régions et finalement, il fallait, pour que les Commissions aiment le film, altérer un peu le scénario. Alors qu’avec le G.R.EC. , Ils sont là avant tout pour mettre en avant des visions de cinéastes, c’est notamment ce que n’arrêtait pas de répéter chargé de production, Marcello Cavagna. Le GREC, c’est un accompagnement avant tout, c’est une superbe porte d’entrée dans le cinéma d’autant plus pour des réalisateurs dont c’est leur première expérience produite. Moi, maintenant quand je vais en festival, quand je vois qu’il y a le logo du GREC au début du film, je me dis : « Tiens, ça va être un film singulier ». Ce ne sera pas forcément toujours réussi, mais il y aura une proposition et ça, je trouve génial. C’est vraiment la matérialisation de l’exception culturelle française. C’est une association créée il y a 60 ans, qui te file 18.000 euros pour que tu fasses un film, qui t’aide à le diffuser. C’est tellement précieux et j’espère que ça va durer.

«  »Rapide »

Qu’est-ce qu’on peut attendre de toi dans le futur ?

P.R : Après avoir vu le parcours Rapide en festival, j’ai décidé de quitter mon travail dans une boite de production et en ce moment, je travaille sur l’écriture de mon premier long-métrage. C’est quelque chose d’assez fastidieux sur lequel je suis en train de bosser, mais je ne m’interdis pas aussi de travailler sur du court-métrage en attendant. Je me souviens avoir parlé avec Jean-Baptiste Durand, le réalisateur de Chien de la casse, qui me disait qu’entre son dernier court produit et son long-métrage, il avait fait plein de films auto-produits. Et je pense que c’est ce que je vais faire, ça te permet de tester plein de trucs et de ne pas trop attendre pour créer.

Propos recueillis par Dylan Librati

Article associé : la critique du film

Stephen Vuillemin : « Mon film est dans la continuité de mon travail d’illustration et de BD »

Un Genre de testament, le premier court-métrage de Stephen Vuillemin a été sélectionné dans plusieurs festivals, dont la Berlinale 2023 et Clermont-Ferrand 2024 (section Labo). Le film était en lice pour les César 2024. Après une riche carrière comme illustrateur et animateur, le tout nouveau réalisateur s’inscrit dans le milieu du cinéma et se familiarise avec le format court.

Une femme découvre un site web à son nom avec plusieurs animations basées sur ses photos personnelles publiées sur les reseaux sociaux. Dans sa quête, elle tombe sur des animations de plus en plus romanesques et complexes. Une histoire intrigante et un style visuel unique qui marquent Un Genre de testament.

Format Court : Peux-tu nous parler de ton parcours académique ?

Stephen Vuillemin : J’ai fait un bac appliqué en arts. C’est une initiation à tout ce qui touche au design, design de mode, design graphique, etc… . Après, j’ai fait un an aux Beaux-Arts et ensuite, je suis allé aux Gobelins, en animation.

Quel était ton objectif au départ avec cette école ?

SV : Je pense que quand j’ai commencé à faire avec les Gobelins, je ne savais pas exactement ce que je voulais faire comme métier en sortant. J’avais choisi les Gobelins parce que j’avais entendu que c’était une bonne école pour le dessin. J’étais plus intéressé par la BD avant d’y aller. C’est en suivant la formation que j’ai découvert comment fonctionnait l’industrie de l’animation, car il y a plusieurs métiers : le métier de réalisateur, storyboarder, designer, animateur… Je me suis rendu compte aux Gobelins que ce qui m’intéressait le plus était la réalisation et le design. En sortant de l’école, je n’ai pas trouvé du travail là dedans, donc je suis devenu animateur, alors que cela ne m’intéressait pas spécialement quand j’étais étudiant.

Pourtant, en faisant ça, je me suis rendu compte qu’il y avait aussi des choses intéressantes là-dedans, et c’est d’ailleurs ce que m’a permis de faire mon film. J’ai fait une grande partie de l’animation tout seul, et si je n’avais pas fait le métier d’animateur avant, ça aurait été impossible.

Avant Un Genre de testament, tu travaillais en tant qu’illustrateur de BD, tu faisais de l’animation pour la presse et pour la musique. Qu’as tu appris de ces autres milieux qui aurait pu être appliqué dans ton film ?

SV : Avant de faire Un Genre de testament, j’avais deux carrières en parallèle. Une carrière “d’auteur », celle que je mettais en avant sur internet (j’avais réalisé un clip, pas mal d’illustrations, je faisais beaucoup de GIFs animés, une BD qui avait un petit peu marché sur internet, appelée Lycéennes…). Mais il y avait aussi une carrière parallèle, d’animateur pur et dur, sur les projets des autres (surtout des pubs). Ça m’intéressait moins, je le faisais plutôt en alimentaire. Par contre, en faisant cela, j’ai appris à animer et même à y prendre du plaisir.

Pendant longtemps, j’avais envie de faire un film, mais je n’avais pas très envie d’aller défendre un projet, d’aller voir un producteur, de lui demander de me faire confiance, etc. Je me suis donc lancé dans ce projet de film tout seul, au départ. Grâce à mes années d’expérience dans l’animation, le fait d’avoir fait un peu tous les métiers de l’animation dans des studios, c’était envisageable. Comme ça, je n’avais pas besoin de discuter avec quelqu’un, je pouvais faire ce que je voulais et il n’y aurait pas de pression, pas de deadline. Jusqu’à la dernière année, ou j’ai commencé à collaborer avec Remembers (boîte de production, ndlr).

Mon autre carrière, celle d’auteur-illustrateur, m’avait donné le temps de développer un style, une voix, des sujets de prédilection. Le film est dans la continuité de tout mon travail d’illustration et de BD.

Comment ça fonctionne quand tu travailles tout seul sur un film d’animation ? À quel moment as-tu décidé que le scénario était fini et que tu pouvais commencer à l’animer ?

SV : J’ai perdu un peu de temps au début, parce que j’avais envie de commencer par l’animation. Normalement, on démarre par le scénario, puis le storyboard et le design avant de faire l’animation.

Au moment où j’ai commencé, je pointais le matin au travail pour faire de l’animation dans des studios, et le soir et les weekends, je travaillais sur le film, comme une espèce de hobby. Alors forcément, je n’avais pas envie de reproduire ce que je faisais au travail dans mon hobby ! Je voulais faire les choses différemment. Mais en faisant le film, je me suis rendu compte qu’il y avait certaines conventions qu’il valait mieux respecter, comme celle de faire un storyboard et un animatic avant de commencer à animer des plans. J’ai fini par me plier à cette convention. Par contre, je suis passé directement au storyboard, sans écrire de scénario.

Une des raisons pour lesquelles j’avais envie de commencer tout seul, outre mon envie de prendre mon temps et de travailler différemment, c’est que quand j’essayais d’expliquer mon projet à des personnes, c’était très compliqué, alors que quand on voit le film, c’est très clair.

À quel point étais-tu avancé dans le film quand Remembers est rentré dans le projet et quelle a été leur contribution ?

SV : J’ai d’abord travaillé seul pendant 5 ans et j’avais pas mal avancé sur le film, mais il manquait encore plusieurs scènes, dont la plus longue du film, celle dans les toilettes ; ainsi que la scène de l’accouchement, l’une des plus difficiles à animer ; entre autres. La dernière année, j’ai terminé le film avec la boîte de production Remembers. La version que je leur ai présentée était assez avancée pour qu’on puisse regarder le film et comprendre ce qui s’y passe, mais ces scènes manquantes étaient à l’état d’animatic. D’autres séquences étaient complètement terminées, et permettaient de se faire une idée du look final qu’allait avoir le film.

Quand Remembers est arrivé, ses producteurs ont d’abord cherché des financements. Ils ont trouvé tout ce qu’il nous fallait pour finir le film dans les meilleures conditions très rapidement. Ils ont trouvé une équipe incroyable, et nous avons travaillé ensemble dans leurs locaux. J’étais accompagné par une productrice géniale, Joséphine (Mancini, ndlr), et plusieurs animateurs très talentueux sont venus m’aider. Nous avons travaillé ensemble une année entière. C’était devenu une vraie production. Je travaillais à plein temps sur mon film, et contrairement aux 5 premières années, j’étais payé pour le faire, ce qui était plus confortable !

Comment as-tu vécu ce changement ? Est-ce que ça a été facile de travailler avec une équipe d’animateurs ?

SV : C’était différent, mais j’ai adoré les deux phases. Pendant les 5 premières années, ça avançait lentement, déjà parce que j’étais tout seul, mais aussi parce que je cherchais une forme de perfection, et que comme il n’y avait pas de deadline, je pouvais la chercher pendant des mois. C’était très satisfaisant quand j’avais l’impression de la trouver.

Ensuite, avec Remembers, cela a beaucoup changé parce qu’une fois qu’on avait un budget et une production, il fallait finir à une certaine date. Il fallait aussi faire confiance à d’autres personnes et déléguer le travail. Heureusement, mon équipe était incroyable. C’est l’une des raisons pour lesquelles je me suis tourné vers Remembers : ils travaillent avec les meilleurs animateurs. Par contre, la partie que j’ai eu le plus de mal à déléguer, c’était le clean-ups (la phase finale de passage au propre des dessins). J’en ai fait une grosse partie moi-même, y compris sur des plans que je n’avais pas animés, pour qu’on ait au maximum la sensation que tout venait d’une même main.

Remembers a aussi ramené quelque chose que je ne savais pas faire : la 3D. Simon Cadilhac, qui est leur “head of 3d”, a modélisé le visage du personnage en 3D, pour servir de référence aux animateurs qui la redessinaient en 2D. Certains mouvements de caméra ont aussi été animés en 3D, avec des calques en 2D. Cela nous a fait gagner énormément de temps.

Quand tu travaillais tout seul, parlais-tu du projet à d’autres personnes ?

SV : J’en parlais aux gens mais je ne le montrais pas. J’étais complètement obsédé par ce projet pendant 6 ans. Je n’avais plus de hobbies, tout mon temps libre, je faisais ça.

Je recherchais une forme de pureté. J’étais habitué à voir des projets passer de main en main dans l’industrie de l’animation, mais c’était l’opposé de ce que je cherchais pour mon film. Quand je l’ai montré aux producteurs, c’était une grosse étape à franchir. Remembers était une nouvelle compagnie, et l’esthétique de leurs projets était proche de la mienne. L’un des fondateurs, Ugo Bienvenu, était à l’école avec moi (deux promos en dessous) et il fait aussi de beaux projets d’animation. Je me suis dit que ça pouvait fonctionner avec eux. Aussi, au bout de 5 ans, cette rencontre arrivait à point nommé, parce que je commençais à fatiguer un peu. J’avais envie de terminer le projet rapidement.

C’est avec eux que le design son a été construit ?

SV : J’ai commencé le film quand j’avais 30 ans et ça faisait presque 10 ans que je travaillais dans l’animation. J’avais vraiment développé une énorme envie de faire mon propre film, et je me disais souvent : « Si je faisais un film, il serait comme ci, il serait comme ça, je demanderais à untel de faire ci, a untel de faire ça…». C’était une espèce de fantasme. J’avais plein d’idées sur les personnes avec qui je voudrais travailler. Cette personne pour la musique, c’était Charlie Janiaut, dit Qoso, un ami de longue date. J’avais fait une vidéo pour lui il y a dix ans. Lucien Krampf, qui a fait le sound design, est musicien aussi, et il fait partie de la même bande d’amis. Il y a aussi Kerhao Yin, à qui j’ai demandé de choisir les costumes dans le film, un designer de mode et ami de longue date, que j’avais envie d’impliquer depuis le début.

Ils étaient là dès le début, je leur ai montré très vite des choses, et ils savaient qu’ils allaient faire le son, mais nous n’avons commencé à travailler ensemble que quand Remembers est rentré dans le projet. À ce moment-là, il y avait un budget pour le son !

J’ai aussi pu faire jouer du saxo dans le film à Jack Willie de Portico Quartet, que je connaissais de mes années à Londres. Les astres s’alignaient !

Les vêtements des personnages sont très opulents et flashy. Même dans votre travail en général, la question de la mode est récurrente, d’où vient cet intérêt ?

SV : Je ne saurais pas dire d’où ça vient mais c’est vrai que cela m’intéresse. J’ai l’impression que mes grands deux intérêts sont de faire de l’animation et d’acheter des vêtements. Je passe beaucoup de temps à regarder des habits et, souvent dans mes illustrations, je dessine de vrais vêtements dans les personnages.

Kerhao Yin est designer et a travaillé chez Céline et Marni, des marques que j’adore et dont je dessinais déjà parfois des vêtements. Je lui ai demandé de choisir des tenues pour la protagoniste d’Un Genre de testament. Dans ce projet, il faisait du stylisme, il choisissait des vêtements déjà existants pour chaque scène du film.

Il a fait une espèce de graduation dans l’extravagance des tenues que la personnage porte, elles deviennent de plus en plus dramatiques. Il a aussi choisi des vêtements dont on peut identifier la saison, si on connait la mode : par exemple, si dans une scène, le personnage porte intégralement du Marginal de 2008, puis dans une autre, du Prada de 2012, et si on arrive à reconnaître les vêtements, on peut voir combien de temps sépare chaque scène. Il y a une chronologie.

Les vêtements ont été dessinés tels qu’ils sont ?

SV : Oui. Mes palettes de couleurs très particulières sont souvent renseignées par les couleurs avec des vêtements des personnages. Si je dessine des vêtements qui existent, j’utilise leurs palettes pour poser l’ambiance, et, ensuite, je mets les autres couleurs en fonction.

Quelles sont tes influences pour le film ?

SV : J’ai été très guidé par des peintures de vanités. Ce sont des peintures de la Renaissance très soignées, très expertes dans la façon dont elles sont peintes. Quand les peintres de la Renaissance faisaient des vanités, ils essayaient vraiment de faire la peinture la plus belle possible et de mettre tout leur savoir-faire dans cette peinture, mais au même temps, il y avait toujours une espèce de fausse humilité, comme s’ils se disaient : « Oui, je peins bien, mais cela n’a aucun sens parce que finalement je suis conscient que je vais mourir ». Les sujets qui étaient représentés étaient en accord avec cela : fleurs qui fanent, têtes de morts, insectes…

Mon idée pour le film était un peu similaire. Moi, qui suis animateur, je voulais mettre tout mon savoir-faire pour créer une belle animation, mais en même temps il y a ce thème qui est dans les vanités : la mort, le temps qui passe, et le fait qu’au final, tout n’a pas d’importance. J’aimais bien cette idée d’être à la fois très prétentieux, très démonstratif, et en même temps faire comme si cela n’avait pas d’importance.

