Tous les articles par Katia Bayer

Festival Format Court 2024, compétition 1

Notre 5ème Festival Format Court vous accueillera du jeudi 25 au dimanche 28 avril, au Studio des Ursulines (Paris, 5ème). Pour info/rappel, nos 4 programmes de films en compétition seront évalués par nos 3 jurys (professionnel, presse et jeune) mais aussi par le public qui pourra voter à l’issue de chaque séance.

Voici les horaires des séances en compétition :

Compétition 1 : jeudi 25 avril, 21h
Compétition 2 : vendredi 26 avril, 21h
Compétition 3 : samedi 27 avril, 17h30
Compétition 4, samedi 27 avril, 19h30

Retrouvez ci-dessous le détail des films projetés lors de la première compétition du festival, diffusée le jeudi 25 avril à 21h. La projection sera suivie d’une rencontre avec les équipes présentes. La billetterie est accessible sur place mais aussi en ligne (conditions tarifaires en bas de page).


Programmation – Compétition 1

Boléro de Nans Laborde-Jourdaà. Fiction – 17’ – France – 2023 – Wrong Films, Memo Films. En lice pour le César du meilleur court-métrage de fiction 2024. En présence du réalisateur

Fran est de passage dans sa ville natale pour se reposer et rendre visite à sa mère. Suivant le rythme saccadé du Boléro, ce parcours sur les chemins du souvenir et du désir va le mener, ainsi que tout le village, à une apothéose joyeusement chaotique.  

Le Vide de Mandana Ferdos. Documentaire – 16’ – France – 2023 – Les Salines Films. Sélectionné au Festival de Villeurbanne 2023. En présence de la réalisatrice

Le confinement m’a fait repenser à la terrible obligation de rester à la maison, à celle de porter le voile et à un cinéma incendié. Un temps pour songer à la peur que provoque la liberté des femmes et des images.

Le Songe de Joseph de François Hébert. Fiction – 23’ – France – 2023 – Kalpa Films, TVR, Tébéo, Tébésud. Sélectionné au Festival de Rhode Island 2023. En présence du réalisateur et de la comédienne Agathe Mazouin

Un été, Maud, 26 ans, rencontre un garçon sur la plage et s’effondre face à une image. Quelques mois plus tard, elle revient avec un appareil-photo pour essayer de comprendre.

Herbe verte d’Elise Augarten, Animation – 12’ – France – 2023 – Novanima, Le-loKal production. Sélectionné au Festival Tous Courts d’Aix-en-Provence 2023

Rouge monte dans le train. Si elle pouvait disparaître à cet instant, elle le ferait. Tout est décalé, irréel. Les souvenirs se mêlent au paysage. L’espace-temps se déchire. Une petite fille court vers une maison grinçante. Des herbes folles poussent dans le train. Rouge affronte son passé à contre-courant.

Saint Lazare de Louis Douillez. Fiction – 28’ – France – 2023 – Les Films du Sursaut. Sélectionné au FIFIB 2023. En présence du réalisateur et de la productrice Dorothée Levesque

À la suite d’un quiproquo, Lazare s’incruste une semaine en avance à la soirée de Flore. Elle en profite pour lui demander un service.


En pratique

– Studio des Ursulines : 10 Rue des Ursulines, 75005 Paris
– Accès : RER B Luxembourg (sortie rue de l’Abbé de l’Épée), Bus 21, 27 (Feuillantines), 38 ou 82 (Auguste Comte), 84 ou 89 (Panthéon). Métro le plus proche : Ligne 7, arrêt Censier Daubenton (mais apprêtez-vous à marcher un peu…)

– Billetterie relative à cette séance sur place et en ligne
– Tarifs : plein tarif : 9,40€, tarif réduit : 7.90€, – de 15 ans : 5€. Cartes UGC Illimité et cartes de fidélité des Cinémas Indépendants parisiens acceptées. Achats en ligne majorés de 0,90€ par place (frais de gestion)

🎉 Festival Format Court 2024, l’affiche 🎉

Après Lucrèce Andreae, Agnès Patron, Marie Larrivé et Marine Laclotte, c’est au tour de Vadim Alsayed de signer l’affiche du Festival Format Court ! Lauréat du Prix de l’Image pour son travail sur Sèt Lam de Vincent Fontano lors de notre dernière édition, Vadim Alsayed signe la direction de la photographie du clip vidéo de la chanteuse Maëlle Ouvrir les yeux, réalisé par Elisa Baudoin, qui est l’image de notre 5ème Festival Format Court !

Venez célébrer avec nous cette nouvelle édition du festival, organisée du jeudi 25 au dimanche 28 avril au Studio des Ursulines (Paris 5e), où de nombreux courts-métrages et de bien belles rencontres vous attendent !

Restez connectés sur notre site internet et nos réseaux sociaux pour toutes les informations relatives au festival !

Graphisme : Louise Barsali

Festival Format Court 2024, le Jury Etudiant

Dernier jury de notre festival à vous être dévoilé : le Jury Étudiant. Voici la composition de ce jury qui évaluera, tout comme le Jury professionnel et le Jury Presse, les 19 films en compétition.

LOU B., jeune cinéaste parisien de 18 ans, a déjà réalisé deux courts-métrages (The end of the sun, Through a mourning) et prépare son premier moyen-métrage. Entre espace urbain et solitude des corps, il explore les dynamiques du parcours initiatique et du sensuel au travers des motifs de la disparition et du deuil.

Ribal Chedid est un jeune cinéaste libanais, actuellement basé à Paris, où il poursuit un master en production et financement du cinéma. Il a écrit, monté et réalisé plusieurs courts métrages pendant ses études de licence à l’IESA, le dernier étant son film de fin d’études Talk to me (2022). Ce film met en lumière l’intérêt de Ribal pour les formes simples, les drames sociaux et les relations familiales dysfonctionnelles au cinéma. Il a remporté de nombreux prix (Festival international des écoles de cinéma de Tétouan au Maroc, Festival du Film Européen du Liban, Festival international du film et de la vidéo pour étudiants de l’Académie du film de Pékin en Chine,  Festival du film de Carthage, en Tunisie, dans la section « Promesse du cinéma de Carthage »). Il développe actuellement son deuxième court-métrage, Farewell, mom.

Axelle Jean suit un Master 2 en Communication Interculturelle et Muséologie à Sorbonne Université. Elle a travaillé pour différents marchés et festivals tels que Cannes Docs, Cinéma du réel, Festival de Cabourg et FIPADOC. Passionnée de documentaires, elle fait partie du comité de pré-sélection de Venice Days et du Reykjavik IFF. Elle est l’ambassadrice française du projet 27 Times Cinema 2024.

Mara de Montalivet a commencé sa formation à l’ESRA (École supérieure de réalisation audiovisuelle). Elle a eu la chance de voir ses scénarios sélectionnés et a donc réalisé plusieurs court-métrages dont D-Day et Oui! qui est actuellement sur la route des festivals. Elle est aujourd’hui en Master d’écriture fiction et documentaire et oriente son écriture vers un cinéma inspiré du réel. Elle est actuellement en développement d’un court-métrage de fiction et d’un projet documentaire qui verront le jour dans l’année 2024.

D’une passion pour le cinéma à une vocation, Hélène Walter étudie en Master à SATIS et aspire à devenir cheffe monteuse. Elle aime également incarner des rôles devant la caméra et raconter des histoires dans tous les formats. Son terrain de prédilection demeure les courts-métrages, où elle peaufine son art et se professionnalise.

Le Jury Presse du Festival Format Court 2024

Après avoir annoncé le Jury professionnel de notre 5ème Festival Format Court (25-28 avril 2024, Studio des Ursulines), voici la composition de notre Jury presse qui aura pour mission de décerner le Prix de la presse à l’un des films en compétition.

Joseph Boinay

Lointainement étudiant en philo sur les rives du Rhône, Joseph Boinay est journaliste et critique de cinéma pour Télérama depuis 2017, passé par Vodkaster et Accréds. Il est sensible aux questions politiques soulevées par le cinéma.

Léon Cattan

Léon Cattan est rédactrice en chef adjointe de Sorociné, le média de cinéma féministe. Après des études sur le genre, elle se reconvertit dans le journalisme en passant par les Inrocks. Elle travaille également dans la presse littéraire pour Livres Hebdo et s’intéresse notamment aux liens entre cinéma, littérature et jeux vidéo.

Pierre Charpilloz

Journaliste et critique de cinéma, Pierre Charpilloz collabore régulièrement aux magazines So Film et Bande à Part ainsi qu’aux émission Viva Cinema sur Ciné+ et Court-Circuit sur Arte. Il enseigne également le cinéma à l’Université Paris-8 et à l’Université de Strasbourg, et est l’auteur de « Audrey Hepburn, une star pour tous » aux éditions Capricci.

Farah El Amraoui

Après des études de sciences politiques et communication audiovisuelle, Farah El Amraoui se lance dans le journalisme culturel et écrit pour plusieurs médias à l’instar de Maze, Le Bondy Blog ou encore Konbini Biiinge. Elle est notamment passée par le média professionnel Boxoffice Pro où elle a couvert l’actualité de l’exploitation et distribution française. Elle s’intéresse tout particulièrement à un cinéma issu de la région MENA mais pas seulement.

Clémentine Goldszal

Clémentine Goldszal est journaliste. Pour ELLE et M le Magazine du Monde, elle écrit sur la littérature, le cinéma, et la culture en général, avec un goût particulier pour les États-Unis. Un temps correspondante de ELLE à Los Angeles, elle vit désormais à Paris mais retraverse régulièrement l’Atlantique pour écrire des portraits ou des reportages qui, à travers le prisme culturel, tentent de raconter quelque chose du contemporain.

Festival Format Court 2024, le jury professionnel

Notre cinquième édition approche à grands pas : le Festival Format Court aura lieu du 25 au 28 avril prochain au Studio des Ursulines (Paris 5). L’intégralité de la programmation sera dévoilée d’ici peu. Voici d’ores et déjà la composition de notre jury professionnel qui évaluera les 19 films en compétition.

© James Weston

Née à Paris en 2002, Céleste Brunnquell commence le théâtre à l’âge de onze ans. En 2018, elle est repérée lors d’un cours au théâtre par la directrice de casting Elsa Pharaon pour le rôle principal du premier film de Sarah Suco, Les Eblouis (2019). Toujours au lycée, Elsa Pharaon la recontacte pour jouer dans la série En Thérapie, diffusée en 2021 sur Arte. Le bac en poche, Céleste commence des études d’histoire de l’art et continu en parallèle le cinéma. Elle joue dans L’Origine du mal de Sébastien Marnier (2022), Fifi de Jeanne Aslan et Paul Saintillan (2023), et La Fille de son père d’Erwan le Duc (2023). On la verra cette année dans Une Affaire de principe d’Antoine Raimbault, En attendant la nuit de Céline Rouzet et Maria de Jessica Palud. Céleste continue les tournages et fera prochainement ses débuts au théâtre.

Miquel Escudero Diéguez est programmeur et critique de cinéma. Il travaille actuellement comme programmeur au festival IndieLisboa. Il a fait partie du comité de sélection de la Semaine de la Critique du Festival de Cannes depuis 2020. Il a également travaillé comme programmeur au Festival Entrevues de Belfort aux éditions 2020 et 2021. Miquel a travaillé comme lecteur et consultant de projets pour La Fabrique de Cinémas du Monde de l’Institut français de Paris, le Rawi Screenwriters Lab de la Royal Film Commission de Jordanie, la Résidence de scénario de l’Académie du Cinéma Català, le Cinema Pendent de l’Alternativa de Barcelona, l’Extremlab de Badajoz et le MECAS du Festival de Las Palmas de Gran Canaria. Il est également consultant artistique à El Retorno, où il travaille avec Pol Roig. Les articles de Miquel ont été publiés dans des revues telles que Sofilm (France et Espagne), Dirigido Por et Caimán Cuadernos de Cine. Miquel travaille aussi comme agent et conservateur des films du collectif de cinéastes d’avant-garde Obscuritads.

Après des études de cinéma à l’Université, Tom Harari apprend le métier de directeur de la photo en autodidacte, cadrant et éclairant de nombreux courts et moyens-métrages. Depuis 2010, il collabore avec des réalisatrices et réalisateurs de sa génération – Suzanne, Réparer les Vivants, Le Temps d’Aimer de Katell Quillévéré, Un Monde sans femmes, Tonnerre de Guillaume Brac, La Bataille de Solférino de Justine Triet, Diamant Noir, Onoda d’Arthur Harari, Le Monde de Demain de Hélier Cisterne et Katell Quillévéré. Mais aussi avec des cinéastes de la génération précédente – Suite Armoricaine de Pascale Breton, Le Lion est mort ce soir de Nobuhiro Suwa.

Sociologue de formation, Cécile Polard est scénariste et consultante. Elle a suivi l’atelier long métrage de la Scénaristerie et l’atelier scénario de la Fémis. Elle écrit pour des séries d’animation (Les Trois Mousquetaires …) et de fiction (La faute à Rousseau  …). Elle a également co-écrit un court-métrage d’animation, Un caillou dans la chaussure d’Eric Montchaud (Prix du jury junior Canal+ au festival d’Annecy) et des projets de long-métrage. Elle travaille actuellement sur une série de docu-animation, Lycéens de guerre, et un biopic. Elle développe également un court et un long-métrage qu’elle souhaite réaliser.

Géomètre-topographe de formation, Yassine Qnia découvre le cinéma dans les maisons de jeunes de sa ville en participant à la fabrication de plusieurs films d’ateliers. Ces trois premiers courts-métrages – Fais croquer, Molii et F430 – sont sélectionnés dans de nombreux festivals et remportent plusieurs prix, en France et à l’étranger. En 2020, il réalise son premier long-métrage De bas étage.

Claude Delafosse : « Ce qui m’amuse, c’est de faire vivre ce qui ne vit pas »

En février, Claude Delafosse et son premier film L’effet de mes rides faisaient partie des 3 nommés au César du meilleur court-métrage documentaire (le prix est finalement allé à Gala Hernández López pour La Mécanique des fluides). Nous avions repéré en amont le travail de Claude Delafosse mêlant animation d’objets, petits-fils nommé Gaston, humour et premier film. Le réalisateur, passé par le journal Astrapi et l’émission Karambolage (Arte), s’entretient depuis sa maison à Saint-Clair-sur-Epte, entre Rouen et Paris, autour de son court-métrage, du secteur de l’animation, mais aussi des films faits en famille et de l’imperfection.

