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Caroline Champetier : « Jʼaimerais être musicale visuellement »

Créditée au générique de C’est pas moi, le court-métrage patchwork de Leos Carax, présenté à Cannes et en salles le 12 juin prochain, la directrice de la photographie Caroline Champetier revient sur certaines de ses collaborations, avec Leos Carax évidemment mais aussi avec Chantal Akerman avec qui elle a travaillé notamment sur Toute une nuit. À l’occasion de cet échange, elle aborde également le lien à l’acteur, sa pulsion scopique et l’importance de l’ambiance dans les scénarios.

Caroline Champetier sur le tournage de Holy Motors de Leos Carax © Benoit Bouthers

Format Court : Le film de Leos Carax contient beaucoup d’images, y compris des images d’archives, de films, des images personnelles et télévisées. Comment se positionne-t-on en tant que chef opérateur sur un projet comme celui-ci ?

Caroline Champetier : Ce n’est pas moi qui me positionne, c’est lui. C’est lui qui me demande de l’accompagner sur ce film sur lequel nous avons tourné en deux sessions ; nous avons tourné une semaine les séquences piscine, chambres d’enfants, Buttes-Chaumont, etc ; puis, nous avons tourné une journée la course de Baby Annette. Je suis allée toute seule faire des pelures. C’est un film qu’on a fabriqué en plusieurs périodes et qui nous a demandé énormément de constance, beaucoup plus qu’il ne faudrait pour un film de 40 minutes. Effectivement, il y a des images de tous ordres. Ces images, nous les validions ensemble. Leos les choisissait, sur le net la plupart du temps, sauf quand ce sont des références à ses films, par exemple Merde sur lequel j’ai travaillé. J’ai restauré les précédents films de Leos Carax, durant les deux ans qui précèdent. Je connaissais donc bien ces images. Notre travail a suivi une sorte de désordre d’arrivées des images et de mise en ordre par Leos lui-même, par la suite.

Le projet de base correspond à une commande, à un projet qui nʼaboutit pas. Et malgré tout, on en fait un film.

C. C : Il y aurait de toute façon eu un film même si lʼexposition avait eu lieu. Quand un cinéaste expose à Beaubourg, et une rétrospective intégrale, cette question “Où en êtes-vous ?ˮ lui est posée et il doit y répondre dans un format de moins dʼune heure et de plus de 10 minutes.

Vous aviez déjà travaillé avec Leos Carax. Est-ce que vous avez perçu le format du court-métrage comme un format différent en termes de collaboration ? Est-ce que vous avez travaillé de manière différente ?

C. C : Les conditions de production étaient vraiment chaotiques. Il se trouve que cette proposition d’exposition à Beaubourg a fait suite au travail sur Annette qui a été dʼune intensité très particulière. Nous étions tous encore très liés par ce travail et avec une certaine inquiétude pour nous-mêmes et pour Leos de ce qui allait se passer après. Le rêve de l’exposition a été une façon de rester ensemble et Leos a tout de suite rebondi sur la proposition de ce petit film. Très vite, il a fait un premier film qui nous a tous étonnés par sa vivacité. Il avait déjà toutes les qualités du film actuel. Leos a monté lui-même en composant une partition avec des rythmes, des apparitions, des disparitions, des zooms .. Mon intervention vient sur la matière de toutes ces différentes images.

Vous intervenez dans différentes écoles, la CinéFabrique, la Fémis… Quels conseils donnez-vous aux étudiants ?

C. C : Jʼavais une sorte de module à la CinéFabrique que jʼappelle “Cherchez le gris neutreˮ, une façon de parler de lʼexposition. Cʼest quoi bien poser une image, quʼelle soit surexposée ou sous-exposée ? Quels sont les choix quʼon se donne quand on pose une image ? Comment saisir la lumière, l’évaluer, la modeler ? Je nʼai pas de conseils généraux à donner sinon apprendre à regarder, voir des films et se poser des questions. Ce qui me frappe, cʼest la puissance de lʼindustrie et comment elle conduit les formes cinématographiques actuelles. Par exemple, cette façon de déplacer la caméra : pourquoi est-ce quʼune caméra doit être constamment en mouvement ? Jʼinterroge plutôt ces automatismes-là en demandant aux étudiants de réfléchir avant de filmer. Aujourdʼhui, les outils nous permettent une telle automaticité des images que la réflexion est reléguée assez souvent à lʼarrière du geste.

Vous parlez dʼapprendre à regarder. Comment vous, vous avez appris ?

C. C : Jʼai fait de la politique dans les années 70 puis je suis rentrée à lʼIDHEC et jʼai choisi la caméra parce que cʼétait là où les femmes nʼétaient pas. Mais avec une lecture plus analytique, mon père était architecte et le rapport à lʼespace et à la lumière était constant. Je lʼai intuitivement, totalement, intégré. Je pense avoir une pulsion scopique assez forte. Jʼaimerais être aussi musicienne que je suis visuelle. Cʼest un regret. Jʼessaye dʼêtre musicale visuellement.

Les premiers court-métrages sur lesquels vous avez travaillé sont ceux de Jacques Rivette et de Jean Eustache. Quels souvenirs gardez-vous de ces collaborations ?

C. C : Sur Les photos dʼAlix (Jean Eustache, 1980), jʼétais assistante du directeur photo, Robert Alazraki, ce nʼétait pas forcément un travail de lumière mais plutôt de cadre, presque documentaire sur une artiste, Alix Cléo Roubaud. Mes premiers apprentissages se sont faits avec Chantal Akerman sur Toute une nuit et les courts-métrages avant. Puis très vite, avec Jean-Luc Godard, pendant deux ans, de 1985 à 1987. Cʼétait incroyablement intuitif et passionnant de travailler avec Chantal Akerman et je nʼai pas eu de recul au moment où je travaillais avec elle. Cʼest aujourdʼhui que je comprends à quel point Toute une nuit est étonnant, parce quʼil traverse le temps. Quand on le montre à des jeunes générations, il continue de provoquer des envies de cinéma. Moi-même, dans le travail que jʼai fait sur le film, je suis étonnée par lʼélan cinématographique, une façon de se saisir de la lumière qui est gonflée dans laquelle elle mʼa amenée, à la fois par les contraintes financières que nous avions, le fait que cʼétait un film entièrement nocturne, et le fait quʼil fallait éclairer parce que cʼétait une pellicule de 100 ASA, donc choisir les zones qui pouvaient être en lumière et celles qui ne lʼétaient pas.

Vous avez lʼimpression dʼavoir revécu ça avec dʼautres films, à travers vos propres courts-métrages ?

C.C : Jʼai lʼimpression quʼà chaque film qui me propose quelque chose, je le revis, mais avec plus de conscience. Quand je prépare Annette, jʼai plus de conscience de la difficulté énorme de chaque séquence. Avec Chantal, je me suis jetée dans cette histoire sans conscience et ça a produit quelque chose pour moi, pour elle. Le film a une sorte dʼénergie très particulière, et dans son œuvre aussi. Il regroupe tellement de ses centres dʼintérêt, il est à mi-chemin entre le film dʼinstallation, le film de danse, le film musical. Il y a quelque chose de très complet qui mʼétonne encore et qui étonne encore de façon générale.

Quand vous recevez des scénarios, est-ce que vous avez des images à la lecture, des idées de focale, de plans ?

C. C : Ce nʼest jamais aussi précis mais des références visuelles surgissent, picturales, photographiques ou cinématographiques. Dans un scénario, il y a un mot dont on parle peu et qui est essentiel alors quʼon croit quʼil ne lʼest pas, cʼest lʼambiance. Un scénario doit vous provoquer une ambiance visuelle et cette ambiance-là peut se décliner de beaucoup de façons. Sur le film de Carax, le travail sur le scénario fonctionne ainsi : un premier scénario est enrichi de beaucoup de références, multiples, que Leos filtre mais qui sont données par lʼéquipe. On finit la préparation avec un scénario qui a triplé, quadruplé, quʼon appelle le script tech. Cʼest un scénario nourri de toutes les références et des propositions qui vont faire la séquence, le découpage de Leos, les mouvements.

Il y a une intimité à trouver quand on filme des comédiens. Comment percevez-vous ce lien, ce rapport à lʼautre ?

C. C : Comme quelque chose de non-dit. Le comédien nʼest pas notre outil – si tant est que le comédien soit un outil ! – mais celui du metteur en scène. Pour nous, cʼest filtré par les désirs de mise en scène et en même temps, cʼest essentiel. Venant de cette école où je fais à la fois le cadre et la lumière, je suis derrière la caméra et le rapport à lʼacteur est évidemment intense. Cʼest vrai que je me sens plus dirigée par le metteur en scène mais lʼacteur peut avoir une forme de direction. Tout ça est silencieux. On ne peut pas interférer dans le rapport avec lʼacteur. On est très respectueux, il a besoin dʼune concentration énorme et surtout, son rapport premier se construit avec le metteur en scène. Par contre il sait quʼil est regardé, et sachant quʼil l’est, le rapport quʼil a avec nous est très particulier. Mais cʼest ça qui est intéressant au cinéma, cʼest toujours des triangles. Une proposition artistique, lʼargent et la logistique ; lʼacteur, le metteur en scène, le directeur photo. Les choses ne sont jamais binaires au cinéma. Ce nʼest pas une place que le directeur photo prend mais qui est donné par le metteur en scène et lʼacteur lui-même.

Quand je reçois un scénario, outre le fait que rêver, imaginer des ambiances visuelles, c’est évident que si je sais que nous allons va filmer tel ou telle acteur ou actrice, ça peut entraîner la décision de faire le film.

Vous travaillez avec de jeunes réalisateurs, comme Fyzal Boulifa. Vous vous intéressez à la relève ?

C. C : Cʼest lui qui mʼa contacté, il mʼa fait lire un scénario que jʼai trouvé éblouissant, Les Damnées ne pleurent pas. Il y avait quelque chose qui mʼa enthousiasmé. Toutes ses références pouvaient être les miennes, je les comprenais. Je me sentais vraiment en famille, dans une tradition de cinéma qui était la mienne : Fassbinder, Douglas Sirk.

Vous avez encore lʼenvie ou le temps de faire des courts ?

C. C : Je suis ouverte à tout. Si on me contacte, si on mʼenvoie quelque chose… Ca dépend du scénario et du rapport que jʼarrive à établir avec la personne. Si cʼest un jeune cinéaste ou une cinéaste confirmé(e), ce nʼest pas la même chose concernant le court-métrage. Mais pour moi, un film est un film, quʼil soit court, long, très long. Dans un cas, il y a une notion dʼapprentissage, pour sʼemparer du geste de cinéma ; dans lʼautre, il y a le désir dʼaller rapidement quelque part. La rapidité nʼest pas forcément un rapport de temps mais plutôt une forme de vivacité. Cʼest ça que jʼaime dans le geste de Leos Carax pour C’est pas moi.

Propos recueillis par Katia Bayer
Retranscription : Agathe Arnaud

Article associé : l’interview du comédien Denis Lavant

L’Homme qui ne se taisait pas de Nebojša Slijepčević

“Un homme est la somme de ses actes, de ce qu’il fait, de ce qu’il peut faire. Rien d’autre” écrivait André Malraux dans La Condition humaine. Rester ou partir, se battre ou fuir, parler ou se taire, sont autant de choix décisifs qui rendent l’homme moderne tributaire de son destin. Dans le court-métrage de Nebojša Slijepčević, L’Homme qui ne se taisait pas, un train de 500 passagers est stoppé par des forces paramilitaires. Face à l’arrestation de civils innocents, un seul homme se lève et s’y oppose. Nous sommes en février 1993, à Štrpci, où la guerre fait rage en Bosnie-Herzégovine.