Comment perçois-tu les festivals d’animation où passe le film ?

SV : Je suis bien content parce que quand j’ai commencé le film, je ne connaissais pas très bien le côté court-métrage de l’industrie de l’animation. Je travaillais surtout sur des projets de commande, de la pub. Être dans des festivals m’a permis de voir plus de courts-métrages, alors que je n’en regardais presque pas, c’est assez foisonnant.

Pourquoi as-tu décidé de faire le film en anglais ?

SV : Parce que quand j’ai commencé le film, j’habitais à Londres. D’ailleurs, ça aurait été inconcevable de faire financer le film au Royaume-Uni ! Là-bas, l’industrie est vraiment tournée vers la pub, et vers des styles très “commerciaux”. Il n’y a pas de studio comparable à Remembers, et leur équivalent au CNC est beaucoup moins puissant. J’ai du attendre d’être revenu en France (après un passage de deux ans à Taiwan) pour y penser.

As-tu de nouveaux projets pour l’instant ?

SV : Je suis en train de finir un livre pour enfant qui devrait sortir à la rentrée. Il y a des points communs avec le film mais c’est beaucoup plus family friendly.

Quelle est ta vision du court métrage ?

SV : Je pense que c’est un endroit parfait pour développer des films qui ne reposent pas sur les personnages, contrairement au long-métrage, ou c’est plutôt la tendance. A titre personnel, j’ai du mal à m’intéresser à mes personnages, mais ça viendra peut-être.

Propos recueillis par Bianca Dantas

Palmarès SFCC 2023, le court et les premiers longs primés

Lors de la 78ème cérémonie des Prix du Syndicat Français de la Critique (SFCC) qui s’est tenue à la Cinémathèque Française le lundi 12 février 2024, le cinéma a été célébré dans diverses catégories, mettant en avant le meilleur des ouvrages littéraires et DVDs de cinéma ainsi que les meilleures productions télévisuelles et cinématographiques de l’année. Parmi celles-ci, les courts et les premiers longs-métrages.

Meilleur court métrage français 2023 : Mémoires du Bois de Théo Vincent, décerné par le Jury composé de Julia Wahl, Valérie Ganne, Margherita Gera, Pierre-Simon Gutman, Nicolas Thys.

Meilleurs premiers films 2023, décerné par le Jury composé de Katia Bayer, Garance Hayat, Yaël Hirsch, Diane Lestage, et Christiane Passevant.

– Meilleur film français français : Le Ravissement d’Iris Kaltenbäck

– Meilleur premier film étranger : Chili 1976 de Manuela Martelli (Chili)

Le Ravissement d’Iris Kaltenbäck

Les éditions Diaphana sortent le 20 février en DVD et VOD le très beau film de Iris Kaltenbäck, Le Ravissement, un premier long-métrage sélectionné à la Semaine de la Critique en 2023 et lauréat, entre autres, du Prix Louis Delluc du meilleur premier film et du Prix SFCC du meilleur premier film français. Le film, nommé aux César 2024, est à découvrir impérativement, avec Hafsia Herzi, Alexis Manenti et Nina Meurisse. Format Court organise un jeu-concours et vous propose d’en remporter un exemplaire.

Salomé est aussi délurée que Lydia est sage et introvertie. Elles nourrissent toutefois une amitié de longue date, vécue par la dernière comme un principe de vases communicants : plus joyeuse est l’une, plus triste est l’autre. Or, Salomé, enceinte, va bientôt accoucher. Ne dit-on pas que cette expérience est le plus beau jour d’une femme ? A l’approche de la date, Lydia, sage-femme de son état, s’inquiète donc des conséquences sur elle. Ne risque-t-elle pas de connaitre un profond malheur?

Est-ce pour cela qu’elle décide de voler l’enfant de son amie, ou est-ce pour (re)conquérir Milos, qui ne répond à aucun de ses appels depuis la nuit qu’ils ont passée ensemble ? Toujours est-il qu’elle se transforme en kidnappeuse et présente à Milos le nourrisson comme le fruit de leur nuit d’amour. 

Cette histoire, inspirée d’un fait divers, nous est racontée progressivement. C’est d’abord la voix d’Alexis Manenti, qui joue Milos avec simplicité, qui cueille le spectateur. Acteur malgré lui de cet enlèvement, son récit est fait de failles et d’interrogations. 

La dramaturgie du film est écrite de façon millimétrée : alors que la voix de Milos/Alexis Manenti s’adresse, on le comprend rapidement, à la cour d’un tribunal chargée de le juger, nous ne savons encore rien de l’histoire qui va se jouer. Si les doutes du personnage ne sont pas ceux des spectateurs, ils se répondent, et chacun avance doucement dans son accès à la – à une – vérité de l’histoire. 

L’écriture du scénario – assurée par Iris Kaltenbäck – fait également montre de virtuosité dans la fabrique de ce hors-champ qu’est le procès. Milos y fait certes allusion, dès le début, du fait de son adresse en voix off, mais jamais il n’apparaît à l’écran. Ce dispositif transforme alors l’écran sur lequel nous regardons le film en prétoire : s’il n’y a à l’image ni juge ni juré, c’est au spectateur de prendre leur place. Ce jeu avec le genre – actuellement bien envahissant – du film de procès rend de fait le spectateur actif. 

Cet effacement des effets de manche et autres exhibitions de preuves s’inscrit également dans l’esthétique générale du film, qui fait de la sobriété son maître-mot. Sobriété de l’image, donc, qui refuse au prétoire sa place, mais aussi des dialogues. 

Hafsia Herzi, qui incarne Lydia avec grâce, nous propose en effet un personnage avare de mots, même quand il s’agit de mentir. Elle affabule avec la même discrétion avec laquelle elle promène son spleen dans les rues de Paris ou la plage d’Houlgate. Son visage n’a pas besoin d’artifices pour être expressif et dit assez la résignation du personnage. 

La musique composée par Alexandre de la Baume la suit à la manière d’une ritournelle mélancolique et légère, qui sait elle aussi s’effacer pour laisser place au drame qui se joue. 

Ce premier long-métrage apparaît comme un coup de maître, la réalisatrice parvenant à associer dans une même retenue scénario, musique et direction d’acteurs. Ce film n’annonce donc pas seulement la naissance d’une réalisatrice, mais celle d’une cinéaste avec une esthétique propre, déjà bien définie.

Le DVD des éditions Diaphana propose en sus du film deux bonus : le premier court-métrage d’Iris Kaltenbäck, Le Vol des cigognes, et un échange entre la réalisatrice et Ava Cahen – déléguée générale de la Semaine de la Critique. 

Réalisé à la Fémis, Le Vol des cigognes (2015) présente, en vingt-huit minutes, une première version du Ravissement. Le style d’Iris Kaltenbäck y affleure déjà, de manière peut-être plus absolue : la sobriété du long-métrage est annoncée par le silence presque complet du court. Le scénario varie certes quelque peu, mais l’essentiel n’est pas là : ce qui importe est bien de cerner ce passage du mutisme à la réserve. 

Quant à l’échange avec Ava Cahen, il permet de comprendre la naissance de cet étrange scénario à partir d’un simple fait divers, mais aussi les choix présidant au casting, si important dans la réussite de ce film. Ce DVD/VOD permet donc de saisir la naissance d’une cinéaste dont on attend beaucoup dans les années à venir.

Julia Wahl

N comme Nous ne serons pas les derniers de notre espèce

Fiche technique

Synopsis : Et si la fameuse arche biblique, dernier refuge de l’humanité et du règne animal lors du grand déluge, n’était pas un simple acte d’intervention divine mais plutôt un programme de réinsertion professionnelle minutieusement planifié ?

Genre : Animation

Durée : 24’

Pays : France

Année : 2024

Réalisation : Mili Pecherer

Scénario : Mili Pecherer, Adrien Dupuis-Hepner

Musique : Beila Unger

Son : Hugo Debrie

Production : Mili Pecherer, Musée d’Art et d’Histoire du Judaïsme

Articles associés : la critique du film, l’interview de la réalisatrice

Nous ne serons pas les derniers de notre espèce de Mili Pecherer

« Le véritable voyage de découverte ne consiste pas à chercher de nouveaux paysages, mais à avoir de nouveaux yeux » écrit Marcel Proust dans son célèbre roman À la recherche du temps perdu. Nous ne serons pas les derniers de notre espèce (France) correspond à cette idée : un dernier voyage apocalyptique sur une arche de Noé moderne qui nous fait ouvrir les yeux. Ce court-métrage d’animation brillant, innovant et disruptif de l’israélienne Mili Pecherer est présenté cette année dans la sélection des courts en compétition de la Berlinale.

Dans le livre de la Genèse, il est écrit : « Pour moi, je vais faire venir le déluge, les eaux, sur la terre pour détruire toute créature ayant souffle de vie sous le ciel; tout ce qui est sur la terre périra.” Ici, pas de Dieu ou de grande parole annonciatrice : on voit seulement le bateau accueillir les animaux avant que la terre ne soit submergée par l’eau. Le court-métrage commence par une aube rosée avec la présence d’un bateau à terre, on s’enfonce dans notre siège à la rumeur d’animaux au loin. Une fois le “déluge” passé, il semble faire nuit sans cesse. L’animation savamment travaillée confère de façon saisissante une solitude tremblotante sur le navire, ressemblant de près ou de loin à une sombre retraite thérapeutique pour des gens perdus qui chercheraient un sens à leur vie.

Le spectateur reste bloqué à un étage du bateau, dénommé le “Département des purs”, se voulant productif et utile – sans doute assez ironique au vu de l’unique présence d’animaux de ferme et d’une femme. On devient rapidement témoins des discussions en entendant les vaches mugir, les cochons couiner, les poulets caquetter, grâce aux sous-titres proposés. Cela fait curieusement écho à un autre court de la sélection berlinoise Les animaux vont mieux de Nathan Ghali (France), où une mystérieuse communauté d’animaux a décidé de vivre en autarcie dans le sous-sol d’une église. Là aussi, le langage des animaux est conservé et traduit par un sous-titrage, offrant une nouvelle perspective du langage au spectateur.

Dans Nous ne serons pas les derniers de notre espèce, le mythe est renversé. Il n’y a pas de colombe annonçant la paix, comme sur l’arche de Noé, mais un pigeon annonçant à la femme qu’elle doit effectuer sa mission en quarante jours, même si elle ne la comprend pas. La femme doit donc obéir et travailler. Elle discute avec ses collègues, les animaux, dont le corbeau, un personnage singulier : il ne travaille pas et boit tout le café, en partageant sa vision pessimiste et nihiliste du monde, qu’il souhaite voir périr. Le travail de la femme – sans issue possible – est aliénant en ce qu’il lui fait croire qu’il y a une issue, même si elle se sent toujours aussi perdue – et qu’elle perd sa liberté… Elle travaille pour un but et un chef qu’elle ne connaît pas et dont elle ne reçoit que les ordres par intermittence. Cette espèce de patron, ou dieu qui dicte ses commandements à partir des hauts parleurs, donne cette sensation malaisante de contrôle et de surveillance propre aux dystopies.

Tout au long du visionnage du court, de nouvelles questions se soulèvent. Quoi de mieux qu’utiliser la fin du monde comme prétexte pour critiquer notre monde actuel ? Même si la terre est engloutie, le système continue d’avoir un pouvoir sur les derniers restants. Cette arche de Noé moderne illustre cette perte de sens, notamment en suggérant l’exploitation par le travail caractéristique d’une société capitaliste. Plusieurs fois, un oiseau répète que les heures supplémentaires de la femme seront payées davantage, et que le frigo sera enfin rempli. N’y aurait-il pas une pointe d’ironie de parler de salaire quand c’est la fin du monde au dehors ? La femme, qui semble chercher un sens au commencement, finit par suivre les ordres et construire ce qu’elle a à construire : une sorte de tour en vestige d’une civilisation perdue.

La reprise burlesque, quoique dramatique du célèbre épisode biblique, nous invite à regarder autrement le monde d’aujourd’hui et nous interroge sur l’idée de la survie de l’espèce humaine. À l’image d’une fable désenchantée, le court-métrage nous fait finalement peut-être espère que nous serons les derniers de notre espèce.

Amel Argoud

Consulter la fiche technique du film

Article associé : l’interview de la réalisatrice

Retour en enfance à la Berlinale

Dans Terre des hommes, Antoine de Saint-Exupéry écrit qu’”on est de son enfance comme on est d’un pays”, signifiant le caractère fondamental de l’enfance pour définir qui nous sommes en tant qu’individus. En d’autres termes, notre enfance est une partie intégrante de notre identité, tout comme là d’où on vient. Cette année, entre fiction et documentaire, la Berlinale nous ramène à cette époque un peu éloignée en nous faisant goûter avec nostalgie à cette innocence perdue.

« Re Tian Wu Hou »

Re Tian Wu Hou (Remains of the Hot Day) est un court métrage signé Wenqian Zhang qui met en scène Qi, une petite fille habitant avec la famille d’origine de sa mère depuis que son père travaille dans une zone économique spéciale de Shenzhen et retourne rarement à la maison. L’action se concentre sur une journée dont on peut deviner la chaleur dehors, jour de vide et de vacances chez une petite-fille, autour duquel les personnages familiaux gravitent. Wenqian Zhang avait déjà réalisé un court documentaire, A long journey home, au sujet de son retour chez lui, dans sa famille en Chine. Le film de cette cohabitation renouvelée a probablement influencé la création de ce nouveau court.

Ce dernier commence avec un plan fixe sur le sol d’une chambre, le terrain de jeux favori des enfants. Une petite fille y chantonne et joue, rejointe rapidement par sa petite sœur. Dans la cuisine, la grand-mère prépare des mets, et un enfant pleure dans son cou. De l’intérieur, on entend sensiblement les bruits de pluie, de rails, la ventilation ou la rumeur du monde dehors. Soudainement, le Mambo no. 5 (A Little Bit of…) de Lou Bega résonne dans la pièce, et on voit la petite fille endormie sur le sol. La musique, l’image simple et saisissante nous donne déjà un goût de nostalgie dans la bouche, mais ça ne s’arrête pas là.