Format Court : L’effet de mes rides joue beaucoup avec les codes de l’animation. Y figurent des objets qui bougent, avec des voix entremêlées. Le film a été inscrit en documentaire aux César. Pourquoi ce choix ?

Claude Delafosse : L’animation, ce n’est pas un style, c’est une technique, en fait. Pour moi, l’animation, c’est un biais pour raconter des histoires, c’est juste une écriture. Quand j’ai fait ce film, je ne me suis pas du tout posé la question si c’était de la fiction, du documentaire ou autre chose. Pour moi, c’était un film. Avec le temps, il s’est avéré que les gens l’ont reçu, plus comme un peu un documentaire, dans la mesure où tout ce qui est dit dedans est la réalité. Ce sont nos voix. Il n’y a pas d’artifice particulier. Dans les films de fiction, je dis qu’il y a du documentaire. Et dans les documentaires, je pense qu’il y a aussi de la fiction. Le fait qu’il ait été inscrit en documentaire aux César, là, pour moi, ce n’est pas une erreur de casting.

Vu que tu connais quand même bien le milieu de l’animation, comment la perçois-tu aujourd’hui ?

C.D. : Moi, je fais de l’animation depuis plus de 50 ans. Voilà, c’était il y a quelques années ! Quand j’ai fait les Beaux-Arts, j’ai passé mon diplôme en faisant des films d’animation. À l’époque, c’était avec de la vraie pellicule. Ça coûtait un bras, c’était très cher, c’était très long. C’était très compliqué, mais c’était déjà très, très sympa à faire. A l’époque, on ne pouvait pas trop vivre de ça donc je suis parti vers le journal Astrapi et puis, j’ai fait plein de bouquins pour enfants. J’ai retrouvé l’animation dans les années 90. Il y a eu un essor. J’ai travaillé sur des CD-Rom interactifs qui étaient des objets absolument fabuleux et qui ont totalement disparu de la circulation parce qu’on ne peut plus les regarder. J’ai repris le goût de faire de l’anim’. Avec toutes les techniques qui arrivaient, avec les appareils photonumériques. C’est devenu beaucoup, beaucoup plus facile d’en faire. Moi, j’en ai un peu fait au quotidien comme ça, ce que me reproche Gaston (son petit-fils ndlr) dans le film. J’ai fait plein de petits bouts de trucs rigolos que je montrais à mes amis, mais sans en faire vraiment des films. Et puis, après, j’ai rencontré par hasard Claire Doutriaux à Arte qui montait l’émission Karambolage. Je suis devenu l’un des piliers de l’émission, j’ai dû faire 150 sujets pour elle en 20 ans. Mais c’est vrai que l’évolution, elle est colossale.

La première fois que je suis allé à Annecy, il y a bientôt 50 ans, c’était tout petit. Il y avait 200 personnes qui arrivaient du monde entier et qui montraient des bijoux, des trucs extraordinaires. Et puis, ça a grossi. Aujourd’hui, c’est devenu un peu un monstre, parce qu’on ne peut même plus rentrer. Autrefois, quand il y avait trois longs-métrages, c’était le Graal. Aujourd’hui, il y en a 50. Ce n’est plus du tout le même monde. L’esprit a changé. Mais ça a des bons côtés parce que, du coup, c’est devenu une vraie industrie, ce n’est plus seulement destiné aux enfants. De l’autre côté, l’aspect « un peu bijou » et travail d’une seule personne s’est un petit peu marginalisé.

Pourtant, j’entends quand même encore beaucoup en entretien des gens qui parlent d’artisanat, des gens qui travaillent seuls, et qui mettent du temps. Je pense à Stephen Vuillemin, qui a fait son film quand même en grande partie tout seul avant d’être rejoint par une boîte de production.

C.D. : Oui, c’est bien. Il y a encore des gens qui font leurs petits bijoux seuls ou même avec d’autres, peu importe. A côté de ça, il y a une grosse machinerie qui est très bien parce que ça permet de faire des films comme Linda veut du poulet de Sébastien Laudenbach que moi, je trouve formidable. Mais a priori, moi, je trouve que l’animation, ce n’est pas un format pour faire du long-métrage parce que je trouve que c’est quelque chose de tellement riche, qu’il y a un peu une saturation. Je pense qu’on dit tout dans un court en animation, mais bon, ça, c’est personnel. Il y a assez peu de longs-métrages que je trouve justifiés dans ce format-là.

L’effet de mes rides s’est conçu comme un vrai film, un premier film, justement à l’opposé des ou des commandes et des petits films que tu fais dans ton bureau. Pourquoi y avait-il cette nécessité à ce moment-là ?

C.D. : J’ai déjà pas mal attendu, en réalité. Ca fait maintenant à peu près vingt ans, que je fais des films d’animation, essentiellement de commande et puis, des petits trucs pour moi. Et très régulièrement, les gens qui voient ce que je fais me disent : « Pourquoi tu ne fais pas un vrai film ? ». Et moi, je m’en sentais pas très capable.

Moi, ce qui m’amuse, c’est quand je croise un bout de bois dans mon jardin et que je l’anime. Et puis, basta. J’ai accumulé tous ces petits trucs-là comme ça. Un jour, je me suis dit : « C’est quand même bête d’avoir tous ces petits trucs rigolos. Ce serait bien de faire un film avec ».

J’ai demandé à Jeanne (Delafosse ndlr) à ma fille qui est réalisatrice de documentaires : « Si je te donnais tous mes petits trucs, est-ce que tu pourrais faire un film avec ? ». Elle est partie avec un disque dur et est revenue un peu plus tard en me disant : « On ne peut pas faire un film juste en collant des trucs comme ça, ce n’est pas possible parce qu’il n’y avait pas de fil narratif ». Je l’ai déjà fait, d’ailleurs. C’est assez rigolo de mettre bout à bout tous mes petits trucs avec de la musique. Ça fait un truc qui est un peu joli, mais qui ne raconte pas grand-chose.

Après, j’ai un peu abandonné l’idée. Et puis, Yves Bouveret que j’avais rencontré à Annecy, il y a une vingtaine d’années, et qui s’occupe du festival Image par Image, me présentait à chaque fois qu’on se voyait à Annecy, à des producteurs et leur disait : « Vous devriez faire un film avec lui, il a fait des trucs super ». Moi, ça me terrorisait de voir des producteurs des vrais. Je ne disais rien et puis je me barrais. Il y a quatre ans, ou cinq ans, il m’a dit qu’il venait de monter une boîte de production. Je lui disais : « Ah, ben, si c’est le cas, alors là, pour le coup, comme toi, tu ne me fais pas peur, on pourrait peut-être faire un film ensemble ».

Je venais d’avoir l’idée de ce que pouvait être mon film grâce à Jean-Charles Mbotti Malolo que j’avais croisé à la Poudrière et qui me disait aussi : « Pourquoi tu ne fais pas un film ? ». Je lui ait dit que je n’y arrivais pas. Il m’a dit : « C’est ça ton film. C’est un mec qui arrive pas à faire un film ». Du coup, j’ai dit à Jeanne et à Yves qu’on allait faire un film comme ça. Et le titre, en fait, je l’ai depuis 30 ans. Je voulais faire tous les jours une petite séquence de quelques secondes. Mis bout à bout, ça aurait fait un film au bout de 365 jours. Je l’ai commencé il y a plusieurs années mais ça n’a jamais été au-delà du mois de février. Mais j’aimais bien le titre. A l’époque, je n’en avais pas (de rides) !

Je vois le nom Lafosse souvent indiqué dans le générique…

C.D. : Il y a Jeanne qui fait les films et Martin qui est dans le son. C’est très pratique pour les engager ! Il y en a un qui est moins en avant, mais qui est super utile aussi. C’est le troisième, Lucas. Lui, il est paysagiste, mais il est très fort pour les dossiers, pour corriger les coquilles.

Vous avez déjà été amenés à travailler ensemble sur des projets ?

C.D. : Oui. Avec Jeanne, on fait souvent des trucs ensemble. Avec Martin, on a fait plein de musiques. Je pioche bien dans toute la famille. Ma femme, elle me flagelle pour que j’arrive au bout des projets parce que souvent, j’en ai marre. J’aime bien que ça aille vite. Et souvent, quand c’est sérieux, c’est un peu plus long.

Du coup, sur le film, L’effet de mes rides, c’était quoi ton rapport au temps ?

C.L : L’idée est venue il y a 4-5 ans. J’ai mis 3 ans pour faire le film. On a eu quelques aides mais le film n’a pas coûté très cher. J’ai de la chance, en tant que vieillard, de toucher une retraite. Ce qui n’était pas le cas autrefois où il fallait que je bosse pour avoir de l’argent. Après, ça permet de vivre sans se poser trop de questions donc, finalement, le film, moi, je l’ai fait un peu gratos, mais je ne le regrette pas. C’est aussi un peu lié à la réalité du court-métrage où on ne va pas toujours pouvoir se payer.

Dans ton parcours, tu es passé par Astrapi et Karambolage. Qu’as-tu retenu de ces expériences ?

C.D : Ce que je peux dire, c’est que j’ai eu beaucoup, beaucoup de chance, parce que j’ai fait des rencontres un peu fortuites. Ma première chance, c’est que Sabine, ma femme, a été admise à la Casa de Velázquez en sortant des Beaux-Arts. On était ensemble aux Beaux-Arts. On est partis deux ans en Espagne, c’était déjà assez génial.

J’avais fait quelques trucs pour Bayard. Au moment où on est rentré en France, ils voulaient monter un journal et à mon grand étonnement, ils m’ont demandé si je voulais y participer alors que je me destinais à être simplement illustrateur.

Il s’est avéré que ça a été un super truc de s’occuper d’un journal parce que c’est une machinerie un peu infernale. Il faut, tous les quinze jours, sortir un nouveau truc donc, ça oblige à penser vite, à imaginer des choses.

Et Karambolage ?

C.D : Bayard m’a viré au bout de 23 ans. Je me suis retrouvé un peu le bec dans l’eau. A ce moment-là, j’ai eu la chance de commencer à faire des trucs pour Arte, pour leurs soirées thématiques. C’est en faisant un habillage que j’ai croisé Claire qui montait son émission. Je lui ai montré ce que je faisais. J’ai travaillé avec elle pendant ces vingt années-là, à faire des petits sujets. Ca me convenait parce que là, j’étais tout seul. Je changeais de style un peu à chaque fois. C’est ce que j’aimais bien. Je n’aime pas trop répéter ni faire des choses longues.

Tu continues encore à faire des sujets pour eux ?

C.D : J’ai fait un break de trois ans pour faire le film. Là, pour l’instant, je me tâte un peu. Je ne sais pas encore si je poursuis au vu de la carrière de L’Effet de mes rides. Je me pose des questions de savoir si je continue ou pas, si j’essaye de faire d’autres trucs plus personnels ou de retourner à Karambolage.

Parmi tous les Karambolage, est-ce qu’il y en a un en particulier que tu aimes vraiment bien ?

C.D : J’en ai fait beaucoup. J’ai fait des portraits de personnages et des sujets marrants. Un sujet sur le champagne, par exemple. Souvent, des trucs prémonitoires. J’ai fait un truc sur Angela Merkel, alors qu’elle n’était pas encore arrivée à la tête de l’Allemagne. J’ai fait un truc sur Sarkozy avant qu’il ne soit élu. C’était assez marrant. A côté, j’ai fait beaucoup de livres pour enfants, essentiellement, pour Gallimard, via une collection qui s’appelle « J’observe », avec une petite lampe en papier qui éclaire les images, qui est un peu magique. Je suis un peu multi-style.

Ce sont les Beaux-Arts qui t’ont appris le principe du touche-à-tout ?

C.D : Non, c’est plutôt mon état d’esprit. Et puis, c’est la vie. Aux Beaux-Arts, il y avait des secteurs assez précis. Moi, j’étais en communication. La communication, c’est un peu tout et n’importe quoi. A l’époque, il n’y avait rien pour faire de l’animation. Moi, j’en ai fait dans la cave d’un copain, un peu à la débrouille, quoi.

Ton film est un film de montage aussi. Il y a énormément de séquences qui n’ont rien à voir les unes avec les autres.

C.D : Oui. Jeanne me disait que je devrais retourner. Je lui disais : « Mais ce n’est pas possible. » Moi, ces trucs-là, je les fais au moment où elles arrivent. Comme l’image n’était pas d’une très bonne qualité, elle me disait : « Tu peux la refaire. » Je lui disais non.

Comment filmes-tu d’ailleurs ?

C.D. : J’ai beaucoup utilisé l’appareil photo en rafale. J’avais acheté un petit appareil Sony, je m’étais fait avoir. Il n’avait pas de truc en-dessous pour le mettre sur un pied. Comme il était assez puissant, j’ai développé tout un système où je faisais des photos en rafale, en tenant mon appareil et en me déplaçant. C’est à cette période-là, en fait que j’ai fait pas mal de séquences et que ça donne une espèce d’animation saccadée, rigolote.

Toutes ces animations, tu les stockes sur un disque dur avec un nom ?

C.D. : Le film a été un cauchemar pour Jeanne, parce que je ne sais jamais où sont mes trucs sur l’ordinateur. Tout est totalement en bordel. Je dois avoir 25 petits disques durs que j’accumule dans un tiroir. On a regardé des trucs ensemble. En effet, elle a fait un boulot de montage absolument extraordinaire à partir de tout ça parce qu’elle a réussi à redonner au projet une colonne vertébrale et un sens qui n’était pas du tout évident.

À un moment donné, dans ton film, Gaston, ton petit-fils dit : « Pourquoi tu ne fais pas un vrai film avec des vrais gens ? ». Les vrais gens, est-ce que c’est quelque chose qui peut te tenter maintenant ?

C.D : Non. Je pense que je ne ferai jamais de film avec des vrais gens. Moi, ce qui m’amuse, c’est de faire vivre ce qui ne vit pas, d’animer l’inanimé. J’ai des heures d’images avec mes petits-enfants. Pour moi, ça n’a pas le même caractère que le reste. Là, par exemple, sur Instagram, je mets des petites séquences de Gaston qui sont très rigolotes. Mais je ne me verrais pas faire un film comme ça. Ce n’est pas trop dans mon ADN de faire ça. J’aime vraiment mieux essayer de créer de toutes pièces. J’ai mon assistant qui est là, qui me soutient (il désigne son doigt dessiné avec le visage d’un petit bonhomme portant des écouteurs, ndlr). Il m’aide pour l’interview (sourire) !