Palme d’Or du court-métrage de la 77e édition du Festival de Cannes, L’homme qui ne se taisait pas fait preuve d’une remarquable qualité d’écriture en mettant en scène dans l’espace clos les décisions des personnages lors de l’arrivée du soldat, joué par l’inattendu Alexis Manenti, qui s’apprête à arrêter un des passagers sans papiers. D’abord par les sons lourds et mécaniques des rails d’un train s’arrêtant subitement, l’incompréhension et l’angoisse s’immiscent lentement à travers les travellings lents suivant le regard observateur du protagoniste, tentant de discerner la situation par la vitre sale de la fenêtre du train.

La situation bascule rapidement lorsque le clandestin (Silvio Mumelas) ferme les rideaux pour échapper aux contrôles des forces paramilitaires. La lumière naturelle timidement filtrée et la composition des plans rapprochés se couplent rapidement avec une perception auditive partielle des passagers et des spectateurs, des discussions en hors champ, renforçant l’atmosphère anxiogène de la situation.

Si le protagoniste (Goran Bogdan) dit avec aplomb qu’il ne laissera pas les militaires leur faire quoi que ce soit, c’est dans un silence écrasant que ce dernier s’enfonce par la suite, dans un enchaînement de dialogues et d’actions qui révèlent le brio du court-métrage. En effet, bien que la même vulnérabilité lie toutes ces personnes au même moment, l’espace diégétique de la cabine agit comme un microcosme où trois personnages vont poser, par leurs décisions, des questions existentielles au spectateur. Face à l’arrestation du clandestin, il y a celle qui choisit de ne pas s’opposer en allumant son walkman, celui qui pensait s’opposer et dont le spectateur a le point de vue, et enfin, celui qui va résister en faisant front au soldat.

Le titre original, The Man Who Could Not Remain Silent affirme par sa formulation, à la manière d’un impératif catégorique kantien, l’impossibilité de rester silencieux pour ce second protagoniste, un militaire à la retraite, qui a parlé, et surtout, qui a agi. En choisissant le point de vue de l’autre protagoniste dont les paroles ont contredit les actes (puisqu’il ne se lèvera pas pour protester), Nebojša Slijepcevic opère un retournement narratif brillant.

Au-delà de nous poser la traditionnelle question “que pensons nous faire dans cette situation” le court-métrage nous questionne avec brutalité : de quoi serions-nous réellement capables si l’on devait répondre de nos actes, et non de nos paroles ? À quel prix matériel se paient des valeurs que l’on pensait absolues ? La réflexion existentialiste sartrienne se dissimule insidieusement dans les mouvements lents et précis de la caméra modulant l’espace exigu de la cabine, et dans les réponses assourdissantes aux mêmes questions intrusives posées aux passagers, dont tous en paieront le prix. Avec minutie et froideur, le bruit des rails sonnera comme le glas final résonnant dans l’esprit du protagoniste, qui va devoir vivre avec le poids écrasant de sa passivité pour le restant de ses jours. Un court-métrage glaçant qui fera date non pas seulement par sa Palme d’Or, mais par son intelligence universelle et essentielle.

Mona Affholder

Consulter la fiche technique du film

H comme L’Homme qui ne se taisait pas

Fiche technique

Synopsis : Février 1993, Štrpci, Bosnie-Herzégovine. Un train de passagers est arrêté par les forces paramilitaires. Alors qu’ils arrêtent des civils innocents, un seul homme sur les 500 passagers s’y oppose. Voici l’histoire vraie d’un homme qui ne pouvait pas rester silencieux.

Genre : Fiction

Durée : 13’42 »

Pays : Croatie, France, Bulgarie, Slovénie

Année : 2024

Réalisation : Nebojša Slijepčević

Scénario : Nebojša Slijepčević

Image : Gregor Božič

Montage : Tomislav Stojanović

Son : Ivan Andreev

Interprétation : Goran Bogdan, Alexis Manenti, Laka Nekic

Production : Les Films Norfolk, Antitalent, Contrast Films, Studio Virc

Article associé : la critique du film

Eliane Umuhire : « Grâce au théâtre, j’ai pu construire mon identité en tant qu’humain et artiste »

Membre du Jury de la Semaine de la Critique 2024, Eliane Umuhire est comédienne. Vue dans Augure de Baloji, Prix de la nouvelle voix à Cannes l’an passé, elle revient sur son parcours, l’importance du théâtre alors qu’elle étudiait la comptabilité dans les années 2000. Dans ce long et passionnant entretien, il sera question du génocide qui a sévi dans son pays d’origine, le Rwanda, mais aussi de mots, de repères, de rôles forts, de travail et de création.

Format Court : Est-ce que tu as l’impression d’avoir retenu quelque chose de ta formation en comptabilité ?

Eliane Umuhire : Oui. En fait, ça m’a permis de m’accrocher encore plus au jeu d’acteur, de réaliser que je n’aimais pas la comptabilité, mais que j’aimais le théâtre. C’est quand tu es privée de quelque chose que tu te rends compte de la valeur de ce que tu ne peux pas avoir. J’avais trouvé un groupe théâtral à l’université, avec lequel je passais la plupart de mon temps au lieu de faire mes études (rires) ! Si je n’avais pas fait la comptabilité, je pense que je n’aurais pas rencontré cette troupe. C’est ça qui m’a formée, on se rencontrait chaque dimanche après-midi, et on échangeait des exercices, on faisait de l’improvisation, juste par amour pour le théâtre.

C’était quoi l’inspiration pour toi, à ce moment-là ? Est-ce qu’il y avait justement des acteurs de théâtre qui se produisaient à cette période ?

E.U : Quand j’étais à l’université, c’était la période de Carole Karemera, une comédienne belgo-rwandaise qui s’est formée en Belgique. Des fois, je la voyais à la télévision. A l’université, on répétait dans un centre d’art qui organisait un festival de théâtre. Des compagnies d’un peu partout dans le monde étaient invitées. Carole était venue jouer. Je l’adorais, même à la maison, tout le monde le savait ! Du coup, quand elle passait sur TV5, on m’appelait, on me disait : « Viens la voir ! ». Je me rappelle l’avoir vue à Butare. Elle venait de Bruxelles et avait joué plus de 32 personnages sur scène, je suis allée voir la pièce deux fois sur la même journée. Waouh !

Quelques années après, elle est venue s’installer au Rwanda et elle a créé un centre d’art et une compagnie de théâtre. C’était au moment où je finissais mes études et, du coup, j’ai rejoint sa compagnie. Entre temps, notre compagnie anglophone s’était formée à Kigali, et faisait plus du théâtre de mouvement. J’ai aussi rejoint cette compagnie, du coup, je pouvais jouer en français et en anglais.

Ca me fait penser au documentaire Au bord de la guerre : Ariane Mnouchkine et le Théâtre du Soleil à Kyiv de Duccio Bellugi-Vannuccini et Thomas Briat. Ce film sur Ariane Mnouchkine qui est partie à Kiev avec des membres de sa troupe, pour le coup, travailler avec les comédiens sur place. On est dans un autre contexte, mais je comprends l’idée de la personne qui se déplace et qui provoque des émotions parce que soit le théâtre est arrêté (comme là-bas), soit est inexistant, soit il y a des balbutiements encore.

E.U : On ne se rend pas compte de la nécessité de la représentation, d’avoir des modèles. Le film Les filles du Nil (de Ayman El Amir de Nada Riyadh) m’a énormément touchée à la Semaine de la Critique. C’est un documentaire sur des jeunes égyptiennes qui ont formé une troupe de théâtre pour pouvoir briser les codes de leur société, pour pouvoir s’habiller comme elles veulent et questionner les croyances, quelque part dans un petit village en Égypte. Et du coup, elles sont libres de faire leurs scènes comme elles le veulent, de jouer dans la rue, avec les moyens qu’elles ont. Je me suis rappelée des premiers jours (rires émus) !

« Les filles du Nil »

Ce qui m’intrigue au Rwanda, c’est cette question de la réconciliation, de la cohabitation, du pardon. Est-ce que le théâtre, le jeu, vos armes ont pu aider ? Avez-vous fait par exemple des représentations dans les villages ?

E.U : On en a fait énormément. D’ailleurs, nos pièces revenaient à chaque fois sur le génocide, sur la mémoire du génocide, sur la réconciliation, sur le pardon. De 2009 à 2019, on jouait à Kigali, mais on faisait autant du théâtre communautaire, quand on allait jouer dans les villages. À partir de 2014, je suis allée un peu plus dans le cinéma, mais il n’empêche qu’on continuait avec le théâtre. On ne venait pas demander aux gens : « Est-ce que vous avez pardonné ? ». On n’était pas là pour enseigner, mais les gens pouvaient se réunir dans le même espace, être tous ensemble, sans se demander si telle personne était tutsi et telle personne était hutu. Qu’ils puissent voir sur scène ce qu’ils ont traversé ensemble, bourreaux et victimes, je trouve ça déjà assez fort.

Tu veux dire que parmi les comédiens de la troupe, il y avait des gens qui étaient issus des deux communautés ?

E.U : Oui, c’était le cas déjà pour les comédiens dans la troupe, mais aussi pour les gens qui venaient voir les pièces.

Je comprends mieux pourquoi ton cinéma est traversé par la mémoire et la résilience. Est-ce que tu continues justement à faire ce travail autour du théâtre et autour de la réconciliation maintenant que tu vis en France ?

E.U : Je ne suis plus sur place mais le travail autour de la mémoire continue. J’ai créé une petite maison de production avec laquelle j’ai co-produit un film documentaire sur la résilience des femmes au Rwanda. On a interviewé cinq jeunes femmes qui ont la trentaine. La jeunesse, qui représente 65% de la population, est trentenaire. Cette année, on commémorait les 30 ans du génocide. On a interrogé ces femmes sur la résilience. Qu’est-ce qui fait que chaque jour elles se lèvent ? Qu’est-ce que les 30 ans qu’on vient de passer représentent pour elles ? Si elles pouvaient donner un message à un enfant qui est quelque part dans le monde et qui est en train de vivre la même chose qu’elles ont traversé durant le génocide, qu’est-ce qu’elle lui dirait ? J’ai l’impression qu’au début, les pièces qu’on faisait, c’était des pièces pour rappeler aux gens ce qui s’est passé et aussi pour permettre à ceux qui voulaient panser leurs plaies de le faire à travers le théâtre.

Il y avait une urgence aussi de trouver des moyens d’action.

E.U : Et de mettre des paroles. Je trouve que c’est important de mettre des paroles sur des choses et du coup pouvoir se dire que ça, ça s’est passé. Il y a une partie de la population qui a tué l’autre partie de la population. Et comme ça, on décharge la population même de ce travail parce que c’est tellement difficile de mettre des mots dessus. Et nous, du coup, on s’en charge, c’est comme si on exorcisait les traumas sur scène. Plus tard, ça a commencé à évoluer, c’est là où on a commencé à parler de pardon. Aujourd’hui, on parle de où on est 30 ans plus tard.

« Augure »

Toi, aussi, tu as fait on chemin personnel en suivant ce mouvement ?

E.U : Oui, et le théâtre m’a beaucoup aidée. Déjà, dans ma famille, depuis que je suis petite, on ne parlait pas de race, de tutsi et de hutu. Et puis, il y a eu un silence après le génocide et je ne comprenais pas où est-ce qu’on en était.

Tu es née quand ?

E.U : En 86. J’avais 8 ans durant le génocide. Tout ce que j’avais vu du monde avait basculé et je ne pouvais pas mettre des mots dessus mais je savais ce que c’était. Et puis à l’intérieur de ma famille, il y avait beaucoup de silences et je ne savais pas de quel côté on était. Je sais qu’à un moment, on se cachait et à un autre, non. C’est quand je suis arrivée à l’université que j’ai compris justement, avec le théâtre, quand a mis les mots dessus. Je me souviens que j’ai passé beaucoup de temps sans pouvoir pleurer. Avec le théâtre, la première fois, j’ai failli m’étouffer. Le théâtre m’a aidée. Petit à petit, j’ai intégré réellement ce qu’il s’est passé dans ma société. J’ai essayé de comprendre les deux côtés et à être à ma place, au milieu, sans nécessairement me dire : « Est-ce que je suis du côté des victimes ou des hutus ? ». En fait, j’ai pu construire mon identité en tant qu’humain et artiste. C’est là où je me suis dit que ça allait être difficile pour moi de faire de l’art juste comme divertissement.

