Synopsis : César a 12 ans lorsque sa grande sœur Lou est victime d’une agression sexuelle. Dans les vestiaires des cours d’escrime qu’il fréquente, tout se mesure à l’aune de la violence. César voudrait prendre part à tous les combats mais n’a pas les armes.
Genre : Fiction
Durée : 18’
Pays : France
Année : 2024
Réalisation : Violette Gitton
Scénario : Violette Gitton
Image : Martin Laugery
Son : Elias Graziani
Montage : Cyrielle Thelot, Clémentine Lacroux
Montage son : Matthieu Frelin
Musique : Delphine Malausséna
Interprétation : Marius Plard, Billie Blain, Jala Altawil, …
César, 12 ans, est un jeune garçon dont la sœur a été agressée sexuellement. Le film de Violette Gitton, en lice aux César, est aussi doux que percutant et filme la jeunesse et l’enfance dans toute sa vérité aussi violente qu’elle soit. Comme le précise la réalisatrice sur Court-Circuit, également assistante à la direction et à la protection des enfants sur les tournages, avec ces derniers, il n’y a éthiquement pas le droit à l’erreur. C’est ce qui émane de ce film, où l’attention portée à l’enfance témoigne d’un sens précis de ce qu’est tourner avec des enfants, de leur prise en charge et de ce que psychologiquement, l’histoire représente pour eux.
Dans le film, César fait de l’escrime et passe une partie de son temps à l’entraînement puis à la piscine où il vient chercher sa sœur. Dans les vestiaires, ces garçons répètent des schémas de virilité : mesurer son sexe, bizuter. Ce chahutage que certains diraient bon enfant, est symptomatique de la violence dont les enfants peuvent être à l’origine. Ainsi, Violette Gitton pose les bases d’une enfance contrainte à la fois à grandir au travers des principes de l’enfance mais aussi avec ce que représente être un homme dans la société actuelle. Une position qui s’impose dans des schémas de construction de la personne, de masculinité mais aussi de questionnement quand César repense à l’agression de sa soeur. Cet ordre dans lequel César évolue est aussi régi par un certain équilibre, celui d’un entraînement rigoureux, d’un cadre, de règles, et de la vie intime de chacun.
Pour César, il s’agit d’apprendre à réagir face à l’agression de sa soeur. Ce n’est pas elle qui en parle, la première fois qu’on l’apprend, c’est par la police spécialisée des mineurs qui vient interroger César. Derrière le froid de la caméra qui le filme, une première étape brutale le confronte à une réalité que l’on souhaite restée éloignée de l’insouciance d’un jeune garçon. Une femme explique à César que sa sœur a été agressée sexuellement. Il y a une sorte de neutralité dans sa réaction. Que faire ? Il ne semble pas avoir peur, est-il peut-être triste ? L’impassibilité est la réaction propre à cet enfant qui ne comprend peut-être pas très bien le drame qui bouscule sa famille.
Avec ce film, la réalisatrice s’inspire de sa propre expérience avec son frère et comme le dit le titre, souhaite raconter « ce qui appartient à César ». Soit ce qui lui est propre dans le tumulte de ces évènements, un enfant confronté à l’agression sexuelle de sa sœur. Un dur rappel qui s’effectue aussi visuellement avec les marques implicites de ce drame. Devant la piscine, lieu de l’agression, est garée une voiture vide. Cette carcasse de voiture, cette chose inanimée qui pourtant dégage une étrangeté et un silence comme une omerta. Il n’en parle pas à sa sœur, elle ne lui en parle pas non plus. Ils partagent quelques moments du quotidien que cela soit dans la chambre ou dans le salon devant l’avocat de l’affaire. César ne modifie en rien son quotidien mais quelque chose le travaille. Il cherche une justesse, un moyen de réagir. Ainsi, César perd un fragment de normalité mais essaye de prendre en main son quotidien. Avec sa sœur, qu’il continue d’aller chercher à la piscine, ils observent la voiture être amenée à la casse par une grande machine. Le dernier vestige de ce drame est emporté loin d’eux et un silence tacite les réunit dans l’espoir de passer outre tout cela.
Il y a un mois, nous vous annoncions la liste des 45 titres de courts présélectionnés aux Oscars 2025. Il y a quelques jours, les nominations des votants de l’Académie se sont fait connaître. Un tiers des films (15 donc) reste en lice pour l’Oscar du meilleur court-métrage de fiction, d’animation et documentaire. Le p’tit bonus : plusieurs de ces films sont visibles sur la Toile, via cette actu.
Et pour la suite ? À l’issue du deuxième tour de vote qui aura lieu du 11 au 18 février, les prix seront remis pendant la 97ème cérémonie des Oscars, le 2 mars prochain.
Après avoir été auréolé du prix du public lors du festival du court-métrage de Clermont-Ferrand 2024, le film de Marie-Lola Terver et Paul Jousselin pousse la porte des César en intégrant la sélection officielle des courts métrages de fiction de l’édition 2025. Sans rien sacrifier à sa drôlerie ni à son fantasque, Les Mystérieuses Aventures de Claude Conseil, revêt l’étoffe d’un conte philosophique. Leur premier film s’intéresse à l’improbable rencontre de deux mondes à travers deux femmes que tout semble a priori séparer. Le court-métrage joue avec les possibilités du son, Paul Jousselin est par ailleurs diplômé de la Fémis en section son, Marie-Lola Terver est quant à elle costumière. Devant l’exceptionnel parcours de leur film, riche en nominations et en prix, Paul Jousselin a même pensé un site internet en l’honneur du film, prolongeant l’atmosphère du court-métrage avec ses détails les plus emblématiques, comme un jeu de solitaire, ou le fond d’écran signé Pasolini, et recense tous les honneurs récompensant leur film.
Vivant paisiblement dans la forêt et unis par une passion dévorante pour les oiseaux, les époux Claude Conseil (Catherine Salviat et Olivier Saladin) recueillent leurs chants sifflés et les diffusent sur leur chaîne YouTube. Cette tendre tranquillité est perturbée le jour où le téléphone portable de Madame Claude Conseil est submergé de messages de désir et de haine. Le pépiement des oiseaux nappait leur maison au fond des bois : il laisse place à une pluie de voix électroniques. Cette avalanche de messages est provoquée par la sortie d’un titre de rap de la chanteuse Leys scandant ce qui s’avère être le numéro de téléphone de Claude Conseil. De là, les gazouillement d’oiseaux croisent la verve des paroles de la rappeuse comme les platines de ses productions, les feuillages et la lumière du jour rencontrent miraculeusement celle des néons et de l’esthétique très léchée du clip. Les Mystérieuses aventures, ce sont ces métissages de deux mondes, de deux femmes, un cocktail étonnant, détonnant, dont on peut attendre le pire, mais qui s’avère bienveillant. Cette persistance de la gentillesse et de l’altruisme dans le monde contemporain, une ode à l’inclusivité, voilà peut-être la plus belle surprise du court-métrage.
