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Le film de la semaine : Katatsumori de Naomi Kawase

Genre : Documentaire, 40′, 1994, Japon, Naomi Kawase

Synopsis : Deux ans après Dans ses bras, Naomi Kawase filme sa grand-mère, qui l’a élevée depuis l’enfance, dans ses gestes quotidiens et sans cesse répétés, en particulier les soins dont elle entoure les plantes du jardin. De la même manière, la cinéaste filme quotidiennement et inscrit son geste cinématographique au cœur de la relation qu’elle entretient avec son aïeule.

Avant d’affiner le style très gracieux et intimiste qu’on associe à Naomi Kawase, la réalisatrice japonaise s’est tournée vers des éléments autobiographiques à l’aube de sa filmographie pour livrer des bijoux du cinéma documentaire. Par une heureuse coïncidence, alors qu’on savoure la sortie de Vers la Lumière, son tout dernier long, Katatsumori (Escargot), un de ses premiers courts métrages, était programmé à Bruxelles le 22 février dernier dans le cadre des séances Short Screens.

Sa relation avec ses grand-parents et parents adoptifs est un sujet récurrent dans les premiers films de Kawase, déjà prolifique dans le cinéma à peine sortie de ses études de photographie à l’École des Arts Visuels d’Ōsaka. Cette idée revient comme leitmotiv en filigrane de ses fictions tout au long de sa carrière, comme par exemple dans An (Les délices de Tokyo), avec la figure maternelle suranéee traitée tour à tour comme un sujet d’isolement et de révérence.

Katatsumori est en quelque sorte l’expression la plus sincère de cette hypothèse filiale. En filmant dans toute leur lenteur les réflexions spontanées, les souvenirs racontés et les les gestes quotidiens de sa mère Uno Kawase, notamment lors de ses labeurs au jardin, Naomi Kawase retrace de manière symbolique l’amour et l’éducation qu’elle a elle-même reçus de sa marâtre. Elle lui rend en même temps hommage dans sa vieillesse, témoignant comme un besoin sous-jacent de figer le temps et d’immortaliser à l’image ces moments entre mère et fille dans toute leur impermanence.

Avec un sujet faussement anodin en apparence et un choix formel (le Super 8) caractérisé par des imperfections esthétiques et techniques, Naomi Kawase signe une œuvre singulière qui valse entre home movie et grand documentaire à portée universelle. Les sauts du son et le grain dense et raturé ne font qu’appuyer le soin et la discipline implacable avec lesquels l’enfant porte un regard émerveillé sur sa mère qui la regarde à son tour avec pudeur et tendresse.

Adi Chesson

Article associé : l’interview de Naomi Kawase

Agnès au pays de Varda

Ayant obtenu un César d’honneur en 2001, une Palme d’honneur à Cannes en 2015 et un Oscar d’honneur en novembre dernier pour l’ensemble de sa carrière, Agnès Varda, la grand-mère de la nouvelle vague aux allures de petite fille continue à faire parler d’elle, à près de 90 ans. Son dernier film Visages villages co-réalisé avec JR était en lice pour la 43ème cérémonie des Césars et la 90ème cérémonie des Oscars. Même si le tandem est reparti les mains vides, c’est tout de même l’occasion pour nous de retracer le merveilleux parcours de cette amoureuse de la forme courte.

Agnès Varda traverse le temps avec autant de facilité et d’engouement mutin, qu’Alice le pays des merveilles. Celle qui a eu trois vies artistiques complémentaires, photographe, cinéaste et plasticienne, marque son travail éclectique du sceau du plaisir et de la curiosité. Elle débute sa carrière en 1949 comme photographe aux côtés de Jean Vilar. Elle la poursuit en réalisant le film La Pointe courte avec Philipe Noiret et Silvia Montfort en 1954, ce qui fait d’elle l’un des précurseurs incontournables de la Nouvelle vague. Suivent une trentaine de films aussi bien longs que courts. A cela s’ajoute un goût particulier pour l’art qu’elle met, à partir de 2003, au service d’installations souvent cocasses, Patatutopia (2003) ou encore Les Veuves de Noirmoutier (2005).

Varda tous courts

S’il est un objet précieux à conseiller à celui qui voudrait approcher l’univers court d’Agnès Varda, c’est le coffret DVD « Varda, tous courts », produit par Ciné Tamaris, co-édité en 2007 avec le Scérén-CNDP et composé de deux DVD rassemblant l’ensemble de ses court métrages (16) réalisés entre 1957 et 2004. En bonus, nous retrouvons 14 films sur les 170 de la série « Une minute pour une image », diffusée sur FR3 de février à juillet 1983 ainsi qu’une conversation autour des courts métrages de Varda (« Du Coq à l’âne : Des mains et des objets ») et un livret de 20 pages illustrées et commentées.

« Salut les cubains »

Subdivisés en 4 thématiques distinctes (les courts « touristiques », « Cinévardaphoto », les courts « contestataires », «L’essai » et les courts « parisiens »), les films permettent de suivre l’évolution du monde enchanteur de la réalisatrice où l’on peut déceler certaines caractéristiques que l’on retrouve dans ses longs-métrages.

De la cinécriture à la cinéfiction

Aux côtés de fictions notoires La Pointe courte (1954), Cléo de 5 à 7 (1962), Sans toit ni loi (1985), Jacquot de Nantes (1991), foisonne un cinéma documentaire où Varda déploie le meilleur de son art. Un cinéma modelé de sa patte subjective et émerveillée qui fait appel à un(e) narrateur/trice qui nous prend par la main pour nous emmener vers un pays où les associations d’idées, les fantaisies visuelles et cocasses, les commentaires hors sujet sont monnaie courante et ont pour but d’égayer l’humeur du spectateur dont elle craint l’ennui. La narration peut prendre des allures de contes et l’on sent l’importance accordée à l’écriture.

La démarche documentaire de Varda est peu commune car elle s’amuse à habiller la réalité pour mieux la transfigurer. C’est ainsi que dans Ô saisons, Ô châteaux (1957) qui était une commande de l’Office de tourisme, elle n’hésite pas à balader le spectateur au travers de diverses réalités sans se limiter aux aspects exclusivement factuels. Les références aux poètes Rimbaud, Malraux, Ronsard, Villon, la volonté de montrer des mannequins au beau milieu des châteaux de la Loire provoquant un contraste volontaire, rendent compte d’une démarche éminemment subjective qui n’a de cesse de vouloir transformer la réalité en y ajoutant une petite touche personnelle.

On retrouve cette facture dans Du côté de la côte (1958), autre film de commande, où transparait son point de vue personnel sur la Côte d’Azur dans une réflexion sur l’Eden venant ponctuer le film. Même constat dans L’Opéra-mouffe (1958), Salut les Cubains (1962), Ulysse (1982) qui lui vaut le César du meilleur court métrage en 1983, et Les dites cariatides (1984). Dans chacun de ces courts métrages, au-delà, de la réalité qu’elle entend montrer (la pauvreté du Paris d’après guerre perçu par une femme enceinte, la frénésie qui régnait à Cuba après la Révolution cubaine, une réflexion sur la photographie, la mise en valeur d’un certain type de statuaire parisienne de la fin du XIXème siècle), la généreuse Varda donne un point de vue visuel. Ce sont autant d’autoportraits, tels des journaux intimes filmés, qui donnent à voir et à entendre ses préoccupations du moment, ses joies et ses peurs sans jamais toutefois trop en dire. Ce travail d’équilibriste, on le doit à une démarche artistique fort éloignée de tout académisme. Cette touche à tout à l’univers éclectique aime que le hasard trace la route de ses créations et c’est au gré de ses envies qu’elle les réalise.