C’était important pour toi de partir du Rwanda ?

E.U : Non, c’était imprévu (rires) ! Je suis toujours venue avec les compagnies de théâtre pour des co-productions avec les compagnies européennes. À chaque fois, je faisais des allers-retours et puis avec le cinéma, souvent, je me retrouvais à l’étranger. À aucun moment, j’ai pensé que j’allais vivre à l’étranger. À chaque fois, je disais que la raison serait liée au travail ou à la famille.

Mon mari est français. On est venu en France sans avoir planifié de rester. C’était avant le confinement et puis, du coup on est resté. Je voyageais déjà depuis longtemps et je me disais que je pouvais vivre n’importe où, que je pouvais faire de l’art n’importe où.

Tu as vécu une sacrée exposition l’an passé avec Augure. Quel regard portes-tu sur cela ?

E.U : C’était l’année passée, c’était une surprise énorme. L’autre jour, j’ai croisé le producteur du film et on se disait : « Mais qui aurait pensé quand on était à Kinshasa sous la pluie en 2022 qu’après, le film allait se retrouver à Un Certain Regard et qu’un an plus tard, Baloji et moi serions jurés à Cannes ?! ». Ça paraissait improbable !

Comment gères-tu de te retrouver au centre ?

E.U : Je pense que ça a commencé en 2017 sur le long-métrage polonais (Birds Are Singing in Kigali de Krzysztof Krauze et Joanna Kos-Krauze), quand j’ai eu le tout premier prix à Karlovy Vary qui est l’équivalent de Cannes mais en Europe de l’Est et qu’après, ça a enchaîné avec d’autres prix.

« Baby »

L’autre jour, d’ailleurs je me suis identifiée au jeune brésilien (Ricardo Teodoro, acteur dans Baby de Marcelo Caetano) à qui on a attribué un prix parce que du coup, son monde vient de changer complètement. Je me rappelle que quand j’ai eu le prix à l’époque, directement tous les journaux au Rwanda parlaient de moi ! Je me demandais ce qui se passait ! Du coup, j’ai appris, j’ai compris que ça faisait partie du travail. Ça permet au film d’exister, aux gens de le connaître. C’est un exercice comme tant d’autres. Et puis pour Augure à Cannes, j’ai l’impression que c’était assez smooth, peut-être parce que le film porte sur des sujets d’actualité. Ce n’est pas juste un film sur la sorcellerie au Congo mais vraiment sur le corps et la place de la femme dans la société, sur le patriarcat. Du coup, tous les interviews autour du film s’intéressaient à la femme et aux questions que nous avons tous en commun.

En court, tu as joué dans Bazigaga de Jo Ingabire Moys. Comment as-tu envisagé le tournage ?

E.U : C’est un bon exercice le court, j’adore ! Je connaissais l’histoire de la femme qui a inspiré l’histoire du film, qui a existé réellement au Rwanda et qui a caché plus de 200 tutsi durant le génocide. Quand on m’a envoyé la demande de casting, j’ai directement postulé en me disant ce n’était pas tous les jours que j’aurais la chance de jouer une femme aussi forte. La sorcellerie, c’est du théâtre, c’est du faire semblant mais surtout elle a joué avec les fausses croyances des tueurs qui la considéraient comme une sorcière alors qu’à la base, je dirais qu’elle est chaman ou guérisseuse traditionnelle.

Pour me préparer, je suis allée voir un chaman dans la Drôme. Quand je joue, j’ai l’impression qu’il y a un autre univers. Pour comprendre l’univers des chamans, des guérisseuses traditionnelles, des gens qui croient dans un monde parallèle, dans le pouvoir de l’esprit, j’ai passé tout un après-midi avec ce chaman-là. On a parlé de la place du chant, de la pipe, de l’esprit.

En fait, tu avais besoin d’éléments pour te créer ton personnage ?

E.U : Oui, mais aussi presque comme une autorisation. Je ne voulais pas faire semblant de chanter, de fumer la pipe, de faire de la sorcellerie. J’avais besoin de comprendre ce qui se passe avec les esprits ou les âmes des gens qui n’étaient pas prêts à mourir. Le film se passe pendant le génocide et aucune personne n’était prête à mourir. Du coup, qu’est-ce que ces âmes deviennent ?

« Bazigaga »

Tu as la réponse ?

E.U : Oui, j’ai eu la réponse. Il me l’a dit et puis, je l’ai senti aussi. Je voulais vraiment essayer d’être le plus juste possible. Dès que ça va au-delà de ce qu’on peut voir, ça devient difficile à concevoir. C’est la même chose du coup pour tout ce qui est chamanique, pour tout ce qui touche à l’esprit, l’humain, d’autres énergies. A chaque fois, on se dit que c’est des constructions. Et si c’était la réalité et que j’entrais sur un terrain qui n’est pas le mien sans autorisation, sans savoir où j’allais ?

Était-ce pour toi un rôle fort ?

E.U : Ce rôle-là n’était pas fort à cause du chamanisme parce que cette femme toute seule a été en adversité contre sa propre communauté pour cacher des gens qui ne faisaient pas partie des siens. C’est de la rébellion et elle a risqué sa vie. C’est une femme qui est vraiment dans la droiture.

Tu parles de droiture. Dans le contexte de la seconde guerre mondiale, les gens qui ont sauvé les juifs, ce sont des justes. Est-ce qu’il un mot conforme aux gens qui ont sauvé des vies au Rwanda ?

E.U : Au Rwanda, on utilise le terme des gardiens du pacte de sang. Je trouve ça génial parce que du coup, on se dit : « Je ne peux pas accepter que le sang de l’autre soit versé ». C’est vraiment un personnage fort, en tout cas pour les femmes noires. Je ne vois pas assez souvent ce genre de personnages, représentés ainsi.

Tu n’as pas l’impression que les choses bougent quand même ?

E.U : Si, je préfère voir le verre à moitié plein (rires) mais je sais que les choses bougent. Cela vient surtout de la part des femmes qui créent d’autres personnages forts mais aussi de Baloji dans Augure. Oui, les choses sont en train de bouger.

Comment sens-tu les choses évoluer au Rwanda par rapport à la communauté artistique sur place ? Est-ce qu’il y a des pistes pour créer, pour montrer son travail ?

E.U : Quand ma génération a grandi artistiquement, on n’avait pas de représentation et on se représentait par rapport aux autres, les gens qui étaient à l’extérieur du Rwanda. Il y avait très peu de Rwandais mais c’était souvent des étrangers à la télé. Je voyais des films, des séries des Julie Lescaut ou des films américains (rires) ! À aucun moment, je n’ai vu un film rwandais. Aujourd’hui, toute la communauté artistique qui s’est créée me fait penser à une ruche. Ça créé tout le temps, les jeunes ne se limitent pas à une forme d’art, ils se définissent comme des artistes multidisciplinaires. Quand on a commencé, c’était autour du génocide, eux, ils créent vraiment par rapport à l’art. Ça fait partie aussi de l’énergie de ce pays, de la façon dont il s’est reconstruit et du fait que ça y est : le socle social s’est rétabli, s’est reconstruit. Maintenant, les jeunes peuvent, eux, commencer à rêver, à créer d’autres choses. Et ça se fait dans tous les domaines. Au théâtre, il y a par exemple Wesley Ruzibiza et Dida Nibagwire qui ont créé un centre d’art. Au cinéma, on va avoir des jeunes qui ont des courts à la Berlinale. Il y a une jeune fille qui s’appelle Myriam Birara qui a fait un film formidable (The Bride) sur les femmes. J’ai rencontré récemment Alain Gomis, le réalisateur de Félicité. Il est franco-sénégalais et m’a dit : « Les cinéastes du Rwanda, on les a dans le viseur, on sent la différence dans leurs touches ».

« The Bride »

La Semaine de la Critique est une section dédiée aux premiers et deuxièmes films. Comment perçois-tu la place accordée au premier long-métrage ?

E.U : Heureusement que ça existe. Pour la plupart, pour les premiers projets, ça prend du temps pour les faire financer, les faire exister. Du coup, leur donner de la place et pas que pendant la semaine. c’est ce que j’adore avec le travail qu’Ava Cahen et son équipe. Ils sélectionnent très peu de films et ces films existent. Ils leur donnent vraiment de la visibilité pendant le festival et même après. Ils sont accompagnés. L’image qui me vient, c’est comme si ils nous permettent de secouer et de changer l’eau du vase et de le renverser et d’avoir de nouveaux réalisateurs et de nouvelles réalisatrices. Ce qui permet d’avoir de nouvelles voix qui arrivent dans le cinéma, d’autres façons de voir les choses, d’autres sensibilités, d’autres formes cinématographiques. Et sinon, on verrait toujours les mêmes réalisateurs et réalisatrices et le même travail.

L’intérêt, c’est de montrer aussi des films du monde entier, d’avoir différentes manières de jouer et langues.

E.U : Oui, différentes sensibilités, cultures, visions. J’ai l’impression que c’est aussi célébrer le cinéma d’un peu partout. Quand je vois des films de jeunes brésiliens ou argentins, je dis : « Waouh » ! Les Argentins, avec le nouveau gouvernement, vont passer 4 ans sans pouvoir faire de cinéma. Du coup, leur donner de la place ici, c’est immense.

Est-ce que parfois, tu as l’impression que c’est politique ?

E.U : Tout est politique. L’art est politique.

Propos recueillis par Katia Bayer

Agathe Bonitzer : « Sur un plateau, c’est l’intuition qui prend le relais »

Découverte du côté de chez sa mère Sophie Fillières avec son rôle de fan incontrôlable dans Un chat un chat, ou encore en sœur dans La Religieuse de Guillaume Nicloux, Agathe Bonitzer était cette année sur la Croisette en tant que membre du jury du Prix de la Citoyenneté. Elle présentait également en ouverture de la Quinzaine des Cinéastes le film Ma vie, ma gueule, réalisé par sa mère, dont elle a dirigé le montage final avec son frère Adam Bonitzer. Rencontre.

Dans le film de votre mère Ma vie, ma gueule, il y a une scène bouleversante où les enfants du personnage interprété par Agnès Jaoui se replongent dans les poèmes de leur mère et essayent de réinterpréter leur sens. Était-ce ce que vous avez expérimenté durant le montage du film ?

Agathe Bonitzer : Il est vrai que dans le film, les enfants se replongent dans les cahiers en se demandant si leur mère n’est pas encore dérangée ou si c’est juste de la création. Donc oui, d’une certaine manière, c’est ce qu’on a fait avec mon frère. Après, cette quête de sens des images, nous n’avions pas à la faire parce que nous connaissions déjà le sens du film que voulait donner notre mère. Elle nous a donné des indications et nous en avons beaucoup parlé, donc il n’y avait pas cette recherche. Nous voulions juste faire advenir le film tel qu’il devait être et nous nous sommes attelés à cela, en prenant appui sur une base solide.

Est-ce que le fait d’avoir repris le montage vous a donné envie de passer derrière la caméra ?

A.B : Écoutez, non, pas tellement, je dois dire que c’était quand même beaucoup de pression. J’aime bien l’idée de faire un film et j’en ai déjà eu envie, je sais que mon frère, lui, veut passer derrière la caméra. Mais je trouve que cela demande tellement de ténacité, ne serait-ce que pour créer et partir en quête de financement. Faire des choix, que ce soit pendant le tournage ou en périphérie du projet, est quelque chose que je trouve très difficile.

Pourtant, cette notion de choix se retrouve dans votre travail d’actrice.