Le “Il était une fois” des contes infuse la forme comme le ton du court-métrage. Claude Conseil et son époux sont des passeurs d’histoire. Leur répertoire de chants d’oiseaux assure la transmission de la nature à internet. L’idée est plaisante : la féérie harmonieuse des oiseaux nourrit souvent l’imaginaire des contes. Elle est ici aussi comique, dessinant un jeu subtil avec le langage et le son : gazouillis, piaillements, roucoulements et paroles s’emmêlent, troublant ainsi ce qui se dit. Le clin d’œil amusé au film de Pasolini Uccellacci e uccellini (Des oiseaux petits et gros), vient renforcer à la fois la notion de conte et la portée du langage. Dans un monde connecté où l’âge, le vocabulaire et les centres d’intérêts creusent l’écart générationnel, Claude Conseil prône l’amitié : s’écouter, c’est mieux s’entendre. Claude Conseil comme Saint François d’Assise s’adresse aux oiseaux : “Qu’est-ce que tu vas me raconter aujourd’hui?”
Au début du film, Claude Conseil est assise face à sa fenêtre entrebâillée, au rebord de laquelle un oiseau se pose. Lorsque cette paisible retraitée sifflote à la manière des oiseaux le rap qu’elle vient d’assimiler, la preuve est apportée par le son cette fois-ci : il ne faut cesser d’ouvrir des portes et des fenêtres sur le monde qui nous entoure. Claude Conseil, au milieu de la nature, le téléphone tendu, comme un Orphée brandissant sa lyre, ne cherche pas à dompter les oiseaux, mais en poète, elle désire conter leur mélodie aux microphones d’un studio de musique. De l’autre côté, Leys tient son téléphone proche du micro, cherchant dans le chant des oiseaux le flow, le rythme qui permet de mixer les sifflements à la cadence du rap. Il y a transmission à partir du moment où Leys se rend disponible à recevoir et intégrer, de la même manière que Claude Conseil, apprend et assimile le vocabulaire qui lui est inconnu. Les Mystérieuses Aventures de Claude Conseil, dans une mise en scène radieuse, fait du dialogue, à l’instar de ses deux cinéastes, le levier de la création.
Synopsis : Claude Conseil vit une retraite paisible avec son mari dans une maison au milieu des bois. Elle occupe son temps à écouter et enregistrer les oiseaux. Un soir de printemps, d’incessants et énigmatiques appels viennent rompre le calme de la forêt.
Synopsis : Sous un soleil caniculaire, Charlie s’ennuie ferme et rêve d’aller à la mer. Mais elle est contrainte de garder un motel miteux avec sa cousine Jess qui reste affalée dans son transat. Les deux ados ne s’entendent pas et se chamaillent à la moindre occasion. À la radio, la voix monocorde d’un éminent chercheur en collapsologie prédit une fin du monde imminente. La piscine est vide, le soleil tape, la tension monte : l’apocalypse écologique annoncé sur les ondes fait soudain irruption dans la réalité.
Genre : Animation
Durée : 12’
Pays : France, Belgique
Année : 2024
Réalisation : Camille Monnier
Scénario : Camille Monnier
Animation : Léa Krawczyk, William Lebrun, Camille Monnier, Anne Huynh
Qui n’a pas connu ces longues journées d’été marquées par la chaleur suffocante et l’ennui écrasant ? C’est de cette torpeur envoûtante que la jeune réalisatrice Camille Monnier va tirer son dernier court-métrage, Soleil gris, préselectionné aux César 2025 et disponible sur Arte. Deux cousines, coincées dans un hôtel vide et se supportant peu, cherchent à combler l’ennui dans un climat de fin des temps.
Dans un mélange de chaleur accablante et de poussière volante, Camille Monnier représente les journées vides d’été dans un paysage quasi désertique, rythmé par le mouvement de sacs plastiques volant doucement au gré du vent. Au bord d’une piscine vide, dans un motel où personne passe et où s’étend au loin une étendue ocrée d’herbes sèches, on est vite pris d’un sentiment de solitude face au monde, et même celui de la fin du monde en elle-même. Le court nous plonge directement dans cette ambiance particulière et indéfinissable, avec une poésie désolée du vide et ce léger vent qui n’arrive pas à rafraîchir.
D’un côté, nous avons Jess sur son transat, en train de lire un magazine sur comment perdre du poids, triturant son corps tout exposé au soleil, et de l’autre, Charlie, toute habillée et tournant en rond autour de la piscine comme un vieux loup, voulant absolument aller se baigner à la mer. Entre les deux, pas d’atomes crochus, elles sont là parce qu’elles doivent garder le motel, forcées de rester ensemble, et c’est tout. À coup de paroles cinglantes, la tension monte un peu, Jess menace Charlie de croiser un coyote. Lorsque Charlie va se chercher un Coca pour se rafraîchir, la soif monte aussi en nous (encore plus quand la boisson reste coincée dans le distributeur). À ce titre, on ne peut qu’applaudir le rendu atmosphérique visuel de ce court, qui fait aussi bien sentir au personnage qu’au spectateur la gorge s’assécher et le malaise s’installer.
Un élément vient couper l’ennui dans lequel les deux filles se trouvent. Derrière le grillage, une voiture apparaît et roule jusqu’au motel. Au volant, un garçon leur propose de monter pour aller se baigner. Finalement, aucune des deux n’y va. La tension monte encore. Les corps gris se déplacent avec langueur dans le décor, marqué de-ci et de-là de nuances bleues et rouges. Le faux calme du vent chaud, de la voix radiophonique qui grésille dans le haut-parleur et de cette espèce de bourdonnement incessant rendent toujours plus insupportable le paysage desséché.
L’ambiance devient sombre, comme dans un rêve sur fond noir : un corps nu féminin, une coupure rouge puis un coyote apparaissent pour se rapprochent de plus en plus. Il semble que c’est Charlie, qui plonge ses mains dans la fourrure d’un coyote, et ses poils ressemblent à des flammes. Puis le coyote se renferme sur elle. C’est un songe bizarre dont on est surpris, tout autant que Charlie qui se réveille bouillante au fond de la piscine, sa peau grise devenue rouge. Dans le bassin, des choses volent : est-ce des bouts de feuilles ou bien des cendres ?
L’étendue d’herbe jaune séchée au soleil est devenue un brasier, les palmiers sont couverts de flammes, et on entend la voix de Jess en fond, empreinte de panique. Enfin, les deux sortent du motel par la contrainte. La fuite des incendies se présente comme une course effrénée, presque irréelle dans un rouge vermillon teinté de particules de cendres, reproduisant comme le grain d’un vieux film, mais sur fond d’aquarelle. Ce visuel graphique aussi beau qu’étrange se prolonge jusqu’à l’arrivée dans la mer, dont la surface est colorée de cet orange doux des flammes. La baignade tant souhaitée est devenue une libération étrange, proche de l’apocalypse : les coyotes sont aussi au bord de l’eau, les sacs plastiques s’envolent, et l’ambiance est toujours aussi désolée qu’avant, si ce n’est plus.
Dans un entretien à Arte, Camille Monnier se confie sur son intérêt pour la collapsologie, c’est-à-dire l’étude d’un effondrement potentiel de la civilisation, qu’elle lie subtilement dans son court-métrage à l’adolescence, une période de (dé)constructions aussi ravageante, la fin d’un monde en lui-même. Ce double lien est parfaitement rendu par la beauté sombre de cette peinture et animation sur papier, qui nous emporte pendant douze minutes dans un paysage caniculaire pénétré de lassitude, si particulier par la grande sensorialité qu’il arrive à nous transmettre.