Comment as-tu expliqué ton film à Gaston ?

C.D. : Il n’a pas trop bien réalisé ce qui se passait sur le moment. Maintenant, il comprend mieux. En fait, quand il vient chez nous pendant les vacances, on fait plein de trucs ensemble. Par moments, je le filme. On joue, on parle de choses et d’autres ensemble. On avait une espèce de matière brute qu’après, Jeanne a récupérée et on a réécrit des choses et puis, on a réenregistré. De toute façon, en animation, tu ne peux pas enregistrer des voix avec les images que tu fais. Ce n’est pas dans le même rythme. Avec Gaston, on lui a fait redire un peu ces trucs. C’était rigolo parce qu’il était quand même petit. Martin venait avec son matériel pour enregistrer. On commençait à enregistrer. Gaston prononçait sa phrase. Jeanne disait : « C’est très, très bien, Gaston. On l’a refait ». Au bout de dix fois, il commençait à s’énerver et disait : « Pourquoi tu me dis que c’est bien puisqu’on n’arrête pas de la refaire ?! ». Il avait envie d’aller jouer avec ses cousins.

Qu’est-ce qu’il a envie de faire plus tard ?

C.D. : Il est hyper doué en dessin. Pour l’instant, il n’est pas vraiment décidé. Je crois qu’il pourrait faire pas mal de choses. Comme il est allé habiter à Douarnenez, il fait du surf. Je ne crois pas qu’il deviendra champion de surf. L’architecture, ça l’intéresse. Il a bien grandi. Il est presque aussi grand que moi maintenant.

Comment comprends-tu les réseaux comme Instagram ?

C.D. : Je ne les comprends pas du tout ! Très peu de gens me suivent. La plupart, c’est des amis. Je ne mets jamais un truc de hashtag ou je ne sais pas quoi parce que je ne sais pas bien comment ça marche. Quand j’ai un truc que je trouve rigolo, j’ai envie de le poster… C’était un peu spécial avec les César. Du coup, j’ai essayé de devenir communicant et influenceur.

Tu n’as pas trouvé quelqu’un dans ta famille pour le faire ?

C.D. : Non. C’est bizarre. Martin et Jeanne ont relayé des infos sur le film sur leur réseau Linkedin. Ca a dû pas mal marcher parce que moi, j’étais à peu près sûr qu’on ne passerait pas aux 3 nommés. Ca a été pour moi l’énorme surprise. Je ne sais pas comment le truc a pu se produire. Ca a été un petit miracle. En tout cas, moi, je suis très nul en réseaux sociaux. Franchement, je trouve ça rigolo mais je ne sais pas m’en servir. Je n’ai pas la science.

Depuis que le film est terminé, je suppose que tu continues à animer, à faire des petites choses pour toi.

C.D. : Je ne cherche jamais un sujet, ce sont les sujets qui viennent à moi. Quand je me balade dans ma campagne, souvent, je reviens avec un petit trésor, un petit machin, un bout de ferraille tordu. Quand je vais dans mon jardin, ou quand on épluche des légumes, tout d’un coup, je me mets à voir les épluchures. Et puis, je fais un ours avec, en épluchures. Et puis après, je vais me mettre à l’animer, comme ça, pendant trois, quatre secondes. Je pourrais comparer ça à ceux qui font du jogging. Moi, je fais de l’anim’. Tout ça, c’est dans un petit coin de mon ordinateur où j’ai plein de petites séquences qui attendent peut-être un jour de devenir quelque chose, mais qui ont plus de chance d’y rester.

Est-ce que tu les regardes ? Reviens-tu en arrière un peu comme dans un livre de souvenirs ?

C.D. : Oui, de temps en temps, justement. Je fais toujours des trucs un peu à côté. C’est devenu un peu mon image de marque, cette l’imperfection. C’est bien l’imperfection.

Propos recueillis par Katia Bayer

After Short, Spécial Magritte !

Pour la toute première fois, Format Court organise un After Short à Bruxelles. Le jeudi 28 mars 2024, un événement autour des Magritte aura lieu à l’ESRA Bruxelles, situé au 34, rue du Beau Site (1000 Bruxelles). En collaboration avec l’ESRA et le soutien de l’Académie André Delvaux, cette soirée mettra à l’honneur le dynamisme et la créativité du cinéma belge. Y participent de nombreux lauréats de la dernière cérémonie des Magritte.


Vous voulez en apprendre davantage sur les parcours d’auteurs et producteur.trice.s qui bâtissent le cinéma d’aujourd’hui et de demain, découvrir leurs films, échanger avec elles et eux sur leurs œuvres, leurs choix artistiques, leurs expériences et le déroulement de leur travail et poursuivre ces discussions autour d’un verre ?

Un After Short, comment ça se passe ?

En amont : les photos et bios des intervenants ainsi que les liens de visionnage des courts sont mis à la disposition des personnes ayant réservé leur place. Le jour J, le public a ainsi la possibilité de participer activement à la discussion qui s’engage avec les équipes de films.

Lors de l’évènement : les équipes (réalisateurs.trices et/ou producteurs.trices, anciens lauréats des César, membres de comités de sélection de l’Académie) se succèdent sur scène pour une intervention et un échange avec le public d’une dizaine de minutes chacune. Deux animateurs sont là pour introduire leur travail et vous donner la parole.

Rappel : il n’y a pas de projection de films au cours de la soirée.

Après la rencontre : un cocktail est organisé par l’ESRA Bruxelles à l’école. C’est entre autres l’occasion de poursuivre les discussions de façon plus informelle avec les équipes présentes.

Attention : nombre de places limitées. Inscriptions : bruxelles@esra.edu

Nos invités

Emmanuelle Nicot, réalisatrice de Dalva, Magritte du Meilleur film, du Meilleur premier film, de la Meilleure réalisation, et du Meilleur scénario

Zelda Samson, comédienne dans Dalva, Magritte du Meilleur espoir féminin

Sandrine Blancke, comédienne dans Dalva, Magritte de la Meilleure actrice dans un second rôle ex-aequo

Valérie Le Docte, monteuse son, membre de l’équipe lauréate du Magritte du Meilleur son pour Dalva

Sophie Vercruysse et Raphaël Balboni, monteuse et réalisateur et monteur de Le Syndrome des amours passées, Magritte du Meilleur montage

Lazare Gousseau, comédien dans Le Syndrome des amours passées, Magritte du Meilleur espoir masculin

Alexander Weiss, producteur (Fox the Fox) de Adieu sauvage de Sergio Guataquira Sarmiento, Magritte du Meilleur documentaire

Jérémy Depuydt, co-réalisateur de Pina, Magritte du Meilleur court métrage d’animation

Natan Castay, réalisateur de En attendant les robots, Magritte du Meilleur court métrage documentaire

Basile Vuillemin, Blandine Jet et Samuel Feller, réalisateur, co-scénariste et producteur (Magellan Films) de Les Silencieux, Magritte du Meilleur court métrage de fiction

Festival Format Court 2024 : Spotlight Venise !

Notre 5ème Festival Format Court approche à grands pas. Il aura lieu du jeudi 25 au dimanche 28 avril, au Studio des Ursulines (Paris, 5). Ce sera l’occasion de découvrir plein de courts en compétition mais aussi au détour de nos 3 séances thématiques.

Voici le détail des films projetés lors de la troisième projection parallèle du festival, dimanche 28 avril à 17h. Après Cannes, Locarno et Berlin, nous nous intéressons cette année à un nouveau festival de type A : le Festival International du cinéma de Venise. Créé en 1932, le festival est le plus ancien au monde. 4 films, en compétition officielle au dernier festival de Venise, dans la section Orizzonti, seront diffusés à cette occasion, en présence de nos invités : la conseillère courts-métrages Carla Vulpiani, les réalisateurs Margherita Giusti et Erenik Beqiri et la comédienne Luàna Bajrami. Cette séance exceptionnelle est organisée avec le soutien de l’Institut Culturel Italien.

La billetterie est accessible sur place mais aussi en ligne (conditions tarifaires en bas de page).

Programmation

A Short Trip d’Erenik Beqiri. Fiction, 17′, 2023, France, Origine Films, Moteur S’il Vous Plaît. Prix Orizzonti du meilleur court-métrage2023. En présence du réalisateur, de la comédienne Luàna Bajrami et du producteur Olivier Berlemont

Klodi et Mira, jeune couple albanais, décident de marier Mira à un français pendant cinq ans contre de l’argent, pour obtenir la nationalité française. Ils vont alors devoir choisir le bon mari pour elle, et apprendre à se détacher l’un de l’autre.

The Meatseller de Margherita Giusti, Animation, 17′,  2023, Italie, Frenesy Film Company. Sélectionné au Festival de Venise 2023 et au Festival Anima 2024. En présence de la réalisatrice

The Meatseller est l’histoire vraie de Selinna Ajamikoko, une jeune Nigériane qui rêve de devenir bouchère comme sa mère. Pour réaliser son rêve, elle commence son voyage vers l’Italie, une expérience pleine d’atrocité et de bestialité. Ce voyage animé, guidé par la propre voix de Selinna, nous conduit à travers la quête d’identité qui caractérise chaque être humain.

Cross my heart and hope to die de Sam Manacsa, Fiction, 18′,  2023, Philippines, Chad Cabigon, Carlo Francisco Manatad. Sélectionné au Festival de Venise 2023 et au Festival de Clermont-Ferrand 2024

Mila lutte car elle n’est pas payée au travail et trouve du réconfort dans un intérêt amoureux à travers ses appels téléphoniques constants. Mais une promesse d’espoir peut également mener à la tragédie et à des chansons d’amour tristes.

Et si le soleil plongeait dans l’océan de nues de Wissam Charaf. Fiction, 20′,  2023, France, Liban, Aurora Films. Sélectionné au Festival de Venise 2023. Prix spécial du jury national au Festival de Clermont-Ferrand 2024. En présence de la productrice Katia Khazak

Au Liban, sur le chantier du front de mer, Raed, agent de sécurité, doit empêcher les promeneurs d’accéder en bord de mer. Mais alors que l’horizon est bouché chaque jour davantage par le chantier, Raed fait des rencontres singulières. Rêves ou incarnations de ses désirs ?


En pratique

Studio des Ursulines : 10 Rue des Ursulines, 75005 Paris
– Accès : RER B Luxembourg (sortie rue de l’Abbé de l’Épée), Bus 21, 27 (Feuillantines), 38 ou 82 (Auguste Comte), 84 ou 89 (Panthéon). Métro le plus proche : Ligne 7, arrêt Censier Daubenton (mais apprêtez-vous à marcher un peu…)

Billetterie sur place et en ligne

Tarifs : plein : 8,50€, réduit : 7€. Cartes UGC Illimité et cartes de fidélité des Cinémas Indépendants parisiens acceptées. Achats en ligne majorés de 0,40€ par place (frais de gestion)

Vincent doit mourir de Stephan Castang

Un jour qu’il se rend au travail, Vincent, graphiste sans histoires, est violemment agressé par un stagiaire. S’ensuit le début d’un quotidien infernal, où de plus en plus de gens vont tenter de le tuer. Entre fuite et affrontement, Vincent doit survivre… mais à quel prix ? A l’occasion d’un jeu concours, Format Court et Capricci vous font gagner 3 exemplaires DVD du film Vincent doit mourir, réalisé en 2023 par Stéphan Castang, contenant les bonus exclusifs du court-métrage Finale du réalisateur, des entretiens avec Vimala Pons, Karim Leklou et Stephan Castang, des extraits du storyboard de Giuseppe Liotti et l’analyse de la musique du film par son compositeur John Kaced.

L’histoire de Vincent, interprété par Karim Leklou qu’on a récemment vu dans Le Monde est à toi ou La Troisième guerre, est celle de beaucoup de personnes, d’une banalité surprenante. La quarantaine entamée, célibataire sans enfants, il travaille dans une boîte de graphistes, jusqu’au jour où après une blague ratée faite au nouveau stagiaire, ce dernier prend son ordinateur et frappe violemment Vincent avec. Au fur et à mesure, les personnes qu’il regarde dans les yeux vont essayer de le tuer à tout prix. Ces explosions de violence sont incompréhensibles, mises en scène dans des moments de grande tension aux cascades et aux effusions de sang impressionnantes. Agressé chez lui, toutes les interactions de Vincent lui deviennent dangereuses. Pire encore, de victime, il n’est cru de personne dans son entourage, qui font de lui un bouc-émissaire, tenu pour seul responsable de la violence physique des agressions, et la violence sociale de l’exclusion, qu’il subit. Forcé de vivre dans la marginalité et l’exclusion, chassé de chez son père, il fuit son quotidien et fera des rencontres décisives.

Le réalisateur Stéphan Castang, ainsi que Mathieu Naert et Dominique Baumard qui ont adapté le scénario, excellent dans l’art des dialogues, comiques par leur prolifération dans des moments absurdes (comme lors de la scène du commissariat), d’une rare finesse lors des moments d’émotion.

Vincent doit mourir aurait pu être un film dont le concept tiendrait en un seul court-métrage. Au contraire, Stéphan Castang développe avec intelligence une profonde réflexion sur la société et la condition humaine, à travers le destin mouvementé de Vincent. C’est d’abord un film sur le pouvoir des images, qui l’accompagnent dans sa quête de sens autant qu’elles le font sombrer dans sa détresse. Sur Internet, Vincent cherche ce qui cause ce phénomène, entre vidéos de possession et virus qui se propageraient au sein de la population. L’espace numérique devient ce trou de lapin dans lequel Vincent tombe en y trouvant du réconfort, bien que les sous-entendus et argumentaires des sphères complotistes ne sont jamais loin.

Puis, dans la seconde moitié du film, la narration prend le tournant inattendu d’une romance intense avec une serveuse Margaux (Vimala Pons), dont la fraîcheur et la spontanéité complètent la brutalité silencieuse de Vincent. L’acharnement contre Vincent est d’autant plus cruel qu’il n’a pas d’explication, lui qui se retrouve confronté à une tragédie contradictoire et existentielle : devant tuer pour ne pas mourir, il doit vivre dans une société qui lui est devenue activement hostile. Dans des scènes de violence dignes des films de zombies, la musique électronique, grave et minimale qui s’intensifie et le travail sur les sons et les bruitages (notamment avec les grognements du chien dès que Vincent est en danger) font revêtir au film une couche anxiogène, loin du burlesque du début. Seul contre tous, Vincent essaie de garder sa raison. Mais comment faire quand le monde veut notre peau ? Stéphan Castang, dans sa réalisation, développe un propos subtil sur le rapport aux autres et à la violence. Quand l’effondrement d’un homme devient celui d’une société toute entière, à partir de quel seuil la violence devient-elle intolérable ?