Sans vraiment suivre de fil rouge, Remains of the Hot Day nous raconte une histoire de famille avec ses différents personnages, observés de près ou de loin par la petite fille. Des détails : un miroir dans lequel se reflète le corps abîmé du père se reflète, probablement frappé par les personnes qu’il a licenciées. Au fond de la cour, la mère parle de choses mystérieuses avec un inconnu. Tous deux sont montrés comme des observateurs ni invités ni importants. Et puis la grand-mère à l’intérieur, figure chaleureuse et consolatrice du foyer.

Dans ce court, on apprécie tout particulièrement la place du sol, nous offrant une nouvelle perspective, à hauteur d’yeux d’un enfant. L’enfant qui observe, derrière le coin dans le porte ou dans un reflet, le spectacle des grandes personnes. On traîne dans le salon, ou en-dessous de la table pendant un repas et puis enfin, on entend l’orage qui se prépare après la chaude journée de l’été. Cela ressemble à une ode au temps qui passe lentement pour un enfant qui s’ennuie, un jour de vacances comme les autres dans une maison calme.

« Kaalkapje »

Chez la réalisatrice belge Marthe Peters, l’ode à l’enfance est plus brutale, certainement plus crue quant à son innocence et à ses joies. Dans son court-métrage documentaire Kaalkapje (Baldilocks), la réalisatrice reprend les images de la caméra de son père pour revenir sur son passé d’enfant atteinte du cancer. Ces images sont combinées avec de nouvelles images et une voix-off d’enfant, un parti-pris aussi surprenant que touchant. En effet, cette voix d’enfant nous fait entendre la perspective d’adulte de la réalisatrice sur cette période de sa vie, créant un décalage tout à fait particulier.

On est directement plongé dans ses souvenirs avec la présence d’une infirmière à ses côtés, puis on l’accompagne sur sa chaise haute. Elle semble ne pas avoir conscience de la caméra et sourit à l’objectif, à son père.

Il ne s’agit pas seulement de nous montrer un enfant souriant soumis à des traitements quotidiens. Avec des gros plans sur la peau malaxée, pétrie puis palpée, on comprend que certains soins continuent et que l’attention est toujours maintenue. Des mains qui frictionnent une sorte de purée jaune, une craie grasse qui gribouille sur la feuille : un jaune maladif, prenant, un soin des détails que la réalisatrice vient incorporer au montage. On ne voit pas son visage d’aujourd’hui, seulement ce corps massé, la nuque, les cheveux : un spectre sur ce qu’elle est devenue, sur un corps avec des séquelles mais encore fort.

Kaalkapje, cela veut dire “tête chauve” en flamand. Le père de Marthe la surnomme ainsi en riant. Ces images aussi tragiques que dédramatisantes nous offrent un spectacle intime de l’enfance. Ce spectacle est doublé du regard analytique de la réalisatrice, qui revient sur ces années de sa vie.

En fiction comme en documentaire, ces deux courts nous montrent d’une manière à la fois douce et percutante ces moments d’enfance, simples, difficiles, étranges, chauds ou froids, teintés d’une lumière jaune toute particulière, et on sort du cinéma contents d’être revenus en arrière.

Amel Argoud

Gala Hernández López. Sonder les imaginaires qui circulent au sein des communautés virtuelles

La Mécaniques des fluides, César 2024 du meilleur court métrage documentaire, est un film magnétique et un essai cinématographique atypique. Entre captures d’écrans et animations 3D, c’est un récit hybride aussi bien immersif qu’hypnotique. Le film débute avec une lettre de suicide trouvée sur un forum Reddit, d’un incel, une communauté formé principalement d’hommes, involontairement célibataires et réunis par une haine commune des femme, nommé Anathematic. La réalisatrice, Gala Hernández López, tente de lui répondre et développe une réflexion énigmatique autour des relations numériques et de l’impact des algorithmes dans nos rapports amoureux. Dans cet entretien, elle revient sur les origines du film, ses projets futurs et la perception de sa propre pratique.

Cinéma du réel 2023 (c) Léa Rener

Format Court : Comment le film s’inscrit-il dans vos travaux de recherche ?

Gala Hernández López : J’ai fait La Mécanique des fluides dans le cadre de ma thèse de doctorat en recherche-création, à l’université Paris 8, qui porte sur la capture d’écran comme geste médiatique et son utilisation dans l’art et le cinéma post-internet, par différent.e.s artistes. Le film s’inscrit dans cette démarche de recherche-création, c’est-à-dire interroger par la pratique des hypothèses théoriques afin de les peaufiner, de les mettre à l’épreuve. Il fallait que dans ce cadre, je fasse un film qui utilise les captures d’écrans entre autres (parce qu’il n y a pas que ça dans le film). C’est un film financé en partie par l’EUR ArTeC qui est une école universitaire de recherche et un petit peu par Paris 8, puis par le CNC.

Ce film a-t-il pu vous aider à avancer dans votre thèse ?

GHL : Oui, parce que la mise en pratique de mon objet de recherche fait que je me suis confrontée à des questions précises auxquelles je ne me serais jamais confrontée. Quels logiciels utiliser, comment les paramétrer ? Qu’est-ce que c’est exactement une capture? Quel est le geste concret de capturer, à quel moment je commence, à quel moment j’arrête la capture ? Qu’est-ce que je suis en train de capturer concrètement ? Plein de choses qui se posent que, je pense, j’aurais un peu survolées si j’avais fait un manuscrit uniquement théorique. Puis aussi, au-delà de ces questions plus précises, pourquoi avons-nous besoin de la capture, à quoi sert-elle ? Qu’est-ce qu’elle vient capturer que d’autres moyens de prises de vues ne peuvent pas obtenir ? Cette spécificité de la capture d’écran, je pense que je l’ai comprise ou appréhendée beaucoup mieux en réalisant le film.

Et dans cette dynamique, comment s’est articulée l’écriture du film ?

GHL : Je devais faire un film, ça je le savais dès le départ. J’avais proposé quelques idées, pendant mon parcours de thèse, de films que je ne réaliserais peut-être jamais. À un moment donné, j’avais pensé à en faire un sur les collapsologues et Doomsday Preppers, une communauté d’hommes et de femmes qui se préparent pour la fin du monde. Je pense que finalement, le sujet du film s’est imposé dans le sens où celui dont j’avais envie de parler, dont je sentais que j’étais touchée personnellement, était de partir de mon expérience intime des écrans et d’internet. À ce moment-là de ma vie, quand j’ai commencé à écrire le film, c’était notamment les applis de rencontres que j’utilisais énormément. Je me suis dit que je pouvais faire converger mes intérêts théoriques de recherche avec mes préoccupations intimes, personnelles. Petit à petit, ça a évolué, les incels sont apparus, Anathematic aussi, mais tout ça est venu plus tard. Au départ, c’était vraiment un film sur Tinder que je voulais faire.

« La Mécaniques des fluides »

La rencontre avec la lettre de suicide d’Anathematic (personnage central du film ndrl) est donc arrivée bien plus tard ?

GHL : Au départ, j’avais fait des entretiens avec pleins d’utilisateurs d’applis de rencontres pour faire une sorte de terrain ethnographique. J’avais mis une publication sur mes réseaux sociaux en disant que je recherchais des utilisateurs d’applis de rencontres pour participer à un projet de recherche. J’ai commencé à faire des entretiens où je posais toujours les même questions que j’enregistrais. Je pensais que j’allais faire quelque chose avec ces vidéos mais finalement, lorsque je les regardais, je me disais que ce n’était pas très intéressant cinématographiquement. Je me questionnais sur comment donner une forme plus narrative et plus intéressante d’un point de vue dramaturgique au film. En parlant avec mes amis, en réfléchissant beaucoup, je me suis rendue compte que j’avais besoin de fictionnaliser ou en tout cas d’appliquer des codes de fiction avec un personnage, un objectif, quelque chose de l’ordre de la mise en récit conventionnelle pour que le film prenne une forme plus intéressante. Je n’avais pas envie de faire un reportage sur les applis de rencontre. En même temps, je ne voulais pas être le personnage, faire une auto-ethnographie, me mettre au centre complètement (même si je le suis un peu), je n’avais pas envie de raconter mon histoire. En cherchant un personnage et un récit pour mettre tout ça en ordre, je suis tombée sur les incels, qui, pour moi, incarnaient un peu toutes les questions sur lesquelles je voulais parler par rapport aux applis de rencontres. Je voulais évoquer la solitude connectée, comment le numérique nous a atomisés, a fragilisé nos manières de créer des relations, nos manières de tomber amoureux, nos affects. Je trouvais que les incels étaient une bonne porte d’entrée pour parler de ces questions-là, justement, par rapport à ce qui fait leur identité qui est le célibat, la solitude, … . Quand j’ai commencé à faire des recherches sur la communauté incel, je suis tombée sur Anathematic et sur sa lettre, je me suis dit que c’était une bonne idée de lui répondre et d’en faire un film.

Par rapport au travail de la capture d’écran et des images d’archives, quel était le processus de traitement de tout ce matériel ?

GHL : Le film est composé de plein de régimes d’images différents : des captures d’écrans de Twitch, de livestreams, de Google Earth, de Google Maps, de Google Street View et de différents sites. Il y a des animations 3D que l’on a faites pour le film, que l’on a créées nous-même (deux séquences concrètement). Il y a des vidéos que l’on a téléchargées de YouTube, ainsi que quelques extraits de films de cinéma, de fictions et des archives un peu plus anciennes que l’on a aussi trouvées sur internet. J’avais écrit une première version de la voix off lorsque j’avais lu la lettre d’Anathematic. Je m’étais lancée dans une sorte de réponse de manière un peu intuitive, ce qui a fait que 80% de la voix off était déjà écrite dès le départ. Ensuite, on a commencé à monter à partir de cette voix off qui était une sorte de squelette qui faisait une structure du film, qu’après on a remaniée, restructurée. Une grande partie du film était donc déjà là. Pendant que le monteur montait d’après mes instructions et la voix off, moi je continuais à rechercher des images. J’en trouvais qui me plaisaient, qui me touchaient, … . Parfois, il arrivait aussi que j’invente des séquences ou que j’écrive une partie de la voix off pour inclure des images que j’avais trouvées en faisant des recherches sur YouTube ou autres. Je pouvais aussi trouver des textes, des posts de incels que j’aimais bien et que j’avais envie d’inclure, comme par exemple des poèmes.

Il y a une forme de saturation visuelle, informationnelle, hypnotique. Je cherchais à ce que ça aille vite et à un peu assommer le spectateur avec ce flux d’images, de voix et de discours, que ce soit immersif comme expérience.

« For Here Am I Sitting In A Tin Can Far Above The World »

La Mécanique des fluides est le premier volet d’une série de films, le deuxième (For Here Am I Sitting In A Tin Can Far Above The World, 2024) aura sa première mondiale à la Berlinale (Forum Expanded). Que pouvez-vous dire sur ce projet ?

GHL : C’est une trilogie de films où je m’intéresse à différentes communautés virtuelles qui ont un lien plus ou moins direct à des technologies spécifiques. Ce qui m’intéresse, c’est de sonder les imaginaires qui circulent au sein de ces communautés, les symboles, les récits, en fait les fictions et les croyances que ces personnes partagent. Il y a les incels et leur lien avec les applications de rencontres et avec les algorithmes YouTube, toutes ces questions que je me posais dans La Mécanique. Dans le deuxième film, je parle d’une autre communauté : les extropiens. Elle n’existe plus aujourd’hui, mais c’est une des premières communautés virtuelles qui a existé. Je parle des débuts d’internet quand la manière de créer des communautés se passait à travers des mailing lists. On est à la fin des années 80, au début des années 90, à la Silicon Valley, en Californie. C’est également une communauté principalement masculine qui se caractérise par des croyances transhumanistes : c’est-à-dire qui croit à l’amélioration, l’optimisation de l’être humain par la technologie, le progrès et la science. Ils s’intéressent donc à des questions comme la colonisation de l’espace, l’immortalité, les nano-technologies, l’ingénierie génétique, la cryogénisation, la lutte contre le vieillissement, l’intelligence artificielle, toutes sortes de questions liées un peu à l’univers de la science-fiction. Des gens très techno-optimistes qui misent beaucoup sur l’avenir. Ces gens-là, même si la communauté n’existe plus telle quelle, sont encore en vie et beaucoup d’entre eux occupent des postes importants dans des grandes entreprises à la Silicon Valley. Par exemple, le fondateur des extropiens est le CEO de Alcor, qui est la plus grande entreprise de cryogénisation active aujourd’hui dans le monde. Je m’intéresse à cette communauté et à toute cette série de discours qui circulait à l’intérieur et plus concrètement, à un personnage qui s’appelle Hal Finney qui a été une personne importante dans la communauté et qui est aujourd’hui cryogénisé (en attente d’être réanimé ou éveillé lorsque la science le permettra). Je parle de cette personne qui est un personnage réel, historique et qui a été aussi le premier à recevoir dans l’histoire des bitcoins une transaction de bitcoins de la part de son créateur Satoshi Nakamoto. Je traite donc beaucoup des liens entre les cryptomonnaies, les extropiens et la cryogénisation.

Et sur quoi portera le troisième volet ?

GHL : Le troisième volet, que je suis en train de tourner en ce moment, est sur la communauté crypto en Espagne. Encore une fois, ce sont des communautés toujours principalement composées d’hommes qui sont très enthousiastes vis-à-vis des cryptomonnaies et des promesses d’avenir que ces technologies leur offrent. Je fais également le rapprochement historique entre la crise financière de 2008 et le moment présent.

« La Mécaniques des fluides »

Dans vos prochains projets, souhaitez-vous continuer à travailler l’essai cinématographique en vous approchant du documentaire tout en essayant de le réinventer ?

GHL : C’est une question qui me traverse beaucoup en ce moment. J’ai été contactée par la SCAM qui m’avait demandé d’écrire un texte pour une série d’articles qui s’appelle « Comment transposer le réel ? ». Je me suis vraiment posée la question : « est-ce que je considère mes films comme du documentaire ? » C’est vrai que je ne suis pas particulièrement attachée à la distinction fiction/documentaire. Je pense qu’idéalement, à l’avenir, j’aimerais bien arriver à trouver une forme et une poésie singulière qui m’appartiennent et qui puissent peut-être se passer de ce genre d’étiquette. En tout cas, je pense que je vais toujours avoir un point de départ documentaire parce que j’ai vraiment du mal à imaginer des projets complètement de fiction qui viennent du néant, qui surgissent totalement d’une construction imaginaire. J’ai du mal personnellement avec cette démarche qui, en plus, ne m’intéresse pas trop. Mais après, tout en ayant un point de départ documentaire, je me pose la question de comment m’éloigner de ce réel, comment lui donner une forme, un récit avec des éléments de fiction en n’ayant pas peur de le manipuler, de le transformer et de jouer avec cette matière réelle ? Je pense que c’est ça qui m’intéresse.