De l’engagement

Black Panthers (1968) et Réponses de femmes (1975) sont des films engagés qui mettent en exergue la volonté de leur auteur de traiter un sujet d’actualité de façon urgente ou originale. Pour le premier, Varda vivait alors à Los Angeles et voulait témoigner de ce qu’il se passait aux Etats-Unis à cette époque. Les manifestations pour les droits civiques des Noirs prenaient de l’ampleur suite à l’arrestation de l’un de leurs leaders, Huey Newton. Avec des images qui semblent être prises sur le vif, loin de ses habituelles mise en scène, la réalisatrice sent l’enjeu historique qui se joue et nous relate de façon journalistique les évènements de l’époque ce qui fait que le film est davantage un témoignage historique ce qui n’est pas le cas de Réponses de femmes (1975) qui est, quant à lui, très construit et mis en scène. Autant de femmes vêtues ou dévêtues qui donnent leur avis sur les questions féministes de l’époque. Plus de 40 ans plus tard, dans les vagues contestataires du mouvement #MeToo, le film et les questions qu’il soulève révèle une certaine stagnation des mouvements féministes de 1975 à aujourd’hui. Alors, Varda, féministe ? Pas plus qu’une autre à cette époque. Varda avant-gardiste plutôt. Davantage intéressée par l’expérimentation que par le sujet, elle n’hésite pas à passer d’une cause à l’autre.

De l’amour de l’art à l’art d’aimer

De l’expérimentation il en est question dans son unique essai cinématographique 7p., cuis., s.de b. (à saisir) (1984) avec Yolande Moreau avant les « Dechiens ». Comme pour l’écriture automatique, Varda laisse ici, libre cours à son imagination pour parler d’une famille bourgeoise dont le père est un brin despotique et la fille un doux oiseau rebelle. Mais c’est l’art qui la motive et la mène sur les routes de France et d’ailleurs.

Oncle Yanco (1967) nous entraîne à San Francisco en pleine période hippie à la rencontre de l’oncle de Varda. Artiste de profession et original comme l’est un oncle d’Amérique, il nous fait découvrir ses toiles sous la caméra intéressée de sa nièce. Plaisir d’amour en Iran (1976) est une fiction qui met en valeur la sensualité qui se dégage de l’architecture orientale, T’as de beaux escaliers, tu sais (1986) est un film hommage à la Cinémathèque française et à ses escaliers à l’occasion de ses 50 ans. Originale jusqu’au bout, Varda décide de prendre des extraits de célèbres films où l’on voit des marches d’escaliers. De Pépé le Moko en passant par Le Cuirassé Potemkine et en terminant par Adjani derrière ses lunettes noires. Ulysse (1982) est une réflexion sur la composition en photographie et sur le hors champ d’une image prise à un certain moment. Le temps a passé et Varda est allée retrouver les protagonistes pour les interroger sur cet instant décisif dont ils ne souviennent qu’à peine. On nous parle de l’acte de créer, de la création et des créatures, de la fiction et de la réalité.

Enfin, un court en particulier attire l’attention à la fois pour sa forme et son sujet, Ydessa, les ours et etc…(2004) La caméra de Varda se substitue aux yeux du spectateur et déambule dans les couloirs de l’exposition de Ydessa Hendless, « Partners Teddy Bear Project » à la Maison de l’art à Munich. Un projet avec des nounours et des dizaines, des centaines de photos d’enfants, d’hommes et de femmes qui posent avec la peluche. Si le dispositif est là pour nous donner le vertige, c’est pour mieux nous faire tomber de nos certitudes. La démarche artistique d’Ydessa se superpose alors à celle de Varda.

Ce qui anime l’avant, le pendant et l’après d’un film d’Agnès Varda, c’est le dialogue humaniste qu’elle entretient avec son sujet et le spectateur. En 64 ans de carrière, cette dépositaire d’un héritage cinématographique indéniable, cette artiste polymorphe a écrit, inventé et filmé des images de toutes sortes, aussi insolites que celle de Godard enlevant ses lunettes noires dans Les Fiancés du Pont Mac Donald (1961) faisant étrangement écho à JR qui enlève les siennes dans Visages villages (2016).

Marie Bergeret

Coffret DVD Varda, tous courts, produit par Ciné Tamaris, co-édité en 2007 avec le Scérén-CNDP. Composé de deux DVD rassemblant l’ensemble de ses court métrages (16) réalisés entre 1957 et 2004.

 

4èmes Rencontres pros de Format Court, jeudi 29/3/2018. Spécial TV !

Après s’être intéressé à la production, aux festivals et au scénario, Format Court vous invite à son 4ème rendez-vous professionnel consacré à la télévision et aux diffuseurs de courts-métrages. Cette nouvelle édition aura lieu le jeudi 29 mars 2018 à 19h, au MyCowork Beaubourg (5 Rue du Cloître Saint-Merri, 75004 Paris).

Quelles sont les chaînes de télévision qui diffusent du court ? De quelle manière intervient ce soutien ? Qui sont les diffuseurs et responsables des cases dédiées ? Quelles sont les spécificités de leurs rendez-vous ? Comment se créent et se développent les relations avec les réalisateurs et producteurs ? Comment proposer un film à une chaîne ? Quels sont les critères requis ?

Les participants à notre table ronde sont : Pascale Faure (responsable des Programmes Courts de Canal+), Hélène Vayssières (responsable des programmes Courts d’Arte et du Magazine Court-circuit), Angèle Paulino (responsable des courts-métrages, TV 5 Monde), Jonathan Hazan (producteur, Les Films du Cygne), Fabrice Préel-Cléach (producteur, Offshore), Loïc Barché (réalisateur).

En prélude de la rencontre et de l’échange avec le public, nous projetterons 3 courts-métrages soutenus et diffusés sur ces chaînes.

Pour assister à cette nouvelle soirée, nous vous invitons vivement à réserver dès à présent votre place à l’adresse suivante : rencontresprosformatcourt@gmail.com.

Programmation (durée : 66 minutes)

Les Bigorneaux de Alice Vial. Fiction, 25’, 2017, France, Les Films du Cygne. César du Meilleur Court-Métrage 2018. En présence de Jonathan Hazan (producteur)

Synopsis : À Brignogan-Plages, Zoé, trente ans, travaille au bar Les Bigorneaux, avec son père, Guy. Tantôt serveuse, barman, patronne, elle s’épuise à tout prendre en charge, épaulant Guy depuis la mort prématurée de sa mère. Un matin, Zoé se met à souffrir de vertiges et de nausées qui perturbent son quotidien. Elle craint d’être tombée enceinte, mais sa gynéco lui apprend qu’elle souffre d’un tout autre mal.

Article associé : la critique du film

Goliath de Loïc Barché. Fiction, 18′, 2016, France, Punchline Cinéma. Prix UniFrance Festival Tous Courts d’Aix-en-Provence 2016. En présence du réalisateur

Synopsis : Nicolas est follement amoureux de Charlotte, une fille qu’il connait à peine et qu’il fantasme à travers les photos qu’elle publie sur Facebook. Accompagné d’un ami, il décide de lui prouver son amour en accomplissant un exploit.