Ces thématiques sont également abordées dans son court-métrage de 26 minutes réalisé en 2019, Finale, visionnable dans la version DVD du film. Dans la présentation du film, Stéphan Castang dit vouloir parler des “vieux”, qu’il veut montrer en situation de résistance, et ne veut pas, par son choix des mots, les mettre à distance. Lors de la finale de la coupe du monde 2018, François (François Chattot) et Chantal (Chantal Jablon) vivent une histoire d’amour. Mais alors que la France s’apprête à battre la Croatie, dans un montage parallèle, Chantal apprend que son mari Jean-Pierre à l’Ehpad, est sur le point de mourir, et François (interprétant aussi le père de Vincent dans le long-métrage) se fait mettre dehors par sa fille et son beau-fils après qu’il ait été attrapé avec de la drogue. Pour égayer les derniers instants de son mari mourant, Chantal invite leurs amis dans sa chambre et ils fument de l’herbe ensemble. Après quoi, le directeur de l’Ehpad (jouant le policier dans Vincent doit mourir) lui demandera avec une violente condescendance : “Vous savez ce que ça coûte à la société ?”. Avec des acteurs touchants et explosifs, le réalisateur met en scène des vieux, qui ne sont pas transgressifs parce qu’ils couchent et se droguent, mais justement parce qu’ils “n’ont plus l’âge” de faire ça. Tendresse et cruauté sont révélées dans le traitement social de ces corps tachetés, et considérés comme jetables et inutiles par la société. Par les fragments d’une vie fanés dans des photographies, les vieux, comme Vincent, sont seuls et incompris.

Vincent doit mourir prolonge la vision fine de son réalisateur, et fait penser à un Rhinocéros moderne, pièce dans laquelle Eugène Ionesco met en scène la transformation extraordinaire d’individus normaux en animaux. De monstre, le rhinocéros devient banal, sauf pour ceux qui décident de résister. Quand toute la société sombre dans la violence, Vincent et Margaux deviennent l’allégorie de cette résistance, puis de cette libération, incarnant la célèbre phrase écrite par Ionesco : “La vie est une lutte, c’est lâche de ne pas combattre”.

Mona Affholder

Mili Pecherer : « Sans contraintes, tout est possible et donc impossible »

Sur la terrasse d’un café fermé à Berlin, on est allé à la rencontre de Mili Pecherer, la réalisatrice du court-métrage d’animation Nous ne serons pas les derniers de notre espèce, présenté en compétition à la Berlinale cette année. Le film renouvelle le sujet de l’arche de Noé comme dernier refuge de l’humanité et programme de réinsertion professionnelle minutieusement planifié. La réalisatrice israélienne basée à Marseille nous a raconté son travail et ses inspirations et, en nous transmettant ses connaissances et sa passion sur un tas de différents sujets.

Format Court : Comment as-tu fait tes premiers pas dans le cinéma, qu’est-ce qui t’a intéressé en premier ?

Mili Pecherer : J’ai commencé par étudier à Jérusalem, mais il n’y a pas beaucoup de moyens comme en France. Il fallait faire un film et je n’avais aucune idée de ce que ça voulait dire. Je partais à l’aventure avec ma caméra et c’est devenu un documentaire, sans faire exprès. C’est aussi comme ça que je suis devenue le personnage principal de mes films, parce qu’il n’y avait que moi avec ma caméra et le monde que je rencontrais.

Comment es-tu passée du documentaire à l’animation ? Est-ce que tu as choisi l’animation en fin de compte ?

M.P. : En réalité je ne choisis jamais, je ne sais pas choisir. J’ai fait le Fresnoy, une école en deux années où il fallait créer un projet par an. La première année, j’ai fait un documentaire, et la deuxième, le Ministre de la Culture a imposé qu’on travaille avec de nouvelles technologies. Sur le coup, c’était chiant mais c’était aussi un défi, et puis je me suis dit qu’une nouvelle technique pouvait changer ma vie donc je l’ai pris au sérieux. Je pense que l’animation, c’est beaucoup plus de souffrance mais aussi de beauté par rapport au documentaire. En ce moment, je travaille sur un documentaire et d’un coup, le monde me paraît un peu plus fade. J’essaie de trouver un entre-deux.

Quelle est la technique d’animation que tu as préféré utiliser ?

M.P. : Quand j’ai basculé dans l’animation, j’ai cherché une technique qui pouvait préserver un peu cet univers, ce hasard que j’avais dans le documentaire et j’ai l’impression que le jeu vidéo me donne cette idée. Et puis, écrire des scénarios, ça me fait très peur. Un jeu vidéo, ce n’est pas compliqué, il y a juste à écrire les règles et après, je fais ce que je veux.

Comme c’est difficile pour toi, comment as-tu fait pour écrire Nous ne serons pas les derniers de notre espèce ?

M.P. : J’avais pris beaucoup de notes sur l’arche de Noé, et après, j’ai basculé sur l’aspect technique. Mes restrictions techniques nourrissent ce que je peux faire au point de vue de la narration, et inversement. J’ai lu l’histoire biblique comme des règles d’un jeu, en me créant un cadre de contraintes. Parce que sans contraintes, tout est possible et donc tout est impossible… d’une certaine manière. C’était un peu compliqué parce que c’est l’histoire la plus connue et la plus travaillée, et il fallait que je me trouve un petit coin où je sois à l’aise, où je puisse chercher mes propres interrogations contemporaines.

Comment as-tu travaillé l’animation de ton film?

M.P. : La première chose qu’on a faite, c’est l’arche. Eliav Varda a fait la 3D en tant qu’architecte design, mais elle était toute blanche. Il a fallu trouver quelqu’un qui fasse les textures, les lumières. On a trouvé quelqu’un à Londres, qui a choisi le logiciel sur lequel on a travaillé : Unreal Engine.

Moi, je ne sais pas faire d’animation. Il me fallait donc un développeur, quelqu’un qui traduise mes idées à l’ordinateur. J’essaie de travailler avec des logiciels de jeux vidéo, ce qu’on appelle du real time engine, parce que tu n’as pas de rendu : tu as un logiciel, un univers, et tout ce que tu mets dedans, tu le vois tout de suite. Dans cet univers de jeu vidéo, il y a d’immenses marchés virtuels d’objets. Je suis allée dans un magasin d’animaux, avec des animations intégrées. En voyant les possibilités des avatars, cela a nourri la façon dont je voulais raconter l’histoire.

Finalement, d’où est né ce projet ?

M.P. : Je n’avais aucune idée que j’allais faire ce film, j’avais juste promis que j’allais faire un film sur l’arche de Noé au Musée d’Art et d’Histoire du Judaïsme à Paris. C’était une installation faite pour la Nuit blanche, et il y avait l’écran principal avec le film, et sur les côtés, des fenêtres comme dans un bateau donnant sur la mer, avec l’impression pour le spectateur d’être lui aussi sur l’arche.

Comment as-tu choisi les personnages de ton arche ?

M.P. : J’ai rapidement su que l’histoire du corbeau et du pigeon m’intéressait, parce qu’on connaît tous l’image de la colombe, mais en hébreu, l’écriture est plus vague et donc sujette à plus d’interprétations : l’oiseau pourrait aussi ien être une colombe qu’un pigeon. Dans la Bible, il est écrit que cela fait longtemps qu’ils sont tous coincés dans l’arche, et que Noé veut savoir si les eaux ont baissé et si la vie va reprendre. Il dit une seule phrase très énigmatique, avec un corbeau qui fait des aller-retours sans cesse, sans accomplir sa mission. De l’autre côté, il y a la colombe, qui elle arrive à l’accomplir. La révolte du corbeau est énigmatique et un peu oubliée dans cette histoire, et je me suis dit que je le voulais comme personnage.

Il me fallait d’autres animaux, et il est écrit dans le texte qu’il y a des animaux purs et impurs. J’essayais de comprendre ce que ça voulait dire. Je suis juive donc je me suis dit que ça voulait dire casher. C’est pour cette raison que j’ai choisi des poules, des vaches et des canards.

En parlant des animaux, pourquoi as-tu choisi de sous-titrer le langage des animaux ?

M.P. : J’avais vu ça dans le film Uccellacci e uccellini (Des oiseaux, petits et gros) de Pasolini. Dedans, des oiseaux parlent avec des moineaux, et il y a aussi un corbeau qui parle avec un être humain. Tout est sous-titré. Et puis j’avais aussi envie de donner aux animaux une place réelle. J’avais aussi ce petit fantasme, parce que j’ai toujours vécu dans des villes et que je n’ai pas ce contact que j’aimerais avoir avec eux. Je trouve du plaisir à passer du temps avec des animaux, même s’ils ne sont pas réels, ils sont un peu de la même substance. Et puis ça nous rend égaux, moi quand je parle francais, je suis aussi sous-titrée par exemple.

Comme tu l’as expliqué, tu es le personnage principal de tes films. Dans Nous ne serons pas les derniers de notre espèce, il y a le personnage central de cette femme seule, mais aussi entourée d’animaux, dans le Département des Purs. Elle cherche d’abord un sens à sa mission puis finit par s’y soumettre. Comment as-tu décidé de traiter ce personnage et pourquoi de cette manière ?

M.P. : Je n’arrivais pas à trouver ma place dans l’arche, et une amie, Cindy Coutant, m’a beaucoup aidée. On s’est retrouvées, je lui ai lu toutes mes notes, et elle m’a fait une sorte de psychothérapie de film. À ce moment-là, je travaillais sur un chantier d’insertion parce que j’étais au RSA (Revenu de Solidarité Active, qui assure aux personnes sans ressources un niveau minimum de revenu qui varie selon la composition du foyer) pendant un moment et que Pôle Emploi m’avait dit qu’ils allaient me le couper. J’ai essayé d’expliquer que j’étais artiste et que ce n’était pas toujours évident, ce à quoi ils ont répondu : “Oui Madame, mais il y a la passion, et il y a ce qui met la nourriture dans le frigo… il faut trouver un vrai métier” (ndlr: référence à la “nourriture dans le frigo” répétée plusieurs fois par l’oiseau dans le film pour convaincre la femme de faire son travail sans poser de questions) .

Le seul travail que j’ai trouvé, c’était un chantier d’insertion. J’étais sûre que j’allais devenir menuisière, que j’avais trouvé un “vrai” travail. Pour notre chef, le truc le plus important, c’était de nous apprendre à être des êtres humains et à nous insérer dans la société. On doit arriver à l’heure, en uniforme, ne pas poser trop de questions, remplir nos tâches sans comprendre ce qu’on fait, sans distinction. La plupart des gens qui m’entouraient étaient des immigrants, des gens de tous les coins du monde et de toutes les religions. Mais il y avait un grand principe où il fallait qu’on soit tous pareils.

Mon amie Cindy m’a dit : “Tu sais, j’ai l’impression que ton arche, c’est un chantier insertion”. Ça a bien matché, parce que l’arche de Noé c’est aussi une histoire d’obéissance, où Noé est choisi par Dieu pour construire une arche sans pouvoir poser de questions. Il y a un seul personnage qui n’obéit pas – le corbeau, et sa place est si petite qu’on l’oublie.
Je me suis demandé : « Comment ça se fait que ces animaux qui étaient sauvages ont répondu à l’appel de l’homme pour monter sur cette arche ? Parce que c’est la fin du monde ? Est ce qu’ils sont même capables de le comprendre ? ». Et puis j’ai fait le lien. L’appel pour l’arche, ce serait celui de Pôle Emploi, qui leur promet que s’ils obéissent, leur vie sera plus confortable.

Ton film soulève aussi cette question : est-ce que ça a vraiment du sens de s’inquiéter pour son salaire alors que c’est la fin du monde ?

M.P. : C’est possible qu’on soit dans la même situation, parce qu’on nous dit aussi que la fin arrive, mais notre préoccupation principale reste quand même nos heures supplémentaires. On est dans un paradoxe où par exemple tu sais que le plastique, ce n’est pas bien, que tu dois être responsable dans ta consommation, mais quand tu vas au supermarché, tu es seule à résister à ça. Si tu dois te révolter, tu es seule et tu dois choisir seule.

Dans ton film, la recherche du sens puis l’abandon prend une place très importante., Avec cette voix des hauts-parleurs, cette espèce de dieu du patronat, tu installes une vision plutôt négative, non?

M.P. : Cette voix dans les hauts parleurs, c’est le manager de ce projet arche d’insertion au monde. J’ai un peu mis Dieu de côté, et j’imagine plus la voix comme celle de Noé, le grand chef qui commande tout depuis sa cabine. La vision est aussi assez négative dans la Bible. Il est écrit que quand Noé sort de l’arche, il construit un autel pour Dieu, et il sacrifie quelques animaux qu’il vient de sauver. Dieu passe et sent l’odeur, ça lui fait plaisir mais il comprend que l’homme est mauvais par nature. Cet autel, je l’ai transformé en barbecue dans mon histoire, et à la fin tous ceux qui ont obéi, ils finissent au barbecue construit par le personnage principal.

Pourquoi cet intérêt pour le texte biblique, que tu as déjà traité dans différents courts ?

M.P. : La Bible, c’est un livre incroyable que j’ai découvert ces dernières années. En hébreu, c’est écrit d’une manière tellement étrange et poétique que chacun peut l’interpréter comme il veut. Dans la tradition, c’est un livre que tu dois lire chaque année, chaque histoire va te retrouver dans un autre moment de ta vie et tu peux t’y identifier différemment.

C’est vrai qu’avant Nous ne serons pas les derniers de notre espèce, j’ai traité l’histoire du sacrifice d’Isaac dans Ce n’était pas la bonne montagne, Mohammad, projeté aussi à la Berlinale il y a quatre ans. C’était la première fois que je faisais de l’animation et que j’interprétais la Bible. Le résultat ne m’a pas trop plu, c’était trop dramatique, et j’en ai fait une autre version. Dans cette histoire aussi, il est question d’obéissance. Dedans, je suis une bergère dans le désert qui se promène avec son troupeau de béliers. Petit à petit, ils meurent, et le dernier va être sacrifié par Dieu pour sauver Isaac. C’est une happy end, et en même temps pas vraiment.