Propos recueillis par Garance Alegria

#César 2024

Ce 2 janvier 2024, le premier tour des votes s’est ouvert aux votants des César. Il se clôturera le 23 janvier prochain. Le lendemain, ce sera l’annonce des nominations. Le 1er février, ce sera au tour du second tour de votes de s’ouvrir avant de se clôturer le 23 février et que la 49è cérémonie des César ait lieu. D’ici là, Format Court vous propose de revenir sur ses coups de coeur du côté des courts en lice.

Nos actus

Les courts primés aux César 2024

César 2024, les nominations des courts

Les courts sélectionnés aux César 2024

Nos nouveaux sujets

– L’interview de Alice Douard, réalisatrice de L’Attente, César du meilleur court-métrage de fiction 2024

– L’interview de Claude Delafosse, réalisateur de L’effet de mes rides

– L’interview de Paul Rigoux, réalisateur de Rapide

– L’interview de Stephen Vuillemin, réalisateur de Un Genre de testament

– L’interview de Gala Hernández López, réalisatrice de La Mécaniques des fluides, César du meilleur court-métrage documentaire 2024

La forêt de Mademoiselle Tang de Denis Do

– L’interview de Guillaume Brac, réalisateur de Un pincement au coeur

– L’interview de Mathilde Bédouet, réalisatrice de Été 96, César du meilleur court-métrage d’animation 2024

Les Silencieux de Basile Vuillemin

– L’interview de Lkhagvadulam Purev-Ochir, réalisatrice de Snow in September

– L’interview de Julia Kowalski, réalisatrice de J’ai vu le visage du diable

– L’interview de Basile Vuillemin, réalisateur de Les Silencieux 

De la folie des hamsters de Juliette Marrécau

Des récits ancrés dans nos réalités. Retour sur les courts-métrages documentaires aux César 2024

Snow in September de Lkhagvadulam Purev-Ochir

– L’interview de Nans Laborde-Jourdàa, réalisateur de Boléro

– L’interview de Vincent Fontano, réalisateur de Sèt Lam

Sèt Lam réalisé par Vincent Fontano

J’ai vu le visage du diable réalisé par Julia Kowalski

Les films dejà couverts sur Format Court

27 réalisé par Flóra Anna Buda

Ice Merchants réalisé par João Gonzalez

La Saison pourpre réalisé par Clémence Bouchereau

Scale réalisé par Joseph Pierce

L’acteur réalisé par Hugo David et Raphaël Quenard

– Sauvage réalisé par Léonore Mercier

Big Bang réalisé par Carlos Segundo

Boléro réalisé par Nans Laborde-Jourdàa

Des jeunes filles enterrent leur vie réalisé par Maïté Sonnet

Ville éternelle réalisé par Garance Kim

Azedine Kasri : « Je pense moi-même être un loser merveilleux »

Originaire des Ardennes, Azedine Kasri est un acteur que l’on a pu voir officier chez Kim Chapiron dans La Crème de la crème. Après être passé par la Résidence de la Fémis, il se situe maintenant du côté de la réalisation avec son dernier film Boussa présenté en hors-compétition, dans le programme “Regards d’Afrique”, durant le dernier festival de Clermont-Ferrand. L’aventure d’un couple qui va essayer tant bien que mal de pouvoir s’embrasser dans une Algérie en proie au changement, un récit plein d’espoir dont la genèse nous est partagée ici par son réalisateur.

Format Court : Tu as d’abord étudié en tant qu’acteur pour ensuite rejoindre la Fémis, comment es-tu arrivé à faire ce parcours-là ?

Azedine Kasri : En fait, c’était un long processus. Moi, je suis né et j’ai vécu dans les Ardennes à un endroit où il manquait des structures pour des gens comme moi qui avaient des velléités dans le cinéma. C’est en montant sur Paris dans le cadre de mes études en finance que j’ai commencé à faire des cours de théâtre le soir. D’ailleurs, c’est en voyant des interviews de Tahar Rahim et son parcours que j’ai repéré des similitudes avec le mien et que ça m’a donné envie de passer le cap et de suivre la formation du Laboratoire de l’acteur. C’est grâce à ça que j’ai pu faire des rencontres notamment avec Kim Chapiron. Petit à petit, j’étais frustré d’être cloisonné dans des rôles un peu banlieusards. Moi qui viens du grand Est, j’avais vraiment envie de raconter d’autres histoires. C’est à ce moment-là que je me suis intéressé aux Talents en Court et que j’ai fait la rencontre de la productrice et scénariste Aurélie Cardin qui m’a recommandé la Résidence de la Fémis. Du coup, j’ai passé le concours sans savoir réellement ce qu’était la Fémis et je pense que ça les a séduits.

Qu’est-ce que ça t’a apporté ?

A.K : La Fémis m’a ouvert plein de portes, mais c’est avant tout beaucoup de rencontres, des personnes avec qui je continue de travailler à l’heure actuelle. Je pense notamment à Guillaume Scaillet, un scénariste avec qui j’écris mon projet de long-métrage en ce moment. Et en tant qu’auteur, je pense que ça m’a permis de mettre les mains dans le cambouis, de pratiquer et d’en apprendre plus sur la dramaturgie, la minutie d’un tournage et la complexité de chaque poste.

Si tu pouvais pitcher Boussa, qu’est-ce que tu dirais ?

A.K : C’est un couple de jeunes Algériens qui n’arrivent pas à s’embrasser sur la bouche et qui, au bord du gouffre, vont trouver un subterfuge qui est de s’inscrire à un cours de secourisme pour pouvoir attendre l’exercice du bouche-à-bouche et pouvoir s’embrasser.

Maintenant, que tu es passé derrière la caméra, que gardes-tu de ton passé de comédien ?

A.K : Je pense que ça m’a apporté beaucoup. Rien que de dans la direction d’acteurs sur un tournage, je comprends mes comédiens, je sais comment construire un personnage et comment les accompagner dans la bonne direction. C’était très important dans un film comme Boussa où il fallait toujours dans chaque scène trouver un juste-milieu entre comédie et drame. On a fait un vrai travail sur cela et notamment à travers la langue dans le film, qui est très particulière et importante. Je voulais vraiment travailler sur des sonorités berbères et j’ai eu la chance de travailler avec un acteur franco-algérien (Mourad Boudaoud) qui maîtrisait vraiment cela. Je pense que ce niveau de détail dans la construction du film et de mes personnages, je le tire de mon expérience dans l’actorat.

Comment as-tu été amené à collaborer avec tes comédiens Mourad Boudaoud et Anais Lazizi ?

A.K : Avec Anaïs, on avait fait un casting en Algérie dans ma ville d’origine et c’est vraiment elle qui s’est détachée du lot. La même chose à peu près pour Mourad, mais lui, c’était sur le tard après avoir vu plusieurs profils que je suis tombé sur son travail dans le court-métrage Malabar de Maximilian Badier Rosenthal et que je me suis réellement intéressé à son profil En plus, il écrivait déjà à l’époque, du coup, il avait cette conscience sur le boulot qu’on était en train de livrer, il était toujours là à poser les bonnes questions et à me proposer beaucoup de choses. Pour Anaïs, c’était pareil même si elle avait moins d’expérience que Mourad. Après, on a surtout travaillé avec eux pour qu’il y ait cette alchimie, il fallait rendre ce couple crédible. Sur le plateau, ça été beaucoup de discussion pour déterminer où on pouvait aller avec Mourad et AnaÏs. Personnellement, je me considère plus comme un chef d’orchestre qui dirige plutôt qu’un réalisateur qui a exactement en tête ce qu’il veut.

Est-ce important de traiter ce genre de sujet via l’humour ?

A.K : Oui évidemment, il est vrai que j’ai pu faire entre autres avec mon film de fin d’études Timoura des œuvres qui lorgnent plus du côté du drame, mais moi, je suis avant tout un fervent défenseur de la comédie et notamment de la comédie italienne qui m’a beaucoup inspiré pour Boussa. J’ai vraiment baigné dedans et je voulais vraiment faire une comédie italienne sauce algérienne. Mais en fait, je pense que c’est surtout parce qu’on était arrivé à un moment où l’Algérie était en pleine révolution et qu’il y avait beaucoup d’espoir quant à celle-ci. Je voulais que cet espoir se retranscrive dans mon film via un dénouement heureux comme un appel à la paix. Je trouvais cela intéressant de traiter ces sujets via l’humour, là où on a l’habitude au Maghreb et au Moyen-Orient de le faire via le drame et la tragédie.

Avec Boussa et tes anciens films, comme 507 heures, tu développes l’archétype du loser merveilleux. Qu’est-ce qui t’intéresse dans ce type de personnages ?

A.K : En fait, je pense être moi-même un loser merveilleux. A l’origine, ce qui m’intéressait, c’était de m’écrire des rôles en tant que comédien. Au final, je suis passé derrière la caméra, je joue toujours, mais moins et j’ai gardé ce type de personnages en phase avec ma personnalité. C’est ce coté un peu Pierre Richard, mais aussi Patrick Dewaere dont je suis fan absolu qui me plaît pas mal. Et écrire, ça m’a vraiment aidé en tant qu’acteur à savoir ce que je pouvais jouer ou pas.

Tu es originaire d’Algérie sans vraiment y avoir vécu, comment as-tu abordé la création du film ?

A.K : En fait, même si mes parents ont quitté l’Algérie très vite, je suis quand même très attaché à ce pays. J’ai eu la chance d’avoir toujours de la famille qui y habitait et de pouvoir y aller une grande partie de mes étés. Et c’est durant ces vacances que je me suis dis que je voulais faire du cinéma en Algérie tellement c’est un pays riche et paradoxal. C’est aussi pour son côté paradoxal que j’ai décidé de faire de Boussa une comédie. L’envie de faire le film, c’était aussi de pouvoir renouer avec mes racines et de rattraper le temps. Ce n’était pas par problème d’identité, mais une vraie envie de parler de ce pays.

Est-ce qu’il y a eu des obstacles dans la vraisemblance du traitement de la société algérienne ?

A.K : En fait, tu as surtout peur, tu te demandes comme les gens vont réagir là-bas, si les autorités vont te laisser faire. Finalement, on s’en est bien sorti en tournant en Algérie, moi qui voulais vraiment pouvoir tourner là-bas et pas en Tunisie ou au Maroc. Je voulais vraiment pouvoir tourner avec des jeunes techniciens algériens et permettre à plus de personnes de se former. Et je pense qu’on a eu finalement plus de problèmes administratifs au niveau de la production française qu’algérienne.

Comment s’est passée la recherche de production ?

A.K : Je me souviens que mon premier contact avec 2Horloges la production algérienne s’est fait à un moment où j’étais encore étudiant à la Fémis et que je travaillais sur Timoura. Ils nous avaient aidés pour toute la partie administrative et je leur avais promis de revenir vers eux avec un projet plus produit et c’est ce que j’ai fait. Ma première rencontre avec Bien ou Bien Productions s’est faite lorsque j’ai participé aux Talents en Court et que j’ai eu l’occasion de présenter mon film au producteur Zangro. Ce qui est amusant, c’est que je connaissais déjà Maïmouna Doucouré, dont ils avaient produit le premier film, lors de notre formation commune au Laboratoire de l’acteur.

Es-tu optimiste quant à l’évolution du cinéma algérien ?

A.K : Je ne veux qu’être optimiste. Bien sûr qu’il est compliqué de faire des films en Algérie, on ne va pas se mentir. Mais je pense qu’il y a quand même des actions qui ont fait qu’il y a eu des Assises du cinéma. On m’a laissé faire, je suis peut-être dans un monde de Bisounours, mais pour moi, on avance. Maintenant, on voit des films comme Omar la fraise de Elias Belkeddar qui émerge et qui parle de sujets comme la drogue ou l’alcool. Après, le nombre de films disponibles diminue aussi en raison de l’obligation de coopérer automatiquement avec une production locale. Mais rien qu’ici a Clermont, on peut voir qu’il y a déjà plusieurs films qui ont réussi à faire leur chemin jusqu’en compétition nationale.

Propos recueillis par Dylan Librati

Article associé : notre reportage « Regards d’Afrique. Regards nouveaux »

F comme La Forêt de Mademoiselle Tang

Fiche technique

Synopsis : Partir ou rester ? Le réalisateur Denis Do nous entraîne dans une quête existentielle à travers les générations d’une seule et même famille, secouée par 200 ans d’histoire en Chine. Une chronique familiale profondément humaniste.

Genre : Animation

Durée : 40′

Pays : France

Année : 2023

Réalisation : Denis Do

Scénario : Denis Do

Animation : Arnaud Lefebvre

Montage : Nazim Meslem

Musique : Thibault Kientz Agyman

Production : Special touch Studios, Pictanovo

Article associé : la critique du film

Anthony Bajon : « Dans ce métier, l’humilité doit être au centre de tout »

Nommé au César du meilleur acteur dans un second rôle pour Chien de la casse de Jean-Baptiste Durand, Anthony Bajon vient de passer à la réalisation avec La Grande Ourse, sélectionné en janvier dernier au festival Paris Courts Devant. Dans ce premier film, une violence sourde s’invite le temps d’un été, dans un camping de vacances dans lequel évoluent l’acteur lui-même, mais aussi Ophélie Bau, Diane Danglard, Marie Colomb, Zinedine Soualem et Marie Bunel.

L’occasion de cette projection nous a permis de faire le point avec l’acteur s’étant fait connaître avec La Prière de Cédric Kahn et bien d’autres films (Tu mérites un amour de Hafsia Herzi, La Troisième Guerre de Giovanni Aloi, Une jeune fille qui va bien de Sandrine Kiberlain, …). Il est rare en entretien de recueillir des mots aussi francs et intimes sur la direction d’acteurs, les désillusions du métier, l’intérêt pour les premiers films et l’absence de plan B. Rencontre.

Format Court : Nous avions rencontré Raphaël Quenard cet été au moment où il présentait son premier court-métrage L’Acteur (co-réalisé avec Hugo David) dans lequel tu fais une courte apparition. Contrairement à lui, tu ne sembles pas avoir fait beaucoup de courts-métrages. Quand tu commences dans le cinéma avec Les Ogres de Léa Fehner, est-ce que le court Azurite de Maud Garnier a lieu au même moment ou tu fais d’abord ce court avant le long ?