Vihta de Francois Bierry. Fiction, 21′, 2018, France, Belgique, Offshore, Hélicotronc, CZAR Films, Ultime Razzia Productions. Prix Spécial du Jury (compétition nationale) au Festival de Clermont-Ferrand 2018. En présence de Fabrice Préel-Cléach (producteur)

Synopsis : Serge et ses quatre collègues sont salariés d’une petite entreprise, fraîchement rachetée par un grand groupe. Comme cadeau de bienvenue, ils sont conviés par leur nouvel employeur à une journée détente dans un centre thermal.

En pratique

Quand ? Jeudi 29 mars 2018 à partir de 19h
Où ? MyCowork Beaubourg (5 Rue du Cloître Saint-Merri, 75004 Paris)
Comment ? Métros proches : Hôtel de Ville, Châtelet, Rambuteau
PAF : 7 € (gratuit pour les adhérents de Format Court)
Pot offert !
Réservations : rencontresprosformatcourt@gmail.com
Event Facebook : https://www.facebook.com/events/336198026890073/

Journées Portes Ouvertes de l’ESRA à Paris

Crée à Paris en 1972, l’ESRA est le premier groupe privé de formations aux métiers de l’audiovisuel en France. Il propose des formations liées aux métiers du Cinéma et de l’Audiovisuel, du Son et du Film d’Animation. L’établissement est reconnu par l’État et délivre dans chacun des trois domaines un diplôme visé par l’État à Bac +3.

Mercredi 21, jeudi 22 et samedi 24 mars 2018, le Groupe ESRA organisera des Journées Portes Ouvertes à Paris (135, avenue Félix Faure, dans le 15ème arrondissement) au cours desquelles les futurs étudiants pourront découvrir l’école, ses spécialisations et ses débouchés mais aussi rencontrer les équipes pédagogiques. Les étudiants seront également présents lors de ces Journées Portes Ouvertes. Ils feront visiter les studios et les installations techniques aux futurs étudiants et partageront leurs acquis et expériences.

Démonstrations, animations et visites guidées par les étudiants seront mises en place pour faire découvrir aux futurs étudiants l’école, le matériel à disposition et ses spécialisations. Pour l’occasion, 4 réunions d’information liées aux 4 programmes proposés par l’école auront lieu tous les jours à 11h, 15h et 17h :

– ESRA pour le Cinéma et la Télévision,

– ISTS pour les métiers du Son,

– ESRA Animation pour les métiers d’Animation 2D/3D.

– DHEC – Après un Bac +3

Pour plus d’information sur les formations proposées par ESRA Paris  : http://www.esra.edu/campus/paris/

Event Facebook : https://www.facebook.com/events/685329581674513/

Short Screens #80 : Je, tu, il, elle

Qui suis-je ? Réponse à dimension variable et plurielle. La quête de l’identité sous de multiples formes occupe le devant de la scène lors de cette 80ème séance de Short Screens. Pas moins de 8 courts métrages issus d’univers et styles différents nous emmènent à la découverte de soi et de l’autre.

Rendez-vous le jeudi 29 mars à 19h30, au cinéma Aventure, Galerie du Centre, Rue des Fripiers 57, 1000 Bruxelles – PAF 6€

Visitez la page Facebook de l’événement ici !

Programmation

Intrinsic Moral Evil de Harm Weistra, expérimental, Pays-Bas, 2013, 10’75’’ (FrameLab), VO EN / ST FR

“Intrinsic Moral Evil” ressemble à un conte sur l’identité et la maturité. Mais pardessus tout, les trois danseurs jouent avec les perceptions et les attentes du spectateur : est-ce un souvenir, un rêve, une quête d’identité ? S’agit-il d’une amitié perdue ou du fait de devenir adulte ? L’histoire se développe progressivement, ne dévoilant ses secrets qu’à la fin. Laissant le public dans la confusion, le poussant à réfléchir et à se faire sa propre interprétation.

Prufrock de Iara Lee, experimental, Etats-Unis, 1991, 4’5’’(Cultures of Resistance Films), VO EN / ST FR

Poème expérimental basé sur “La chanson d’amour de J. Alfred Prufrock” de T.S. Elliot, et raconté par Matt Dillon.

Enraged By A Picture de Zanele Muholi, documentaire, Afrique du sud, 2005, 15’ (Stevenson), VO EN / ST FR

Muholi, photographe, inaugure son exposition à Johannesburg. Efficacement conflictuelle, l’expo fait sensation et provoque un tollé autour d’un sujet particulièrement tabou : être noire et lesbienne. Chaque photo monochrome capture sans détours la réalité des sujets de la photographe, l’inconfort quotidien, les doubles vies, les abus et la haine. Ce documentaire passionnant force les gens à ouvrir les yeux sur la réalité de ce monde, qu’ils le veuillent ou non.

New Old School de Super Preachers, expérimental, Etats-Unis, 2008, 4’20 » (Hazelwood Vinyl Plastics), VO EN / ST FR

Parlez-vous anglais ? Ce clip délirant vous aidera à faire vos premiers pas dans la langue de Shakespeare. Musique des Super Preachers

Ben/O de Guldem Durmaz, documentaire, Turquie, 2011, 22’30 » (Güldem Durmaz / Yakamoz), VO TUR / ST FR

Esmeray est une artiste, transsexuelle, kurde qui vit aujourd’hui en Turquie. On l’a d’abord filmée déambulant dans la nuit d’Istanbul, son territoire. Puis on lui a demandé de se remettre brièvement dans la peau, ou au moins dans le costume, de l’homme qu’elle a cessé d’être depuis vingt ans. Ainsi travesti(e), elle a repris les mêmes trajets. Les deux images sont présentées simultanément en split screen. Le film devient une sorte d’expérience d’auto-dissimulation.

Offside de Jimmy Dean, fiction, Royaume-Uni, 2015, 18’ (University of Westminster), VO EN / ST FR

Après avoir appris par son père qu’elle s’apprête à perdre sa place au sein de l’équipe de football masculine, Kirsty, onze ans, a du mal à se faire à l’idée qu’elle est en train de devenir une femme.

No hablar (Indian Diaries 2) de Chantal Maillard et David Varela, expérimental, Espagne, 2015, 5’46’’ (Chantal Maillard, Lola Martínez, David Varela), VO ESP / ST FR

Second volet d’un travail multidisciplinaire basé sur les textes et poèmes de l’écrivaine et philosophe Chantal Maillard dans la ville de Bénarès, et les images filmées dans la même ville par le cinéaste David Varela.

Turkkiosken (Le magasin turc) de Bahar Pars, fiction, Suède, 2017, 7’ (Sic Film AB), VO SW / ST EN,FR

Dans une boîte de créateurs à Stockholm, Cecilia, raconte une anecdote en utilisant une appellation à caractère raciste. Asal, la nouvelle, interroge Cecilia sur son choix de mots ce qui offense cette dernière. Turkkiosken est une comédie sur le racisme ordinaire au boulot.

Du côté des Oscars 2018. Les courts primés !

Après les Cesar, voici les résultats des courts primés aux Oscars 2018 ce weekend.

Oscar du Meilleur court métrage de fiction : The Silent Child de Chris Overton et Rachel Shenton

Oscar du Meilleur court métrage d’animation : Dear Basketball de Glen Keane et Kobe Bryant

Oscar du Meilleur court métrage documentaire : Heaven Is a Traffic Jam on the 405 de Frank Stiefel

Voici les 2 courts primés aux César 2018

Vendredi soir, la salle Pleyel a accueilli la traditionnelle cérémonie des Cesar dédiée à Jeanne Moreau. Les deux courts-métrages primés par les votants de l’Académie sont réalisés par des femmes.