Fin novembre 2024, Djiby Kebe a remporté au Festival Entrevues de Belfort le Grand Prix du Court Métrage André S. Labarthe pour son premier film, L’Avance, soutenu par la Ville de Paris. Le réalisateur a plus d’un mot dans sa besace et fait son bout de chemin, entre vieux films et grands espoirs. Son court métrage retrace le parcours d’un jeune artiste Aliou (Saabo Balde), vendant sa première toile pour une bouchée de miettes à une collectionneuse (Julia Faure), bien éloignée de ses repères. Influencé par Robert Bressson et Samuel Fuller, Djiby Kebe s’interroge sur sa place de cinéaste dans un milieu qu’il a choisi et dont il continue à décrypter les codes.
Format Court : Quel a été ton parcours avant L’Avance ?
Djiby Kebe : La première fois que je me suis retrouvé dans un cadre scolaire, officiellement, c’était en droit, à la Sorbonne. Ça a duré 6 mois. Ensuite, je suis allé à l’école Kourtrajmé, en section photo, pendant 6 mois. Après, je suis allé aux Beaux-Arts, deux ans après. J’ai arrêté mes études. Maintenant, je travaille à mon compte et j’écris des films. J’ai un projet de magazine à côté qui s’appelle Air Afrique. Ça me permet de gagner un peu d’argent de poche, de pouvoir me concentrer aussi sur des films et de ne pas avoir un boulot freinant.
Air Afrique, ça parle de quoi ?
D.K. : Air Afrique, c’était une compagnie aérienne qui a été fondée dans les années 60 par les 11 États fraîchement indépendants. Elle a existé jusqu’en 2002. En parallèle d’être une compagnie aérienne, Air Afrique a été mécène de cinéma africain, d’art africain, de littérature africaine, etc. Avec mes amis, on est super cinéphiles. On a regardé beaucoup de films, on s’est intéressés à la compagnie, on a décidé de reprendre le nom pour en faire un projet culturel.
Qu’est-ce que la critique t’apporte dans tes idées d’écriture de films ?
D.K. : Je suis hyper cinéphile. J’anime un ciné-club tous les deux mois au cinéma Christine, dans le 6ème arrondissement. Je fais partie de ces gens qui pensent que pour devenir cinéaste, c’est très important de connaître l’histoire du cinéma. En montrant des films qui partent de cette perspective africaine, afro-diasporique, ça me permet aussi de situer mon oeuvre, de la relier avec ces films-là. Mais en même temps, la réalité, c’est que j’ai grandi en France, que j’ai été nourri au cinéma occidental, que j’adore. J’adore aussi Hollywood, les grosses industries européennes. C’est hyper intéressant de faire le parallèle entre tous ces cinémas-là, et d’arriver avec un objet qui va essayer d’être différent de ce qui peut se faire en temps normal.
Pourquoi avoir étudié la photo à Kourtrajmé ? Qu’est-ce que tu y as appris ?
D.K. : J’écris des scénarios depuis que j’ai à peu près 16-17 ans sauf que je n’ai pas eu le courage de faire des films, parce que quand on pense au cinéma, on a l’impression que c’est compliqué, que ça nécessite d’avoir une équipe. Je m’auto-censurais pas mal, c’était compliqué pour moi de porter à l’écran un récit que j’avais moi-même écrit. Passer par la photo, justement, c’était passer par un biais un peu plus subtil, où je pouvais mettre en scène quelque chose de fragmenté, quelque chose qui reste bloqué dans le temps, comme une seule image. Je fais de la photo depuis que j’ai à peu près 15 ans. J’ai été vraiment inspiré par les photographes new-yorkais des années 80 qui ont beaucoup documenté la scène skate. Moi-même, j’ai été un skater.
Je suis allé à Kourtrajmé en section photo parce que j’étais à un moment de ma vie où je n’allais pas à l’école, j’avais 19-20 ans, je ne faisais pas grand-chose. Ma mère n’était pas très contente. Je ne pouvais pas retourner en cours comme ça du jour au lendemain. J’ai vu que ces formations existaient du coup, je me suis dit : « Pourquoi pas ? ». Je me suis dit que ça me ferait rencontrer des gens, essayer de nouvelles choses. Et puis, en étant aux côtés des cinéastes de l’école, des étudiants des autres sections, ça m’a aussi fait comprendre que le cinéma, c’était peut-être à ma portée, qu’il fallait potentiellement que je me lance aussi là dedans.
J’entends assez régulièrement de la part de jeunes qu’il ne faut pas forcément avoir besoin des commissions pour y aller, qu’il faut tourner et c’est comme ça qu’on apprend. Dans quelle mesure as-tu le sentiment que cette idée, c’était vraiment une réalité pour toi, que tu n’avais pas envie d’attendre et qu’il y avait une forme d’urgence ?
D.K. : Je pense qu’en tant que jeune cinéaste, on est nourri d’une certaine naïveté qui nous fait croire que c’est possible. Cette naïveté-là peut nous emmener dans des endroits hyper intéressants. Après, c’est vrai qu’il y a une réalité économique qui est que si on a des moyens et qu’on a une infrastructure qui peut nous permettre de faire des films, on aura beaucoup plus de facilité à faire quelque chose qui, à la fin, sera quelque chose de regardable, qui sera quelque chose de bien. Moi, j’ai eu de la chance. Le premier film que j’ai fait a eu une subvention de la Ville de Paris. Mais avant cela, j’avais quand même dit à mon producteur que si on n’avait pas la subvention, je voulais quand même qu’on fasse le film. Après, est-ce que ça aurait été le même film ? Je n’en suis pas certain. Le fait qu’on ait eu cette subvention-là a permis à ce que le film puisse être à Belfort et puisse être récompensé.
Parfois, les jeunes réalisateurs sont amenés, pour apprendre à réaliser, à faire des films dans des conditions un petit peu différentes. Tu as dû entendre parler des films Nikon et des films kino, réalisés en 48 heures à Trouville. Est-ce que c’est quelque chose qui t’a tenté ?
D.K. : J’ai voulu faire le film que j’avais en tête. Je ne voulais pas le limiter selon des contraintes temporelles ou esthétiques. Je n’ai pas fait le film en pensant à des festivals. J’ai pensé le film en sortant quelque chose de ma tête qui allait, au final, être porté à l’écran. Ça a été quelque chose d’hyper singulier, d’hyper personnel. Je pense que c’est pour ça que ça fonctionne, pour l’instant.
C’est quoi les attentes que tu avais de L’Avance ?
D.K. : La première chose que j’ai dit à mon producteur, à mon chef opérateur et à mon co-scénariste, c’est que je voulais qu’on fasse un film de cinéma et rien d’autre.
C’est quoi, un film de cinéma ?
D.K. : Pour moi, un film de cinéma, c’est un film ambitieux esthétiquement parlant et exigeant intellectuellement. Je pense que le cinéma vit une époque incroyable, il y a de la diversité. J’ai tendance à beaucoup regarder les films du passé. J’adore la période classique hollywoodienne. Je trouve que c’est vraiment l’apothéose du cinéma, en tout cas dans sa forme, que ce soit dans les costumes ou dans les décors. Je pense aux films des années 30-40-50. J’aime beaucoup les films de gangsters de la Warner, cette période m’inspire, jusque dans les années 70, avec le nouvel Hollywood et même le cinéma français qu’on a tendance à oublier. Les films de Bresson ou de Melville, la façon qu’ils avaient de filmer Paris, leurs personnages marginaux, c’est ce qui m’intéresse et que j’essaie de mettre en scène. Le personnage de L’Avance, qui est incarné par Saabo Balde, pourrait être un personnage mis en scène par un Robert Bresson ou un Maurice Pialat, il y a 40 ou 50 ans. J’aime beaucoup aussi assumer ce côté très français de mon cinéma et pas uniquement copier ce qui se fait aux États-Unis. Je pense qu’en France et en Europe, on a une histoire qui est forte et qu’on n’a pas le même contexte culturel qu’aux États-Unis.