Anthony Bajon : Les Ogres est arrivé à un moment où j’avais déjà fait quatre ou cinq courts. Azurite arrive juste avant. Une fois que je fous les pieds sur Les Ogres, qui est la première fois sur un plateau de long-métrage, c’est vrai que je vais beaucoup moins sur les courts, jusqu’au moment où j’y retourne pour un film qui s’appelle Harmony de Céline Gailleurd et Olivier Bohler avec Alma Jodorowsky, Noée Abita et Grégoire Colin. J’y retourne parce que c’est juste après le Covid, que le sujet me plaît et que le casting est fou. C’est un format sur lequel on va moins une fois qu’on a la chance de mettre les pieds sur des longs et de travailler dessus. Je pensais que j’allais continuer encore longtemps à faire des courts, puis j’ai eu la chance de commencer à faire un petit peu de longs-métrages et c’est vrai qu’après, cette idée d’aller sur des courts paraissait moins évidente.

À la base, tu viens du théâtre ?

A.B. : Non. J’ai fait des ateliers du samedi pour les enfants mais c’est tout. À part ça, le seul rôle que j’ai joué était Félix dans Le Père Noël est une ordure dans le théâtre à côté de chez moi à Villeneuve–Saint-Georges. C’est tout. J’ai voulu faire une formation professionnelle après mon bac, c’est ce que m’avait demandé mes parents, mais je n’y suis pas resté…

Et comment tu t’es retrouvé à passer des castings pour des courts-métrages ?

A.B. : Sur internet, il y a un site qui s’appelle Cineaste.org…

C’est amusant, Raphaël en a parlé aussi. Je trouve ça bien de dire que ça a été le commencement.

A.B. : J’attendais la newsletter au point où dès qu’elle arrivait dans ma boîte mail, j’étais comme un dingue. Et si j‘étais occupé avec mes potes, je rentrais chez moi pour être sur mon ordinateur à envoyer tout et n’importe quoi.

Comme des projets payés ou non, des films d’écoles ?

A.B. : Tout, tout, tout ! Rien n’est payé au début, on y va le couteau entre les dents en se disant : « Pourvu qu’on me donne ma chance ».

Qu’est-ce qui t’intéressait au début ? Est-ce que tu étais regardant sur ce à quoi tu répondais ?

A.B. : Tant qu’il n’y avait pas marqué « nudité » à l’écran, moi j’y allais. C’est le seul truc, le seul filtre. On m’aurait dit de jouer une abeille, j’aurais été postuler en disant : “Voilà je m’appelle Anthony Bajon, j’adorerais être avec vous”. Le court-métrage, comme on parle d’accroche et pour beaucoup de gens, c’est une manière d’entrer dans le vrai monde. Mes parents, qui sont ouvriers, n’avaient pas le pognon de me payer une école de cinéma ou quoi que ce soit, je ne viens pas de là. Pour quelqu’un qui veut devenir comédien, le court-métrage est la plus grande école du monde parce qu’il n’y a souvent pas d’argent, que ce sont des gens qui, comme toi, débutent de l’autre côté de la caméra et se cherchent. Il y a des choses pas mal intuitives, on perd du temps. Une fois qu’on arrive sur du long, on voit un gros changement. Pour peu qu’on soit un peu curieux, ce début est hyper formateur. Quand ils cherchaient leurs lumières ou leur cadre, je me mettais sur le côté et je les regardais. Ça a été mon apprentissage et mon école. Ca et mon carnet que j’ai depuis que j’ai l’âge de cinq ans.

Quel est ce carnet ?

A.B. : J’ai un petit carnet où je note, pour moi, ce qu’est un acteur et comment faire carrière. Depuis tout petit, comme mes parents ne pouvaient pas me payer de formation, je me suis dit qu’il fallait que je me débrouille par moi-même. Je le fais en notant des choses, en voyant des films ou des documentaires, en lisant… À l’époque, il n’y avait pas de podcasts, ou en tout cas je n’en avais pas connaissance, et je me suis fait ma petite formation comme ça.

Cinq ans, c’est tôt pour prendre des notes dans un carnet. Tu ne les as jamais jetées ? Est-ce que tu continues toujours à écrire ?

A.B. : Oui. C’est ce que j’ai de plus précieux. Avec maintenant un nouveau chapitre qui est la réalisation et sur lequel j’avais déjà des petites notes en voyant des réalisateurs travailler.

Il t’est arrivé d’être sur un tournage et de prendre des notes pour faire office de mémoire ?

A.B. : Pas avec mon carnet car je ne l’avais pas mais sur mon portable dans mes notes, oui. Comme il y a une espèce d’urgence quand on écrit des notes, dès que je rentrais chez moi, je les retranscrivais avec de meilleurs mots, en mettant au propre avec des changements de couleur et de beaux stylos pour que j’ai envie de remettre le nez dedans, sinon ce n’est pas la peine parce que c’est ce que j’ai de plus précieux par rapport à ce métier et je ne veux le montrer à personne. Ça colle avec ma sensibilité, mon éducation, par là, je veux parler de mon rapport au métier.

Quel est justement ton rapport au métier ?

A.B. : Un rapport qui n’est pas du tout showbiz. En tant qu’acteur, ça m’embêterait un peu qu’on sache tout de moi et que les réalisateurs ne sachent pas comment se projeter.

Tu aimes la nature et prends des photos de bouquetins, à en juger par ton compte Instagram. Quand tu es en préparation et que tu es en attente de jouer, est-ce que ce sont des moments auxquels tu te raccroches ?

A.B. : De toute façon, c’est un métier d’attente. Tu arrives le matin sur le plateau et on te dit qu’il faut être en loge à 6h45, et tu ne tournes pas avant 11h. Et ça tu le sais, avec le maquillage et la coiffure notamment, qu’à un moment donné tu vas attendre une heure et demie dans la loge ou sur le plateau parce que la lumière n’est pas prête, qu’il y a une séquence avant, qu’il y a du retard etc. C’est un métier où tu sais que tu vas attendre, moi, ça ne me dérange pas. Et au-delà de ça, en dehors du plateau, un comédien est là toute la journée à regarder si son agent l’a appelé. Sur le plateau, il y a cette chance d’être un peu moins dans cette attente-là. Dominique Besnehard disait : “Le meilleur moment pour un comédien, c’est quand il voit le nom de son agent s’afficher sur son portable”. L’attente permet de se recentrer sur la raison pour laquelle je veux faire ce métier et de se demander si c’est vraiment viscéral. Il y a des gens qui finalement ne font pas ce métier parce qu’ils se rendent compte qu’ils ne peuvent pas attendre.

« Chien de la casse »

L’attente est aussi fort liée à l’ennui. Est-ce que ça ne dépend pas aussi de notre gestion du temps ?

A.B. : Je viens d’une banlieue, et quand tu grandis dans une cité, ce rapport à l’ennui est très gros. C’est ce qu’on retrouve dans Chien de la casse, même si ce n’est pas l’endroit où j’ai grandi. Il y a ce rapprochement cousin de la province où tu es loin de tout. Tu passes ces moments-là avec tes potes parce qu’il n’y a rien d’autre à faire. Ces moments d’ennui peuvent être créatifs parce que, quand tu t’emmerdes, pour peu que tu aies un bout de papier, il y a des trucs qui te passent par la tête que tu peux dessiner et noter, que cela soit des paroles de musiques, un poème ou un bout de scénario. En tout cas, c’est ce que mon rapport à l’ennui a eu avec moi parce que je me suis beaucoup ennuyé quand j’étais jeune, Raph [Raphaël Quenard, ndlr] aussi d’ailleurs. Cet aspect-là est formateur, parce que l’ennui crée du vide et le vide force la création ou du moins peut la cultiver. Aujourd’hui, les enfants ont plein de choses à leur disposition qui les occupent tout le temps. Nous-mêmes, du moins beaucoup d’entre nous, avons peur de ce moment où il ne se passe plus rien. Je me suis rendu compte de ça et de cette chance de s’être emmerdé parce que l’on n’avait pas tous ces gadgets-là.

Ce qui est commun aussi, avec Raphaël, c’est que vous êtes tous les deux passés à la réalisation cette année, lui en co-réalisant L’Acteur et toi avec La Grande Ourse.

A.B. : Ce n’est pas vraiment la même chose parce que je travaille sur La Grande Ourse depuis quatre ans et demi. Pour Raph, ça a plus été une opportunité avec Hugo [David, ndlr] qui est venu filmer le making-of de Chien de la casse. Ils se sont très bien entendus, Raphaël a fait des blagues et a proposé de faire un film, ce qui est totalement à son image. Peut-être qu’il y a un truc de plus proactif chez la nouvelle génération parce que très vite on se dit : “Pourquoi pas moi ?”. Il n’y a pas besoin que ce soit un chef d’œuvre. Je peux faire un court et me planter, ça sert aussi à ça et si ça se trouve, il y en aura un deuxième pour lequel je me débrouillerai pour qu’il soit un peu mieux. Comme il y a tellement de monde qui fait ce métier, il y a peut-être aussi une réponse chez certains de se dire que s’ils réalisent, ça leur fait une double-casquette si l’une des deux ne marche plus par la suite.

Est-ce que c’est ton cas également ?

A.B. : Non, mais c’est ce que j’ai déjà pu entendre. À cinq ans, j’ai vu Le Roi lion et je me suis dit que je voulais raconter des histoires, ce qui voulait dire être comédien. Et en fait, très rapidement après, je me suis dit que ça pouvait être de l’autre côté aussi. Et ça s’est vraiment accentué au moment où j’ai commencé à tourner en tant qu’acteur, je me suis dit que si je ne réalisais pas, je ne pourrais pas choisir mes plans, ma lumière, mes comédiennes et comédiens, mon montage, et donc raconter complètement l’histoire.

« Le Roi lion »

Qu’est-ce qui t’intéresse dans Le Roi lion quand tu le vois pour qu’il soit également lié au commencement de tes carnets ?

A.B. : J’ai cinq ans, il y a plein de choses qui se passent et d’émotions qui me traversent. Peut-être que devant le film, j’ai pleuré cinquante fois et rigolé aux éclats cinquante autres fois. J’ai découvert des émotions qui m’ont traversé pour la première fois à ce moment-là. Et quand j’en suis sorti, j’étais complètement bouleversé, comme anesthésié. On est rentré en RER D et j’ai dit à ma mère : ”Je veux faire ça, je veux raconter des histoires”.

Dans ton parcours, qu’est-ce que Les Ogres et La Prière ont apporté ?

A.B. : Les Ogres, c’est vertigineux parce que c’est la première fois que je mets les pieds sur un long-métrage et qu’on me dit que je vais donner la réplique à Adèle Haenel et Marc Barbé. Je suis comme un dingue, je me dis qu’il faut être à la hauteur. C’est incroyable parce que moi, j’y joue juste une seule scène en étant le dindon de la farce. Ce qui est du génie, parce qu’il faut savoir qu’au début j’étais stressé, c’est Léa Fehner [la réalisatrice, ndlr] qui m’a dit de tenter quelque chose en impro. J’ai fait ça une heure, c’était nickel et ils m’ont laissé toute la place possible. Ça a duré une demi-journée et c’était incroyable, c’est le moment où je me suis dit que cette vie-là pouvait être folle. La comparaison avec La Prière peut exister car il y a aussi eu une première fois avec ce film mais en beaucoup plus gros. Le décor et le film sont tout le personnage. C’est le point de vue de mon personnage et le fil rouge est ce qu’il traverse. C’est une première fois alors je travaille comme un acharné pour être à la hauteur, parce que j’ai une chance énorme que Cédric [Kahn, ndlr] me donne.

Comment as-tu perçu l’évolution de passer de personnages de second plan, presque de passage, à ceux qui ont des prénoms et sont crédités au générique ?

A.B. : Les choses prennent du temps, c’est ce qu’il faut retenir. Et heureusement car pour les rôles qu’on me confie et les responsabilités que j’ai sur un plateau, je n’aurais pas été armé pour ça, notamment sans les courts-métrages. J’ai pu y apprendre comment on se comporte sur un plateau, comment on gère l’attente, comment on se débrouille pour tout donner lorsqu’on nous dit « moteur » et « action » alors que ça fait une heure et demie qu’on attend, comment on fait pour aller chercher des émotions etc. Je me suis trouvé une identité avec les courts-métrages. Si tu fais ça sur un long-métrage et qu’on te dit que c’est maintenant, tu n’es pas armé parce que tu n’as pas vécu tout ça et que les fondations n’y sont pas. Aujourd’hui, j’ai la chance d’avoir des premiers rôles dans des longs mais ce que je souhaite à tout le monde, même si nous voulons tous aller vite et moi le premier, c’est de prendre son temps, parce que ce métier est vraiment vertigineux et qu’il faut être préparé à écumer les castings ratés. Il faut toujours faire attention aux personnes qui sortent des castings sauvages. Un premier rôle soudain, qui colle souvent à ta sensibilité ou à ton caractère et avec lequel tu es nommé dans la catégorie meilleur espoir aux César, qui t’apporte plein de presse, derrière il y a toute une carrière à construire et si tu n’as pas les bases, tu n’as rien. Tu es mis très, très haut et l’on attend de toi des choses qui ne sont pas à la hauteur de ton statut, qui peuvent te faire tomber.

« La Prière »

Est-ce que ce n’est pas quelque chose que tu as pu vivre avec La Prière ? Est-ce que ça ne t’a pas mis davantage en avant, par les prix reçus notamment, que si tu avais fait des castings ratés ?

A.B. : C’est ce qu’on retient en ne sachant pas à quel point j’ai pédalé en me mangeant des non et des non… Une fois, lorsque j’habitais dans le 91 et que je prenais le RER D pendant une heure, je suis arrivé à un casting et la personne m’a dit en me regardant de haut et bas : “C’est marrant je t’imaginais plus grand et moins gamin”, en finissant par me dire que ça ne servait à rien que je passe le casting car ce ne sera pas moi. J’avais appris quatre scènes, une de plus car j’aimais bien le faire si jamais ils voulaient la voir. Je suis reparti en RER D, en pleurant et en disant à mon père qui m’attendait en rentrant que ça s’était bien passé… Ça m’est arrivé deux fois, et il faut avoir les nerfs solides pour continuer quand on se déplace pour rien sans pouvoir montrer quelque chose et sans être payé.