Le César 2018 du meilleur court-métrage de fiction a été attribué à Les Bigorneaux de Alice Vial, produit par Les Films du Cygne et celui du meilleur court-métrage d’animation à Pépé Le Morse, de Lucrèce Andreae, produit par Caïmans Productions.

Voici un extrait de Les Bigorneaux de Alice Vial, chroniqué sur Format Court.

Pépé Le Morse réalisé par Lucrèce Andreae, de son côté, a fait ses débuts à Cannes l’an passé (compétition officielle) et a remporté le Prix du Public à Annecy. La critique du film se trouve ici.

Vous aimez l’univers et le film de Lucrèce Andreae ? Cela tombe bien : Les mots de la carpe, son très beau film de fin d’études de La Poudrière, est également en ligne ! Nous en avions parlé sur le site.

Le film de la semaine : Toute Latitude de Sébastien Laudenbach

Deux ans après La Jeune fille sans mains (2016), nous avons la chance de retrouver le dessin de Sébastien Laudenbach qui réalise les quatre clips du nouvel album de Dominique A. Le premier clip est disponible depuis le début de l’année et il suffit de le découvrir pour guetter avec impatience les suivants…

Dès les premiers instants, l’animation du morceau Toute Latitude ravive le souvenir de La Jeune fille sans mains, le premier long de Sébastien Laudenbach sorti dans les salles fin 2016, et on ne tarde pas à comprendre que comme dans celui-ci, le réalisateur fabrique son film à partir d’un canevas construit autour d’un conte, et traduit par des images à caractère hautement métaphorique et épuré.

La chanson de Dominique A évoque le trajet d’une vie, depuis la période de l’adolescence rêveuse et libre jusqu’à cet âge où l’on prend le temps de se retourner pour y repenser. Voici un échantillon des paroles : « Nous avions toute latitude et toute la vie, aucun engagement d’aucune sorte, avec pour seule devise : peu importe ».

Sur un fond jaune, une courbe se prolonge jusqu’à devenir un cercle qui s’emplit pour devenir un astre sur un ciel dégagé, notre soleil. Tout concourt à une transformation plus belle encore, un trait peut devenir un astre brillant, la philosophie de vie que créé Sébastien Laudenbach dans son film tient de la logique du papillon.

Son trait est léger, tout en silhouette et souvent détaché de la couleur de remplissage. Les personnages semblent se draper dans une sorte d’aura colorée les détache subtilement du statut de personne simple. Sébastien Laudenbach introduit du mythologique dans le récit et dans son animation, les choses peuvent d’un coup de crayon devenir quelque chose d’autre.

Dans un jardin d’Eden, au cœur de la nature, des centaures, des lutins, des sirènes, des fées profitent de l’éternité. Mais comme dans tout mythe de jardin originel, les choses se gâtent avec le pêché originel. Le serpent, le scorpion, les tentations ont conduit l’homme damné à contempler le Jardin d’Eden à s’effondrer inexorablement sur lui-même, le jardin d’Eden étant la Terre.

Le destin semble tragique mais il y a toujours des accidents dans la vie. Et c’est par le truchement de l’animation que le possible happy end prévient. Comme l’arc de cercle peut se muer en astre sidéral, les points blancs peuvent incarner des atomes, des électrons, des étoiles, des libellules, des graines, leur nature est liée à leur contexte, et ils peuvent donc révéler des prodiges insoupçonnés mis dans les conditions adéquates ; soumis à la simple volonté de la main du créateur, peut-être même nous offrir une second souffle.

Dans un entretien disponible sur la page Allociné de La Jeune fille sans mains, Sébastien Laudenbach explique que « l’animation peut-être terminée avec des dessins qui eux, sont tous, inachevés ». On se souviendra du traitement réservé au oiseaux à la quatrième minute du film Vibrato (2017) que Sébastien a réalisé pour l’Opéra National de Paris, dessinés selon leur plume et leur voltige et pas comme des animaux aux « portraits » bien définis. C’est sûrement ce qui fait un peu du charme de son style onirique, un « manque » dans l’image qui paraît se combler sans cesse dans son propre mouvement mais n’arrive jamais à sa forme définitive. Voilà une posture de créateur qui nous invite à attendre perpétuellement la suite pour mieux comprendre ce que nous sommes en train de voir.

Gary Delépine

Lire notre précédente interview de Sébastien Laudenbach (2010)

Les scénarios des 3 films projetés ce mercredi soir !

En prévision de notre rencontre professionnelle de ce mercredi 28/2 autour du scénario, nous vous proposons de découvrir les dossiers des 3 films programmés, en présence de leurs équipes :

« L’Ogre » de Laurène Braibant

– Le dossier de Et toujours nous marcherons de Jonathan Millet (Films Grand Huit, Offshore) consultable en ligne sur le site internet de la scénariothèque du CNC : scénario, note d’intention, repérages, note d’intention musicale, …

– Le dossier de La Convention de Genève de Benoît Martin (Année Zéro) : scénario + note d’intention

– Le dossier de L’Ogre de Laurène Braibant (Papy 3D Productions) : scénario, note d’intention, storyboard, recherches graphiques, …

Berlin 2018, le palmarès des courts

Le 68ème Festival de Berlin qui s’est achevé ce samedi soir a récompensé plusieurs courts, parmi les 22 films en compétition. Voici lesquels.

Ours d’or : The Men Behind the Wall de Ines Moldavsky, Israël

Ours d’argent : Imfura de Samuel Ishimwe, Suisse / Rwanda

Prix Audi : Solar Walk de Réka Bucsi, Danemark

Nomination pour les European Film Awards 2018 : Burkina Brandenburg Komplex de Ulu Braun, Allemagne

La Palme d’or du court métrage 2015, visible en ligne !

Depuis un mois, Waves’98 du réalisateur libanais Ely Dagher est visible en ligne. Ce court-métrage d’animation s’est vu décerner la Palme d’or en 2015 à Cannes, en France et le Bayard d’or du Meilleur Court métrage au Festival de Namur la même année.

Waves ’98 est autant un film narratif qu’un essai visuel  dédié à la ville natale du réalisateur, Beyrouth. Le film est une exploration artistique de la relation actuelle du réalisateur avec le Liban, son pays d’origine, racontée à travers l’histoire d’un adolescent en 1998.

Syn . : Désenchanté par sa vie dans la banlieue isolée de Beyrouth, les errances d’Omar l’amènent dans les profondeurs de la ville. Immergé dans un monde familier mais étrange à sa réalité, il se retrouve en lutte pour sauvegarder ses attaches.

3èmes Rencontres pros de Format Court, mercredi 28/2/2018. Focus scénario !

Bonne nouvelle : le 3ème rendez-vous professionnel de Format Court aura lieu le mercredi 28 février 2018 à 19h, au MyCowork Beaubourg (5 Rue du Cloître Saint-Merri, 75004 Paris).

Après s’être penché sur la production et les festivals, le thème choisi pour cette 3ème édition est celui du scénario. De l’idée à l’écran, comment les auteurs concrétisent-ils leurs projets ? Comment retravaillent-ils leurs différentes versions ? Officient-ils seuls ou avec un scénariste ? De quelle manière choisissent-ils leurs producteurs ? Comment ceux-ci interviennent-ils dans l’écriture de leurs films ?

Pour illustrer ce thème passionnant, nous projetterons dès 19h15 trois courts-métrages présélectionnés aux prochains Cesar, en présence de leurs équipes, avant d’échanger avec le public. Nous accueillerons pour l’occasion Jonathan Millet (réalisateur), Pauline Seigland (Films Grand Huit), Laurène Braibant (réalisatrice) et Benoît Martin (réalisateur).