Alors ton choix de titre, Nous ne serons pas les derniers de notre espèce c’est plutôt ironique, non ?

M.P. : J’imagine, parce qu’ils meurent tous à la fin (rires) ! J’ai été inspirée par une phrase de Yuval Noah Harari. Pour lui, un rhinocéros rare, à moins d’être en voie d’extinction, n’est pas moins content qu’un veau qui reste sa vie dans une petite boîte pour se retrouver dans notre assiette. Pour le veau, d’un point de vue évolutionnaire, il a gagné. Mais pour l’individu, une vache seule, c’est beaucoup de souffrance. Il s’agit de la grande question : est ce que cela vaut la peine de survivre à tout prix ?

Est-ce que tu peux nous parler de projets à venir?

M.P. : Comme je te l’ai dit, avant de faire ce film, je suis allée en chantier d’insertion. Ça me semblait tellement absurde que je me suis dit que peut-être, il faudrait aller au travail avec une caméra. C’est un peu la version documentaire de l’animation mais dans la vraie vie. J’ai accroché une caméra sur mon corps avec un harnais. Comme je n’intéressais personne dans mon équipe, on m’a dit : “Pourquoi pas ?”.

C’est dur de faire un film, avec la charge mentale. Mais la chose qui m’a poussée, c’est que mon chef ne m’aimait pas trop et m’a mis en binôme avec un autre gars de l’équipe, un menuisier de soixante ans un peu usé de la vie, mais très sympa avec moi et totalement conspirationniste. Il m’expliquait que Brigitte Macron était un homme, que les franc-maçons ont construit les pyramides, etc. Un jour, il m’a demandé si je voulais vraiment devenir menuisière. Ça faisait déjà un moment que je prenais des notes sur l’arche de Noé sans savoir que j’allais faire une animation, et je lui ai dit en blaguant que si dieu me choisissait pour construire une arche avant le déluge, il faudrait que je sache utiliser une visseuse. Lui, il est un peu habitué à ce genre de récits, alors il m’a répondu qu’il était d’accord pour m’aider à construire. C’était très touchant parce que les adultes d’habitude disent : “arrête tes conneries”. Là ça m’a un peu réconciliée avec les conspirationnistes parce qu’il y a une dimension de fantaisie qui est bien dans tout ça. Ça peut permettre d’autres choses qu’une vision rationnelle de la vérité. Et c’est avec cette rencontre entre autres que je me suis dit : « Il faut vraiment que je filme ici ».

Un dernier mot ?

M.P. : Que la fin arrive… (rires) !

Propos recueillis par Amel Argoud

Article associé : la critique du film

Consulter la fiche technique du film

Festival Format Court 2024. Carte blanche Ville de Paris

La 5ème édition du Festival Format Court se tiendra du 25 au 28 avril prochain au Studio des Ursulines (Paris 5). Une compétition de 19 courts-métrages et différents programmes thématiques, dont un focus dédié à la Ville Paris, seront proposés au public et aux professionnels.

Pour la deuxième année consécutive, le festival programme une carte blanche consacrée au Fonds court métrage de la Ville de Paris. Cette séance aura lieu le vendredi 26 avril prochain à 18h30 au Studio des Ursulines et est complète !

Après avoir dédié une séance aux femmes cinéastes l’an passé en présence de 3 réalisatrices (Brigitte Sy, Aurélia Morali et Jawahine Zentar), le thème sera axé cette année autour des liens familiaux. Cette nouvelle projection se déroulera en présence de nombreux invités : Jeanne Herry, Mariame N’Diaye et son producteur Léonard Héliot (Golgota Productions), Karine Blanc, Vibirson Gnanatheepan, Alexey Evstigneev et ses producteurs Clémence Crépin Neel, Igor Courtecuisse (Moderato) et Yanna Buryak (Mimesis).

Participeront également à cette séance exceptionnelle : Clotilde Courau, Présidente du jury du Fonds court métrage de la Ville de Paris, Jean-Paul Salomé et Judith Nora, membres du fonds de soutien de la Ville de Paris et Carine Rolland, adjointe à la Maire de Paris en charge de la culture et de la ville du quart d’heure.

Cette séance confirme également le soutien de la Ville de Paris qui devient cette année partenaire officiel du festival. La billetterie est accessible sur place mais aussi en ligne (conditions tarifaires en bas de page).

Programmation

Marcher de Jeanne Herry. Fiction, 2009, France, Égérie Productions, Onyx Films. Sélectionné au Festival Premiers Plans d’Angers 2009. En présence de la réalisatrice

Une femme va devenir grand-mère. Dans son quotidien rien n’a changé, et pourtant ! Comme chaque semaine, cette actrice reconnue se rend à pied à son cours d’Anglais. En chemin, et tandis que les rencontres inattendues se succèdent, elle mesure à quel point la naissance imminente de l’enfant de son enfant l’habite.

Langue Maternelle de Mariame N’Diaye (France). Fiction, 24′, 2023, France, Golgota Productions. En compétition au Dakar Court Short Film Festival 2023. En présence de la réalisatrice et du producteur Léonard Héliot

Dans les années 80, Sira, jeune femme malienne de 26 ans, mène en France une existence paisible entre son mari Malick et sa fille Abi 6 ans. Son quotidien se vit en soninké, la seule langue qu’elle connaisse. Mais Abi parlant mal français, l’école propose de l’orienter vers une classe d’adaptation et invite les parents à privilégier l’usage du français à la maison. Sira s’y oppose.

Planter les choux de Karine Blanc. Fiction, 18′, 2013, France, Takami Productions. En compétition au Festival du court-métrage méditerranéen de Tanger 2014. En présence de la réalisatrice

Julie a un rendez-vous important aujourd’hui. Elle a un bébé aussi, et pas de place en crèche. Elle a tout prévu sauf les caprices d’un ascenseur fatigué et un tête à tête singulier avec
son futur employeur.

Father’s Letters d’Alexey Evstigneev. Animation, 12′, 2023, France, Russie, Moderato, Mimesis. Sélectionné au Festival de Clermont-Ferrand 2024. En présence du réalisateur et des producteurs Clémence Crépin Neel, Igor Courtecuisse et Yanna Buryak

Un jour d’hiver 1934. Le professeur Vangengheim, météorologue, membre du Parti et victime des purges staliniennes, est conduit au goulag sur les Îles Solovki. Pour protéger sa fille Elya, il prétend être en voyage d’exploration, lui envoyant des lettres et herbiers des îles.

Anushan de Vibirson Gnanatheepan. Fiction, 24’, France, 2023, Bien ou Bien Productions, (SIC) Pictures. Sélectionné au Festival Cinébanlieue 2023. En présence du réalisateur

Anushan est un adolescent de treize ans et fils unique d’une famille tamoule. Alors qu’il renie sa culture et ignore l’histoire de son pays d’origine, il se retrouve à partager sa chambre pour quelques jours avec son oncle arrivé du Sri Lanka.


En pratique

Studio des Ursulines : 10 Rue des Ursulines, 75005 Paris
– Accès : RER B Luxembourg (sortie rue de l’Abbé de l’Épée), Bus 21, 27 (Feuillantines), 38 ou 82 (Auguste Comte), 84 ou 89 (Panthéon). Métro le plus proche : Ligne 7, arrêt Censier Daubenton (mais apprêtez-vous à marcher un peu…)

Billetterie sur place et en ligne (séance complète !)

Tarifs : plein : 8,50€, réduit : 7€. Cartes UGC Illimité et cartes de fidélité des Cinémas Indépendants parisiens acceptées. Achats en ligne majorés de 0,40€ par place (frais de gestion)

Alice Douard. L’importance des représentations

À l’occasion de la 49ème cérémonie des César, Alice Douard a remporté le César du meilleur court-métrage de fiction pour son film L’Attente. Mettant en scène Clothilde Hesme et Laetitia Dosch, il déploie l’histoire de Céline qui attend l’arrivée de son premier enfant à la maternité. C’est Jeanne, sa compagne, qui va le mettre au monde. La nuit, dans le hall de l’hôpital, elle fait la connaissance d’hommes qui, comme elle, attendent.

Marie Boitard (Les Films de June), Alice Douard © Caroline Dubois

Format Court : D’abord, félicitations pour le César. Qu’est-ce que ça fait de recevoir un tel prix, on ressent plus de pression ou d’excitation ?

Alice Douard : On ressent un mélange des deux. Avoir un César, ça fout un peu la pression c’est sûr, on a l’impression de devoir remplir une certaine attente mais ça aide aussi beaucoup, notamment pour les financements.

Justement, comment s’est passé le financement de L’Attente ?

A.D : C’est le film pour lequel j’ai eu le plus de financements. En règle générale, je n’ai que le financement d’une région pour faire mes films, j’ai toujours dû composer avec un budget assez serré. Mais cette fois-ci, on a eu la chance d’avoir une aide du CNC et de la région où s’est fait le tournage. Ça nous a permis de déployer plus de moyens de mise en scène.

La forme du huis clos, sur laquelle L’Attente est construite, découle-t-elle de ce budget serré ?

A.D : Non pas tellement. Le huis clos permet de créer une bulle temporelle où le temps s’est arrêté, et plus rien ne compte mis à part l’attente. L’hôpital est filmé en lumière artificielle très travaillée, on perd la notion du temps et le rapport au monde extérieur. D’une manière générale, je n’écris pas en fonction du budget, en revanche il est évident que l’on doit s’adapter aux imprévus sur le plan de la mise en scène. Par exemple, je tenais à filmer un vrai hôpital en activité qui grouillait de monde, mais le tournage s’est fait en plein Covid donc c’était impossible. On a alors trouvé un bâtiment désaffecté tout en bois, alors qu’il n’y a pas du tout de bois dans un hôpital, et on s’en est servi pour construire un décor très travaillé, assez irréel, désert, un peu hors du temps.

Pourquoi avoir choisi de centrer l’histoire autour de Céline ? On aurait attendu que l’histoire soit dirigée vers Jeanne qui est enceinte, là où l’action principale de l’accouchement se passe.

A.D : Oui, c’est vrai. C’est un peu inspiré de ce que j’ai vécu quand ma compagne a accouché de notre fille, de six ans maintenant. J’ai eu envie de raconter mon expérience en tant que maman qui attend la venue d’un enfant qu’elle ne porte pas. J’avais l’impression que cette représentation n’existait pas vraiment. Cette histoire de rapport au temps m’avait vraiment frappée, c’était une expérience si unique que j’ai eu envie de la faire vivre aux spectateurs.

La place de Céline dans la salle d’attente la fait côtoyer des hommes, parce que ce sont eux qui attendent normalement. Est-ce que c’est un film qui questionne le genre et les places assignées ?

A.D : Oui totalement. Il y a une vraie dimension universelle dans le film. Céline est une femme qui se retrouve du côté des hommes et bien qu’ils soient évidemment différents, ils se retrouvent à avoir une place et des préoccupations communes. Pour moi, c’était aussi le moyen de faire parler les hommes sur leurs doutes à ce moment-là. Je voulais que le film soit fédérateur, pas du tout excluant pour les hommes. D’ailleurs, en festival, j’ai eu beaucoup de retours d’hommes qui se retrouvaient dans les personnages.

C’est en cela que les représentations doivent faire avancer les choses ? Faire que le moins normal se normalise ?

A.D : Tout à fait. Les représentations sont super importantes. On s’est tous identifié.e à un personnage féminin ou masculin dans un film. Mon but n’était pas de faire un film agressif ou revendicateur, mais un film qui inspire surtout la joie de ce moment particulier. L’universalité sert à ce que des hommes puissent s’identifier aux personnages féminins et se dire : « Ah tiens, c’est pareil en fait ! ». C’est une forme de militantisme pas discursif mais plus incarné, disons.

*Spoiler alerte*. À la fin, on ne voit pas l’accouchement, pourtant l’élément clef de l’histoire, pourquoi ?

A.D : Justement parce que ça n’est pas l’élément clef (rires) ! Je voulais représenter le temps de « l’avant ». C’est un temps qui m’intéresse beaucoup, ce moment de projection de quelque chose qui n’est pas encore là. Par exemple, j’ai trouvé plus fort le moment où nous attendions de savoir si nous avions le César que l’instant où on l’a reçu. Parce que c’était le temps de tous les possibles. De même pour un rendez-vous amoureux, le moment le plus délicieux est celui du chemin pour y aller, quand on imagine la personne, et puis, une fois qu’on la voit en vrai, c’est toujours un peu décevant parce que ce n’est pas comme on l’a imaginé.

On a l’impression dans le film que la culpabilité de ne pas être la personne qui porte l’enfant est d’autant plus grande quand on est une femme. C’est quelque chose que vous avez vécu ?

A.D : Une culpabilité, oui. On me demandait toujours pourquoi ça n’était pas moi qui portait l’enfant, pourquoi je n’avais pas voulu le faire moi etc.. Il y avait un peu de la culpabilisation générale des femmes qui décident de ne pas avoir d’enfant, comme s’il y avait un manque de courage. Mais il y a aussi une question de place à trouver. La femme enceinte a des inconvénients mais aussi un certain orgueil de porter la vie, qui est normal, et l’homme a un orgueil masculin de devenir père, mais la femme qui devient mère sans être enceinte, elle, doit un peu trouver sa place dans tout ça.

Vos actrices et acteurs sont super dans le film. Comment les choisissez-vous ?

A.D : Premièrement, j’aime mélanger acteurs professionnels et amateurs. Dans le film, il y a des gens qui sont de vrais soignants. Je fonctionne souvent par coups de coeur aussi. Parfois, en casting, je ne vais pas forcément prendre la personne qui joue le mieux mais celui ou celle qui me tapera dans l’oeil, qui me fera dire : « C’est cette personne, c’est le personnage ! ». Et je fais le pari de pouvoir l’amener où je veux. Jusqu’ici ça a marché (rires) ! À côté de ça, il y a Clotilde Hesme et Laetitia Dosch qui sont toutes deux de super actrices chevronnées. J’avais d’ailleurs un peu peur qu’elles s’annulent l’une l’autre tant elles ont de fortes personnalités de jeu. Mais en fait pas du tout, elles ont réussi à se compléter et ça donne des personnages avec des caractères bien marqués.

Jusqu’ici, vous avez principalement réalisé des courts-métrages, pourquoi le format court vous intéresse-t-il ?