Tu as été tenté d’arrêter à cause de ce type de personnes ?

A.B. : Non. Par contre, j’ai beaucoup pleuré. Il y a des moments où je me suis dit : ”C’est bon, j’arrête” mais vingt minutes après, pas plus, je me disais que je n’arrêtais rien. Et puis de toute façon, il n’y avait rien à arrêter parce que rien n’avait commencé. Je me disais que personne ne voulait de moi et j’essayais de voir comment m’organiser. Je n’ai jamais eu de plan B, et même encore aujourd’hui, si tout s’arrête, je suis dans une merde noire.

Est-ce que tu as l’impression qu’il te faut parfois provoquer le désir ?

A.B. : Je ne cherche pas à être vu. Je préfère être dans l’idée que si je ne suis pas en tournage ni en promo, on n’entend pas parler de moi car ça ne sert à rien. Hormis une caméra qui tourne ou un metteur en scène, je n’ai pas à apparaître médiatiquement.

Être médiatisé, ce n’est pas quelque chose que l’on apprend. Comment conçois-tu l’exercice que représente la promotion ?

A.B. : C’est souvent quelque chose avec lequel on n’est pas forcément à l’aise. L’idée d’aller défendre un film, un metteur en scène ou un personnage que l’on a aimé, ça, ça me donne envie. Je ne suis vraiment pas à l’aise lorsqu’on met une caméra devant moi pour me poser des questions et encore moins si elles sont sur moi. Pour un film, je le fais parce que j’ai aimé travailler avec cette personne, ces comédiens, ce personnage, que c’est agréable de défendre quelque chose et ses choix.

La Grande Ourse est ton premier film. À Paris Courts Devant, tu évoquais la pudeur et la violence. Mais c’est aussi un film qui est une expérience de réalisation, d’écriture et de montage. Qu’est-ce que t’a appris cette expérience ?

A.B. : Avec La Grande Ourse, je traite d’un sujet que j’ai vécu sauf que dans la forme il ne s’agit pas de cette violence-là. Pour le reste, la pudeur et l’idée d’une violence envers quelqu’un ne sont pas gratuites car je règle mes comptes avec certaines choses de mon enfance. Comme je suis un peu identifié médiatiquement et que je n’ai pas envie que l’on sache quelle a été mon enfance ni ce qui s’y est passé, je traite un sujet qui est d’actualité, joué par ce personnage féminin [Diane Danglard, ndlr], parce que j’ai l’impression que cette violence dont je parle dans le film touche énormément de personnes. C’est pour ça que je me dis que c’est cette forme de violence-là que je vais traiter. Ça aurait pu en être une autre. Ce film, sur l’aspect cinématographique, m’a appris à quel point c’est un kif de me mettre derrière un combo [retour sur un écran vidéo de l’image filmée, ndlr] et de dire : “Allez action, on y va !”. Très vite après, je me suis dit que j’avais envie de le refaire. Dans l’équipe technique, ce sont tous des gens dont je suis proche et que j’ai pu rencontrer sur les films dans lesquels j’étais acteur. J’ai aussi appris à réaliser. Et je ne dis pas que le prochain film que je vais réaliser, qui est écrit et prévu pour l’année prochaine, sera un grand, grand film ; et même si mon métier reste celui d’être acteur, quel kif de raconter des histoires quand tu aimes les gens qui t’accompagnent !

Est-ce que tu as eu des aides pour faire ce film ?

A.B. : Non. La seule aide que j’ai reçue, c’est Guillaume Canet qui m’a tendu la main là où aucune boîte de production ne m’aidait. L’Adami nous a aussi un peu aidés financièrement avec l’accord que je joue dedans, ce qui s’est fait. Aujourd’hui, j’ai la chance d’être accompagné par Manifest [boîte de distribution, ndlr]. Les gens ne savent pas forcément qu’avoir des aides, c’est compliqué. Là, ça a été le cas avec ce film parce qu’il n’intéressait personne, peut-être à cause du sujet trop casse-gueule ou alors parce qu’on ne voulait pas que ce soit fait par un homme. La réalité, c’est que, de la même manière que lorsque tu veux devenir comédien, tu te dis qu’il ne faut pas lâcher l’affaire. Et si on a pas d’argent, alors on se met à mettre ses propres sous. Je me suis retrouvé à être le principal producteur de mon film. Là, j’ai aussi pu avoir le soutien moral de Guillaume qui a vu le film et qui m’a fait son retour.

Comment as-tu fait la rencontre de Guillaume Canet ?

A.B. : On s’est rencontré sur Au nom de la terre dans lequel on a joué tous les deux Je n’avais pas de producteur et j’étais déjà en train de travailler sur La Grande Ourse à l’époque. Je cherchais des producteurs mais personne ne voulait m’accompagner. A ce moment-là, il m’a souhaité bon courage en me disant de ne rien lâcher. Puis, on s’est recroisé un an et demi après, à l’avant-première d’Au nom de la terre, où il m’a demandé des nouvelles. J’en étais au même point. Il m’a dit de lui envoyer le scénario et qu’il le produirait. Et c’est ce qu’il a fait après en me disant qu’il fallait quand même que je passe par ce côté débrouille. Il m’a laissé apprendre. A côté de ça, il m’a donné des conseils pour mon équipe technique et mon rôle de réalisateur. C’étaient des bons conseils qui ont fait de lui le producteur et le conseiller du film.

« La Grande Ourse »

Les quatre ans et demi consacrés à La Grande Ourse, les déceptions et les moments agréables entourés d’une équipe, t’ont-ils aidé à construire tes rôles en tant que comédien sur d’autres projets ?

A.B. : Je ne pense pas, ou alors ça m’a m’influencé inconsciemment. Mon emploi du temps est fait principalement pour être sur des tournages en tant qu’acteur. Quand j’aurai du temps et de la place pour que les choses puissent se faire, je veux réaliser des films et des longs-métrages. Les longs-métrages viendront s’incorporer naturellement dans mon planning en tant qu’acteur, ils ne le bouleverseront pas. Je n’ai pas attendu La Grande Ourse pour prêter attention aux focales, à la lumière et à la technique de manière générale. Je ne dis pas avoir une connaissance exceptionnelle du plateau ni de la caméra mais ça fait un moment que je m’y intéresse, depuis mes débuts. Et quand je dis oui à un réalisateur me proposant un film, je sais les galères par lesquelles il doit passer pour financer son film et donc qu’on ne tournera pas la semaine prochaine.

Tu as également tourné avec des réalisateurs dont c’était le premier long-métrage, comme Jean-Baptiste Durand avec Chien de la casse. Est-ce qu’à la lecture des scénarios tu portes une attention particulière au fait qu’ils soient proches du court-métrage dans leurs parcours ?

A.B. : Le scénario doit m’intéresser, potentiellement les partenaires de jeu également. C’est vrai qu’il y a un amour particulier pour les réalisateurs et réalisatrices de premiers films parce que c’est le moment où tu joues ta vie en tant que metteur en scène. C’est le premier long et il est unique. Il y en aura d’autres après mais il n’y a qu’un seul premier long avec lequel tu peux te casser la gueule parce que tu n’es pas encore avec une identité claire de cinéaste, ton univers de mise en scène, tes personnages, ta direction etc. Mais c’est très agréable parce qu’il y a aussi cet enthousiasme pour le film qui est très plaisant à vivre en tant que comédien. C’est si bien d’accompagner quelqu’un et de s’accompagner mutuellement puisque ce sont nos débuts à tous les deux.

Qu’est-ce qui déterminera le fait que tu ne parleras plus un jour de tes débuts ? L’âge, l’expérience, les projets ?

A.B. : Je considère que j’en suis encore à mes débuts, comme à l’époque. La différence c’est que je suis un peu moins naïf sur le milieu. Si un jour je deviens prétentieux, j’arrêterai de parler de mes débuts. C’est un métier où l’humilité doit être au centre de tout parce que la remise en question se fait avec l’idée de continuer à réfléchir sur ton métier et la manière d’être bien sur un plateau. Par exemple, je prends toujours mes notes sur chaque plateau en continuant de découvrir des trucs. Parfois ces découvertes se font avec des comédiens de castings sauvages, des réalisateurs faisant leur première fois en long-métrage. C’est un métier où on a la chance d’en apprendre tous les jours, où on fabrique des choses avec des sensibilités différentes, où on croise des gens qui ont vécu des choses et qui veulent les raconter. On s’y rejoint comme un rendez-vous. Si les gens sont curieux et ouverts, a priori, tu peux également leur apprendre des choses sur ce métier ou sur eux-mêmes. A partir du moment où tu dis que tu arrêtes d’apprendre, que tu n’es plus ouvert à la découverte en étant sûr de toi, tu deviens un peu prétentieux et je ne suis pas sûr que ton art devient plus intéressant qu’avant.

Est-ce que tu aurais des conseils pour des jeunes qui commencent dans ce milieu justement ?

A.B. : Oui. Leur dire que vous allez rencontrer beaucoup de gens mais qu’il ne faut pas croire que ces personnes vont être vos amis. C’est un métier où les gens sont très individualistes et où l’on tend la main parfois sans retour. Il y a très peu de personnes qui sont des grands. Pour le citer, Karim Leklou est un très, très grand monsieur et l’un des plus incroyables que j’ai pu rencontrer dans ce milieu. C’est un acteur fou et au-delà de ça, dans la vie, il a une générosité et une humanité qui n’ont pas beaucoup d’égal dans ce métier.

Est-ce qu’il y a encore la possibilité pour les metteurs en scène de courts-métrages de pouvoir tourner avec toi ? Est-ce qu’il t’arrive parfois possible de bloquer face à un scénario ou de faire des suggestions aux auteurs ?

A.B. : Bien sûr, je reçois encore des projets de courts, les étudie et reste toujours ouvert à ça, évidemment. Mais je ne m’autorise pas cette démarche de faire des suggestions. Je me dis que le réalisateur a quelque chose en tête et que je ne vais pas changer les choses même si ma sensibilité colle mieux avec cette fin-là, que cet enjeu-là. Si ça a été écrit comme ça, c’est qu’il trouvera un comédien qui s’identifie à ça et, surtout, qu’il veut le raconter comme ça. Si sur un de mes courts ou longs-métrages, on me dit qu’on me suit à condition de changer ça ici et là, c’est qu’on est pas fait pour travailler ensemble. Il y a un texte qui est étudié, on peut discuter mais on ne va pas le changer parce que ça ne colle pas avec ta sensibilité. Si tu n’y crois pas, tu n’y crois pas, ce n’est pas grave.

Propos recueillis par Katia Bayer. Retranscription : Eliott Witterkerth

Articles associés : la critique de Chien de la casse, l’interview de Raphaël Quenard

La forêt de Mademoiselle Tang de Denis Do

Après Funan, récompensé du Cristal du meilleur long-métrage à Annecy en 2018, Denis Do, présente son moyen-métrage d’animation La Forêt de Mademoiselle Tang, nommé aux César 2024. Réalisé en coproduction avec Special Touch Studios et Pictanovo, le film retrace l’histoire d’une famille chinoise qui traverse 200 ans d’histoire. Entre la fresque historique et le récit familial intime, Denis Do rend hommage à ses origines dans un récit humaniste et délicat.

Une fresque familiale et historique

Ce n’est pas si simple de raconter la petite et la grande histoire en même temps. Il faut veiller à ce que l’une ne prenne pas le pas sur l’autre. Dans son film d’animation, Denis Do réussit brillamment à dresser un portait de famille multi-générationnelle sur fond de fresque historique. L’histoire prend racine en 1886 à Swatow, aujourd’hui Shantou, ville du Sud de la Chine dans laquelle vit la famille Tang, composée de menuisiers immigrés du Cambodge. Le récit se tient sur six générations et près de deux siècles d’histoire, au fil desquels nous suivons, de manière elliptique, les grands événements historiques qui marquent la région et impactent la famille. C’est au fil des péripéties qu’un thème récurrent apparaît : celui du départ. Le départ est rêvé, idéalisé, le Cambodge vu comme une terre promise que l’on dit prospère. Pourtant, les membres de la famille Tang ne partent jamais, même quand les Occidentaux contrôlent les navires et empêchent leur commerce, ou quand un typhon détruit la région. Et s’ils partent, c’est en cachette, sans jamais revenir, comme une fuite.

Les Tang ne partent pas, car la famille est résolument ancrée dans la région. Celle-ci, et la forêt environnante, semblent le reflet l’une de l’autre. Comme des racines qui se chevauchent, les destinés humaines et végétales s’entremêlent. Les membres de cette famille tentent de conserver leur environnement pour préserver la mémoire de ceux qui ont vécu là avant eux. On répare les vieux meubles familiaux de la même manière que l’on fait une greffe à un arbre de la forêt. Une grande importance est mise sur les objets qui se transmettent et traversent les âges tandis que les hommes se succèdent au fil des générations. Un meuble de bois, des outils de menuiserie ou des bracelets sont l’héritage familial qui passe de main en main et survit à leurs propriétaires. Alors que les personnages changent souvent à mesure que nous suivons la vie quotidienne des différentes générations de la famille, ce sont ces objets-là qui nous permettent de garder nos repères. Par là, Denis Do évoque le pouvoir de transmission que permettent un lieu et les objets qui le composent.

Et pourtant, le paysage change. Il est étrange ce mélange entre immobilité et mouvement permanent que l’on trouve dans le film. Les personnages vivent dans la même maison durant deux siècles, mais des changements s’opèrent inexorablement ; une usine s’implante à la lisière de la forêt, un frigo s’installe dans la cour de la maison .. Avant de finalement partir du domaine familial, la jeune dernière de la famille inscrit le nom de ses ancêtres sur le tronc de jeunes arbres qu’elle replante dans la forêt. Ceux-ci pousseront avec leurs patronymes gravés dans l’écorce comme s’il s’agissait de leur réincarnation. Malgré le départ, le nom de la famille Tang fera partie de la forêt, la boucle est bouclée.

Un héritage culturel mis en avant

Si Funan était brillamment doublé en français, dans La foret de Mademoiselle Tang c’est en dialecte teochew que les personnages s’expriment. Pourtant, ce choix n’était pas le plus simple. Denis Do confiait, dans un sujet pour Arte, la difficulté à trouver pour le doublage des acteurs et actrices parlant ce dialecte. Il a donc aussi prêté sa voix afin d’incarner les personnages. Malgré tout, le réalisateur a pris soin de mettre en avant la langue locale, mais aussi la musique traditionnelle, qui accompagne poétiquement les balades en forêt, la nourriture et les petites habitudes des habitants du Guangdong. Tous ces détails, accompagnés par les bruits d’ambiance qui rendent l’animation réaliste et très vivante, permettent l’immersion dans l’histoire et la culture de la région. L’attention aux détails est si poussée, que le film d’animation s’apparente un peu à un documentaire historique, dans lequel Denis Do nous enseigne une histoire personnelle, toujours reliée à un esprit de communauté.