Pour assister à cette nouvelle soirée, nous vous invitons vivement à réserver dès à présent votre place à l’adresse suivante : rencontresprosformatcourt@gmail.com.

Programmation (durée : 47 minutes)

Et toujours nous marcherons de Jonathan Millet. Fiction, 24′, 2017, France, Films Grand Huit, Offshore, Hélicotronc. Prix France Télévision Interprétation masculine au Festival de Clermont-Ferrand 2017. En présence du réalisateur et de la productrice Pauline Seigland (Films Grand Huit)

Ils sont ceux dont la marge est le territoire, ceux qui passent sans qu’on ne les voit. Ils n’ont pas de papiers et parlent mille dialectes. Simon débarque à Paris et suit leurs traces. Il plonge dans les tréfonds de la ville pour retrouver celui qu’il cherche.

L’Ogre de Laurène Braibant. Animation, 9′, 2016, France, Papy 3D Productions. Prix Canal + et Mention Spéciale du Jury au Festival d’ Annecy 2017. En présence de la réalisatrice

Un géant, complexé par sa taille, se retient de manger terrifié à l’idée de révéler son caractère ogresque et ainsi compromettre sa place dans la société. Lors d’un banquet d’affaire, sa vraie nature sera mise à l’épreuve.

La Convention de Genève de Benoît Martin. Fiction, 14′, 2016, Année Zéro. Prix du Jury de la Presse Internationale au My French Film Festival 2017. En présence du réalisateur

Alors qu’il s’apprête à prendre le bus après sa journée de lycée, Hakim se fait embrigader dans une histoire de règlement de comptes entre adolescents. 
La perspective d’une bagarre ne l’enchante guère, mais peut-il éviter l’affrontement ?

En pratique

Quand ? Mercredi 28 février 2018 à partir de 19h
Où ? MyCowork Beaubourg (5 Rue du Cloître Saint-Merri, 75004 Paris)
Comment ? Métros proches : Hôtel de Ville, Châtelet, Rambuteau
PAF : 7 € (gratuit pour les adhérents de Format Court)
Pot offert !
Réservations : rencontresprosformatcourt@gmail.com.
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Tornike Bziava. La mélancolie de l’histoire

Tornike Bziava est un cinéaste habitué des festivals. Si, dans certains cas, on pourrait mettre ce fait au compte d’un constat fâcheux, l’exemple du cinéaste géorgien peut en permettre une lecture bienveillante. Car de la fidélité, il en est question dans sa filmographie déjà riche : intérêt constant porté à sa culture d’origine, regard lucide envers l’histoire récente et trouble de son pays, inclination inflexible envers la liberté contre les diverses formes d’oppression subies par les populations civiles, et enfin inscription stylistique dans le puissant héritage cinématographique arméno-géorgien. Toutefois, le cinéaste évite l’écueil d’un cinéma militant ou moraliste, pour construire pierre après pierre l’une des œuvres les plus originales du cinéma est-européen, résolument poétique et politique. À l’occasion de la présentation de son dernier opus, Fishing, au Festival de Clermont-Ferrand, Format Court a rencontré ce cinéaste atypique et mélancolique.

© DR

Avant de réaliser Fishing (en compétition cette année à Clermont-Ferrand), vous avez été l’auteur de trois autres courts métrages très remarqués : April Chill (2010), Nest (2011) et Wake Man (2015). Ces trois œuvres semblent composer une trilogie consacrée à votre pays d’origine et à son histoire tragique : la Géorgie. Avez-vous ressenti une urgence à raconter cette histoire ? Dans quelle mesure vous sentez-vous un réalisateur géorgien ?

Tornike Bziava : Il me semble que la période dont je traite correspond au changement d’une mentalité à une autre. Sur le plan politique, la Géorgie a souvent été confrontée à une situation difficile. Je pense surtout à l’époque qui résulta des conflits des années 1990, à un moment où la mentalité du peuple s’est modifiée pour devenir de plus en plus agressive. On a opté pour des valeurs erronées. J’ai vécu difficilement cette évolution en constatant les attitudes émergentes et le manque de compréhension mutuelle. En ce temps-là, les jeunes générations ont commencé à comprendre ce qui se passait. On ne doit pas omettre non plus l’importance de la drogue pendant et après la guerre. Le système politique a imposé une régulation très dure, on appelait ça “la guerre des drogues”. Mais la corruption s’en est mêlée, comme dans la plupart des pays dans le monde. Personne n’a songé au sort de la population.

La trilogie que j’ai réalisée montre, en fait, trois décades distinctes; la fin des années 1980 avec April Chill, la fin des années 1990 avec Nest et les années 2000 avec Wake Man. De nombreuses tragédies ont eu lieu en Géorgie pendant toute cette période. Quelquefois, les films parviennent à être les garants adéquats de la conscience historique. C’est important d’analyser ce qui se passe ou ce qui s’est passé autour de toi. Dans mes films, je raconte des histoires personnelles, liées à mes sentiments profonds. Chacun agit en fonction de son identité. Je suppose que c’est à cause de l’attachement culturel. Les évolutions que je vois à l’œuvre dans mon pays et depuis l’étranger, tout ceci me touche. D’autant que je vis beaucoup hors de la Géorgie, principalement en Europe, et parfois aux États-Unis. Je peux donc activement réfléchir aux évolutions en cours. Cet éloignement est marqué aussi par le mode de financement de mes films, car tous mes films dépendent de co-production avec la France.

Lorsqu’on observe vos films, en particulier Wake Man, on constate votre intérêt pour les personnages d’un âge assez avancé. Pensez-vous que se focaliser sur des vieilles personnes est un bon moyen pour évoquer les événements historiques ? Ou est-ce une façon d’interroger un décalage entre les générations ?

T. B. : J’ai été élevé par quatre vieilles femmes : la mère de mon père, et trois tantes de ma mère, lesquelles habitaient avec nous et nous aidaient au quotidien. Je ressens un grand respect pour les personnes âgées. Le quotidien était passionnant ensemble. Elles avaient eu beaucoup d’expériences, et à la fin de leur existence, elles sont devenues aimantes et fragiles. Quelquefois les vieilles personnes, la plupart en fait, se sentent à charge. C’est le drame de nos vies et on doit prendre ça en considération. Wake Man parle de cela. Le film se termine par une séquence de danse, comme la plupart de mes autres films.

Grâce au traitement spécial que vous accordez à la danse et la focalisation faite sur les situations dramatiques, tel que l’enterrement dans Wake Man, on ressent à travers les images un processus de récupération et de transformation d’un héritage cinématographique. On y voit par exemple des traces du cinéma de Sergei Paradjanov et de celui de Tengiz Abouladze. On songe notamment à Le Repentir (1987). Était-ce un processus conscient pendant la réalisation des films ?

Du fait que notre culture soit très ancienne, les Géorgiens investissent depuis longtemps la danse de façon très émotionnelle. Pour moi, la danse est la seule condition pour qu’un être humain ressente une satisfaction, le partage d’une expérience de beauté à deux niveaux — corporel et spirituel. Et puis la danse crée une unité, un collectif.

Je pense aussi que l’expression filmique qui tend en permanence vers les histoires négatives ou déprimantes ne sont pas artistiquement appréciables, même si notre tâche est d’analyser la profondeur de l’être, ou de traiter du besoin de survie. L’humour est nécessaire dans la perception qu’on rend du monde. C’est la même chose dans la vie réelle. Je crois que le bon cinéma donne des signes de ce qui se passe, en parlant de nos sentiments, même s’il ne s’agit pas de la vie elle-même.