C’est marrant que tu parles de Bresson parce qu’il y a une histoire d’argent qui intervient dans ton film.
D.K. : C’est vraiment un de mes cinéastes préférés, que j’ai beaucoup vu, que j’ai beaucoup entendu parler. J’adore sa façon de penser le cinéma. Ce que j’ai vraiment aimé dans son cinéma, qui m’a vraiment marqué pendant ma jeunesse et qui m’a aussi éveillé, c’est sa façon de mettre en scène ces marginaux qui vivent un peu une espèce de fatalité et qui ne peuvent pas être plus forts que le système, que leur destin. C’est ce que j’ai essayé de montrer avec cette scène de fin, où le personnage d’Aliou ne peut pas sortir de cette pièce où il est enfermé, où il est bloqué, c’était un peu dans cette tradition d’un cinéma bressonien.
Tu as l’impression, toi, d’être bloqué dans ton quotidien ?
D.K. : Dans ma réalité, je pense qu’en fin de compte, les questions que je me pose souvent, justement, c’est : à quel endroit je me situe, qui je suis vraiment, comment les autres me perçoivent ? En réalité, j’ai la chance d’avoir côtoyé des milieux très intellectuels et en même temps, ma mère était femme de ménage, mon père était cuisinier plongeur dans une cuisine, dans le quatorzième. Il est arrivé en France dans les années 70, du coup, il a fait ça toute sa vie.
Il est arrivé d’où ?
D.K. : Il est arrivé de Bamako, du Mali. Et en fin de compte, il y a un peu un écart entre ce que j’étais et ce que je suis devenu, dans la mesure où, aujourd’hui, je ne pense pas qu’être un cinéaste, c’est quelque chose qui m’était offert sur un plateau d’argent. J’ai bénéficié du fait de vivre à Paris, d’avoir grandi dans le 20e arrondissement. Encore une fois, j’ai encore plus de chance que des gens qui habitent en banlieue ou même en province qui, eux, justement, ne sont pas à 30 minutes du Quartier latin pour aller voir des films d’art et essai et qui ne sont pas à côté du Musée du Louvre, qui n’ont pas le métro à proximité. C’est aussi ça qui est intéressant, de par mon parcours personnel, j’ai côtoyé plusieurs écosystèmes, plusieurs milieux qui sont un peu opposés, mais qui, en fin de compte ont un sens, C’est vraiment ça que j’ai essayé de retranscrire dans le film. Une scène fait le lien entre les Beaux-Arts, Strasbourg-Saint-Denis et le 19e arrondissement. On a vraiment fait cette scène en pensant, au parcours que je mène dans ma vie de tous les jours. J’étais au Beaux-Arts, je rentrais tout le temps dans le 20e, dans mon logement social à côté de Cité. Je ne suis pas dans la cité, mais j’ai grandi à côté de Cité, j’étais près de ces gens qui avaient beaucoup moins de chance que moi.
Je n’aime pas trop le mot « diversité ». Mais en même temps, aux Beaux-Arts qui est un peu une école d’initiés, est-ce que tu as pu trouver ta place ?
D.K. : L’école a élargi son champ d’étudiants. Ce n’est plus que c’était il y a 30 ans. Cependant, on peut toujours sentir l’écart qui existe entre certains étudiants. Moi-même, je faisais partie un peu des marginaux de l’établissement. Mes parents n’étaient pas artistes, je n’ai pas grandi dans ce milieu. C’est un peu par accident que je suis arrivé là, mais en même temps, c’est un accident que j’ai provoqué. J’ai rencontré pas mal d’étudiants autour de moi qui, eux aussi, m’ont fait part de leur expérience. C’est justement ce mélange-là de parcours qui m’a intéressé et que j’ai voulu mettre en scène. Le point de départ du film, c’est vraiment mon arrivée aux Beaux-Arts et dans le 6ème arrondissement. C’est devenu mon quartier. Je l’apprécie énormément, j’y ai passé beaucoup de temps, c’est un quartier qui est hyper important pour la culture française, parisienne. Avoir été là, ça a été vraiment un reboost d’énergie intellectuelle. Ça m’a permis aussi de capter beaucoup plus de choses de moi-même. J’ai l’impression que je ne suis pas de ce milieu-là, mais en même temps que j’y appartiens.
Tu as remporté le Prix André S. Labarthe. Est-ce que tu savais qui était André S. Labarthe avant de venir à Entrevues ?
D.K. : Oui. J’aimais beaucoup les séries documentaires qu’il faisait sur les réalisateurs. C’est quand même quelqu’un qui a vu Capra, Fleischer, enfin, les cinéastes qui ont changé ma vie. Je pourrais donner tout mon argent, ne serait-ce que pour les rencontrer. Et lui, il les a rencontrés !
Ça représente quoi, un prix portant son nom ?
D.K. : C’est quelque chose d’extrêmement honorifique parce qu’il m’a vraiment permis de faire évoluer ma cinéphilie. Et puis, Belfort, ça compte aussi pour moi parce qu’en 86, je crois, Samuel Fuller, mon cinéaste préféré, est venu ici. Ça fait trop bizarre de se dire que je suis au même endroit que lui et qu’il est là, en fait. Son cinéma me bouleverse. Je peux regarder ses films à l’infini, son travail me fait comprendre qu’en fait, être un être humain, c’est quand même quelque chose de puissant. Être capable de capter tout ce qui se passe autour de nous et de le mettre en forme, de le mettre en scène, via le cinéma, ou via même d’autres formes, ça me fait croire en l’art, en la vie. Je suis trop content de faire partie de cette famille-là !
Tu connais tous les lauréats du prix ?
D.K. : Non, mais pour le coup, je me suis intéressé au festival lorsqu’on a été sélectionnés. J’ai vu qu’il y avait tous ces noms qui y étaient passés, comme Sean Baker ou les frères Safdie. C’est fou, parce que finalement, ce sont des gens qui font partie de la plus jeune génération de cinéastes aujourd’hui. Ce sont des artistes forts, exposés à l’international. Justine Triet et Arthur Harari aussi en font partie. Ces cinéastes qui sont dans la quarantaine, ont un nouveau regard sur le monde, ils ont grandi avec des dynamiques différentes de leurs prédécesseurs. Maintenant, moi aussi, je fais un peu partie de cette lignée-là, ça me rend très optimiste. Ça veut dire que peut-être qu’un jour, je serai à leur niveau aussi.
Est-ce que le fait de ne pas appartenir à ce milieu-là te procure une forme de rage pour te donner les moyens d’y arriver ?
D.K. : Bien sûr. Cette espèce de rage, c’est propre au commun des mortels, je pense. La littérature en parle depuis longtemps, Rastignac, par exemple, c’est quelqu’un qui a la rage et qui veut tout défoncer. Le fait de ne pas avoir été quelqu’un de privilégié, ça a créé pas mal de complexes en moi dans ma jeunesse que j’ai maintenant réussi à déconstruire. Aujourd’hui, je suis beaucoup plus apaisé avec la question. Au final, je ne pense pas être en mission. Ce qui est important pour moi, c’est juste d’être épanoui dans la vie, d’être heureux, de faire plaisir à ma famille, de rendre fier mes proches et c’est pour ça que je suis très content qu’on ait gagné ce prix-là. Maintenant, autour de de moi, des gens vont être contents et ça va même peut-être les inspirer. J’ai eu des prédécesseurs, je ne suis pas le premier à avoir fait ça et je ne serai pas le dernier non plus.