A.B : En tant qu’actrice, on est quand même sacrément dirigé et c’est quelque chose que j’adore : faire partie d’une vision et aller dans le sens que le réalisateur ou la réalisatrice veut que je prenne. Cependant, il y a aussi beaucoup d’inconscient quand je joue ; je suis juste mon instinct et les notes du réalisateur ou de la réalisatrice.

« Bird »

Vous êtes ici en tant que membre du jury du Prix de la Citoyenneté, qui récompense un film de la sélection officielle représentant des valeurs humanistes (attribué finalement à Bird de Andrea Arnold, NDLR). Dans le contexte du festival, quelle est pour vous l’importance de ce prix ?

A.B : Il a une grande importance. C’est un prix récent et je trouve que l’idée de récompenser un film qui déploie une pensée humaniste est réellement importante pour l’époque dans laquelle nous vivons. À un moment où toute forme de citoyenneté et, en tout cas, d’humanisme est fortement menacée, je suis super fière de faire partie de ce jury. C’est intéressant de voir tous ces films. Je pense aussi que ce prix doit être décerné à un vrai objet de cinéma, qui me plaise en tant que tel.

Ce n’est pas votre première expérience en tant que jurée, puisque vous faites partie du jury Jean-Vigo qui récompense de nouvelles voix et que vous avez fait partie de l’atelier d’écriture féminin de la Quinzaine, ici, à Cannes. En quoi l’émergence de nouvelles voix alternatives est-elle importante pour vous ?

A.B. : Oui, en effet, je suis marraine de la Quinzaine en Actions, où j’ai pu lire des scénarios écrits dans le cadre de l’atelier Parcours de Femmes. C’est hyper important pour moi de soutenir de nouvelles voix, que ce soit à travers les premiers longs-métrages ou via des courts-métrages, qui sont la voie principale pour ensuite faire des longs. Un cinéaste doit se construire, pouvoir faire des erreurs, et je trouve cela très important de soutenir ces voix. C’est Justine Triet qui disait dans son discours de l’année dernière l’importance de pouvoir faire des erreurs, d’essayer des choses et de trouver son chemin. Et pourtant, on constate que c’est de plus en plus difficile pour les cinéastes de trouver des financements et d’exister au-delà d’un premier long-métrage.

Vous avez fait partie l’année dernière du comité de sélection des courts-métrages de la Quinzaine des Cinéastes. Est-ce que cela vous a permis de mettre en avant une certaine forme de diversité ?

A.B. : Oui, je le pense, et ce que j’ai pu remarqué en recevant des films, c’est l’insuffisance des moyens alloués aux cinéastes de certains pays. Par exemple, il est vrai que nous avions reçu moins de films d’Afrique subsaharienne, et pour moi, l’une des problématiques est de pouvoir offrir plus d’accès au cinéma dans des zones où la culture est moins accessible. C’est pour cela notamment que j’avais envie de participer à la Quinzaine en Actions, parce que c’est vraiment un projet qui essaie de rendre la culture plus accessible, que ce soit en France ou dans d’autres pays. Nous avons besoin de ces points de vue, de cette mosaïque du monde.

« Ma vie, ma gueule »

Quand on voit le contexte actuel et les réformes à venir, est-ce que cela vous inquiète pour le cinéma français ?

A.B : Oui, oui, je suis très, très inquiète. Heureusement, en France, nous sommes particulièrement chanceux par rapport à d’autres pays. Quand je raconte combien il a été difficile de financer le film de ma mère dans lequel figure Agnès Jaoui, les gens tombent des nues, pensant que la France est le pays où tous les films se font facilement. Je vois aussi la difficulté à faire des films indépendants dans des pays comme l’Allemagne ou l’Italie. Cependant, je constate aussi qu’en France, depuis des années, il devient de plus en plus difficile de faire des films et que les écarts se creusent entre les films à gros budget qui ne rapportent pas forcément beaucoup et les films qui se financent avec moins d’un million d’euros, obligeant des réalisateurs, même connus, à revoir leurs scénarios. Et sans parler de toute la précarisation des festivaliers, des programmateurs et programmatrices. Pour moi c’est  hyper important qu’on les entende et qu’on puisse encadrer ces métiers avec des conventions collectives . C’est pour cela que je suis à fond derrière des collectifs comme « Derrière l’écran, la dèche » parce que moi, je vois des amis qui n’arrivent pas à en vivre après 20 ans de carrière.

Comme vous l’avez mentionné, vous êtes très attachée au court-métrage, vous avez pu jouer dans des films comme L’Autre Louis ou Safety Matches. Qu’est-ce qui vous intéresse dans ce format en tant qu’actrice ?

A.B. : Pouvoir travailler avec de jeunes cinéastes m’intéresse. J’aime dialoguer avec quelqu’un qui n’a pas encore réalisé et dirigé beaucoup de films, quelqu’un qui est au début de sa carrière, je trouve cela très rafraîchissant. Et puis avant tout, c’est parce que les projets me plaisent, que je les trouve bien écrits et qu’il y a quelque chose à jouer qui m’intéresse. Pour moi, que ce soit du long ou du court, tant que ça me plaît, je le fais.

D’habitude, les acteurs commencent par le court pour ensuite passer au long, vous, c’est l’inverse.

A.B : Oui, c’est vrai qu’en ce moment je fais plus de courts-métrages que quand j’étais jeune, mais je ne pourrais pas vous dire pourquoi. Cela peut être circonstanciel ou hasardeux, en tout cas, ça me plaît et je ne compte pas m’arrêter d’en faire.

Y a-t-il pour vous une différence dans la façon dont vous abordez un rôle dans un long-métrage, un court-métrage ou encore au théâtre ?

A.B : Pas tellement. Comme j’ai pu le dire, c’est avant tout très intuitif et je me repose beaucoup sur le scénario. Mais je pense que cela dépend d’où je pars et s’il y a beaucoup de texte à apprendre ou pas. Je me souviens même d’une fois où j’ai joué le rôle d’une fille qui travaillait dans la fusion-acquisition. Je me suis un peu renseignée pour comprendre ce que je disais, parce que j’avais l’impression de parler une langue étrangère. Mais je ne suis pas quelqu’un qui travaille à fond. Je ne sais pas trop ce que cela signifie de travailler énormément un rôle, je le sens, mais c’est l’intuition qui prend le relais.

« Moi aussi »

Récemment, on a pu voir des auteurs comme Judith Godrèche se réapproprier ce format comme un objet hybride et militant (avec son court Moi aussi, NDLR). Quel est votre point de vue là-dessus ?

A.B : Je n’ai pas eu l’occasion de le voir, mais je connais bien Judith et je trouve cela super dans notre contexte que la parole se libère et qu’on puisse inciter les autres à témoigner et à parler à travers le médium cinématographique.

Propos recueillis par Dylan Librati

V comme Very Gentle Work

Fiche technique

Synopsis : Entre documentaire, fiction et essai, une cartographie alternative de Manhattan, qu’une voix off méthodique renvoie aux multiples actions violentes de mouvements révolutionnaires dont New York fut le théâtre. Son appétence pour la topographie et les archives peut rappeler les livres de Sebald.

Genre : Essai, documentaire, fiction

Durée : 24’

Pays : États-Unis

Année : 2024

Réalisation : Nate Lavey

Scénario: Nate Lavey

Montage : Nate Lavey

Image : Nate Lavey

Son : Nate Lavey

Musique : Julie Harting, Gershon Sirota, Kimiko Douglass-Ishizaka

Voix-off : James Loop

Production : Claire Devoogd

Article associé : la critique du film

Very Gentle Work de Nate Lavey

Ne vous êtes-vous jamais interrogé sur ce que votre immeuble pourrait vous raconter de son histoire, de ce dont il a pu être témoin, sur les personnes qui ont foulé le même trottoir que vous, utilisé les mêmes transports que vous, en somme, sur l’histoire de votre rue, de votre quartier, de votre ville ? C’est de cette interrogation et d’une rencontre qu’est né Very Gentle Work de Nate Lavey, présenté cette année à la Quinzaine des Cinéastes. En effet, c’est lors d’une cérémonie de Kol Nidrei, une prière qui ouvre l’office religieux de Yom Kippour, que notre narrateur fait la rencontre de Morris, qui va lui faire découvrir l’histoire des luttes politiques inhérentes à New York.

Le film se caractérise avant tout comme une errance, une balade dans les quartiers qui symbolisent aux yeux du grand public ce qu’est ou pourrait être New York. Nous errons ainsi, en tant que spectateurs, dans un Manhattan dont la quotidienneté crépusculaire semble s’être figée dans un hiver en attente des premiers flocons de neige. Et cela, nous pouvons le souligner dès son prologue. Dès son premier plan, le film s’attaque à un Manhattan, et plus largement à un New York vide, limite anti-spectaculaire, dont le gigantisme des gratte-ciel est vite échangé avec l’intimité d’un hall d’immeuble. Une déambulation qui, au fur et à mesure, va basculer du côté de l’investigation sur ce qu’il se trouve derrière la coulée de béton, sur la forêt cachée par l’arbre. Le film se révèle ainsi d’une beauté âpre, rêche et dure à appréhender pour le spectateur qui, dès le début du film, est stimulé par plusieurs informations inédites, et cela à travers l’utilisation de la voix off.

Au cœur de ce dispositif se trouve une envie de la part de son auteur Nate Lavey de faire une sorte de cartographie des luttes, et surtout des luttes juives, qui ont façonné le New York que nous connaissons. En se plongeant dans ces archives, le réalisateur se confronte à une diaspora et à la lutte inhérente à cette dernière, cette envie d’autodétermination ou même de vengeance traitée comme un devoir religieux, presque angélique. Une violence qui nous est contée par une voix off et qui laisse place à l’imagination et à notre propre subjectivité en tant que spectateurs face aux exactions des luttes ici portées. La seule violence étant invisible, celle d’une ville en proie à une gentrification qui a mis de côté l’histoire de ces luttes, laissant place à un vide, un vide qui prend toute la place dans le cadre. Ainsi, dans la propreté de Wall Street, il ne reste plus rien de ces luttes, chaque plan essayant de capturer ce vide se révélant comme un deuil, un kaddish en hommage aux fantômes qui restent.

À travers cet objet hybride entre documentaire et fiction, le narrateur effectue son propre « Kol Nidre », sa propre rédemption d’une ville fantôme dont tout est hors-champ. Cela va jusqu’au personnage de Morris, élément déclencheur de l’histoire, qui ne restera jusqu’à la fin qu’un dialogue, rien de plus. Avec une grande fluidité et maîtrise, le film distille des clés d’appréhension de son monde et de ce qui interroge son auteur, Nate Lavey, c’est-à-dire l’histoire autour des monuments qui composent la Grosse Pomme.

Tout ce dispositif relevant du film de fantômes est traité ici avec une maestria dans la simplicité de sa narration. En effet, pendant tout le film, Nate Lavey investit une mise en scène glaciale, immobile, et dont les rapports de grandeur nous sont faussés par l’utilisation de longues focales. Une mise en scène de l’absence qui transfigure son sujet et transforme New York en un espace liminal, en dehors du temps, comme le purgatoire des exactions passées. Un travail qui rappelle l’expérimentation de Chris Marker ou encore l’invention visuelle récente de Kane Pixels avec les backrooms. Une mise en scène qui vire au vertigineux, notamment dans son introduction.

Tout cela est appuyé par un travail du son organique qui participe à notre confusion en tant que spectateurs quant à l’objet que nous observons. Entre musique analogique et voix off numérique, entre documentaire et fiction, nous nous questionnons tellement ce film vient éveiller des questionnements inhérents à la ville de New York et notre rapport à l’histoire qui nous entoure. Une histoire qui s’incarne par l’utilisation de musiques aux sonorités yiddish et en ouvrant son film sur le cantor « Kol Nidre » Ghershon Sirota.

Comme l’a très bien dit Joe Keery dans sa musique « End of Beginning », nous pouvons peut-être quitter une ville, mais cette ville et son histoire ne nous quittent jamais. Comme Very Gentle Work qui nous prend au corps et nous laisse a la fin avec un vague à l’âme qui nous renvoie a l’œuvre de T.S Eliot.