Vous mentionnez Paradjanov et Abouladze. Bien sûr, ces deux personnalités ont apporté de profonds changements dans notre culture. Ma mère entretenait un rapport amical avec Sergei Paradjanov et il m’a même offert l’un de ses tableaux lorsque j’étais enfant. Le sens cinématographique et le mode de récit de réalisateurs comme eux ont été cruciaux pour moi. Ils m’ont appris à voir la beauté. Mais ce sont aussi des personnes qui ont vécu des choses terribles dans leurs vies respectives, pendant l’époque de l’Union soviétique. Le Repentir d’Abouladze a été l’un des premiers films à montrer l’absurdité et la cruauté de l’ancien système. Quand l’inhumanité a investi nos terres. Otar Iosseliani aussi nous a conduit vers quatre décennies de moments magiques, d’une façon différente. J’ai été élevé dans une famille de chefs opérateurs. Mon grand père a participé aux débuts de l’industrie cinématographie en Géorgie. Ma mère a mis en scène au théâtre et au cinéma. Mon éducation théâtrale et cinématographique a commencé très tôt. J’ai apprécié côtoyer ces artistes talentueux.

En réalisant Fishing, il semblerait que votre cinéma amorce un tournant radical. Vous dépeignez une situation étonnante, hors d’une narration classique, dans laquelle un homme est arbitrairement arrêté par la police, alors que les liens avec des personnages environnants se construisent de façon désintéressée. Aussi votre démarche suit-elle une évolution, d’abord en termes de thématiques (de la mémoire au contemporain) et ensuite en termes de mise en scène (du noir et blanc à la couleur). Quel est le sens de ce revirement ?

En effet, la réalisation de Fishing engage vers une nouvelle façon d’observer. Je voulais changer profondément mon angle de perception. Cela est rattaché à une volonté plus ancienne, celle de faire avancer l’action non pas par le montage, mais de l’intérieur d’une séquence. C’est ce qui explique l’emploi du plan-séquence. Ainsi, j’ai tenté de donner aux spectateurs un sentiment de naturalisme, montrant comment de beaux moments du quotidien pouvait être détruits par des raisons totalement extérieures, liées à la corruption. Je voulais aussi insister sur les relations entre les personnages et la compréhension. Les règles qui rompent ces relations et cette compréhension devraient disparaître.

L’action du film se déroule autour de l’année 2010, au début de cette décennie. Ceci dit, les choses n’ont pas vraiment évolué depuis. Je pense qu’il faut parler des premières années de notre vie pour mieux saisir ce qui se passe ensuite.

L’un des aspects les plus intrigants de votre cinéma est l’usage que vous faites du son. En dehors de la présence des chants traditionnels, les personnages que vous montrez sont souvent surpris par l’apparition d’un son en hors-champ. Quel sens donnez-vous à ce son lointain ?

Si l’on parle du plan sonore, je dirais qu’il recouvre les détails les plus significatifs aidant à construire et à ressentir une ambiance, au cinéma comme dans la vie réelle. Imaginons un son puissant qui entrerait dans une ville… L’imaginaire part de là. D’un autre côté, l’emploi de tel ou tel instrument pour la bande-sonore donne généralement une indication quant au goût d’une personne. Cette inclinaison importe beaucoup. Aucun artiste ne peut créer sans cette sensibilité envers le son.

Propos recueillis par Mathieu Lericq

Article associé : notre précédent interview de Tornike Bziava

Le film de la semaine : Engram de Toshio Matsumoto

Expérimental, 12′, 1987, Japon, prod. : Toshio Matsumoto 

Synopsis : Des photographies à l’intérieur des photographies, des images à l’intérieurs d’images, des images en mouvement dans des photographies, des photographies dans des images en mouvement.

Toshio Matsumoto est l’un des pionniers du film expérimental japonais. Ce réalisateur relativement méconnu et décédé en 2017, considéré comme l’un des précurseurs dans la forme de ses expérimentations qualifié de “néo-documentaire” se doit aujourd’hui d’être (re)découvert. Tant par son influence dans le milieu artistique avant-gardiste japonais de l’après-guerre que par son approche pluridisciplinaire dans le cinéma expérimental. Un regard qui marqua bon nombre d’artistes du siècle dernier – et surement encore aujourd’hui – et qui ouvrit la voie à ce genre artistique de l’ébrèchement des conventions cinématographiques.

Dans Engram, nous en avons un bon exemple, les lignes, les courbes et les formes se confondent et se mélangent et l’on se perd dans des images qui se déforment. Ici et là, nous nous enfouissons dans un rythme qui nous perturbe autant qu’il nous attire. Toshio Matsumoto réalise dans ce film purement et simplement une mise en abyme. Celle de l’Image, avec un grand I. Une mise en abyme, par la photographie, par le mouvement. Les deux médiums s’assemblent et se meuvent ensemble, nous ne savons plus quelle image se retrouve dans quelle image comme un miroir infini. Une déconstruction lente et maitrisé du langage cinématographique. Un maniement parfait du son et de la musique (signée Takashi Inagaki) apporte aux images une réflexion parfaite sur nos rapports au mouvement et la photographie.

Clément Beraud

« Jusqu’à la garde », le premier long-métrage de Xavier Legrand

Depuis le 7 février 2018, Jusqu’à la garde, le premier long-métrage de Xavier Legrand, avec Léa Drucker et Denis Ménochet, est sorti dans les salles françaises. Le film primé à Venise (mise en scène & meilleur premier film) et à Angers (Prix du Public) poursuit son beau parcours au cinéma. Jusqu’ici, nous n’avions pas eu l’occasion de vous parler de ce film traitant de la violence conjugale et de la peur latente, à la tension plus que palpable, au scénario et au jeu d’acteurs percutants. Si vous n’avez pas eu l’occasion de voir le film, il n’est pas trop tard : le film se maintient bien sur les écrans après deux semaines d’exploitation.

Précédemment, grâce à sa rencontre avec Alexandre Gavras et sa boîte de production KG Productions, Xavier Legrand – comédien à la base – a eu l’opportunité d’effectuer ses premiers pas derrière la caméra avec Avant que de tout perdre, son premier court-métrage professionnel. Le film avait raflé pas moins de 4 Prix au Festival de Clermont-Ferrand (Grand Prix National, Prix du Public, Prix de la Jeunesse, Prix de la Presse Télérama). Il avait également obtenu le Cesar du Meilleur Court-Métrage en 2014 et faisait partie des 5 derniers courts en lice pour l’Oscar la même année.

Avant que de tout perdre, thriller efficace, traitait déjà du couple, de la peur et des non-dits. Léa Drucker, Denis Ménochet et Mathilde Auneveux faisaient déjà partie du casting initial. On les retrouve, en compagnie de la révélation Thomas Gloria, avec plaisir – teinté d’un certain effroi – à l’affiche du premier long-métrage de Xavier Legrand, toujours produit par KG Productions et distribué par les bien nommés Haut et Court.

À Format Court, nous avions repéré très tôt Xavier Legrand et diffusé Avant que de tout perdre, en présence de l’équipe, lors d’une reprise du palmarès du festival en plein air de Grenoble en octobre 2013, dans le cadre de nos anciennes projections mensuelles au Studio des Ursulines (Paris).

Nous vous proposons à l’occasion de la présence toujours affirmée de Jusqu’à la garde en salles de (re)lire nos deux articles associés aux premiers pas du réalisateur, en attendant qu’Avant que de tout perdre figure bientôt en bonus sur le DVD de Jusqu’à la garde.