Mon film est amené à parler à tout le monde. Il n’est pas amené à fermer les portes parce qu’au final, je pense que la puissance de l’art et du cinéma, c’est de se mettre à la place d’autres personnages. Moi, j’ai appris ce que c’était être une femme japonaise à travers le cinéma de Mizoguchi. J’ai appris ce que c’était d’être un Italo-américain à travers les yeux de Martin Scorsese et je pense que c’est pareil pour quelqu’un qui regarde mon film. Il peut comprendre ce que c’est d’être quelqu’un issu de l’immigration en France, dans les milieux de l’art. Je pense qu’on doit plus être dans une dynamique d’échange plutôt que de renfermer les choses pour soi et qu’en partant de cette perspective-là, on ira vers des choses beaucoup plus radieuses à l’avenir.
C’est quoi, les difficultés pour toi aujourd’hui ?
D.K. : Je ne pense pas avoir énormément de difficultés Je pense que je suis même très privilégié dans les projets que j’essaie de mettre en place. J’ai eu la chance d’avoir des gens qui m’ont soutenu, des marques surtout par rapport au magazine. Maintenant, j’ai quand même une communauté qui grossit petit à petit et il y a beaucoup de marques qui viennent me voir pour mettre à bien mes projets, du coup, je suis très heureux. Je pense qu’il y a 30 ans, quelqu’un comme moi n’aurait pas eu la même chance, ça a changé avec la démocratisation des réseaux sociaux. Même s’il y a du mauvais dedans, il y a aussi du bien dans la mesure où maintenant c’est plus possible d’être vu, d’être entendu, mais encore une fois, je ne pense pas être la norme. Je ne pense pas que tout le monde vit la même situation que moi.
Et les difficultés propres au film ?
D.K. : Ça a été extrêmement compliqué, mais je pense qu’encore une fois, ce sont des dynamiques que le plus petit cinéaste comme le plus grand vont rencontrer. Ce n’est jamais facile de faire un film, c’est toujours compliqué et tu as des moments de doute, mais après, ce qui compte, c’est comment on va gérer tout ça personnellement. Moi, je pense que j’ai plutôt été bon, même si j’ai eu des énormes phases de stress où j’ai été bloqué sur mon scénario.
C’est pour ça que tu as travaillé avec un co-scénariste ?
D.K. : J’ai travaillé avec un co-scénariste qui s’appelle Ahmadou Bamba-Thiam. Au-delà d’être mon meilleur ami, c’est quelqu’un qui me comprend énormément et moi, avant tout, ce que j’aime, c’est rigoler en faisant des films. Ça peut paraître bête, mais j’adore rigoler. Écrire tout seul, c’est marrant, on rigole à ses propres blagues, mais écrire avec quelqu’un, c’est encore mieux et j’ai beaucoup aimé ça. Là, pour mon nouveau projet, j’écris seul parce que maintenant, j’ai envie de me fixer le défi de faire quelque chose seul. Ça ne veut pas dire que je vais tenir la promesse. Mais en tout cas, pour L’Avance, je l’ai fait parce que je me sentais bien avec Ahmadou et que surtout, c’était quelqu’un qui me comprenait.
C’est quoi ta culture du court-métrage ?
D.K. : Elle est plutôt faible pour être tout à fait honnête. J’ai juste regardé les courts-métrages des metteurs en scène que j’aimais beaucoup pour voir comment ils avaient commencé. C’est plus pour voir à quelles étapes ils étaient de leur cinéphilie, comment ils avaient digéré l’information et comment ils l’avaient transformée en court. C’est vraiment ça qui m’a intéressé.
Synopsis : Dans la mer, un homme nage. Au fur et à mesure de sa progression, les souvenirs remontent à la surface. De sa petite enfance à sa vie d’homme, tous ses souvenirs sont liés à l’eau. Certains sont heureux, d’autres glorieux, d’autres traumatiques. Cette histoire sera celle de sa dernière nage. Elle nous mènera de la source à la rivière – des eaux des bassins de l’enfance à ceux des piscines – d’un pays d’Afrique du Nord aux rivages de la Méditerranée – des stades olympiques aux bassins de rétention d’eau – des camps de concentration aux plages rêvées de La Réunion. L’homme finira par disparaître dans le bleu infini de la mer.
Genre : Animation
Durée : 14’26
Pays : France
Année : 2024
Réalisation : Florence Miailhe
Scénario : Florence Miailhe
Direction photo : Guillaume Hoenig, Sébastien L’Hermitte
Papillon, ce n’est pas l’histoire d’un battement d’ailes, mais celle d’un battement de bras dans l’eau, qui permet au nageur de s’élancer de souvenir en souvenir. Ce court-métrage d’animation tout en peinture, signé Florence Miailhe, présélectionné aux César 2025, retrace l’histoire personnelle d’Alfred Nakache, connu aussi sous le nom d’Artem, grand champion de nage papillon français. Florence Miailhe, réalisatrice reconnue pour son style unique, a souvent exploré des récits intimes et marqués par la mémoire, mêlant le personnel et le collectif dans ses courts-métrages, avant de passer au long avec La Traversée (2021). Son travail se distingue par l’utilisation de la peinture animée, qui confère à ses œuvres une texture aussi vivante que poétique.
Le film commence sur fond de bruit de vagues et de respirations. Un homme de dos se met de l’eau sur le visage afin de se réveiller – ou de se rappeler, puis s’en va nager. C’est le début de l’histoire, la (re)plongée dans les souvenirs d’Artem. Le motif de l’eau, qui nous guide tout au long du film, nous permet de plonger – littéralement – dans la mémoire du personnage. Par coups de pinceaux ou vagues couvertes d’écume, on découvre doucement les paysages de la vie du personnage. Le premier paysage, très coloré, se concentre sur une eau tremblotante, traversée par des poissons et effleurée par des insectes. On voit là un jeune garçon au bord d’un bassin, sur lequel est posé un papillon jaune vif. Ce sera là la seule allusion imagée de la spécialité d’Alfred Nakache en nage, le papillon, un mouvement de natation très réputé, notamment en raison de sa difficulté. Ce mouvement naît par ailleurs dans les années 1930, au moment où ce dernier se met à nager. Cette variante de brasse, avec le retour des bras hors de l’eau, permet aux nageurs d’aller plus vite lors des compétitions.
Si le court se construit autour des souvenirs progressifs du personnage, il n’en reste pas moins une véritable ode à l’eau, comme source de vie mais aussi de danger. Les premières images de l’enfance sont très parlantes et nous rappellent son omniprésence au cours de la vie : l’eau réconfortante du bain pour se laver, mais aussi l’eau comme source d’angoisse (sauter d’une cascade) ou comme plaisir simple (se prélasser dans un bassin). Artem passe de la peur de l’eau à son plaisir, et du coin de la mer à la piscine. Il n’y a pas que le corps du nageur qui se transforme (humain, dauphin et même oiseau), les lieux aussi se renouvellent inlassablement.