A.D : Tout dépend de l’histoire qu’on raconte. Ce qui a été déployé sur les films précédents étaient des histoires assez courtes, rien ne sert d’étirer le récit inutilement. Les courts-métrages sont aussi une façon de faire ses armes et comme j’ai aussi un métier de scénariste à côté, je n’avais pas l’urgence de faire des longs. Je pense qu’il faut trouver le sujet qui nous porte vraiment. Ce n’est pas mon but de faire un long-métrage pour le principe de l’avoir fait. Il n’empêche que j’en prépare un justement en ce moment (rires) !

Propos recueillis par Anouk Ait Ouadda

Regards d’Afrique. Regards nouveaux

Au crépuscule de la 46e édition du Festival de Clermont-Ferrand, nous avons pu repérer l’émergence de nouvelles visions via des programmes thématiques annexes. C’est notamment le cas avec « Regards d’Afrique », une catégorie hors-compétition permettant de mettre en avant de nouveaux talents qui se réapproprient la culture ainsi que les problèmes sociaux et politiques d’un continent fertile de nouvelles histoires à raconter. Entre expérimentation, exploration d’une mythologie et récit féminin, la programmation (composée de deux séances) fait office de porte-étendard d’un narratif encore trop peu exploité au cinéma.

C’est ce qu’on peut voir par exemple à travers le film Katope de Walt Mzengi Corey. Il nous raconte le parcours d’un jeune enfant sculpté dans l’argile par sa mère et qui va entreprendre, au péril de sa vie, de mettre fin à la sécheresse qui dévaste son village. Nous sommes ici dans une exploration autour du conte et de la mythologie tanzanienne, avec un réel respect et connaissance envers cette dernière. Originaire de Tanzanie, mais ayant vécu une grande partie de sa vie aux États-Unis, Walt Mzengi Corey, se réapproprie la culture de ses parents à travers le fantastique. Cela transparaît notamment à travers le climax du film, une danse de la pluie, comme sacrifice de cette enfant aux origines mystiques.

Avec sobriété, ce climax nous plonge dans cette culture et dans ce rituel qui met en lumière toutes les questions que nous pouvons avoir en tant que spectateur sur le mutisme de son personnage principal. Ainsi, de par son dispositif de mise en scène intimiste et de son économie d’effet, le film réussit à nous surprendre dans l’incursion du fantastique. Nous laissant à la fin avec une image qui reste bloquée en notre tête, tant cette dernière évoque un imaginaire exaltant.

De surcroît, en abordant le problème de la sécheresse à travers le prisme du genre, le film décide de façon indirecte de parler de motifs sociaux. Ce n’est pas le cas du film Boussa de Azedine Kasri, qui décide de traiter ces sujets frontalement à travers la comédie. Meriem et Reda sont un couple de fiancés algériens qui se livrent un véritable parcours du combattant pour pouvoir juste se partager un bisou. Nous sommes ici en contrepoint de ce que nous pouvons voir dans un cinéma africain et politique beaucoup plus rugueux et contestataire. Le film rappelle ainsi un cinéma italien proche de celui de Visconti dans la réappropriation et le traitement de problèmes sociaux via un certain humour.

Une comédie qui passe avant tout par la superbe prestation de Mourad Boudaoud et Anaïs Lazizi dans les rôles respectifs de Reda et Meriem. De leur alchimie, sort une drôlerie et un ludisme appuyé par une mise en scène qui leur laisse de l’espace. En outre, Azedine Kasri nous montre avec Boussa ses talents dans la direction d’acteur, ce dernier ayant travaillé dans un premier temps en tant que comédien sous la direction de Kim Chapiron. Cependant, cet humour ne nuit pas au film en ce qui concerne le sérieux du sujet et la manière dont ce dernier a été traité. Il sert ici de motif d’espoir dans une Afrique et une Algérie en proie au changement.

En ce qui concerne la montée en puissance et la mise en avant de nouvelles voix féminines, il est d’autant plus frappant de constater que malgré la grande diversité créative qui émane d’Afrique, encore trop peu de femmes ont réussi à en émerger. Heureusement, nous trouvons de plus en plus de narrations féminines et féministes noires et la catégorie “Regards d’Afrique” n’en manque pas. Cela se reflète dans l’histoire contemporaine de Fatima, une jeune fille de 12 ans enlevée sous les yeux de sa mère, puis forcée par ses ravisseurs à porter une ceinture explosive pour attaquer les ennemis d’Allah. Avec L’envoyée de Dieu, Amina Abdoulaye Mamani met au centre de sa mise en scène un véritable combat féminin contre l’oppression, et ceci dès le plus jeune âge. De par son sujet, le film nous évoque évidemment une imagerie extrêmement violente sur la condition des femmes dans une société où le fanatisme religieux a pris le dessus.

Amina Abdoulaye Mamani s’attaque à un sujet lourd qui peut nous brusquer en tant que spectateur. Le film flirte avec un certain misérabilisme sans toutefois passer le pas et ceci grâce à un dispositif de mise en scène très simple et sobre dans le suivi des dernières minutes de la vie de Fatima. Cette dernière est interprétée avec brio par Salamatou Hassane, Sa performance silencieuse et délicate trouve toute sa signification lors de son climax. Un climax tout en ironie dramatique qui met en exergue la folie d’un monde d’homme et le sacrifice d’une femme.

Dylan Librati

Article associé : l’interview de Azedine Kasri

Festival Format Court 2024 : participez au Jury Étudiant !

Vous avez entre 18 et 25 ans et vous êtes passionné·e de cinéma, et surtout de courts-métrages !? Devenez membre du Jury Étudiant de la 5ème édition du Festival Format Court qui aura lieu du jeudi 25 au dimanche 28 avril au Studio des Ursulines (Paris, 5e). Vous aurez l’occasion de découvrir notre festival, de visionner les 19 films de notre compétition et de décerner un prix à l’un d’entre eux lors de la cérémonie de clôture le dimanche 28 avril prochain.

Pour postuler, contactez-nous avant le 15 mars 2024 pour vous présenter et exprimer votre désir de participer à notre festival.

Envoyez-nous vos candidatures à l’adresse suivante  : coordinationformatcourt@gmail.com

Festival Format Court 2024, les films en compétition

Vous avez été très nombreux à nous envoyer vos films que notre comité de sélection a pris soin de visionner ces derniers mois. Bravo à toutes et tous pour ces pépites ! Cette année, nous avons reçu pas moins de 913 films (quasiment le double des années précédentes). Nous avons finalement porté notre choix sur 19 films, tous différents et singuliers, reflétant un esprit de diversité cher à Format Court avec des courts-métrages animés, en prises de vues réelles, documentaires, expérimentaux, produits ou plus indépendants, français comme étrangers.

Sans plus attendre, voici la liste des films qui seront projetés, en présence des équipes, du jeudi 25 au dimanche 28 avril 2024 au cinéma Le Studio des Ursulines (Paris 5e), à l’occasion de notre 5ème édition. Ces mêmes films seront soumis aux regards de nos différents jurys (professionnel, presse et étudiant) ainsi qu’au vote du public.

Films en compétition

Herbe Verte de Élise Augarten (France, Portugal, Novanima, Le-loKal production, Cola Animation)

L’anniversaire d’Enrico de Francesco Sossai (France, Allemagne, Kidam, DFBB – Deutsche Film und Fernsehakademie Berlin)

Boucan de Salomé Da Souza (France,  Alta Rocca Films, Marnie Production, Waste Films)

Avec l’humanité qui convient de Kasper Checinski (France, Takami Productions)

Boléro de Nans Laborde-Jourdàa (France, Italie, Wrong Films, MeMo Films)

Les Rossignols de Juliette Saint-Sardos (France, Italie, Composite Films, Illmatic Film Group)

Dolce Casa de Stéphanie Halfon (France, Italie, Canada, Mondina Films, Documist, Soul Film Production)

Le Vide de Mandana Ferdos (France, Les Salines Films)

Pleure pas Gabriel de Mathilde Chavanne (France, Apaches films)

Après l’aurore de Yohann Kouam (France, Alta Rocca Films)

Saint Lazare de Louis Douillez (France, Les Films du Sursaut)

Le Songe de Joseph de François Hebert (France, Kalpa Films)

Le Bannissement de Yilmaz Özdil (Turquie, Irak, DocuDrama Film Production Service)

Mémoires du Bois de Théo Vincent (France, Le GREC)

L’Américain de Maxime Renard (France, Le GREC)

Guerre Las de Jean-Baptiste Bertholom (France, Eddy)

Pas le temps de Camille Lugan (France, Barney Production)

À court de mots de Lara Pinta (France, auto-production)

Déshabille-moi de Florent Médina et Maxime Vaudano (France, Félicité Production, Micro Climat, La Puce A l’Oreille)

Rachel Gutgarts  : “Je m’interroge de plus en plus quant à la place de l’art dans la société”

Au carrefour de plusieurs influences et expérimentations, le travail de Rachel Gutgarts de par son éclatement stylistique nous renvoie au morcellement d’une société israélienne dont la réalisatrice est originaire. Présente à la fois dans la section Labo du Festival de Clermont-Ferrand  et à la Semaine de la Critique, elle raconte avec Via Dolorosa sa propre errance, à la recherche de son passé dans un état de guerre permanent. Dans cet entretien, elle revient sur la genèse de son œuvre, entre documentaire et animation, et de la place de l’art dans une société israélienne fracturée.

Format Court : Comment êtes-vous arrivée jusqu’à l’animation ?

Rachel Gutgarts : Je pense que j’ai dû commencer à m’intéresser à l’animation vers la fin de mon lycée. J’ai toujours été très intéressée par l’art, et ce, dès mes 6 ans. Je passais mes journées à dessiner, même en classe. Et surtout, j’adorais le cinéma, passionnément a un point où j’allais à la Cinémathèque de ma ville tous les soirs après l’école. Pour revenir à l’animation, je crois que je me suis vraiment intéressée à ce médium quand j’ai commencé à faire avec une amie des sortes de petits tests en stop motion. Je suis tout à coup tombée amoureuse du format et j’y ai trouvé une exaltation dans la fusion entre la création du monde et le dessin.

Tu as ensuite fait l’école des beaux-arts Bezalel à Jérusalem, était-ce important de passer par cette formation ?

R.C : C’est une bonne question, je pense qu’il y a certaines personnes qui sont moins compatibles avec l’idée d’école, qui préfèrent leur indépendance et je pense que ce n’est pas mon cas. Personnellement, quand je suis allée à l’école, c’était vraiment dur de devoir faire tous ces exercices très techniques et de devoir attendre quelques années avant de pouvoir faire ce qui m’intéressait vraiment. Cependant, en rentrant dans un système comme celui-ci avec des deadlines et quelqu’un pour me guider, j’ai trouvé cela très enrichissant. Dans tout cela, je réussissais quand même à trouver une certaine liberté créatrice.

C’est un peu cette même liberté créatrice que l’on peut retrouver dans tes films comme Via Dolorosa ?

R.C : Oui, je pense que ça a déterminé mon style, je me souviens d’ailleurs d’un cours en troisième année d’étude, un cours de laboratoire qui permettait chaque semaine de pouvoir faire plusieurs tests d’animation et d’expériences. Je trouvais que c’était un format très intéressant et j’avais une prof qui me poussait à créer, elle ne voulait pas que je lui dise mon idée mais plutôt que je lui montre ce que je pouvais faire. C’était vraiment très inspirant et ça m’a vraiment permis d’explorer plein de formats.

Comment s’est passé le processus derrière l’animation et le documentaire dans Via Dolorosa ?

R.C : L’idée avant tout avec Via Dolorosa était de revenir dans mon passé et dans les endroits où j’avais l’habitude d’aller. Le film parle avant tout de ma vie en tant qu’adolescente à Jérusalem et de toute la complexité qui en émane. J’ai commencé à me balader dans ces rues de mon enfance et à rencontrer des ados ainsi que des amis que j’avais à cette période. J’ai commencé à leur parler et je me suis basée sur ces conversations pour l’animation. Je savais que j’allais ensuite me réapproprier cela ainsi que mes propres souvenirs en tant qu’adolescente via l’animation. Aussi, cela m’a aidé dans un aspect plus moral de passer par des dessins notamment quand j’interviewe ces adolescents, de ne pas les exposer. L’animation m’a permis d’être vraiment dans l’intime tout en ayant un certain recul quant à son côté documentaire.

La façon dont tu traites cela nous donne un peu l’impression d’être dans un film de fantômes.

R.C : Je trouve cela très beau, oui, c’est très exact surtout pour ce film, quand j’ai commencé à travailler, j’étais comme hantée par mon passé. Je suis dans une certaine façon retournée dans le passé pour résoudre quelques problèmes avec moi-même. D’un côté, c’était un projet très personnel pour moi et de l’autre, c’est une histoire beaucoup plus large sur Jérusalem et sur sa culture vieille de plusieurs millénaires. On peut observer que cet endroit porte le poids de l’histoire et de son héritage sur ses épaules La question qui s’est posée avec ce film, c’est comment vivre dans un endroit aussi intense.

Pourquoi était-ce important de situer le film à Jérusalem ?

R.C : Comme j’ai pu le dire, j’ai vécu à en Israël et j’avais cette impression que je devais être authentique pour pouvoir raconter cette histoire, cette errance dans les rues de Jérusalem.  C’était aussi super intéressant de s’intéresser à cette vie un peu cachée dans ses rues sinueuses, une vie dont beaucoup de gens ont entendu parler. Certains habitants vivent là-bas au jour le jour, en particulier la jeunesse. Aussi, avec tout ce qu’on peut voir à la télévision, je voulais montrer et faire réaliser que derrière les faits divers, ce sont de réelles vies, de réelles personnes avec leurs complexités. Je pense que pour moi, c’était un moyen de créer de l’empathie avec les autres, de créer un espace pour avoir un dialogue.

Quand on pense à l’animation israélienne mêlée au documentaire, on pense évidemment à Valse avec Bachir. Était-ce l’une de vos inspirations ?

R.C : Oui, je l’adore, en fait, je l’ai revu, il n’y a pas très longtemps et je l’ai trouvé très inspirant. Et de manière plus générale, l’œuvre d’Ari Folman a influencé mon travail, bien que je pense avoir également puisé mon inspiration dans Persepolis. La nature politique de ces deux films d’animation m’a profondément touché et a été une source d’inspiration dans l’élaboration de mon film. Surtout ce que je ressens en voyant ces films, c’est à quel point à travers le médium de l’animation, nous pouvons réussir à recréer des expériences personnelles auxquelles les spectateurs peuvent s’attacher et s’identifier.