– L’interview de Xavier Legrand

– La critique du film

 

Short Screens #79: « Les Mots de ma mère »

En février, Short Screens vous propose une expérience formelle inédite mêlant deux disciplines artistiques complémentaires, la radio et le cinéma. Au programme, des œuvres qui expriment avec pudeur et sensibilité la relation mère-fille confrontée aux affres du temps qui passe.

Rendez-vous le jeudi 22 février à 19h30, au cinéma Aventure, Galerie du Centre, Rue des Fripiers 57, 1000 Bruxelles – PAF 6€

Visitez la page Facebook de l’événement ici !

Programmation

Katatsumori de Naomi Kawase, documentaire, Japon, 1994, 40’ (Naomi Kawase)

Deux ans après Dans ses bras, Naomi Kawase filme sa grand-mère, qui l’a élévée depuis l’enfance, dans ses gestes quotidiens et sans cesse répétés, en particulier les soins dont elle entoure les plantes du jardin. De la même manière, la cinéaste filme quotidiennement et inscrit son geste cinématographique au cœur de la relation qu’elle entretient avec son aïeule.

Article associé : l’interview de Naomi Kawase

Dotty de Brett O’Gorman et Mick Andrews, fiction, Nouvelle-Zélande, 2012, 11’ (József Fityus)

Dotty, une vieille dame un brin têtue, sollicite l’aide de Carol car elle souhaite envoyer un message à sa fille via son téléphone.

Les mots de ma mère d’Aurelia Balboni, documentaire radiophonique, Belgique, 2015, 52’ (acsr et Cinétroupe asbl, Fédération Wallonie-Bruxelles et Côté des Ondes)

Aujourd’hui, ma mère a tenté de payer le buraliste du village avec des billets de Monopoly, elle pensait qu’il ne ferait pas la différence. Elle est atteinte d’une maladie neurodégénérative appelée Démence Sémantique : une pomme, une chaise, une fleur sont des mots qu’elle ne connaît plus. Ma mère n’aura jamais conscience de sa maladie. Elle trouve qu’elle va très bien.

Clermont-Ferrand 2018, le palmarès

Le palmarès du 40ème Festival du court-métrage de Clermont-Ferrand a été dévoilé hier soir lors de la cérémonie de clôture. Voici les films récompensés, avec en prime 5 films visibles en ligne.

Palmarès national

Grand Prix : Vilaine fille de Ayce Kartal (France / Turquie)

Prix spécial du jury : Vihta de François Bierry (France / Belgique)

Prix du public : Les Indes galantes de Clément Cogitore

Prix Egalité et diversité : The Barber shop de Gustavo Almenara et Emilien Cancet

Meilleure musique originale : Eric Bentz pour Braguino de Clément Cogitore

Prix Canal+ : Little Jaffna de Lawrence Valin

Prix Adami d’interprétation féminine : Sigrid Bouaziz pour La nuit je mens de Aurélie Morali et Les vies de Lenny Wilson de Aurélien Vernhes-Lermusiaux

Prix Adami d’interprétation masculine : Florent Gouëlou pour Un homme mon fils de Florent Gouëlou

Meilleure première œuvre de fiction : Pourquoi j’ai écrit la Bible de Alexandre Steiger

Prix étudiant : Gros chagrin de Céline Devaux

Prix de la presse Télérama : Les vies de Lenny Wilson de Aurélien Vernhes-Lermusiaux

Palmarès international

Grand Prix : Tremblements de Dawid Bodzak (Pologne)

Prix spécial du jury, Prix Canal + : Les ombres de Jerry Carlsson (Suède)

Prix du public : Bonobo de Zoel Aeschbacher (Suisse)

Meilleur film d’animation francophone : Le marcheur de Frédéric Hainaut (Belgique)

Meilleur film d’animation : Le fardeau de Niki Lindroth von Bahr (Suède)

Prix étudiant : Ligne noire de Mark Olexa et Francesca Scalisi (Suisse)

Prix du rire Fernand Raynaud : Etat d’alerte sa mère de Sébastien Petretti (Belgique)

Palmarès Labo

Grand Prix : Retour de Pang-Chuan Huang (France)

Labo 2018 – « Retour » from ClermontFd Short Film Festival on Vimeo.

Prix spécial du jury : Everything de David O’Reilly (US / Irlande)

Prix du public : Black America again de Bradford Young (US)

Prix Canal + : Réincarnation de Jenn Nkiru (UK)

Prix des effets visuels : Rediffusions de Rosto (France / Belgique / Pays-Bas)

Prix Festivals Connexion Auvergne Rhône Alpes : Ondes noires de Ismaël Joffroy Chandoutis (France)

Meilleur film documentaire : Poussière de Jakub Radej (Pologne)

Mentions et autres prix

Nomination European Film Awards : Honte de Petar Krumov (Bulgarie)

Prix Orange des brèves digitales : Un film sur les éboueurs de Pierre Surel (France)

Mentions spéciales du jury international : Hasta siempre, comandante de Faisal Attrache (Cuba / Espagne), La victoire de la charité de Albert Meisl (Autriche) et Dependent de Phil Sheerin (UK)

Mentions spéciales du jury Labo : Problème de scarabées de Gabriel Böhmer (UK), Snap de Felipe Elgueta et Ananké Pereira (Chili) et Indomptables de Amanda Nell Eu (Malaisie)

Mentions spéciales du jury national : Encore trois ans de Pedro Collantes (France / Espagne) et Master of the classe de Carine May et Hakim Zouhani

Mention spéciale du jury SACD : Junk love de Jonathan Rochart

Mention spéciale du jury presse national : Les Indes galantes de Clément Cogitore

Prix PROCIREP du producteur de courts métrages : Caïman Productions

Bourses des festivals Auvergne Rhône Alpes : La sphinx de Tito Gonzalez Garcooa – Tamara Films

Coup de cœur Canal+ Family : Oscillation de Yookyung Cha (Corée du Sud)

Mention spéciale du jury Canal+ Family : La mort, père et fils de Vincent Paronnaud et Denis Walgenwitz (France)

Clermont, jour 7. Tous @ l’eau !

Ce vendredi soir, a eu lieu le programme « Ciné-Piscine » au Stade nautique Pierre-de-Coubertin de Clermont-Ferrand. Cette piscine olympique, qu’on a enfin testé après de nombreuses participations au festival, a accueilli en effet 2 projections intra muros. Voici notre sélection de 7 films projetés ce soir, pour certains déjà chroniqués sur Format Court.

Luminaris de Juan Pablo Zaramella / Animation / 2011 / 6’

Dans un monde entièrement rythmé par la lumière, un homme ordinaire nourrit un projet qui pourrait bien tout changer.

Article associé : la critique du film

Western Spaghetti de PES / États-Unis / 2008 / Animation / 1′

Une nouvelle manière de préparer les pâtes…

Article associé : la critique du film

Our Wonderful Nature – The Common Chameleon (Merveilles de la nature – Le caméléon) de Tomer Eshed / Allemagne / 2016 / Animation / 4′

Un regard inédit sur les habitudes alimentaires du caméléon.

Solipsist de Andrew Thomas Huang / États-Unis / 2012 / Expérimental / 10′

Ils pensaient être les seuls êtres réels dans ce monde étrange…

Article associé : la critique du film

Hopptornet de Axel Danielson et Maximilien Van Aertryck / Suède / 2016 / Documentaire, expérimental / 19′

Des gens, seuls ou à deux, grimpent en haut d’un plongeoir de dix mètres, dans le but de sauter ou non, affrontant leur peur du vide.