Anouk Ait Ouadda

Consulter la fiche technique du film

Léo Fontaine. Trouver des partis pris et s’y tenir coûte que coûte

Après avoir plutôt filmé l’adolescence dans ses précédents courts-métrages, Léo Fontaine, jeune réalisateur originaire des Yvelines, raconte dans Qu’importe la distance, qui était sélectionné en compétition nationale au Festival de Clermont-Ferrand, le trajet d’une mère qui, pour la première fois, va voir son fils au parloir. Ce film, construit comme un road-movie nous tient en haleine jusqu’a la dernière image, point culminant d’une réalisation pleinement maîtrisée. Léo Fontaine raconte pour Format Court ses influences et sa façon de travailler.

Format Court : Tu as plutôt fait des films sur la jeunesse et l’adolescence avant Qu’importe la distance. Qu’est-ce qui a fait que dans celui-ci, tu as plutôt voulu filmer du point de vue d’une femme adulte, d’une mère ?

Léo Fontaine : J’essaye de partir de mon vécu. Dans les films sur l’adolescence, j’ai voulu raconter des parties de ma jeunesse et les questions que je me suis posé à cet âge-là. Il y avait presque une recherche d’étude sur cette partie de ma vie. Le long-métrage Jeunesse, mon amour que je viens de réaliser, ça a été un peu la finalité, ça parle de l’adolescence aussi. Qu’importe la distance, je l’ai fait après le long et il y a quelque chose qui me manque souvent, c’est d’avoir un discours social engagé. Je suis un fan de Ken Loach. Dans mes films d’adolescents, c’était plus des feel good movie, des trucs de potes. L’histoire de Qu’importe la distance, c’est plutôt une découverte. Je n’ai jamais été personnellement touché par la prison mais c’est un sujet que je trouve intéressant, que l’on fantasme beaucoup dans le cinéma. J’ai découvert une association qui s’occupe d’accompagner des mères de prisonniers au parloir et j’ai commencé à m’intéresser à ce sujet-là. Ça m’a travaillé et je me suis dit que pour ceux qui vivaient la prison de l’extérieur, les accompagnants, ça pouvait être étrange. Ce ne sont quasiment que des femmes, des mères et même si le scénario est tout simple, il y a quelque chose de fort qui se passe derrière et j’ai eu envie d’en parler. Je suis en recherche de ça parfois : trouver des idées fortes pour tenter d’avoir un poids dans la société. Mes films d’adolescents peuvent toucher mais ça ne va pas changer quoi que ce soit. Alors que ce film est le premier dans lequel je me suis engagé d’un point de vue social.

Le film se passe pour moitié dans les transports, qu’est-ce qui a motivé ce choix de réalisation d’en faire un personnage à part entière du film ?

L.F : En rencontrant ces mères ou ces familles de prisonniers, je me suis rendu compte qu’il y avait un sujet de société. Ce sont des personnes qui ont une vraie difficulté à aller voir leurs proches. Quand tu creuses, tu te rends compte qu’il y a des carcans psychologiques qui pèsent, parce qu’il peut y avoir de la honte, de la culpabilité d’avoir un proche enfermé. J’ai réalisé que pour ces personnes-là, le trajet était quelque chose de très important. Le parloir est un endroit où ces familles de prisonniers cachent ce qu’elles vivent pour être disponibles pour la personne qui est enfermée. Il y a des gens qui font trois heures de route, qui peuvent mettre de côté, voire perdre leur travail. Ça, on n’en parle pas. Les parloirs sont des temps très courts, quarante minutes, une heure. Parfois, la famille n’y a pas accès. Il suffit que le détenu ait fait une connerie et qu’il soit bloqué, le visiteur n’est pas au courant. Il y a plein d’éléments, comme ça, que je n’ai pas forcément traité, mais qui sont assez déroutants. Et aussi, ce n’est pas forcément le sujet du film, mais c’est plutôt un constat de la réalité, ce sont pour la plupart, selon les endroits, des personnes issues de l’immigration qui sont concernées. Il peut y avoir la barrière de la langue, la barrière de la compréhension de l’administration. Obtenir une date de parloir peut être une tannée. Et encore plus quand on ne comprend pas vraiment le système dans lequel on évolue. Certaines personnes ont besoin d’assistance et ne l’ont pas forcément. Je me suis dit que le sujet du film, c’était la trajectoire. Après, il y a eu, bien sûr, un traitement scénaristique : essayer de mettre un peu de tension là-dedans. Je me suis dit qu’il fallait que mon héroïne quitte son travail plus tôt (ce qui est une vraie mise en danger personnelle), affronte tous les problèmes de transport, le retard, les contrôleurs. Ce sont des choses qui peuvent arriver, que j’ai entendues et qu’on a aussi scénarisé pour rajouter de la dramaturgie.

© Kevin Chiorazzo

Est-ce qu’en préparant le film, tu as regardé ou revu des films se passant dans les transports ?

L.F : Dans tous mes films, quasiment, je filme quelqu’un dans un véhicule en mouvement. Pour ce film, je n’ai pas le souvenir d’avoir vraiment regardé beaucoup de films de road trip, parce que je n’avais pas la sensation d’en faire un. J’ai revu Le Fils de Saul qui est un film très violent où il y a un parti pris de mise en scène d’être collé au personnage tout le temps et où tout se joue en off. Je cherchais avant tout à savoir comment filmer cette maman et comment faire comprendre ce qu’elle vit. C’est un trajet hors du commun. J’avais peur que l’on s’ennuie royalement dans les transports. L’idée, c’était de pouvoir faire des plans-séquences dans le bus et de rester le plus longtemps possible dedans. Il y a eu une recherche de mise en scène sur comment filmer cette femme. Par exemple, on n’a utilisé qu’un seul objectif pendant tout le film. On est en 4/3, c’est toujours la même image. On est tout le temps sur elle. Ça a été réfléchi bien en amont et accentué au montage. Il y avait vraiment cette volonté de créer le portrait de cette femme, peu importe les endroits où on était. Il n’y a pas vraiment eu d’influence de road trip. J’ai plutôt regardé des portraits. Je me suis refait des Andrea Arnold. Elle tire des portraits de femmes qui sont assez époustouflants.

En évoquant tes influences – tu parlais de Ken Loach tout à l’heure – qu’est-ce qui alimente ton cinéma ? Y compris au niveau des courts-métrages qui ont pu t’influencer ?

L.F : J’ai revu Marlon, par exemple de Jessica Palud, qui traite du même sujet, mais à travers le personnage de la fille, jouée par Flavie Delangle. J’ai revu des courts qui traitaient de la prison. J’ai revu Baltringue de Josza Anjembe. Je trouve que dans le court-métrage, finalement, il y a pas mal de films sur la prison. J’en ai revu quelques uns comme ça. Après, moi, je suis nourri par un peu de tout. Je suis un fou de Kurosawa et de Ken Loach. Je revois tous leurs films, tout le temps. Après, j’aime beaucoup le cinéma d’après-guerre italien : Pasolini, Rossellini. Le cinéma de Jim Jarmusch, de Harmony Corinne, de Larry Clark, m’inspire beaucoup. Et en France, la Nouvelle Vague, notamment Eric Rohmer que j’aime beaucoup. Il peut avoir cette façon de travailler en ne faisant qu’une seule prise, sans répétition, ce qui est un parti pris fort. J’adore trouver des partis pris et m’y tenir coûte que coûte. C’est hyper créatif. Je vais m’inspirer du cinéma sans argent aussi. Wong Kar-Wai, par exemple, je trouve ça dingue ce qu’il fait et quand je me renseigne, je réalise qu’il n’y a pas beaucoup d’argent pour certains de ses films. Quand je rencontre un cinéaste, j’aime bien tout regarder. Commencer par le début et voir l’évolution. J’ai fait ça avec Kurosawa et c’était assez impressionnant.

Qu’est-ce que t’apporte la forme du court-métrage ?

L.F : Je trouve ça très intéressant, parce que ça t’enferme, mais positivement, dans une façon de raconter où très vite, l’erreur est beaucoup plus directe que dans le long-métrage. On a moins de temps, donc on doit aller plus à l’essentiel. Ça appelle à la créativité. Ça oblige à faire des choix, toujours, tout le temps. Je pense que j’aurai toujours le besoin d’essayer d’en faire. Et puis, c’est aussi un endroit où, finalement, on n’a pas besoin de grand-chose. Les longs-métrages, on rentre tout de suite dans quelque chose de plus… business. Dans le court-métrage, il y a besoin d’avoir des gens à filmer, une caméra, et un peu de son. C’est comme ça que j’ai commencé. Pour mes premiers films, j’appelais mes potes et on y allait. On avait 2 000 euros et on se débrouillait, personne n’était payé mais tant pis. Le court-métrage m’a permis de fonctionner comme ça et je me suis épanoui là-dedans. C’est un endroit que je trouve très précieux, que je conserve, et que j’espère pouvoir continuer à explorer. En ce moment, j’ai besoin d’avoir plus de temps pour raconter donc forcément, je vais essayer d’aller vers le long. Je regarde beaucoup de courts, mais je ne fouille pas. J’attends de voir les sélections, par exemple des César, de Brest, de Clermont ou de Berlin. Je suis très intrigué de voir quels sont les films mis en avant. Ça me permet de renforcer aussi ma critique. Il y a des films avec lesquels je suis très dur, mais je garde ça pour moi. Le court-métrage me permet d’analyser beaucoup.

Tu reprends souvent les mêmes acteurs dans tes distributions ? Pourquoi ce choix ?

L.F : Quand je constitue mes castings, je travaille avec une responsable de distribution artistique qui s’appelle Anouk Abolnik qui m’aide énormément. Elle a un regard et elle me permet d’avoir du recul sur le travail. Avec elle, on va essayer de créer des rencontres avec les comédiens, beaucoup plus que des castings. C’est une façon différente de travailler. J’ai besoin de créer un lien de confiance fort avec les comédiens parce que je leur donne tout derrière. Tout est fait pour eux en tournage. Je reçois énormément aussi. Je suis dans la notion de famille avec les comédiens et les comédiennes. J’ai besoin de grandir avec eux, de partager la même vision du cinéma. Quand j’écris, je m’inspire de ceux que je connais. Je les appelle souvent. Le long-métrage que j’ai réalisé, c’est pareil, c’est avec des acteurs et des actrices qui sont très importants. C’est comme une lumière qui réconforte de les avoir sur le plateau. Héloïse Volle, qui est venue deux jours pour Qu’importe la distance, pour un rôle très spécial à défendre, sans dialogue, l’a fait avec un grand plaisir. Le fait de l’avoir là, ça me réconfortait et ça me rassurait. Celui qui joue le fils, Yves Batec-Mendy, c’est mon alter ego. Il m’a aidé à écrire ce film. Je l’ai rencontré pour mon film de fin d’études et maintenant il est sur tous mes films. Quand il n’est pas devant la caméra, il est derrière. Avec Sylvia Homawoo, la comédienne, il y a eu une vraie connexion. J’ai essayé de créer un lien fort pour qu’à un moment donné, elle n’ait presque plus besoin de moi. Pour faire la scène de fin où elle voit son fils, qui est quand même fondamentale, je ne l’ai presque pas dirigée. On a répété et on a tourné. J’ai confiance en ça. Parfois, je me dis que j’aurais dû refaire une prise, tirer un peu mais c’est ça, l’apprentissage.

© Kevin Chiorazzo

C’est aussi valable avec tous les chefs de poste. Ce sont des gens que je compte comme récurrents dans mon travail, avec qui on est potes et que je vois en dehors du cercle du cinéma. Et ça, c’est un besoin avec mon chef-op, Olivier Ludot, ma scripte, Amandine Derdoukh, mon monteur qui a monté tous mes films. Plus on se connaît, plus c’est simple et plus d’un coup, on va dans la même direction. Il n’y a pas pire que d’être sur un plateau où il n’y a pas une bonne ambiance. Je préfère, même si on fait un film nul, qu’il y ait une bonne énergie sur le plateau. C’est aussi peut-être parce qu’à mes débuts, on a fait des films bénévoles et on n’avait rien à proposer de plus aux équipes qu’un bon moment et une belle expérience. On a gardé cette espèce de leitmotiv. On rappelle les gens avec qui on s’entend bien. C’est précieux. Ma scripte me connaît par cœur. Parfois, elle n’a même pas besoin de moi pour aller voir la chef déco ou même le comédien et lui dire de tenter telle ou telle chose. Elle sait très bien comment je fonctionne et ça, c’est précieux. C’est elle qui a choisi Sylvia, par exemple. On avait le choix entre trois comédiennes. J’hésitais et elle m’a dit : « C’est elle que tu vas choisir ». Elle me connait et elle a eu raison. Il y a donc cette volonté de garder les mêmes équipes pour pouvoir préserver cette confiance. Comme je suis quelqu’un de très arrêté dans mes choix, je suis un peu borné, c’est rassurant de pouvoir compter sur eux.

La musique interpelle beaucoup dans le film, il y en a peu mais elle est remarquable. Est-ce que tu peux nous expliquer comment tu as travaillé ?

L.F : Je suis très content qu’on le remarque parce que c’était un gros sujet pour nous, la musique. On s’est demandé si les gens allaient être touchés. Il y a deux morceaux composés par un compositeur qui s’appelle Côme Ordas et qui fait partie de mon équipe. On a fait mes courts Emma Forever, Les coeurs en chien, celui-ci et le long-métrage ensemble. C’est quelqu’un que j’appelle tout le temps. Il vit à Clermont. Je lui montre mon scénario et on cherche des idées ensemble. Il n’avait pas encore orchestré, il n’avait jamais enregistré de musiciens. On a essayé de voir avec les producteurs si on pouvait décrocher du budget pour la musique, que l’on a finalement pu avoir. Je lui ai proposé la flûte comme instrument parce que pour moi, ça renvoyait aux cours de musique au collège. C’est un rappel à l’enfance. Je me suis dit qu’il fallait absolument que la musique rappelle ce fils que l’on va découvrir à la fin. Avec Côme, on est parti sur la flûte pour cette espèce de musicalité de l’enfance. Il me connait très bien donc il a fait plein de tests. C’était hyper chouette. Il est très fort en propositions et il s’est éclaté. Il a tout composé et on est parti chercher un flûtiste, un italien, que l’on a fait venir et que l’on a enregistré à Clermont dans un studio qui s’appelle Tour du Sud. Je lui laisse très peu de place, il n’y a que deux morceaux mais il comprend et il s’épanouit beaucoup. Je trouve que la musique fait beaucoup de bien dans ce film. J’ai hâte de savoir ce que les spectateurs vont en penser. Avec ce film, on attrape ton cerveau pendant 15 minutes, ça peut donner la nausée à des gens parce que ça bouge beaucoup et la musique est posée. A la fin, c’est l’envolée pour laisser place à l’émotion. Côme vient de la musique digitale. Il adore mêler l’orchestration avec des choses très modernes. On est allé chercher vraiment des notes assez modernes, dans les accords, dans les arrangements.