Dylan Librati

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Guil Sela : « Le cinéma, c’est l’art de montrer et non de juger »

Originaire d’Israël, Guil Sela émerge comme un talent au style et au point de vue uniques, lui qui a déjà œuvré en tant que photographe avec son exposition « La Note Bleue ». Avec Montsouris, lauréat du Prix Découverte Leitz Cine du court métrage à la Semaine de la Critique, il interroge la place du filmeur dans notre société, le tout avec un humour qui nous met dans un immense malaise. Le temps d’un entretien, il revient sur les origines de son projet ainsi que ses envies pour la suite.

Format Court : Si tu pouvais parler de toi et de ton cinéma, que dirais-tu ?

Guil Sela : Je ne sais pas trop… Je dirais que depuis que j’ai arrêté mon travail pour devenir réalisateur et photographe professionnel, je vois tout ce qui m’entoure à travers un prisme cinématographique. Mes travaux sont pour moi un refuge. J’adore ce chemin, toutes les étapes qui mènent à la réalisation d’un film et c’est réjouissant d’être à Cannes et de rencontrer des personnes pour qui le cinéma a la même importance!

Si tu pouvais pitcher Montsouris, que dirais-tu ?

G.S : C’est très difficile puisqu’il faut savoir que c’est un film que j’ai fait très vite, sans producteur, donc je n’ai jamais vraiment eu à me poser la question de comment pitcher le film, ou à écrire de note d’intention. Mais je pourrais dire que c’est à la fois un film sur l’acte de création, la recherche du sujet, et un film sur la quotidienneté et le hasard.

Qu’est-ce que ça te fait d’être sélectionné à la Semaine de la Critique ici à Cannes ?

G.S : Ça fait bizarre de voir toute cette émulation, de voir les gens autant réagir aux séances et de voir les personnes autour prendre le cinéma autant au sérieux. Ça me fait réfléchir à la question posée par le dernier film de Dupieux, le cinéma sert-il à quelque chose ?

D’où vient ton envie de faire ce film et de le situer dans ce décor qu’est le parc Montsouris ?

G.S : En fait, le parc Montsouris est un parc où j’allais beaucoup quand j’étais enfant, après mon arrivée en France. Cependant, ce n’était pas le point de départ du film. L’envie de faire Montsouris est venue d’une insatiable envie de tourner quelque chose. C’était à un moment où tous mes projets étaient en recherche de financement et j’en avais marre d’attendre. L’idée initiale était de pouvoir tourner rapidement. Je me suis dis qu’il fallait que je simplifie mon cinéma et que j’écrive un film qui se déroule dans un seul décor. Je cherchais le décor parfait pour la réaliser. J’ai choisi un parc parce que, pour moi, c’est un endroit paisible, où ont lieu de nombreux micro-évènements intéressants. Et le parc Montsouris, avec sa colline, offrait un point de vue panoramique dont chaque recoins me plaisaient.

On peut voir que c’est un film très direct aussi dans son propos.

G.S : Oui, c’était l’une des envies du film : faire un film très concret et puiser directement dans mes problèmes et dans mes questionnements, et il se trouve que mes questionnements se rapportent souvent à cette question du hasard de la création, et de ce qui est intéressant ou non.

Tu as pu qualifier Montsouris de film produit avec trois bouts de ficelle. Est-ce que, pour toi, cette contrainte est stimulante ?

G.S : Oui, et c’était d’autant plus stimulant pour moi et pour toute l’équipe de pouvoir faire un plan-séquence de 11 minutes, et encore plus en argentique, ce qui nous oblige à minimiser le nombre de prises. Même pour les comédiens, leur donner ce long espace de jeu leur a permis de vivre une expérience différente de d’habitude, et d’avoir le temps, de s’immerger dans le personnage, de s’auto-évoluer, et de se corriger au sein même d’une prise.

Comment s’est passée la préparation avec les comédiens ? Y a-t-il eu de la place pour de l’improvisation ?

G.S : En fait, nous étions principalement conditionnés par le dispositif de mise en scène. Sachant que nous tournions en argentique et que nous n’avions que quatre essais, il n’y avait pas de place pour l’erreur. En revanche, il y a eu un gros travail de préparation où nous avons fait des sessions d’improvisation pour ensuite adapter les personnages aux acteurs qui les interprétaient. Donc je dirais que le travail d’improvisation s’est fait en amont.

Dans le film, on peut retrouver Martin Jauvat, que l’on connaît pour son travail en tant que réalisateur avec des films comme Grand Paris. Comment es-tu arrivé à travailler avec lui ?

G.S : Martin est quelqu’un que j’ai eu la chance de rencontrer en festival. Son humour et son inventivité étaient évidentes. Ce qui m’intéressait avec Montsouris, c’était de le faire jouer à contre-emploi. Je sais que quand il a lu le scénario, il m’a dit qu’il se serait plutôt attendu à ce qu’on lui propose le rôle de celui qui se fait voler sa roue. J’aime bien, quand j’ai peur qu’un rôle soit trop caricatural, prendre un acteur et le mettre à contre-emploi. Cela donne un résultat plus vivant et incongru. C’est en ce sens que nous avons travaillé avec Martin. Et je le remercie encore de toute l’énergie comique qu’il a déployé pour le film.

Ton film va chercher dans le drame autant que dans la comédie. Qu’est-ce qui t’intéresse dans ce mélange des genres ?

G.S : Je ne le vois pas comme un mélange des genres, mais plutôt comme une retranscription de la vie. Pour moi l’humour est partout, il se cache même derrière le drame. L’idée de Pierre qui se fait voler sa roue m’est venue du fait que je m’étais fait cambrioler à Naples et, quelques minutes après, je me suis surpris à avoir un fou rire à cause d’un détail. L’humour, pour moi, ce n’est pas vraiment des blagues, mais juste une prise de recul, c’est chaque situation prise en plan large.

Qu’est-ce que ton travail en tant que photographe t’a apporté en tant qu’auteur ?

G.S : En fait, mes films naissent souvent d’une idée visuelle, d’une image forte, et c’est de cela que découlent ensuite l’histoire et les dialogues. Pour prendre l’exemple de Montsouris, je savais dès le début que je voulais que ce soit un film de parc. J’avais l’atmosphère visuelle avant d’avoir les péripéties. Je viens aussi de l’argentique, donc je connais la valeur d’une bobine et d’un plan. J’ai toujours eu une fascination pour des réalisateurs-photographes comme Antonioni, car je me reconnais dans leur recherche du beau au-dessus de l’envie narrative. Personnellement, au cinéma, je ne m’ennuie jamais quand l’image est magnifique, même si l’histoire ne m’intéresse pas forcément, et cela, je le puise de mon rapport avec la photo.

Dans une époque du tout numérique, tu choisis l’argentique. Qu’est-ce qui t’y intéresse ?

G.S : Déjà, je tiens à dire que je ne me définis pas comme un anti-numérique. D’ailleurs, j’ai tourné un autre film en numérique récemment. J’adapte juste ces techniques à mes projets. Cependant, pour moi, à l’époque de l’argentique, le cinéma bénéficiait d’une plus grande aura car le procédé la détachait de tous ses cousins éloignés. La qualité des couleurs de l’argentique et son grain ne sont pas reproductibles. Mais comme je te l’ai dit plus tôt, ce qui m’intéresse avec l’argentique, c’est la rareté, c’est le moment avant de chercher une bobine ou de déclencher son appareil photo. Une rareté qui me met dans une réelle position de désir et de concentration quant à ce que je filme, et qui a le mérite d’extraire cette image du flux numérique constant.

Tu as pu étudier notamment à l’Inasup. Qu’est-ce que ça t’a apporté en tant que cinéaste ?

G.S : Je me suis dis que j’allais apprendre le cinéma via des livres, en regardant des films et en filmant de mon côté. Et pour l’Ina, c’est grâce à une amie qui m’a encouragé à passer le concours, mais c’est une école de production et pas de réalisation. Cela m’a été très utile pour connaître l’écosystème du cinéma et m’a permis ensuite, avec Montsouris, de réaliser un projet auto-produit. Je me pose beaucoup de questions sur ce que j’ai réellement appris en formation ou juste par l’expérience sur les tournages. Orson Welles disait que le cinéma s’apprend en une demi-journée et je trouve qu’il y a du vrai là-dedans.

« Blow-Up »

Dans ton film, on peut voir, par sa mise en scène, une filiation avec le cinéma de De Palma et son film Blow Out. Était-ce une de tes inspirations ?

G.S : Je pense que mon film se rapproche peut-être plus de Blow-Up d’Antonioni que de Blow Out de De Palma, par l’utilisation de la pellicule. Je me souviens que quand j’ai vu Blow-Up, j’avais réalisé à quel point un film était bien plus qu’une simple histoire. C’était à un moment de ma vie où je voyais beaucoup de films américains à scénario, et le travail d’Antonioni m’a permis de découvrir d’autres propositions de cinéma presque irréelles. Après, cette thématique d’être témoin de quelque chose vient aussi beaucoup de mon travail photographique et de films comme Fenêtre sur cour ou de propositions plus politiques comme Aucun ours de Jafar Panahi.

Dans le film de Panahi, on retrouve aussi le même dilemme moral sur la place des images.

G.S : Oui, il y a dans Montsouris un questionnement sur ce que l’on fait des images quand on est un réalisateur ou une réalisatrice. Est-ce qu’on doit apposer un jugement moral sur l’image ou simplement la partager et montrer ce qu’il se passe dans le monde ? C’est un dilemme que je pense très important aujourd’hui, à un moment où l’on demande de plus en plus aux artistes de se positionner sur les grandes questions de notre époque. Cependant, je ne sais pas où me positionner par rapport à ce questionnement, tellement pour moi, le cinéma, c’est l’art de montrer et non de juger. C’est pourquoi, au départ, je trouve ça antinomique de juger quand on est cinéaste. Mais quand je vois toutes les atrocités dans le monde, je me dis qu’on ne peut pas rester dans nos tours d’ivoire à ne rien faire. Donc en résumé, je ne sais pas trop.

Qu’est-ce qu’on peut attendre de toi dans le futur ?

G.S : Mon film Santa Maria Kyoko, que j’ai co-réalisé avec mon ami Félix Loizillon, est sélectionné à Côté Court à Pantin. En ce moment, je suis en pleine préparation pour le tournage de mon prochain film, No skate! qui se déroulera dans la foule des Jeux Olympiques, avec Raika Hazanavicius et Michael Zindel. Et pour mon premier long-métrage, je réfléchis !

Propos recueillis par Dylan Librati

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La Palme d’or et la Mention spéciale du court 2024 !

Ça y est ! Cannes, c’est terminé. Du côté des courts, deux films ont été distingués lors de la cérémonie de clôture de la 77ème édition du festival par le Jury récompensant à la fois les films de l’officielle et ceux de la Cinef.

La Palme d’or du Court métrage 2024 a été remise au film croate The Man Who Could Not Remain Silent de Nebojša Slijepčević

Une Mention Spéciale a également été attribuée au film portugais Bad for a moment de Daniel Soares

Les belles cicatrices de Raphaël Jouzeau

Difficile de mettre des mots sur ce dernier café au goût amer, cet au revoir un peu fuyant et douloureux. À la table d’un restaurant, Gaspard et Leila se regardent, se souviennent et essaient de se parler – en vain. Avec douceur, Raphaël Jouzeau traite de la rupture entre deux êtres dans son premier court-métrage d’animation professionnel Les belles cicatrices, en compétition officielle cette année au Festival de Cannes.

Gaspard a besoin d’une bière pour se mettre à parler. On entend ses pensées, interrompues par l’arrivée de Leila, qui elle, commande un café. Les questions sont vagues, les regards tristes. La distance des deux personnages, seulement séparés d’une table, font d’eux des presque inconnus. Il y a comme une timidité de la première rencontre, celle de l’après, où les paroles sont prononcées à demi-mot et les voix s’écrasent sur le sol. Le contraste entre la voix claire de Leila, et celle basse, broyée par la douleur de Gaspard, interprétées respectivement par Fanny Sidney et Quentin Dolmaire, est prenant.