Avec ce qui est en train de se passer en Israël à l’heure actuelle, quelle place accorder à la fiction ?

R.C : J’y pense beaucoup, en fait, je pense de plus en plus à la place de l’art en général en ce moment. Je pense qu’on utilise l’art avant tout pour exprimer nos émotions. Surtout dans un moment difficile, on parle de tristesse, de colère, d’amour et de bonheur. Je crois qu’actuellement, c’est l’une des méthodes les plus efficaces pour exprimer nos sentiments. Nous devrions exploiter ces outils narratifs pour nous exprimer et instaurer un dialogue entre des cinéastes et des artistes provenant de pays en conflit, mais qui en tant qu’individus ne le sont pas. À travers l’art et le cinéma, nous avons là un nouveau langage pour amorcer ce dialogue et cette médiation, je trouve cela important.

Comment êtes-vous arrivée à travailler avec Miyu Productions pour Via Dolorosa ?

R.C : J’ai dans un premier temps rencontré Emmanuel-Alain Raynal, le fondateur de Miyu quand j’étais à Lille pour le festival du cinéma européen avec mon film A love letter to the one i made up. Je connaissais déjà ce qu’il pouvait faire et je me disais que ça pouvait être bien de travailler ensemble sur un projet. Je lui ai donc envoyé un dossier pour Via Dolorosa. Très vite, j’ai déménagé sur Paris et on a commencé à chercher des financements pour le film.

Quel est ton point de vue sur l’évolution du court-métrage en Israël et sur l’animation en particulier ?

R.C : Je suis impressionné par le nombre de personnes talentueuses en Israël qui parviennent à créer des œuvres remarquables. Je pense notamment aux Beaux-arts de Bezalel où on trouve vraiment des artistes merveilleux et talentueux.  J’espère qu’avec le temps, ils pourront faire de plus en plus de films et être de plus en plus créatifs. Cependant, je suis d’avis qu’avec les événements en cours en Israël, la situation devient très complexe pour l’art et pour les artistes qui y évoluent. On peut réellement voir une détérioration politique à travers la culture et à quel point elle est de moins en moins bien conservée. Et c’est un signal d’alarme, je pense, pour la démocratie et pour la politique en général, parce que la culture doit être indépendante, elle doit être bien entretenue et fière de l’endroit d’où elle vient.

Propos recueillis par Dylan Librati

Article associé : la critique du film

Yohann Kouam. Se défaire de ces attentes qui nous emprisonnent

Yohann Kouam présentait récemment Après laurore, son cinquième court-métrage en compétition nationale au Festival de Clermont-Ferrand. Le film entrelace, au sein d’un même quartier, le parcours de trois personnages qui ne se connaissent pas. Ce court-métrage choral, filmé en pellicule, nous fait suivre la vie de ces trois protagonistes, grâce notamment au grain de l’image, au travail apporté à la lumière et aux jeux des acteurs. Pour Format Court, Yohann Kouam revient sur ses inspirations, ses désirs et sa vision du cinéma.

Format Court : Cest ton cinquième court-métrage, que représente pour toi cette forme ?

Yohann Kouam : Cest mon troisième court-métrage produit. J’ai fait mes deux premiers films semi-produits parce quils l’étaient dans un cadre associatif. Le cinéma était une passion à la base, qui est venue assez tôt. J’ai eu la chance de grandir à Villeneuve dAscq, en périphérie de Lille, qui est une ville assez associative où il y avait beaucoup de structures culturelles. Jai notamment fait partie d’une association dédiée au cinéma où on organisait mensuellement des séances thématiques et des festivals. Ça m’a permis d’écrire plein de films. J’ai aussi eu la chance de faire l’option cinéma au lycée. Ça m’a orienté dans cette voie-là et puis, jai fait une école de cinéma après le bac, lIAD, en Belgique. Mon parcours est particulier parce que j’ai quitté cette école au bout d’un an. Je me suis rendu compte que j’étais beaucoup trop jeune. Jy suis rentré à 19 ans. On a beau apprendre toutes les théories, toutes les techniques du monde, en termes de vécu, à 18, 19 ans, on est encore un enfant. En plus, javais postulé pour être en réalisation et quand on se présentait au concours, on pouvait avoir un deuxième choix. Moi, j’ai pris montage et finalement, ils m’ont mis en montage.

Le montage, j’étais persuadé que j’adorais ça. Au lycée, avec loption cinéma, on devait faire un film pour le bac. On avait fait des petits films à échelle très minime. Mais ça m’amusait beaucoup, je trouvais ça très chouette. Mais monter son propre film et monter celui des autres, ce n’est pas la même chose. Le vrai montage, c’est quand on s’approprie la matière de quelqu’un d’autre et qu’on doit en faire quelque chose. Quand je me suis confronté à ça à l’école de cinéma, je me suis rendu compte que ce n’était vraiment pas ce que je pensais. C’était intéressant, passionnant, mais ce n’était pas du tout fait pour moi. Jai quitté l’école pour faire des études de langue, de traduction. Je me suis retrouvé en Erasmus. Jai voyagé. J’ai vécu en Espagne et ça m’a permis d’aller chercher des récits. C’est vrai que voyager, c’est quand même un moyen de faire des rencontres, des expériences humaines, qui sont très différentes de celles qu’on a au quotidien dans sa ville.

Pour ce qui est de mon rapport à la forme courte, je ne vois pas ça comme un moyen de passer au long. Même si, évidemment, si on veut être lucide et que lon veut vivre de ce métier-là, passer au format plus long, c’est une voie plus adaptée. Peut-être qu’il y a une époque où, effectivement, je voyais ça comme un parcours pour passer au long-métrage. Dailleurs, je n’adhère pas à cette expression, « passer au long-métrage ». Ça voudrait dire qu’il faudrait faire des courts-métrages pour arriver à un certain Graal. Ce nest pas comme ça que je veux raisonner. On a des idées de projets : est-ce que cette idée est adaptée à un projet long ou à un projet court ?

Effectivement, le schéma classique, c’est de faire deux, trois courts-métrages et après de passer au long-métrage. Mais pour moi, ce que je trouve magique dans le court-métrage, c’est de pouvoir explorer des choses qu’on ne peut pas faire en long-métrage. Cest ce que j’expliquais aux élèves auprès de qui je faisais une intervention dans un établissement scolaire. Je parlais de mon parcours et je leur disais : « Là, je vais vous montrer un court-métrage, ça va vous dérouter, parce que ça ressemble pas du tout à ce que vous avez vu ».  Je peux le comprendre. Quand j’étais au lycée, la première fois que j’ai vu des courts-métrages, c’était très déroutant. On s’attend vraiment à un format avec un début, un milieu et une fin. Un court-métrage ne répond pas forcément à ces codes-là. C’est ça qui est bien. Ce qui m’intéresse, c’est d’explorer ces possibilités-là, ce nest pas juste un moyen de passer au long-métrage.

Tu parlais daller chercher des histoires ailleurs, il est beaucoup question dans ton cinéma de personnages qui partent ou qui reviennent aux endroits où ils ont vécus, quest ce qui alimente ce désir de raconter ça ?<

Y.K. : En tant que que français de parents africains, camerounais, jai passé pas mal de temps à visiter de la famille dans des pays étrangers. Très tôt, j’ai eu ce goût naturel pour les voyages. C’est ça aussi qui m’a tourné vers ce double cursus, cinéma et langue. En parallèle de l’option cinéma au lycée, je faisais anglais renforcé. Pour moi, les langues, ça a toujours été un « plan B ». Quand on fait du cinéma, ça peut effrayer. Le fait d’avoir fait des études de langue, ça a rassuré ma famille parce quils se sont dit que dans tous les cas, je pourrais rebondir. Par la force des choses, en faisant des études de langues, j’ai fait des séjours à l’étranger. Le voyage fait partie de ma vie. C’est pour ça que ça revient souvent, ces questions de nomadisme, de vivre ailleurs, de revenir là où on a grandi. Ce sont des choses qui me parlent directement.

Pour Après laurore, pourquoi avoir choisi de raconter trois parcours de vie qui évoluent au même endroit, au même moment sans quasiment jamais se croiser ?

Y.K. : Il y a des croisements mais en subtilité. Pour moi, le lien se fait vraiment, sans spoiler, avec la lumière à la fin du film. C’est une remarque intéressante parce que je me suis trouvé dans une Commission où on m’a posé la question sur labsence de lien. Souvent, dans les films comme ça, un peu choral, où on suit plusieurs personnages, on s’attend à un moment donné à ce que les destins s’entrechoquent. Ça a été tellement fait que moi, ça ne m’intéressait pas. Ce n’était pas du tout l’idée. Quand jai présenté mon projet à un jury, quelquun ma dit quil n’y avait pas de lien entre les personnages. Cette remarque-là m’a déçu. Oui, il n’y a pas de lien évident, mais en fait pour moi, le lien est d’ordre poétique. On a quand même trois personnages qui sont tous les trois dans une sorte de conflit de lappartenance. Avec Deborah (ndlr: un des trois personnages) qui aurait pu partir quelque part et qui n’est pas partie, il y a un destin qui a été interrompu. Le jeune Hamza fait partie d’une bande, mais en même temps, on sent qu’il n’a pas forcément envie d’en découdre autant que ses amis. Cette connexion, elle est beaucoup plus évidente. Cette idée que les choses doivent être vraiment explicites, c’est dommage. C’est toujours compliqué de savoir comment est venue l’idée d’un film. Ce sont toujours des origines très mystérieuses. En tout cas, un des désir de base, une des raisons qui m’a vraiment poussé à faire ce film, est que j’ai fait un court qui sappelle le Retour. A l’époque, je voulais vraiment faire un film sur la banlieue. J’ai grandi dans un quartier. J’étais très en colère de voir tous ces films qui montraient toujours la même chose et qui reproduisaient des stéréotypes. Je partais avec l’idée de vouloir casser tout ça. Maintenant, avec le recul, je me rends compte que ce film-là ne casse pas tant les clichés que ça et quinconsciemment, j’ai aussi, à ma façon, reproduit certains stéréotypes. Malheureusement, la réalité, c’est que j’ai grandi avec « ce genre » de film de banlieue comme on lappelle en France. Jai été biberonné par ça et inconsciemment, j’ai intégré ces codes-là. On ne se rend pas compte, nous les « auteurs de banlieue », mais peut-être que l’on fait ce qui est attendu de nous. Je ne suis peut-être pas si libre que ça et il faut vraiment que je me détache complètement de ces codes-là. Les films qui se passent en banlieue, ce nest plus comme il y a 30 ans. Ça se monte facilement parce que depuis certains succès commerciaux et critiques, ça a le vent en poupe. Aujourdhui, ce n’est plus tabou de faire un «  film de banlieue », encore que c’est discutable mais en tout cas ce nest pas quelque chose de rédhibitoire quand on veut le faire financer.

Après, la façon dont on veut le faire, là, ça peut être problématique. Qu’est-ce que les gens attendent d’un film de banlieue ? Est-ce qu’à un moment donné, ces films ne sont pas financés qu’à condition d’être faits selon les attentes de certaines personnes ? Et c’est ça qui, moi me dérange. Ce film-là, Après laurore, c’était vraiment l’idée de faire quelque chose de complètement libre par rapport à ça et de me défaire de toutes ces attentes qui nous « emprisonnent ».

Est-ce que justement il y des films qui t’ont marqué par rapport à ça ? Ou même, plus globalement, quelles sont tes influences, les réalisateurs que tu regardes, dont tu revois les films, en courts ou en long ?

Y.K. : Il y en a tellement que c’est dur de les citer. J’aime beaucoup le cinéma de Jim Jarmusch et de Wim Wenders, parce que ce sont typiquement des cinéastes qui suivent des nomades et forcément, ça me parle directement. Jai aussi vécu à Berlin, à une période, j’étais beaucoup entre la France et l’Allemagne, donc forcément, Wim Wenders, ça me parle beaucoup. Cest quelqu’un qui a vécu aux États-Unis, en France, qui a beaucoup voyagé et forcément, ça me parle directement. Et pour Jim Jarmusch, il suit souvent des nomades qui nont pas forcément de racines, de « chez eux ». Ça me parle vu mon parcours de vie. Au-delà des questions thématiques, en termes cinématographiques, Wim Wenders est photographe, (je fais aussi de la photo à côté) et ça se sent dans ses films, son approche photographique, au niveau du découpage, du cadre. Pour moi, la photo est vraiment une très grande source dinspiration, elle me nourrit beaucoup donc quand un cinéaste comme ça a une approche très photographique au cadre, ça me plait.

J’avais fait un teaser du film que j’avais envoyé à une copine cinéaste qui m’a dit : « On dirait Tarkovsky en banlieue ». Je ne cherche pas à me faire comparer à lui mais c’était un très beau compliment. Tarkovsky est un cinéaste que j’aime beaucoup et ça a été aussi une source d’inspiration en termes d’approche formelle. Il y a quelque chose qui est de l’ordre du sacré dans le film qui est très proche de ce que peut faire Tarkovsky. C’est toujours compliqué de citer des cinéastes comme ça, parce qu’on peut vite passer pour quelqu’un de prétentieux qui veut se comparer à eux, mais ce nest pas ça, c’est juste que, ça me parle beaucoup.

Concernant la lumière, qui tient une place importante dans le film, comment avez-vous travaillé avec ton chef-opérateur sur les séquences de nuit, de jour, jusqua la dernière séquence ou le soleil arrive, là ou les destins des personnages se rejoignent ?

Y.K. : Au-delà de la lumière, il faut savoir déjà quon a tourné en pellicule. Ça a été un débat, des discussions très houleuses avec la production. Pour négocier ça, ça a été très compliqué. Le film a failli se faire en numérique. Heureusement qu’avec le chef-op, on s’est battu pour que ça se fasse en pellicule. Mais la contrepartie était qu’on n’avait pas beaucoup d’argent pour le matériel de lumière. En vrai, il n’y a pas tant d’éclairage que ça. C’est marrant que tu cites les scènes de fin avec la lumière du soleil parce quavec la scène où les enfants sont derrière l’immeuble, ce sont les deux seules scènes ou on avait vraiment de l’éclairage. Le reste, tout est quasiment en pure lumière naturelle. Je ne suis pas un fétichiste de la pellicule, il y a plein de films tournés en numérique que j’adore et que je n’imagine pas une seconde tournés en pellicule.