Le temps des compétitions vient rapidement rythmer la vie d’Artem et se reflète dans le court-métrage de Florence Miailhe. C’est là qu’il y expérimente les moments les plus doux de l’existence, mais aussi les plus durs. À la fin d’un championnat, Artem remonte l’échelle qui mène au bord de la piscine, puis se retourne : il nous fait face, ou plutôt regarde derrière lui. C’est la rencontre de l’amour, de la beauté, qui se joue encore une fois sur l’eau : sur le plongeoir, une gymnaste effectue un salto et rejoint ses partenaires pour effectuer un spectacle de natation synchronisée. Artem reste au bord de l’eau, et quand elle passe devant lui ses cheveux flottent, avant de prendre la forme de vagues, dans lesquels il plonge sans hésiter. Alors la nage devient un ballet à deux, chaque coup de pinceau est un remous de plus dans cette danse aquatique.
C’est dans ce contexte de compétition que surgissent les prémisses de la Seconde Guerre mondiale, marqué par la montée des extrémismes et l’arrivée des régimes totalitaires. Les compétitions s’enchaînent, en Afrique du Nord d’abord, puis en Europe. Dans l’eau claire et chlorée de la piscine, apparaissent progressivement un drapeau nazi et des pancartes “Interdit aux Juifs” derrière des cris de haine allemands. Alfred Nakache, athlète juif, participe aux Jeux olympiques de 1936 à Berlin, des Jeux très inscrits dans la propagande nazie. Très vite, on voit la situation basculer. Artem, sa femme et son enfant se font sortir de l’eau, littéralement : la piscine leur est interdite. Plus tard, il se fait également sortir d’une compétition “selon les lois raciales” : cette fois-ci, on entend très distinctement des voix françaises l’annoncer. La collaboration avec le régime nazi et l’antisémitisme en France à cette époque sont montrés sans aucun détour. C’est en outre la violence des voix – françaises ou allemandes – qui résonne particulièrement, en contraste avec les bruits d’eau qu’on peut trouver tout au long du court (agitée, tremblotante, chuchotante même). Il faut par ailleurs souligner que jamais nous n’entendons la voix d’Artem, ou celle de sa femme et de sa fille. Nous ne voyons les événements qu’à travers ses yeux.
La musique, discrète mais omniprésente, accompagne le spectateur dans cette plongée émotive. Les bruits d’eau, mêlés à des mélodies subtiles, renforcent un sentiment d’immersion saisissant. Chaque détail visuel et sonore semble minutieusement conçu pour offrir une expérience profondément sensorielle et humaine, rendant hommage à la fois à l’histoire d’un homme et à une mémoire collective.
Dans un mouvement de nage encore, on revient à la mer, cette fois-ci sombre et agitée, devant une dune de sable, en pleine nuit. Les sons sont indistincts, la peur monte, on entend un enfant pleurer. Sur les flots sombres, une barque arrive, les touches de couleur s’animent en tourbillons fiévreux, un chien aboie. Dans l’ombre, la famille se cache, sans pouvoir venir en aide à ce personnage perdu sur l’eau – peut-être une métaphore de ce qu’il va leur arriver. Très vite tout s’enchaîne : la séparation, la violence – tout est suggéré sans pour autant être montré, c’est l’aller vers les camps d’extermination. Seule une scène dans la piscine, profondément choquante, nous rappelle l’appellation du “nageur d’Auschwitz” : des officiers lancent un bout de pain dans l’eau, que le prisonnier doit s’efforcer d’aller récupérer. Des voix acérées encore résonnent dans le fond, les corps deviennent des ombres floues, des squelettes esquissés et peu à peu, le corps rouge-brun remonte à la surface : c’est le retour.
Un retour dans la solitude lié à la perte (de sa femme et de sa fille), à la compétition, à la marque du traumatisme de la guerre. Nous retrouvons enfin Artem sur cette première plage colorée comme professeur de natation : le film se finit comme il a commencé, dans l’eau. À la fois ode à l’eau et hommage à Alfred Nakache, Papillon, plein de couleurs, est important, traitant une mémoire personnelle mais également une mémoire historique à travers des thématiques universelles, aussi bien le sport que la mort, les discriminations et l’amour et que la solidarité.
Depuis 15 ans déjà, les membres de Format Court se prêtent à l’exercice du Top 5 des meilleurs courts-métrages vus pendant l’année écoulée. Rituel oblige, voici les films qui ont le plus marqué notre équipe cette année, par ordre de préférence !
Retrouvez par ailleurs les résultats du Top 5 des internautes. Nous en profitons pour vous souhaiter une bonne et heureuse année 2025, remplie de jolis courts !
Mona Affholder
1. 3350 KM de Sara Kontar (France, Syrie)
2. Chère Louise de Rémi Brachet (France)
3. L’homme qui ne se taisait pas de Nebojša Slijepčevič (France, Croatie, Bosnie, Slovaquie)
4. Les animaux vont mieux de Nathan Ghali (France)
5. Sanki Yoxsan de Azer Guliev (France, Azerbaidjan)
Amel Argoud
1. Nous ne serons pas les derniers de notre espèce de Mili Pecherer (France)
2. Adieu tortue de Selin Öksüzoğlu (France, Turquie)
3. Que les meilleurs gagnent de Noah Cohen (France)
4. Tako Tsubo de Fanny Sorgo et Eva Pedroza (Allemagne, Autriche)
5. Soleil gris de Camille Monnier (France)
Agathe Arnaud
1. Mémoires du bois de Théo Vincent (France)
2. Boucan de Salomé Da Souza (France)
3. Transalpin de Léo Gatinot et Clara Nicolas (France)
4. Les mystérieuses aventures de Claude Conseil de Marie-Lola Terver et Paul Jousselin (France)
5. Malgré la nuit de Guillermo García López (France, Espagne)
Katia Bayer
1. L’homme qui ne se taisait pas de Nebojša Slijepčevič (France, Croatie, Bosnie, Slovaquie)
2. Boucan de Salomé Da Souza (France)
3. Mille moutons de Omer Shamir et Santiago Zermeno (France)
4. Quelque chose de divin de Bogdan Stamatin et Mélody Boulissière (France, Roumanie)
5. Beurk !, de Loïc Espuche (France)
Dylan Librati
1. Very gentle work de Nate Lavey (États-Unis)
2. Montsouris de Guil Sela (France)
3. Au prix de la chair de Tomas Palombi (France)
4. Hymn of the plague de Ataka51 (Russie, Allemagne)
5. Boucan de Salomé Da Souza (France)
Augustin Passard
1. Une orange de Jaffa de Mohammed Almughanni (France, Pologne)
2. Mémoires du bois de Théo Vincent (France)
3. Volcelest de Éric Briche (France)
4. Les Marquises de Adrien Selbert (France)
5. Nino Lunaire de Manuel Billi (France)
Julia Wahl
1. Plus douce est la nuit de Fabienne Wagenaar (France)
2. Amélia Starlight de Laura Thomassaint (France)
3. Un conte très tordu de Catherine Buffat et Jean-Luc Gréco (France)
4. L’Avance de Djiby Kebe (France)
5. Volcelest de Eric Briche (France)
En janvier, Format Court fêtera ses 16 ans (bouchon !). Après avoir publié il y a quelques jours notre propre Top 5 des meilleurs courts-métrages de l’année, retrouvez les résultats de votre propre Top, suite à notre appel publié récemment sur notre site internet. Voici les 5 films, vus cette année, qui ont remporté le plus de suffrages du côté des internautes.