Dans un mélange bleu, rouge, noir, vermillon, Gaspard et Leila se remémorent leurs souvenirs communs. Tout commence quand Leila lui rend son pull : le café se transforme en une soirée alcoolisée. Le bleu électrique et la musique mouvante en font un songe presque irréel. Cet effet est brisé par la discussion qui continue entre les deux, spectateurs omniscients de leur propre mémoire, se disputant le souvenir. La consommation d’alcool est abordée de façon subtile et réaliste, et est le grand sujet de ce court-métrage. Chaque souvenir, chaque parole en est empreint, surtout chez Gaspard, moins timide après deux bières.

La magie de ce court se révèle lorsque Gaspard, bouleversé par la situation, se réfugie sous la table du restaurant. Leila le rejoint, et la nappe se transforme en rideau, rideau qui s’ouvre sur cette immense plage jaune orangée. Les deux s’assoient sur le sable et regardent leur passé, courir sur la plage, se baigner, rire. Le ciel ressemble à une aquarelle, les couleurs sont chaudes : c’est que le souvenir est réconfortant, on aime s’y plonger, surtout lorsqu’on se quitte. Cette nouvelle parenthèse rend de façon particulièrement juste les sensations de l’au revoir, entre ce qui est dit et ce qui est pensé.

Sous la table – ou sur la plage, on assiste à la discussion la plus intime et on comprend d’où vient la mystérieuse cicatrice sur la joue de Gaspard. On est pris par le tourbillon effrayant des vagues, dont l’image filmée contraste avec les personnages animés qui s’y débattent, notamment Leila qui semble noyée par cette réalité. Entre les souvenirs au bord de la mer et le silence embarrassant au café, marqué de tintements de verres et de petites voix, on assiste à ce dernier au revoir, qui nous prend le coeur tant par sa poésie de couleurs que par la triste beauté de cette mémoire partagée.

Amel Argoud

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B comme Les belles cicatrices

Fiche technique

Synopsis : Gaspard aime toujours Leïla. Un mois après s’être quittés, ils se retrouvent dans un bar bondé. Alors que le rendez-vous tourne mal, Gaspard se réfugie sous la nappe, loin des regards et plus près des souvenirs.

Genre : Animation

Durée : 15′

Pays : France

Année : 2024

Réalisation : Raphaël Jouzeau

Scénario : Raphaël Jouzeau, Pierre Le Gall

Montage : Thomas Grandremy, Billie Belin

Musique : Pierre Oberkampf

Son : Paul Jousselin

Voix : Fanny Sidney, Quentin Dolmaire.

Production : Balade Sauvage Productions

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Mo Harawe : « Chaque film est un langage visuel »

Interviewé il y a seulement un an sur notre site, Mo Harawe a réalisé The Village Next to Paradise, un premier film sélectionné dans la catégorie Un Certain Regard, en lice pour la Caméra d’or 2024. Solaire, centré sur un trio (père-soeur-enfant) en proie à la lutte, au dépassement de soi et au contexte politique et culturel, le film a comme ancrage la Somalie, terre d’origine du réalisateur et d’inspiration pour ses précédents courts dont le très poignant Will My Parents Come to See Me ?, Grand Prix international au Festival de Clermont-Ferrand 2023. Le passage au long marque aussi une première exposition cannoise pour Mo Harawe, enchaînant les entretiens, sur le bateau Arte.

© Doris Erben

Format Court : Le travail sur The Village Next to Paradise a commencé il y a 6 ans. Tu devais être en train de travailler sur le scénario quand tu as fait ton dernier court, Will My Parents Come to See Me ? En quoi tes courts-métrages t’ont aidé à préparer ce premier long-métrage ?

Mo Harawe : Cela m’a beaucoup aidé. Mon dernier court-métrage se passait en Somalie, ce film-ci aussi. J’ai pu voir la différence entre les tournages. J’ai pu aussi appréhender l’endroit, le paysage, et les gens, et aussi d’une certaine manière préparer mon équipe.

L’exercice d’un premier film est complexe. Comment as-tu préparé le scénario ? Comment as-tu travaillé avec cet environnement autour de toi ?

M.H. : La préparation n’a pas été très importante, parce que nous n’avions pas beaucoup de temps. Je pense que l’idée était vraiment de sauter dans l’eau froide. C’est littéralement comme ça que nous avons abordé ce film, parce que je suis sûr que si nous nous étions préparés, nous aurions vu à quel point cela allait être difficile. Si on avait su, on aurait put-être abandonné.

Nous avons tourné le film pendant trois mois, il y a eu 64 jours de tournage. Quand on fait un court-métrage, on ne tourne que quelques jours. Nous nous sommes donc jetés à l’eau et nous avons tout découvert en faisant le film, d’une certaine manière, parce que c’était aussi l’esprit du film. Je ne pense pas que nous aurions pu nous préparer à cela. On a tourné le film au fur et à mesure. On allait sur le lieu de tournage, si on ne trouvait pas ce qu’on voulait, on tournait quelque chose d’autre.

Tu as grandi à Vienne, tu y vis toujours. Ça a dû être un nouveau pays, une nouvelle langue pour toi. Tu n’es pas le premier à revenir à tes racines, au cinéma, surtout dans un pays où le cinéma n’est pas si présent. Comment vois-tu la situation en Somalie ?

M.H. : Beaucoup de contenus en ligne sont créés aujourd’hui en termes de cinéma, et je pense que l’avenir est prometteur. L’espace numérique, les médias sociaux, tout cela est en train de changer. Les gens créent leurs propres contenus, même en privé. Je pense donc que c’est une meilleure période, où il y a plus d’opportunités, où les connaissances sont plus accessibles qu’il y a, je ne sais pas, 15-20 ans, disons.

Comment as-tu appris à diriger tes acteurs ? Je ne sais pas si ce sont des professionnels ou non.

M.H. : Oui, ce sont des professionnels, je les appelle comme ça. Ce sont des acteurs non formés. Ils étaient les personnes qu’il fallait devant la caméra. Et pour la réalisation, ça a juste été une chose intuitive.

Te souviens-tu de la raison pour laquelle tu as voulu faire des films ? Est-ce aussi une question d’intuition ?

M.H. : Je suppose que c’est lié à la façon dont on veut s’exprimer. On exprime ce que l’on ressent dans un film, on pense à ce qu’il sera.

As-tu essayé un autre médium ?

M.H. : Non, pas vraiment.

Comment envisages-tu toute cette promotion à Cannes ? Tu déjà remporté des prix, tu as déjà participé à des festivals, tu connais un peu ça…

M.H. : Avec les courts-métrages, oui. J’ai eu l’expérience des festivals et de ce genre de choses, mais bien sûr, là, c’est complètement différent. L’exposition est beaucoup plus grande. J’ai des interviews, des séances photos et tout le reste. Mais je fais avec comme ça vient. J’essaie de prendre les choses avec légèreté. Je le vois comme un travail.

Will My Parents Come To See Me ? était très sombre, il se passait dans un prison. Une partie de ton log se déroule également dans une prison. Sur le plan visuel, as-tu senti que les choses étaient différentes pour toi ? Que tu voulais montrer la Somalie d’une autre manière ?

M.H. : Chaque film est un langage visuel d’une certaine manière. Il n’y a que des couleurs dans ce projet. C’était donc clair pour moi. Ce film était complètement différent de ce que j’avais fait avant. Les couleurs devaient dépendre de l’histoire et du film et aussi de ce qu’on obtenait, comme les lieux par exemple. Beaucoup de décisions sont parfois d’ordre pratique.

Fais-tu des photos en parallèle de tes films ?

M.H. : Non, je n’en fais pas. Je les garde pour les films.

Comment se passe ta vie, d’ailleurs, quand tu ne filmes pas ?

M.H. : Je suis normal. Ma vie est ennuyante, tranquille. Je passe du temps chez moi, à la maison.

Est-ce que le court t’intéresse encore ?

M.H. : Oui. J’ai l’impression que le court est indépendant, vraiment. C’est une autre langue. S’il y a une histoire, c’est bon pour un film, qu’il soit court ou long.

Tu vis à Vienne, penses-tu qu’un jour, tu seras inspiré à l’idée de faire un film en Europe ?

M.H. : Bien sûr. Et j’espère que je le ferai. Ça pourrait être agréable. Je dois juste trouver une histoire.

Propos recueillis par Katia Bayer

S comme Sanki Yoxsan

Fiche technique

Synopsis : Lorsque Samir et Leyla décident de fuir les discordes familiales, Samir disparaît le lendemain matin. La quête de Leyla l’entraîne, mêlant son destin à sa mystérieuse disparition, la rendant partie intégrante du mystère elle-même.

Genre : Fiction

Durée : 15′

Pays : Azerbaïdjan, France

Année : 2024

Réalisation : Azer Guliev

Scénario : Azer Guliev

Images : Konstantinos Koukoulios

Montage : Nicolas Milteau

Son : Thomas Robert, Laure Arto, Sanan Gulahmadzada

Interprétation : Milana Hasanova

Production : La Luna Productions

Article associé : la critique du film

Sanki Yoxsan de Azer Guliev

Présenté en compétition officielle à Cannes, Sanki Yoksan est un court-métrage franco-azerbaïdjanais réalisé par Azer Guliev. Il dépeint l’histoire de Leyla et Samir, deux jeunes aux familles dysfonctionnelles qui ont décidé de partir ensemble pour prendre leur indépendance. Le jour du départ, Samir disparaît sans un mot, laissant Leyla seule et désemparée face à cette fuite avortée. S’il est rare, voire exceptionnel, de remarquer un court-métrage venu de l’Azerbaïdjan à Cannes, la poésie tragique et la mélancolie de Sanki Yoxsan l’est davantage dans le paysage audiovisuel.

En moins de 15 minutes, le récit d’Azer Guliev se distingue par sa densité et sa capacité à révéler minutieusement, plan par plan, le mal-être qui ronge Leyla au quotidien, qui nous plonge au sein de la société azerbaïdjanaise où les traditions patriarcales se heurtent aux rêves de liberté de certains. Par les hors-champ, la focale floue de la caméra et les fonds noirs inattendus, la réalisation fait signe de l’intériorité d’une Leyla souvent filmée de dos, ou en plongée, écrasée par les circonstances de la situation, étouffant au sein des membres de sa familles qui célèbrent bruyamment le mariage de sa soeur.

Le seul lien que Leyla semble avoir avec le monde est auprès de Samir, lien qui éclate dès le début du récit, l’abandonnant à un univers environnant scindé en deux, entre hommes et femmes enfermés dans des rôles stéréotypés (les activités de lutte et de danse similaires aux derviches tourneurs pour les uns, la cuisine et la préparation du mariage dans le foyer pour les autres). Ce n’est seulement lorsqu’elle est seule, regardant le champ désolé au loin, que son horizon mental s’étend à perte de vue, toujours aussi incertain.

Les jeux de miroirs entre Samir et Leyla sur une vitre de voiture ou à un bureau reflètent les identités poreuses de deux individus en quête de sens, confondues avant de se séparer dans le mutisme le plus total. Dans la composition et la palette chromatique, Leyla existe toujours en opposition silencieuse avec l’environnement qu’elle veut quitter. Au voile rose dans les gymnases mornes, au regard vide lors d’une célébration de mariage, au silence assourdissant à la lecture de la prose maladroite de Samir, Milana Hasanova, interprète de Leyla, nous livre une performance épatante d’un personnage dont l’existence physique est difficile, et dont l’esprit mental est perdu au loin.