En revanche, pour ce film-là, la raison pour laquelle j’ai voulu tourner en pellicule, c’est que mes références cinématographiques et photographiques étaient très argentiques. Pour moi, ce n’était pas concevable de faire le film en numérique. Il y a une ambiance très mélancolique en termes atmosphérique. La façon dont je voulais retranscrire cette mélancolie-là, il ny avait que la pellicule qui pouvait la traduire. Typiquement, là où le numérique est vraiment compliqué, cest pour les scènes de jour avec des lumières un peu fortes, comme la lumière du soleil. C’est là où on voit les limites du numérique.

Comme la question de la lumière du soleil était quand même centrale dans le film, le film commence avec ça, finit avec ça, je ne pouvais pas en faire l’économie. Là où le numérique est aussi problématique, c’est que dès qu’on a des scènes de jour où il fait gris, limage est très plate. Ce n’est pas très beau, à moins qu’on éclaire pour justement donner du contraste à limage, mais sinon ce sont vite des images plates. Je ne vais pas dire « pas beau » parce que ce n’est pas une question de beauté. Il y a des films tournés en numérique dans des grisailles qui ont un résultat plat, mais ça marche avec ce que le film cherche à faire. Avec ce film, ce n’était pas ça que je voulais du tout. La texture de la pellicule, dans les scènes de grisailles, apporte une atmosphère mélancolique que je n’aurais pas eu avec le numérique. Les discussions avec le chef opérateur, ont été à base de beaucoup de références photos. J’ai fait un mood board avec plein de photos pour essayer à chaque séquence de communiquer mes idées de façon précise.

Il y a des cinéastes qui ne sont pas du tout dans le découpage, qui pensent à déléguer ça au chef opérateur. Je ne juge pas, chacun sa technique. Comme je fais de la photo, j’ai plutôt un sens du cadre assez précis. En général, je sais précisément ce que je vais faire. Après, il peut arriver qu’il y ait des scènes où je ne sais pas trop où mettre la caméra. C’est là que le chef oppeut faire des propositions. Quand je fais des propositions de cadre ou de découpage, j’attends du chef opérateur qu’il fasse des contre-propositions. Je n’ai pas d’ego par rapport à ça. Si ce qu’on me propose, en termes de découpage, de cadre est plus intéressant, je suis preneur.

Tu l’as évoqué tout à l’heure par rapport à ton parcours et au fait que tu estimais que le court était une forme à part entière et pas forcément un passage pour aller vers long, est-ce que c’est quand même quelque chose qui t’intéresse ? Est-ce que tu as envie de passer au long ? Quels sont tes projets pour la suite ?

Y.K. : Je suis passé par une étape de développement d’écriture de long il y a 4-5 ans. C’était une erreur parce que justement je suis tombé dans ce piège où j’ai suivi le parcours typique. Quand on est auteur et que lon fait des films qui commencent à marcher en festival, il y a cette pression des producteurs pour passer au long. Malheureusement, je suis tombé dans le panneau. J’ai développé un projet qui était beaucoup trop précoce, qui n’était pas assez mûr. Et comme beaucoup de cinéastes, j’ai passé du temps d’écriture sur un projet qui nen valait pas la peine. Ce n’est pas le nombre de films qui fait qu’on va passer à telle étape à tel moment. On a une idée ou on n’a pas une idée. Actuellement, je développe deux idées de longs-métrages. Pas parce que j’avais la pression de devoir passer au long, mais parce qu’à un moment donné, il y avait des idées qui ne pouvaient se développer que sur un format long. J’ai un film qui est en cours d’écriture qui se passe à Berlin qui avec le recul, se rapproche de Après laurore. Je suis assez lucide. On est quand même dans une situation compliquée depuis le Covid pour le cinéma d’auteur, où les films vont se financer de façon de plus en plus difficile. Je pense que là, les projets que j’ai en tête ne sont quand même pas évidents pour les producteurs. Ce sont des films qui se passent à l’étranger, en plusieurs langues.

Depuis mon premier film, je n’avais pas pu retourner en pellicule et j’avoue que depuis que j’ai tourné Après laurore, jai du mal à imaginer retourner au numérique. Après, ça dépend des projets, évidemment. Je ne veux pas être dogmatique là-dessus. Mais là, les projets que j’ai en tête, c’est plutôt des films qui se tourneraient en pellicule. En termes de court-métrage, j’ai envie de continuer. Jai pris la décision et ce n’est pas qu’une décision, cest aussi un feeling, d’aller vers des choses pas du tout narratives en court-métrage. Des formes courtes, voire très courtes, plus de lordre de lexpérimental, de linstallation vidéo.

Je pense que Après laurore était vraiment mon dernier film narratif, dans la forme courte. Pas parce que j’estime que j’ai fait 5 films et que je passe à autre chose, cest juste une question de besoin. Le fait d’avoir fait tous ces films narratifs me donnent envie maintenant d’explorer d’autres choses. J’ai toujours été très, très passionné par l’art vidéo, linstallation vidéo et lexpérimental. J’ai toujours été tenté par les films expérimentaux, mais je me suis toujours mis une sorte dautocensure. Je sens qu’il y a des projets que je ne vois pas se développer narrativement avec des dialogues, des personnages, mais plus comme quelque chose de très formel. C’est ça qui m’intéresse maintenant, je pense, pour la forme courte.

Propos recueillis par Damien Carlet

Article associé : notre reportage sur la compétition nationale du 46ème Festival de Clermont-Ferrand

Les courts primés à la Berlinale 2024

Ce samedi 24 février 2024, 3 courts-métrages ont été récompensés lors de la 74ème édition de la Berlinale. Ces prix ont été attribués par le Jury composé de Ilker Çatak, Xabier Erkizia et Jennifer Reeder.

Ours d’or du meilleur court-métrage : Un movimiento extraño (An Odd Turn), Francisco Lezama – Argentine

Ours d’argent, Prix du jury du meilleur court-métrage : Re tian wu hou (Remains of the Hot Day), Wenqian Zhang – Chine

Mention spéciale et court-métrage candidat aux European Film Awards : That’s All from Me, Eva Könnemann – Allemagne

Les courts primés aux César 2024

Ce vendredi 23 février 2024, trois courts-métrages de fiction, d’animation et documentaire ont été primés lors de la 49ème cérémonie des César, organisée à l’Olympia. Ils sont tous trois réalisés par des femmes. Youpie !

César du Meilleur court-métrage de fiction : L’Attente, réalisé par Alice Douard

César du Meilleur court-métrage documentaire : La Mécanique des fluides, réalisé par Gala Hernández López

César du Meilleur court-métrage d’animation : Été 96, réalisé par Mathilde Bédouet

L’acteur ou la surprenante vertu de l’incompréhension de Raphaël Quenard et Hugo David

Raphaël est acteur. Pour la première fois, il a le rôle principal d’un long-métrage. Personne ne comprend pourquoi il a été choisi. D’ailleurs, personne ne le comprend vraiment. Dans un film de 25 minutes nommé aux César du meilleur court-métrage documentaire 2024, Raphaël Quenard se met en scène face à la caméra d’Hugo David pour nous livrer une performance folle et très très riche.

Un jeu de réalités 

L’acteur ou la surprenante vertu de l’incompréhension est construit sur une mise en abîme, c’est-à-dire, une fiction dans une fiction. Le film adopte la forme du faux documentaire, qui donne l’impression d’une spontanéité alors que tout est écrit et répété. Un documentaire qui est supposé montrer les coulisses du long métrage de Jean-Baptiste Durand Chien de la casse, film à succès sorti en 2023. Pourtant, dans le faux documentaire le film semble raté, l’ambiance du tournage est pourrie, Raphaël Quenard considéré comme mauvais.

Réalité alternative, ou archive compromettante qui nous montre les coulisses d’un film considéré comme mauvais, gâché par un acteur nul, avant que la critique ne l’acclame jusqu’à le faire atterrir aux César ? La question reste en suspens. Le réel et la fiction se chevauchent, on perd le fil et on ne distingue plus quand ça joue et quand c’est vrai. Raphaël Quenard incarne son propre rôle dans le documentaire, mais endosse un rôle de loser comme dans Chien de la casse. On finit par confondre la fiction du film et la fiction du documentaire, de même que la distinction entre la fiction des deux et la réalité se confondent aussi. Bref, tout est flou. Et, ce flou, c’est peut-être celui que l’acteur ressent.

L’actor studio à son comble

Dans une scène de répétition, Raphaël prend un accent pour incarner un personnage puis continue de parler avec cet accent alors qu’il est sorti de son rôle. L’acteur ne sait plus faire la différence entre le moi frictionnel qu’il invente pour jouer la comédie et son moi réel. On retrouve là le mythe de l’actor studio qui se perd dans sa performance, que Jean Dujardin avait brillamment interprété dans la série Dix pour cent, ou que certaines stars incarnent dans la vraie vie, comme c’est le cas du légendaire Heath Ledger (interprète du Joker) qui aurait développé des troubles mentaux après sa performance dans le film de Christopher Nolan.

Raphaël a beau donner des conseils de jeu, imitant la master class d’acting, toutes ses techniques échouent et sont décridibilisées puisque l’équipe de tournage le trouve mauvais. Ce qu’on nous dit, c’est que la ligne est fine entre le génie et le grotesque, entre un acteur qui a l’air con-con, mais qui est en vérité un génie avec beaucoup à offrir, et celui qui est une coquille vide.

Un cycle de l’absurde à l’écran 

Avec ce rôle, Raphaël Quenard s’inscrit définitivement dans la lignée des acteurs de l’absurde, dont le premier membre est, sans doute, Edouard Baer avec son monologue iconique dans l’Astérix et Obélix d’Alain Chabat. Dans ce film de 25 minutes, Raphael Quenard  passe maitre dans l’art de la tautologie, de la phrase qui dure et dure, mais ne va nulle part et, pire, revient sur elle-même. L’acteur qu’incarne Raphaël Quenard est un comédien raté, fourre-tout, qui dit tout et son contraire et se réinvente à tout bout de champ. En confiant ses techniques de jeu face caméra, il se dit d’abord instinctif, puis on le voit répéter toute la nuit et s’acharner sur des dialogues éprouvants. Entre Jean-Claude Van Damme et Jonathan Cohen, l’acteur s’apparente à un mythomane complètement illusionné qui doit bâtir sa légende, quitte à raconter n’importe quoi, pourvu que ça ait l’air profond.

À cette situation grotesque, s’ajoutent des moments vraiment hilarants, comme la scène finale d’improvisation théâtrale dirigée par un metteur en scène de théâtre expérimental japonais. On rit de l’absurde de l’acteur, mais on le trouve aussi très touchant, car il reste un grand enfant plein de naïveté, d’illusions et de fragilité. Aussi risible et mauvais soit-il, on ne peut s’empêcher d’être touché de son courage pour se mettre à nu ainsi devant nous, face caméra.

La désillusion de l’acteur incompris 

Les 25 minutes de film s’apparentent à une descente aux enfers. Au début, tout le monde est plein d’espoir, puis la réalité apparait, et on découvre que le réalisateur n’a pas fait passer d’essais à Raphaël et qu’il l’a engagé sur recommandation, autrement dit à l’aveuglette. Grave erreur, si l’acteur est nul, alors le film est nul, car le rôle de l’acteur est primordial.

Sous couvert de parodie, le court métrage dit beaucoup de choses sur le cinéma, sur les dynamiques entre la personne qui réalise, les comédiens et l’équipe technique. Raphaël est un acteur à côté de la plaque qui ne trouve pas sa place parce qu’il ne remplit pas correctement son rôle. Puisqu’il ne fait pas partie des dynamiques du plateau, il se trouve coupé du monde. On le voit très souvent seul dans le plan ou séparé des autres. Il ne cohabite presque jamais avec d’autres personnes à l’écran, la séparation visuelle représente l’impossibilité d’entrer en contact avec les autres. Par son discours que personne ne comprend et physiquement à l’écran, Raphaël est toujours à distance, toujours en fausse note.

La voix off du documentaire surgit au milieu du film, au moment où nous apprenons que personne ne comprend ce que Raphaël dit. La voix off, c’est la nôtre. Et ses questions, ce sont les nôtres, spectateur.ices, qui essayons de le comprendre. Et comme le caméraman n’est jamais montré à l’écran, la caméra est aussi nos yeux. À mesure que le documentaire avance, la caméra devient floue, tremblante, et multiplie les zooms pour aboutir au gros plan et nous faire accéder aux pensées du personnage. Les mouvements de la caméra imitent notre volonté de voir Raphaël de plus près, de l’atteindre pour mieux l’appréhender.

Finalement, Raphaël se retrouve perdu dans la foule de l’équipe du tournage. Personne ne lui dit où aller, on l’ignore, car il n’a plus d’intérêt à être sur le plateau. Le réalisateur lui demande de partir de son champ de vision, pourtant la place naturelle de l’acteur, qui n’existe que par le regard du réalisateur. L’acteur est déchu, chassé du plateau comme un animal. Parce que l’acteur qui ne joue pas, qui n’occupe pas le plan, n’est rien. Il n’a plus qu’à disparaitre dans le noir, hors champ.

« Chien de la casse »

Une dimension philosophique

Derrière le titre à rallonge qui semble parodier les œuvres philosophiques du XVIIIᵉ siècle, se cache une vraie réflexion sur le langage, sur le métier d’acteur et ce qu’il veut dire. Comment fait-on pour être un acteur quand on a des soucis à s’exprimer clairement ? Après tout, c’est le propre de l’acteur, dire le message du film, transmettre les émotions aux spectateur.ices. Raphaël Quenard et Hugo David ont eut cette intelligence de mettre l’acteur en difficulté au cœur même de ce qu’il est, un langage. Que ça soit les gesticulations de Chaplin ou les punchlines de Bernard Blier, l’acteur se résume au fait de communiquer. Quand il ne communique pas, il n’est rien. Et pourtant.. Raphaël Quenard et Hugo David arrivent à ouvrir le débat et à se poser la question : « Mais est-ce que ça n’est pas plus intéressant de n’être pas compris, et donc, de laisser libre cours à l’imagination de l’autre ? ».

En 25 minutes, dans un film qui semble très simple, Raphaël Quenard et Hugo David nous offrent une vraie pépite. Comment réussir à intégrer autant d’éléments dans si peu de temps et de moyens reste un mystère. Mais, in fine, elle est là, la magie du cinéma.

Anouk Ait Ouadda

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Article associé : l’interview de Raphaël Quenard