L’Académie des Oscars a annoncé il y a quelques jours les films shortlistés dans 10 catégories dont celles liées aux courts-métrages. À ce stade, 45 films sont en lice pour l’Oscar du meilleur court 2025, que ce soit en fiction, en animation et en documentaire. Les nominations seront annoncées le 17 janvier tandis que la cérémonie des Oscars aura lieu le 2 mars prochain. Bonne nouvelle : le tiers de ces courts en présélection est visible en ligne !
En janvier, Format Court fêtera ses 16 ans d’existence (bouchon !). Comme chaque année, notre équipe prépare son Top 5 annuel des meilleurs courts-métrages, exercice réalisé depuis 14 ans déjà. Depuis 9 ans, vous avez également la possibilité de voter pour vos 5 courts-métrages préférés de l’année par mail.
L’an passé, 5 films avaient remporté le plus de suffrages : La Cour des grands de Claire Barrault, Caillou de Mathilde Poymiro, La Vie au Canada de Frédéric Rosset, Cultes de David Padilla et Binaud & Claude de Mélanie Laleu.
Faites-nous part jusqu’au mardi 31 décembre inclus de vos 5 courts-métrages favoris remarqués cette année, tous pays et genre confondus, par ordre de préférence, en n’oubliant pas de mentionner leurs réalisateurs et pays d’appartenance.
Nous ne manquerons pas de publier les résultats de vos votes sur Format Court !
C’est un sacré premier film. Vingt Dieux de Louise Couvoisier, en lice pour la Caméra d’or, fait partie de la sélection Un Certain Regard 2024. La réalisatrice est issue de la section scénario de la CinéFabrique, une école de cinéma vieille de seulement 9 ans, basée à Lyon et qui a ouvert il y a un an une école à Marseille.
Le film de fin d’études, Mano a mano, de Louise Couvoisier, réalisé à la CinéFabrique, avait obtenu le Premier prix de la Cinéfondation (ex-Cinef) en 2019. Nous en avions parlé sur Format Court.
Dans son court-métrage, Louise Couvoisier traitait du rapport amoureux, entre deux jeunes acrobates. Le réel, le rapport au corps, l’amour étaient déjà au centre de ses préoccupations et de son cinéma. Le premier Prix de la Cinéfondation est une garantie de revenir à Cannes avec son premier long-métrage. C’est chose faite avec Vingt Dieux, le premier long tout en douceur de Louise Couvoisier.
D’une famille très simple (le mot n’est pas péjoratif), elle raconte l’histoire de Totone (Clément Favreau), un jeune paysan jurassien de 18 ans qui passe son temps à traîner avec ses potes. Dans sa vie, il y a bien son père, mais comme tous les jeunes, il en a un peu honte, d’autant plus que le paternel ne tient pas bien l’alcool. Lui reste sa petite soeur de 7 ans (Luna Garret) dont il doit bien s’occuper. Et puis, il y a les filles, les bagarres, les courses de bolides et les fêtes.
Le jour où son père meurt, Totone quitte le monde de l’enfance. Il doit s’occuper de sa soeur et de la ferme. Devenir un adulte, faire à manger, gagner de l’argent, prendre des décisions. Comme faire ? Pourquoi pas en faisant du fromage, voire le meilleur comté du coin, dans l’idée de remporter les 30 000 euros du concours ? Ce projet devient son objectif principal, alors qu’il n’y connaît pas grand chose, quelques soient les moyens pour y parvenir. Dans l’intervalle, il fait la connaissance de Marie-Lise (Maïwene Barthelemy), une productrice de lait réputé dans la région dont il tombe amoureux.
Dans son film, Louise Courvoisier filme joliment la nature, les vaches, la drague, la jeunesse, le sexe, la dureté de la vie et l’accent du terroir. Avec simplicité, douceur, légèreté et humour, elle touche juste, notamment car elle filme ceux qu’elle connaît, de son village. Pour ce film, la réalisatrice s’est entourée de comédiens professionnels et de sa troupe. On retrouve plusieurs Courvoisier au générique, que ce soit côté décors (Ella) ou musique (Linda et Charlie).
« Vingt Dieux », c’est le juron qui exprime la surprise, l’émotion, c’est le « sacrebleu » ou le « flûte » du terroir. On le lâche au bar, sur un tracteur, dans le champ. Il fait partie du quotidien et de l’ADN du cercle de Totone. Ce quotidien, ce monde rural aussi beau qu’éprouvant, bien loin de l’effervescence de la Croisette, on le garde en tête après sa projection. Ce qu’on retient aussi du film, c’est le soin porté aux dialogues (co-écrits par Louise Courvoisier et Théo Abadie), la tendresse à l’égard de cette jeunesse, porteuse d’espoir, ainsi que la solidité du lien familial et la solidarité au sein du groupe.
Issue d’une famille d’artistes du cirque et d’agriculteurs, Louise Courvoisier nous avait intrigués avec son court Mano a mano, inspiré de son premier cercle. Avec Vingt Dieux, lié au deuxième, elle ose un premier film percutant dans lequel l’âpreté n’est jamais loin de la joie et l’amour au plus près de ses personnages et décors.
Venu au Festival d’Arras présenter Joli, joli de Diasthème, William Lebghil évoque pour Format Court ses amitiés en courts et en longs, l’empathie qu’il associe à son métier et la lucidité qu’il a face à l’incertitude des tournages. Vu dans les films Grand Paris de Martin Jauvat, La vie de sa mère aux côtés d’Agnès Jaoui ou la série Hippocrate de Thomas Lilti, il est à l’affiche de Le beau rôle de Victor Rodenbach (sortie prochaine), un premier long accueillant une pléthore de jeunes comédiens, avec en premier plan Vimala Pons. En parallèle, l’acteur joue ou prête sa voix dans des courts de fiction et d’animation. Rencontre avec un comédien qui rit beaucoup, qui cultive le mystère (zéro info sur Instagram) et qui est aussi naturel que sympathique.
Format Court : Tu fais confiance à des réalisateurs de premiers longs qui viennent du court. Comme tes rôles sont de plus en plus importants, qu’est-ce qui fait que tu libères quand même du temps pour faire des courts ? Est-ce que tu crois vraiment dans ce format, est-ce que ce sont vraiment les projets qui te parlent ou alors ce sont plutôt les relations qui jouent ?
William Lebghil : Les courts-métrages, dans le fond, je n’en ai pas faits énormément, mais c’est en général des liens d’amitié qui m’amènent à en faire.
Comme avec Félix Moati, par exemple, sur Après Suzanne ?
W.L. : Oui, voilà. Avant le film de Martin Jauvat, j’avais fait deux courts avec lui. Je l’avais rencontré sur le film Yves de Benoit Forgeard, il faisait le making of et il s’occupait un peu de la street credibility du film. On est devenus plutôt très copains. J’avais vu ses précédents courts-métrages que j’avais beaucoup aimés, du coup, j’ai eu confiance en lui. Il parle aussi de la banlieue, et d’un endroit où moi, j’ai grandi, parce qu’on vient tous les deux du 77, la Seine-et-Marne. Ça m’intéressait de découvrir un mec qui parlait de là où j’ai passé mon enfance, avec une forme de poésie et d’humour, avec un propos que je trouve assez profond sur ces zones-là, où on n’est pas dans la cité. On est dans des pavillons où on se fait un peu chier. Bref, ça me parlait vachement. En fait, mon lien, en tout cas avec les courts-métrages, est surtout sentimental. J’en fais aussi quand ça m’intéresse. Par exemple, Choucroute a été réalisé par mon meilleur ami, Benoît Moret. On joue ensemble, je l’ai rencontré quand j’avais 16 ans à Paris. On est encore amis aujourd’hui, et il a fait son premier film. On adore manger, donc ça me paraissait tout à fait logique de faire ce film ensemble ! Ce que j’aime bien avec les courts-métrages, c’est la promesse qu’il y a derrière. La promesse d’un cinéaste, d’un auteur, c’est assez excitant.