Azer Guliev ne s’encombre pas de verbes inutiles et filme avec précision et sobriété les présences intouchables et brouillées de fantômes du présent, dont le mystère enveloppe progressivement l’âme d’une jeune femme qui a encore tout à vivre. En azerbaïdjanais, Sanki Yoxsan se traduit par “Comme si tu n’étais pas là”, qu’on pourrait ici attribuer à la disparition de Samir. Pourtant, le film est d’abord l’histoire d’un acte manqué, peut-être celui de Leyla, acte profondément désenchanté, où les aspirations pour le futur sont aussi éphémères et artificielles, que les étoiles projetées sur le mur par sa lampe de chevet. Un film qui n’aura à prouver sa place dans la compétition du prestigieux Festival de Cannes.

Mona Affholder

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M comme Les Mététos d’Antoine

Fiche technique

Synopsis : Antoine reprend l’exploitation agricole de ses parents, et sa compagne Élise, totalement investie, veille cependant à définir le plus exactement son rôle. Ce documentaire français saisit, notamment par la musique, la vitalité et l’évolution d’un monde souvent réduit à ses difficultés socio-économiques.

Genre : Documentaire

Durée : 27’

Pays : France

Année : 2024

Réalisation : Jules Follet

Scénario : Jules Follet

Image : Erwan Dean

Musique : Simon Averous

Son : Arnold Zeilig, Adrien Cannepin

Production : Superstructure

Article associé : la critique du film

Les Météos d’Antoine de Jules Follet

Les jours s’écoulent sur l’exploitation agricole d’Antoine et sa famille. Pour anticiper l’utilisation des différents prés et autres pâturages, Antoine doit savoir s’il va pleuvoir. C’est sur cette conversation banale, témoin d’un futur proche mais incertain que s’ouvre Les Météos d’Antoine, sixième court du réalisateur et scénariste Jules Follet.

Ce court-métrage documentaire qui a été présenté pour la première fois ce 23 mai à la Quinzaine des Cinéastes nous invite chez Antoine et Léandre, deux jeunes agriculteurs ardéchois qui viennent d’être rejoints sur leur exploitation par Élise, la compagne d’Antoine. Au cœur d’un été qui se profile sous le signe de la découverte, Élise va devoir trouver sa place, ou la créer.

C’est la présence de cette jeune femme, tant joviale que motivée, qui participe grandement à détourner l’attention de ce qu’on attendrait typiquement de la représentation du milieu rural au cinéma, et à l’attirer sur une expérience humaine universelle : la construction de la communauté, et son renouvellement. Le film ne s’attarde pas ou peu sur le lot de galères quotidien de la ferme, ces difficultés constituent seulement partiellement le cadre dans lequel évoluent Antoine, Léandre et Élise.

Ce cadre est soutenu par un grand respect mutuel entre les différents membres de la famille, respect qui transparaît lui aussi dans la forme du film, avec une répartition presque égalitaire de la parole qui rend le rythme du film très naturel. Les qualités humaines priment sur la torpeur de la comptabilité (assurée par la mère d’Antoine et Léandre) et sur les aléas de la météo. Humour et générosité toquent à chaque porte, s’immiscent dans chaque aspect de ce métrage à taille humaine. En effet, l’intégralité du film mêle événements personnels et professionnels, à l’image du rythme de vie de bien des agriculteurs, tout en se limitant à un rayon local, celui de la ferme que l’on ne quitte pas (on y fait même la fête). Ceci renforce l’intimité que le spectateur partage avec Antoine et sa famille. Cette intimité va crescendo au fil des jours : des discussions tout à fait banales se muent en évocation du futur d’Élise, les tâches à accomplir au quotidien deviennent la toile de fond de la métamorphose du couple en une véritable équipe.

On ne peut être que ravi d’assister au quotidien de cette famille, rendue attachante tant par la nature de leurs liens que par la représentation de ceux-ci par Follet. Le choix du cadre est primordial dans cette œuvre documentaire : si on nous montre de manière riche et élégante des espaces, on nous montre aussi et surtout les gens qui les habitent. Ainsi se constitue peu à peu une atmosphère visuelle et sonore qui enveloppe le spectateur, renforçant l’idée d’invitation à connaître un lieu autant qu’un groupe. A travers ce groupe est évoquée la place des femmes dans une exploitation agricole.

Élise doit se confronter aux hommes et aux femmes de ce groupe, à leurs idées parfois un peu dépassées, pour comprendre comment intégrer la mécanique familiale et fermière. Ce processus est montré comme joyeux, hésitant, toujours empreint d’une presque nostalgie estivale, et échappe aux stéréotypes sociaux qui touchent les personnes représentées grâce à une réalisation discrètement minutieuse.

Sirine Lehoux

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Le Palmarès de la 27e édition de La Cinef

Le Jury des courts métrages et de La Cinef présidé par Lubna Azabal (interview à venir) et composé de Marie-Castille Mention-Schaar, Paolo Moretti, Claudine Nougaret et Vladimir Perišić a décerné les prix de La Cinef aujourd’hui lors d’une cérémonie en salle Buñuel, suivie de la projection des films primés. La sélection comptait 18 films d’étudiants en cinéma choisis parmi 2 263 candidats en provenance de 555 écoles de cinéma dans le monde.

Bonne info : les films primés seront projetés au Cinéma du Panthéon le 3 juin et au MK2 Quai de Seine le 4 juin.

« Sunflowers were the first ones to know »

Palmarès

Premier Prix : Sunflowers were the first ones to know de Chidananda S. Naik (FTII, Pune, Inde)

Deuxième Prix ex aequo : Out the window through the wall d’Asya Segalovich (Columbia University, États-Unis) et The chaos she left behind de Nikos Kolioukos (Aristotle University of Thessaloniki, Grèce).

Troisième Prix : Bunnyhood de Mansi Maheshwari (National Film and Television School, Royaume-Uni).

Les courts primés à la Semaine de la Critique 2024

Premier palmarès cannois. Le Jury (Sylvie Pialat, Iris Kaltenbäck, Eliane Umuhire, Virginie Surdej, Ben Croll) et les partenaires de la Semaine de la Critique ont annoncé ce mercredi 22 mai les films primés dans la section parallèle de Cannes.

Côté courts, le Prix Découverte Leitz Cine du court-métrage a été attribué au film français Montsouris de Guil Sela (interview à venir).

Le Prix Canal+ du court-métrage




, quant à lui, a été attribué au film turc Koksan (Absent) de Cem Demirer.

Ibrahim Maalouf : « Une musique n’est pas vécue de la même manière en fonction de notre histoire »

En 2023, Ibrahim Maalouf a composé la bande-son du concours « Quand le Son Créé l’Image » organisé par la Semaine du Son, un projet mis en place il y a 21 ans par Christian Higonnet. Cette bande-son a été l’inspiration pour bon nombre de lycéens français mais aussi étrangers prêts à se lancer dans l’aventure du court-métrage. Certains de ces films se sont vus primés à Cannes.

Invité au Festival de Cannes, Ibrahim Maalouf est cette année co-Président avec Elsa Zylberstein du Jury de la 6ème édition du Prix de la Meilleure Création Sonore remis à un film de la sélection Un Certain Regard. Ce prix a également été initié par la Semaine du son. Quelques jours après avoir présenté son émission Improbox (TSF Jazz) sur la Croisette et avant la remise de ce prix, il évoque son rapport au son, à l’altérité, à l’improvisation, à la musique et à la sincérité.

Format Court : Je vais commencer avec votre émission de radio, Improbox. Votre projet, c’est de croiser les regards et les expériences, d’associer un musicien ou un compositeur avec un politologue, un footballeur ou un comédien par exemple, soit des gens qui n’ont rien à voir avec la musique. Pourquoi ?

Ibrahim Maalouf : Pour plein de raisons. C’était un peu la suite logique pour moi de la démarche qui a consisté à écrire un livre sur l’improvisation. Je me suis rendu compte que l’improvisation était finalement beaucoup plus large que simplement juste un musicien ou une musicienne qui prend un instrument et qui s’amuse avec. L’improvisation, c’est une philosophie. C’est une manière de voir les choses, de s’adapter aux situations, de finalement régler les problèmes de nos vies, du monde aussi.

Vous y arrivez ou pas ?

I.M. : Non. Les problèmes de ma vie, j’essaie d’y arriver, mais ceux du monde, peut-être pas. Mais voilà, c’est cette manière de s’adapter aux situations qui se présentent à nous et de trouver quand même des solutions. Cette philosophie-là, j’avais envie de la mettre en relief pour qu’on comprenne que l’improvisation, ce n’est pas juste faire n’importe quoi ou juste s’amuser. C’est s’amuser, mais avec une philosophie derrière. Et quand on compare les démarches dans tous les métiers du monde, on se rend compte que, finalement, ceux qui arrivent le mieux à développer leur travail, le rendre visible, le rendre intéressant, sont ceux qui intègrent l’improvisation dans leurs démarches. D’une manière ou d’une autre, un tout petit peu ou beaucoup. J’aime ainsi mettre ensemble ces gens qui n’ont rien à voir, qui ne se seraient pas forcément rencontrés dans la vie et qui créent ensemble quelque chose de musical.

Et quand vous, vous préparez vos émissions, vous improvisez beaucoup ou pas ?

I.M. : J’improvise quasiment tout. Je prépare, attention, parce que pour l’improvisation, il y a beaucoup de préparation au départ. On n’improvise pas avec aucun langage. Pour improviser, il faut avoir un minimum de langage. Ce langage-là, c’est la culture. Si je devais vous interviewer, je devrais absolument tout savoir sur vous avant : savoir les actualités, d’où vous venez, vers quoi vous allez. Mais à partir du moment où on commence la discussion, j’ai envie qu’on parte là où la discussion nous amène, et pas forcément là où moi, j’ai mis mes points.

On n’a que 10 minutes, ça va faire court pour tous savoir tout sur moi (rires) !

I.M. : C’est vrai que c’est le plus agréable parce qu’on arrive finalement à aller à des endroits qu’on n’avait pas prévu. Et finalement, c’est là où on trouve des choses intéressantes à dire. Là, on est dans le cadre de Cannes, c’est différent, c’est assez formaté. Mais dans l’absolu, si on devait développer plus et faire un portrait plus long, quelque chose de plus large, c’est sûr que ce serait plus intéressant de discuter et d’aller chercher quelque chose qui va aller dans le sens de l’improvisation aussi.

On a parlé de culture tout à l’heure. On est en face du Palais et nous, à Format Court, on s’intéresse beaucoup aux jeunes auteurs notamment étrangers, dont libanais. On a accompagné des gens comme Ely Dagher, Wissam Charaf ou les sœurs Keserwany. Est-ce que vous suivez ce jeune cinéma libanais ?

I.M. : À une époque, je le suivais, quand j’étais plus jeune, en France. J’étais assez attentif à ce qui se passait. J’ai vu naître, comme tout le monde, Nadine Labaki, Philippe Aractingi. J’ai vu arriver un peu cette génération-là de cinéma. Ce sont les précurseurs. On est de la même génération finalement. En parallèle de ma propre démarche de musicien, je les ai vus aussi grandir et faire leur parcours, mais les auteurs qui sont venus après c’est vrai que je les connais un peu moins, pour être honnête.

Dans le cadre du concours « Quand le Son Créé l’Image », l’année passée, vous avez fait une bande-son d’1’47’’. Le projet, c’est que le son détermine l’image et que des étudiants s’emparent du son pour faire des films dans la foulée. Est-ce que ce projet a demandé une écriture particulière ?