Article associé : la critique du film

Energie! de Thorsten Fleisch / Allemagne / 2007 / Expérimental / 5’10 »

Une feuille de papier photographique est exposée à une très haute décharge électrique d’à peu près 30.000 volts, puis fait l’objet de manipulations qui font apparaître la représentation de nouveaux systèmes visuels d’organisation des électrons.

Braguino de Clément Cogitore

Oraison et menaces

Braguino, de Clément Cogitore, sélectionné au festival de Clermont-Ferrand, s’ouvre sur le récit de plusieurs rêves. Un homme, qu’on découvrira plus tard comme étant le père de la famille Braguine, Sacha, raconte un départ, l’abandon d’un lieu. Quelques plans elliptiques, filmés en VHS, montrent des êtres au milieu de paysages naturels. Leurs silhouettes sont comme paralysées par cette voix nostalgique qui place les images dans un temps révolu, définitivement passé. Ce n’était qu’un rêve mais qui ignore encore que les rêves contiennent nos angoisses les plus immédiates?

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C’est à partir de cette inquiétude première que le récit se déploie vers la découverte de ce lieu unique, au beau milieu de la taïga sibérienne, qui pourrait presque constituer une destination touristique attrayante malgré les millions de moucherons et la complexité du voyage y parvenir. La famille Braguine expérimente ici une autarcie communautaire fondée sur le respect de la nature, loin des excès de la civilisation que Sacha a décidé de quitter. Depuis tous les enfants sont nés là-bas. Ne chassant que ce dont ils ont besoin, produisant les ressources nécessaires à leur subsistance, ils ne manquent de rien.

Le tableau utopique pourrait s’arrêter là. Mais quelque chose se dérobe. C’est ce qui vient à l’esprit du spectateur à mesure que le montage s’aiguise. Des images noires viennent régulièrement s’intercaler entre deux plans du film, le son et l’image, souvent, se dissocient : Braguino devient petit à petit une expérience de bifurcations, d’intervalles, de mystères. Le flou converge quand même vers une menace réelle : les Kiline.

À quelques mètres de là vit en effet une autre famille qui entretient un conflit ouvert avec les Braguine pour une ancienne histoire de partage de terres. Une barrière coupe le lieu en deux, et il est formellement interdit qu’un membre d’une famille passe de l’autre côté. Ainsi, l’unité organique des Braguine côtoie l’altérité radicale des Kiline qui ne sont jamais approchés ni par les Braguine ni par la caméra. Pourtant, ils hantent littéralement les images : relevant presque du fantastique, leur présence est lointaine, énigmatique, comme s’ils venaient d’un autre monde.

Cette famille voisine est d’autant plus gênante qu’elle est liée à des braconniers qui ont acheté le territoire de chasse des Braguine selon des modalités vraisemblablement proche de la corruption. Les envahisseurs chassent le plus de gibier possible dans une logique de profit, puis repartent. Là, réside la rupture majeure avec le mode de vie des Braguine : ils considèrent la forêt comme un lieu de passage où ils peuvent tout anéantir.

L’imprécision des ombres qui se fondent dans la nuit, les aboiements d’un chien entre les arbres, tout devient suspect, étouffant, souterrain. Et la menace, qui semble toujours planer au-dessus des arbres ou sourdre des matières, est toujours implacablement liée à la présence des Kiline, si proches et si insaisissables. Ainsi les formes n’ont de cesse de glisser, tout au long du film, vers un envers nocturne, inhumain.

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Parvenu à ce point de renversement, il paraît essentiel de voir ce qui dépasse ce pessimisme, outre le glaçant, outre le noir. Sans repère, il ne reste plus qu’à reconstruire le lien, entre les lignes, entre les plans, dans les intervalles.

Le regard de Sacha constitue la première barrière au dérèglement cauchemardesque. C’est aux premiers abords un regard apaisé, rassurant. Arpentant sereinement la taïga ou ses fleuves, il chasse, dépèce, chante aux oiseaux, et ne se lasse jamais de contempler les clartés forestières. Pour lui, la taïga est un être vivant à part entière, d’une beauté rare qu’il faut préserver contre la brutalité capitaliste. Ce qui fait que ce paisible village se transforme rapidement en zone de guerre où se met en place un réseau d’écoute électronique pour espionner les conversations des uns et des autres.

C’est là qu’entre en jeu la seconde modalité de son regard: la lucidité. Face à la situation insoutenable que devient la leur, Sacha est conscient des possibilités concrètes de résistance. Le film nous rappelle au passage qu’il n’y a pas, dans un contexte mondial de contrôle territorial et de marchandisation de tous les rapports au monde, d’échappatoire utopique sans lutte collective.

L’image joue également un rôle primordial. Car dans un territoire en lutte, il n’y a pas de position neutre pour le réalisateur. On est dans un camp où dans l’autre, sans effacement possible. Être avec les Braguine signifie ici être contre les Kiline et les braconniers corrompus. Mais davantage que la simple présence, c’est l’image qui vient témoigner, bousculer les processus de domination. Comme au moment de la discussion houleuse entre un jeune adulte des Braguine et les braconniers, où l’un d’eux ordonne de couper la caméra. D’ailleurs après avoir obéi, le réalisateur choisit de continuer à capter le dialogue grâce au son. Il s’agit donc de révéler ce que les puissants cherchent à masquer.

Cependant, la caméra n’est pas systématiquement dans cette position offensive. Car le réalisateur met en scène dans un même mouvement le conflit politique réel qui occupe ce territoire et l’indétermination essentielle des visions humaines, peuplées de rêves et de jeux spontanés où les garçons imitent des ours entre les branches et où les filles s’éprennent des canards qu’elles sont en train de déplumer. L’engagement politique ne se substitue jamais vraiment à l’exploration d’un monde. Car au delà de toute formalisation du conflit, il y a des êtres, des relations et des pratiques, tout ce qui constitue un rapport au monde singulier : c’est bien à partir de la richesse de ces vies que la position politique s’intègre naturellement au récit.

Braguino est le récit d’une éclipse où la lumière d’une famille est lentement gagnée par le voile obscur de menace qui s’étend du côté des Kiline puis dans la forêt investie par les braconniers. «Bientôt, ce sera la guerre» affirme Sacha vers la fin du film. Mais n’oublions pas que cet éclat lucide nous ramène peu après dans la nuit, où des conversations ennemies sont captées par les appareils d’écoute des Braguine, où une résistance nerveuse s’organise. Car à armes inégales, c’est l’inquiétude qui hante toujours la nuit, qui ronge encore les rêves.

Thibaud Fabre

Consulter la fiche technique du film

Article associé : l’interview de Clément Cogitore

B comme Braguino

Fiche technique

Synopsis : Les familles Braguine et Kiline vivent au milieu de la taïga sibérienne à sept-cents km du moindre village. Aucune route ne mène chez eux. Seul un long voyage en bateau sur le fleuve Lenisseï, puis en hélicoptère, permet de les rejoindre. Tout autour d’eux, la taïga à perte de vue et, au milieu du village, une barrière les sépare. Vivant en autarcie au bout du monde, les deux familles se sont brouillées et refusent de se parler.

Genre : Documentaire

Durée : 49′

Pays : France

Année : 2017

Réalisation : Clément Cogitore

Scénario : Clément Cogitore

Image : Sylvain Verdet

Montage : Pauline Gaillard

Musique : Éric Bentz

Son : Julien Ngo-Trong

Production : Seppia

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