Tu as évoqué un long que tu as déjà tourné. Est-ce que tu peux nous en parler ? Est-ce que tu as d’autres projets ?

L. F. : J’ai tourné ce long-métrage, il y a deux ans, pendant l’été 2022. Il s’appelle Jeunesse, mon amour. Il dure 70 minutes et sort en salle, sauf gros retournement de situation le 3 avril prochain. C’est l’histoire d’un groupe d’amis de 25-30 ans qui étaient très proches au lycée, qui se sont perdus de vue et qui se retrouvent maintenant à cet âge-là parce que l’un des membres du groupe vend la maison d’enfance de ses parents. C’est dans cette maison que toutes leurs histoires ont eu lieu. C’est vraiment un film qui traite de ce que c’est que de perdre ses amis à partir de 25 ans. C’est triste de se rendre compte que ces personnes-là ne vont plus exister dans notre vie. En même temps, c’est beau de savoir qu’on a tous ces souvenirs et que ça nous a forgé. Le film traite de ce groupe qui se rappelle de tout ça, qui fait un état des lieux. Ça parle d’amour, d’amitié de nostalgie. Il y a 7 comédiens et comédiennes fabuleux. Je suis très heureux qu’il puisse sortir enfin en salle.

En novembre prochain probablement, je partirai tourner un court-métrage en Martinique qui s’appelle Dédé King. C’est un film que j’écris depuis 4-5 ans. Je voulais tourner en Bretagne et faire un film sur mon père. En fait, je me retrouve en Martinique à faire un film dans un endroit où je n’ai jamais mis les pieds avant. C’est la réalité du parcours de financement, on va chercher des aides. Pour l’instant, les guichets tombent, s’ouvrent petit à petit mais on a pas encore assez d’argent pour le faire. J’ai bon espoir, ça peut être un joli court métrage sur le foot qui est ma première passion. A part ça, j’écris un prochain long-métrage que je veux vraiment défendre comme un deuxième long. J’essaie de trouver des résidences pour le faire. J’ai réalisé un premier film très vite, maintenant, j’ai envie de prendre plus de temps, de profiter de la sortie du long, de Qu’importe la distance, de tout ce travail-là pour essayer d’avoir les meilleurs collaborateurs possibles pour exister dans le cinéma.

Propos recueillis par Damien Carlet

Clermont 2024, le palmarès

Voici la deuxième et dernière partie du palmarès officiel du Festival de Clermont-Ferrand, constituée des prix remis par les jurys officiels, étudiants et publics dans chacune des trois compétitions.

Grand prix international : Une orange de Jaffa de Mohammed Almughanni (Pologne, France, Palestine)

Grand prix national : J’ai vu le visage du diable de Julia Kowalski(France)

Grand prix labo : AlieN0089 de Valeria Hofmann (Chili, Argentine).

Prix spécial du jury international : Virundhu (Le festin) de Rishi Chandna (Inde)

Prix spécial du jury national : Et si le soleil plongeait dans l’océan des nues de Wissam Charaf (France, Liban)

Prix spécial du jury labo : Nafura de Paul Heintz (France)

Mention spéciale du jury international : Entre las sombras arden mundos de Ismael Garcia Ramirez

Mention spéciale du jury national : La Voix des autres de Fatima Kaci

Mention spéciale du jury labo : Borj El Mechkouk de Driss Aroussi.

Prix du public international : Coal (Charbon) de Saman Lotfian (Iran)

Prix du public national : Les mystérieuses aventures de Claude Conseil de Marie-Lola Terver et Paul Jousselin (France)

Prix du public labo : Wild Summon de Karni & Saul (Royaume-Uni)

Prix d’interprétation : Amira Chebli dans La Voix des autres de Fatima Kaci (France). Ruzica Hajdari dans Kafana Na Balkanu de Boris Gavrilovic (Allemagne)

Prix du meilleur film européen : 2720 de Basil da Cunha (Portugal, Suisse)

Prix de la meilleure musique originale : Committee (Rozi et Mari Mako) pour le film 27  de Flóra Anna Buda (France, Hongrie)

Prix étudiant international : The medallion de Ruth Hunduma (Royaume-Uni, Ethiopie)

Prix étudiant national : There is no friend’s house (où est mon amie ?) de Abbas Taheri (France, Iran)

Prix étudiant labo : Los rayos de una tormenta de Julio Hernandez Cordon (Mexique).

Mention spéciale du jury étudiant international : The miracle de Nienke Deutz.

Mention spéciale du jury étudiant national : Ici en silence tout hurle d’Akaki Popkhadze.

Mention spéciale du jury étudiant labo : Hito de Stephen Niels Lopez

Irène Dresel : « Je suis très attachée à l’image. Pour quelqu’un connu pour le son, c’est paradoxal »

Connue avant tout pour son travail sensoriel et immersif de la techno, Irène Drésel a marqué avec la bande originale d’À plein temps d’Eric Gravel, ses premiers pas dans la composition musicale de film. Une première incursion, qui lui valut le César 2023 de la meilleure musique, une première pour une femme dans cette catégorie. Membre du comité artistique des César aux côtés de Dominik Moll, Pierre Salvadori, Louis Garell, Frédéric Baillehaiche et Guslagie Malanda, et à présent membre du jury Labo au 46e Festival de Clermont-Ferrand, elle explore son parcours et fait entendre son point de vue sur le format court.

Format Court : D’où est venu votre entrain dans un premier temps pour la musique ?

Irène Dresel : Moi en fait, je viens avant tout de l’image, puisque j’ai étudié aux Beaux-arts et aux Gobelins et pendant longtemps, j’étais attachée aux arts contemporains. J’ai eu besoin de sortir de tout cela pour aller vers quelque chose de plus authentique et de plus spontané. J’avais ce désir-là de faire de la musique techno depuis bien longtemps et c’est pendant une soirée que j’ai fait une rencontre qui m’a poussée vers ce chemin-là. Quelqu’un qui m’a aidé, m’a guidée et c’est comme ça que ça a commencé.

Qu’est-ce qui vous intéresse tellement dans la musique électronique ?

I.D : Je fais de la musique électronique avec des influences techno et c’est toute cette matière qui en gravite autour qui me fascine. Il y a toute une dimension ludique dans la musique techno qui concerne les fréquences basses et cela produit un véritable impact sur le corps. C’est un style de musique que je trouve très physique et qui nous transporte très vite dans une autre dimension.

Vous êtes ensuite passé à la composition de film avec À plein temps. Est-ce que c’était quelque chose qui vous a toujours intéressé ?

I.D : Pas forcément, je suis arrivé sur le projet grâce à la boîte de production Novoprod qui m’a appelée parce que j’avais déjà travaillé avec eux notamment sur de la pub. Quand ils m’ont appelé pour faire cette musique, mon travail dans ce domaine se limitait à un film des années 30, Loulou, de Pabst que j’avais remis en images. Même si je viens de l’image, ce n’est pas quelque chose qui m’intéressait fondamentalement, je me souviens même de mes copains à l’école de photo qui me disait que ma musique leur évoquait vraiment des images de film, mais moi ce qui m’intéressait, c’était juste faire de la techno.

À quel moment êtes-vous arrivée sur le projet ?

I.D : Je suis arrivée deux mois avant la première projection presse, tout le tournage était terminé, il y avait encore quelques ajustements au niveau du montage avec l’ajout de la musique, mais dans l’ensemble tout était fini.

Et comment s’est passée la collaboration avec Éric Gravel ?

I.D : Très bien, c’était un travail de longue haleine sur deux mois assez intensifs, mais j’ai trouvé en Éric un partenaire très professionnel qui ne me laissait jamais dans l’attente de son retour sur mes propositions. Au final, tout cela a été très fluide.

Qu’est-ce qui a différé dans votre façon de concevoir la composition musicale ?

I.D : Quand on travaille sur un film, on répond aux attentes du réalisateur, on est là pour servir le film et toute l’équipe qui est derrière. C’est très différent du travail de composition d’un album ou là, c’est vraiment juste moi et mes goûts. J’étais là pour me coller aux intentions d’Eric Gravel qui avait une idée très précise sur ce film pour la musique de son film. Il voulait une musique très typée années 70 avec des sonorités très ambiantes évitant toutes les percussions comme les kicks et les drum, tout ce que j’utilise dans ma techno, il voulait quelque chose de sous-jacent.

Un an après votre César, quel est votre point de vue sur l’évolution de la place des femmes dans la composition musicale de film ?

I.D : Je vois une certaine évolution, déjà l’année dernière aux César, il y avait eu une sorte de scandale en ce qui concerne les femmes nommées ou récompensées ne serait-ce que dans la catégorie réalisation. Cette année, ce n’est plus pareil, on peut retrouver beaucoup de femmes nommées, même dans la catégorie meilleur musique où on trouve Delphine Malaussena pour Chien de la casse. Je pense que mon César a dû aider à faire comprendre qu’il y avait quelque chose d’anormal, même si le plus important, ce sont les musiques. Après, je pense qu’il y a aussi une sorte de manque de confiance de la part des boîtes de production envers les femmes compositrices. Mais heureusement, ça change.

« À plein temps »

Quels souvenirs gardez-vous de votre expérience dans le comité artistique des César ? 


I.D : C’était assez intense, parce qu’il a fallu voir une trentaine de films et c’était surtout assez enrichissant. Cela permet d’avoir une vision d’ensemble sur ce qui se fait aujourd’hui dans le paysage audiovisuel francophone, de voir une nouvelle génération d’auteurs. Après, ce n’était pas ma première expérience, parce que j’ai été jury au festival de la Baule et au festival des Arcs, mais là, c’était plutôt du long-métrage. C’est vrai que quand on en voit une trentaine de films, ça aiguise l’œil et ça permet de voir plus facilement les coutures d’un scénario par exemple.

Vous seriez capable de travailler sur un court-métrage ?

I.D : Ca m’intéresse. Je me vois plus passer directement du côté du long-métrage et réaliser un court, mais je ne pense pas avant 10-15 ans. Je me vois bien n’en réaliser qu’un seul.

Après moi, je suis assez difficile, je ne dis pas très souvent oui à des projets et notamment en ce moment, après le César. Mais je pense que ça dépend de l’idée, de la personne qui est derrière et aussi évidemment de l’image qui sera liée à ma musique. Au final, je suis très attachée à l’image, pour quelqu’un connu pour le son, c’est paradoxal, mais j’y suis sensible.

Quel est votre rapport au court-métrage ?

I.D : Je ne me suis jamais réellement intéressée à ce format, mon premier plongeon dans le monde du court-métrage, c’était grâce aux César et au comité de sélection. Mais personnellement, je ne vois pas tellement de différence entre long et court métrage. Il y a évidemment une différence de temps qui est donnée, mais au final, on les juge de la même façon. En fait, il y a des courts-métrages qui pourraient être des longs, c’est juste un problème de temps et de budget et il y a des longs qui feraient mieux d’être des courts-métrages. Après moi, j’ai du mal avec des films qui s’étirent des fois pour rien et qui dépassent l’heure et demie. Avec le court-métrage, je m’y retrouve.

Qu’est-ce qu’on peut attendre de vos prochains projets ?

I.D : En ce moment, je suis en tournée à la suite de la sortie de mon troisième album et à côté de ça, j’ai des demandes pour des longs-métrages, mais j’essaye de ne pas dire oui à tout parce que j’ai besoin d’être transportée pour faire du bon travail.

Vous pensez que le fait d’avoir remporté un César vous pousse à devoir faire mieux ?

I.D : Non, c’est vraiment à titre personnel que j’essaye de trouver un projet exaltant, Je ne me mets pas de pression quant à mon travail. Je cherche vraiment le coup de cœur.

Propos recueillis par Dylan Librati

Clermont, les prix spéciaux

Le Festival de Clermont a attribué ses premiers prix, dotés par les partenaires. Plusieurs films ont déjà été repérés par Format Court.

Palmarès

Prix Canal + /Ciné + international : La Cascada de Pablo Delgado (Mexique)

Prix Canal + : Queen size d’Avril Besson

Prix Festivals connexion : Hito de Stephen Niels Lopez (Philippines)

Prix des effets spéciaux par Adobe : Wild Summon de Karni & Saul (Royaume-Uni)

Prix SACD du meilleur film d’animation francophone : La Saison pourpre de Clémence Bouchereau (France)

Prix SACD de la meilleure première œuvre de fiction : Avec l’humanité qui convient de Kacper Checinski (France)

Prix de la presse Télérama : Montréal en deux d’Angélique Daniel (France, Canada)

Prix du meilleur film VR : Empereur de Marion Burger et Ilan J. Cohen (France, Allemagne)

Prix Procirep du producteur de court métrage : Les films Norfolk pour Apnées de Nicolas Panay

Prix du meilleur film documentaire : Incident de Bill Morrison (Etats-Unis).

Prix du meilleur Queer métrage : Entre las sombras arden mundos de Ismael Garcia Ramirez (Colombie). Mention spéciale à Saigon kiss de Hong Anh Nguyên (Vietnam, Australie).

Prix du rire Fernand-Raynaud : Les mystérieuses aventures de Claude Conseil de Marie-Lola Terver et Paul Jousselin (France)

Bourse CNC/talent : Amour noir de Victor Hérault (France)

Prix YouTube du court métrage de fiction : Dragon cop de Mathieu Caillière (France).

Coup de cœur Canal+ Kids : Historien Om Bodri de Stina Wirsen (Suède)

Mention spéciale du jury Canal+ Kids : A mort le bikini ! de Justine Gauthier (Canada)