I.M. : J’ai trouvé ça hyper intéressant, parce qu’en réalité, c’est la première fois qu’on m’avait demandé de faire ça, c’est-à-dire de composer une musique sur laquelle il y aurait un film qui serait fait et créé, voire beaucoup de films. C’est une démarche qui est inverse de celle habituelle au cinéma. Ce qui est hyper intéressant, c’est de comprendre à travers cette démarche-là que le son n’est pas vu, n’est pas compris, n’est pas ressenti de la même manière. Une musique n’est pas vécue de la même manière en fonction de notre histoire. Notre point de vue ne va pas être le même face à un élément émotionnel. Je trouve ça hyper intéressant d’inverser les rôles comme ça et de faire en sorte que ce soit la musique qui guide l’émotion et de voir vers quoi chacun est guidé. J’ai dû faire une vingtaine de musiques de films, voire un peu plus avec les courts-métrages. Et pour la première fois de ma vie, un réalisateur, et pas n’importe lequel, Claude Lelouch, m’a demandé de composer la musique avant même qu’il termine l’écriture de son film. J’ai fait la musique du film qui va sortir dans quelques semaines, dans quelques mois. C’est son 51ème film, d’ailleurs. Et ça, c’est la première fois, et c’est quelque chose qui n’a rien à voir avec le système habituel du cinéma.

Ça vous a plu ?

I.M. : Ah, j’ai adoré. J’ai trouvé ça absolument fabuleux.

Le concours a donné lieu à des films du monde entier. Qu’en avez-vous pensé ?

I.M. : Une fois que j’ai envoyé la musique, quelques semaines plus tard, on m’a envoyé tous les films. J’ai trouvé ça vraiment très chouette.

Et vous, le court-métrage, comment vous le percevez, en fait ?

I.M. : C’est comme un single dans la musique. Ça peut vivre seul. Il n’y a pas besoin, en effet, d’avoir forcément un long-métrage pour raconter quelque chose. Mais après, c’est vrai que souvent, quand j’ai aimé un film court, j’ai envie qu’il soit développé sur du long. Je me souviens de l’émotion que j’ai eue en me disant : « Dommage que ce ne soit pas un long-métrage ». Souvent, c’est ça ma réaction, c’est que quand j’aime le court, j’aimerais qu’il y en ait plus, j’aimerais que ce soit développé. Je ne sais pas si tous les courts-métrages sont voués à vouloir être développés, mais j’imagine qu’il y en a qui sont faits vraiment uniquement pour rester courts. Je pense qu’il y en a aussi qui sont des sortes de premiers essais de potentiellement quelque chose d’autre.

Ici à Cannes, il y a beaucoup de premiers longs, et beaucoup de gens viennent du court-métrage.

I.M. : Voilà, c’est peut-être lié en effet.

Ça fait un moment que vous avez un lien avec Cannes et avec toutes ces cérémonies. Comment avez-vous appris à gérer tout ce qui est promo et spontanéité encore dans vos propos ? Comment avez-vous réussi à maintenir un peu cette authenticité ?

I.M. : Je ne sais pas faire autrement.

C’est lié à quoi ?

I.M. : Oh, mon éducation, ma manière de voir, ma philosophie. En fait (rires), quand j’étais plus jeune et que je devais faire des interviews ou parler en public, j’avais peur de me tromper en parlant, de faire un lapsus, de me tromper d’idée, de dire un truc que je n’aurais peut-être pas dû dire, etc. Je me suis rendu compte qu’en réalité, quand on est sincère, quand on est soi-même, qu’on n’essaie pas d’avoir une image, de vendre quelque chose, qu’on est exactement comme on est dans la vraie vie, on ne se trompe jamais. Et si jamais on dit quelque chose qui ne plaît pas, et ça m’est déjà arrivé de le faire, on assume parce que c’est vraiment ce qu’on est. Ou alors, on n’a pas envie de montrer ce qu’on est. Mais moi, j’en ai envie.

Je n’ai jamais été embêté en interview ni même sur scène ni dans des discours de remises de prix parce que je ne fais que dire les choses très sincèrement et de la manière la plus authentique possible. Je ne prépare jamais ce que j’ai à dire. Parfois, même en interview, on me dit qu’on va m’envoyer des questions et je refuse parce que sinon, je vais y réfléchir et là, je ne serai plus moi-même. Je ne serais plus spontané. Du coup, c’est ce qui fait d’ailleurs que j’ai tout le temps de belles surprises, que mes interviews ne sont jamais les mêmes. Je ne m’ennuie pas, je peux faire 18 interviews à la suite, ça va peut-être me fatiguer à la fin de parler, mais je ne serai pas fatigué par le principe même de répondre à des questions. Je trouve que je suis chanceux qu’on me pose des questions. C’est assez inhabituel dans la vie normale, on ne demande pas à des gens plein de choses comme ça. Je prends ça comme un honneur. J’essaie d’être respectueux aussi des questions et des personnes, des médias et des différentes opportunités. J’essaie d’être respectueux vis-à-vis des gens qui font leur travail.

Voilà, l’authenticité pour moi et la sincérité des mots font que je ne m’ennuie pas, que je suis toujours à la recherche d’une idée (rires), j’aime me surprendre moi-même aussi, j’essaye de creuser parfois aussi. Il y a des questions où je me dis : « Tiens, c’est marrant ». Là, vous m’avez posé une question, je ne m’y attendais pas.

Laquelle ?

I.M. : Par rapport à la relation que j’entretiens avec les courts-métrages. C’est super et d’ailleurs, je vais me renseigner. Je vais vraiment recreuser parce que c’est vrai que je ne me suis pas souvent attardé sur les courts-métrages et pourtant, il y avait des très belles choses.

Qu’est-ce qui fait, pour vous, une bonne création sonore ?

I.M. : Pour moi, c’est un tout. Pour moi, la création sonore, c’est plein d’éléments. Il y a quand même la musique. Je suis musicien, donc la musique va avoir un rôle important. Comptent aussi la technique qui est utilisée, la manière avec laquelle on spatialise, la qualité de l’enregistrement, du son, la façon dont on arrive à bien distinguer les paroles, les mots. Comment on apprécie le tout, est-ce qu’on arrive à bien comprendre, est-ce que c’est tout le temps la même chose, est-ce que c’est monotone, est-ce que c’est monochronique ? Où est-ce qu’on respire ? Est-ce qu’on laisse l’oreille se reposer ? Est-ce quelque chose qu’on n’oublie pas ? D’ailleurs, la Semaine du son, c’est un peu en ça que le projet est militant. La démarche de Christian Higonnet est extraordinaire. Ce qu’il dit tout le temps, c’est que les oreilles n’ont pas de paupières, qu’on ne peut pas les protéger, donc c’est à nous d’être conscients de la manière avec laquelle on les protège. Et nos oreilles, c’est notre compréhension, c’est notre dialogue. C’est avec ça qu’on arrive à débattre, à avoir des émotions, à se comprendre, à se parler, à dialoguer, à se respecter. Et quand on ne sait pas écouter, on ne sait pas s’exprimer, on est irrespectueux. C’est pour ça qu’on coupe la parole des gens quand on n’écoute pas. Il y a des gens comme ça qui parlent, ils coupent la parole, ils ne font pas attention, ils n’écoutent pas suffisamment. Et on est de plus en plus confrontés à ça, je trouve, parce qu’il y a de moins en moins de conscience de l’importance des sons.

Vous avez vu là, les gens qui sont passés à côté de nous et qui ont fait du bruit ? Ils s’en foutent complètement alors qu’on discute. Les gens n’ont plus conscience du monde qui les entoure. On est tous focus égoïstement sur notre propre son, notre propre situation personnelle. On n’envisage plus tout ce qu’il y a autour de nous. Et ça, c’est très problématique.

Je pense que dans le cinéma, dans les courts-métrages, c’est important de systématiquement avoir un engagement là-dessus. Sinon, c’est l’horreur. Sinon, on se retrouve avec des films qui – malheureusement, ça arrive- comptent 2h de films dont 1h58 de musique.

Vous avez souffert de ne pas avoir été assez écouté ?

I.M. : On parle de musique ou on parle d’autre chose ?

On va dire qu’on parle de musique.

I.M. : Si on parle de musique, j’ai la chance d’être écouté. Je ne peux pas me plaindre. L’autre soir, à Cannes, j’étais devant 12.000 personnes. J’ai une chance incroyable. Je fais un métier qui est génial et j’ai la chance d’être écouté.

Propos recueillis par Katia Bayer

Formats Longs : Les Reines du drame de Alexis Langlois

Au milieu de milliers de tragédies grecques, le choix cornélien entre succès et amour se présente comme un sujet matriciel qui a toujours été réapproprié pour commenter son époque. Prenez comme exemple les quatre films A Star is Born, qui vont de l’œuvre classique hollywoodienne au film post-MeToo, en passant par l’œuvre rock pré-Reagan. Ici, à travers son propre prisme queer, Alexis Langlois nous raconte dans Les Reines du drame, sélectionné en séance spéciale à la Semaine de la Critique, le destin de la diva pop Mimi Madamour, au sommet de sa gloire en 2005, et de sa descente aux enfers précipitée par son histoire d’amour avec l’icône punk Billie Kohler.

L’excitation était grande tant nous connaissions le talent d’Alexis Langlois, qui a montré avec ses courts-métrages comme De la terreur, mes sœurs ! et Les démons de Dorothy un univers singulier, rempli d’influences, quoique foutraque et qui n’avait jamais été encore porté sur grand écran. Une impatience qui vaut le détour tellement on sort de la séance avec l’impression d’avoir assisté à deux heures de jouissance queer, fun, incontrôlable et absolument formidable. Avec Les Reines du drame, Alexis Langlois nous livre une œuvre baroque et musicale, toujours au bord de l’artificialité et de la facticité par son dispositif et le décorum qui l’entoure, mais qui ne passe jamais la ligne grâce notamment à l’humour de ce dernier. Cela nous est montré dès le début, dans un futur proche, avec l’apparition hilarante du personnage de Bilal Hassani, botoxé jusqu’aux chevilles, qui se présente à nous, spectateurs, comme le narrateur, celui qui va donner le ton de cette fable. Cette scène d’introduction se révèle ainsi comme la lettre d’intention d’un film qui utilise l’humour comme ouverture vers des personnages revendicatifs et fiers d’être ce qu’ils sont.

Une fierté, une pride qui transpire de tous les pores de l’œuvre et jusqu’à son genre, la comédie musicale, dont il respecte les codes, jusqu’à sa construction narrative en rise and fall. Ainsi en allant chercher du côté de Starmania ou encore de La La Land dans son histoire d’amour parasitée par la recherche du succès, Alexis Langlois se présente comme un auteur réellement passionné par ce genre et par les tensions qui en découlent. Et ceci tout en pervertissant les paroles et les musiques qui lui sont accolées, y ajoutant une couche extrêmement jouissive au film (petit coup de cœur pour la musique “Pas touche” de Mimi Madamour).

Une réjouissance qui se retrouve principalement dans l’envie de Langlois de nous livrer une œuvre pop qui se réapproprie les codes autant visuels que musicaux des années 2000. À l’intersection de plusieurs icônes féministes et queer des années 2000 comme Lorie, Priscilla ou encore Britney Spears, on retrouve le personnage principal de Mimi Madamaour, se présentant comme un melting pot, un pastiche de toutes ces influences, qui se reflète dans l’esthétique pink, kitsch et théâtrale.

Une esthétique et une mise en scène tellement propres à son auteur que le film ne présente que très peu d’aspérités et de sorties de piste, ce qui est rare pour un premier film. Notamment dans son traitement de la figure de la femme comme sujet, comme action de comédie et action de résistance face aux normes de la société. Avec une énergie fédératrice et une mise en scène qui met ses personnages et leurs doutes au cœur du régime de narration et d’esthétique, Alexis Langlois nous livre un female gaze absolument passionnant. Dans la continuité de ses courts-métrages comme De la terreur, mes sœurs !, il nous offre ainsi un éventail de personnages et de femmes en tout genre, chacun à leur manière iconisés et adoubés au niveau de reines. Le seul point noir au milieu de cet océan d’idées nouvelles est l’essoufflement de la relation entre Mimi et Billie qui, dans son dernier tiers, vire à une banalité qui nous fait regretter la première heure du film.

Issu du format court, Alexis Langlois ne semble pas en oublier l’inventivité, s’appropriant le format long comme un immense parc de jeux où il peut étendre toute une panoplie thématique inédite.

Dylan Librati