Avec Anthony Bajon, on a parlé du premier casting, du début, des désillusions aussi. C’est vrai qu’à un moment donné, quand on est lancé, on met un peu ça de côté, mais il faut quand même se faire repérer et surtout persévérer. Comment ça s’est passé pour toi, les castings ?
W.L. : Au début, je faisais beaucoup de théâtre, et je m’étais donné tout seul du travail en produisant une pièce dans un petit café-théâtre. Je jouais tous les soirs. Après les castings, je n’en ai pas passés tant que ça non plus, mais parmi les premiers que j’ai passés, il y en avait un pour une pub pour la Wii. J’étais tellement stressé que j’ai découvert des muscles de mon visage que j’ignorais ! Ensuite, j’ai pris le métro et j’ai failli m’évanouir, j’ai eu comme un black out parce que j’étais vraiment ultra stressé.
Tu l’as eu, le casting ?
W.L. : Non, pas du tout (rires) ! En tout cas, je ne sais pas ce qu’il faut faire exactement, mais l’objectif pour un acteur, c’est de réussir à être assez détendu pour pouvoir être disponible pour pouvoir jouer, et pour pouvoir avoir une attention un peu aiguisée.
Comment conçois-tu ce métier ? Le reste du temps, comment est-ce que tu fonctionnes quand tu ne tournes pas ? Il y a quand même des périodes de doutes, des incertitudes.
W.L. : C’est ça qui est difficile. Si on arrive à faire deux films par an quand on est acteur, c’est que ça va, c’est chouette. Deux films par an, ça représente en termes de temps peut-être six à huit mois de travail, donc il y a six ou quatre mois à la limite dans l’année où il ne se passe rien, où on est au chômage en fait, où on est comme des retraités. C’est un peu ça qui est intéressant aussi je trouve, et qui est une vraie chance, c’est de réussir à remplir ce temps-là, et à le mettre à profit pour soi-même, pour son travail, pour son métier d’acteur. Moi, j’aime bien aussi aller au théâtre quand je ne tourne pas, parce que justement ça me fait continuer à travailler, parce que c’est un métier où on approfondit tout le temps, et c’est infini. Notre expérience de vie se mélange, elle se greffe, on grandit en même temps qu’on approfondit notre art dans ce métier. Moi en dehors, j’aime bien cuisiner, voir mes amis, voyager, faire des choses tout à fait normales.
Est-ce que ça t’arrive de revoir les images d’avant, et de réaliser comment tu as évolué, grandi, changé mentalement ?
W.L. : Je ne regarde pas vraiment les images. En fait, je ne vois pas trop quel serait l’intérêt de revoir des films dans lesquels j’ai joué. Non, je ne le fais vraiment pas du tout (rires) ! Mais je peux retomber parfois sur des films que j’ai faits et les revoir avec nostalgie. En fait, plus le temps passe, plus le film est derrière nous, moins on a un regard jugeant sur ce qu’on a fait, moins on se voit parce que c’est assez difficile de se voir à l’écran quand même. Et puis voir un film dans lequel on a joué, c’est comme regarder un film de vacances. On se souvient de ce qu’on avait mangé le midi à la cantoche, la blague qu’on avait faite à untel ou untel… Je trouve que c’est assez difficile quand on a joué dans un film de voir le film tel qu’il est. Notre regard, il est biaisé. En fait, plus le temps passe, plus on oublie ce qui s’est passé et plus on peut regarder le film tel qu’il est. Pour le coup, c’est assez intéressant.
« La cache »
Tu as joué dans le dernier film de Lionel Baier, La Cache. Tu y as joué aux côtés de Michel Blanc, tu as également joué dans son film Voyez comme on danse (2018). Comment fonctionnais-tu avec lui ? De manière plus large, tu t’es retrouvé avec des gens de ta génération, avec tes potes, comme sur Hippocrate, mais aussi avec des acteurs plus chevronnés, des références. Comment est-ce que tu arrives à trouver ta place ?
W.L. : Je suis évidemment probablement plus impressionné par des gens qui m’ont bercé quand j’étais enfant et que j’admire beaucoup, ça, c’est sûr. Mais en même temps, mes expériences sont plutôt positives. Par exemple, quand j’ai rencontré Michel, c’était quelqu’un de plutôt simple, qui est devenu après un ami. Il me donnait des conseils sans m’en donner d’ailleurs, parce que ce n’était pas un donneur de leçons du tout. Je sais pas, sa façon d’être et de vivre, elle ressemblait plutôt à la mienne. Et en fait, je suis plutôt souvent agréablement surpris de voir que les gens qui font ce métier depuis longtemps et qui le connaissent bien sont des gens plutôt simples. En tout cas, c’est l’expérience que j’ai. Je le vis plutôt comme une chance de rencontrer ces gens-là et de pouvoir travailler avec eux, que ce soit Michel ou Agnès Jaoui. Que ce soit des acteurs ou des réalisateurs chevronnés, ils ont de l’expérience et donc de l’empathie, puisque c’est un métier qui tourne vachement autour de ça. Vu que ce sont des gens qui font ce métier depuis longtemps, ils arrivent à se mettre à la place d’un jeune acteur qui arrive et à l’aider. Moi, je me suis senti vachement dorloté, protégé et compris, en fait, par ces acteurs et réalisateurs et actrices et réalisatrices. L’empathie est inhérente à ce travail, il faut en avoir, c’est obligé.
Tu prêtes ta voix à un film d’animation réalisé par des étudiants des Gobelins, Au revoir Jérôme. Le héros est un personnage avec des grandes jambes, ta voix est méconnaissable, le dessin est ubuesque. Qu’est-ce qui t’a donné envie d’accepter ce projet ?
W.L. : Moi, j’adore. C’est un exercice qui m’a trop plu, qui est assez étonnant et qui est assez différent du jeu d’acteur. J’y vais avec plaisir, mais parce que ça me plaît. Si on m’avait envoyé un film qui ne m’avait pas plu, je ne l’aurais pas fait. Je fais confiance à mon intuition, à ce que je ressens à la lecture du scénario et à la rencontre aussi avec la réalisatrice ou le réalisateur.
Qu’est-ce que le court-métrage peut représenter ? On lui associe souvent cette expression de carte de visite.
W.B. : Un petit peu, oui. C’est ça, parce que le court-métrage ne passe pas en salle alors que le long, oui (rires) ! Ça ne fait pas vendre des confiseries, les courts-métrages (rires) !
Au Festival Format Court, il y a un distributeur ! On te filera des confiseries si tu viens.
W.B. : Génial !
Comment es-tu guidé dans tes choix ?
W.B. : Je fais très, très confiance à mon agent aussi. J’aime ses goûts, j’aime la manière qu’il a de parler des films, même de penser au casting des films. Je trouve que c’est un être précieux.
Dans tes projets super différents, il y a ce truc du mec souriant, « populaire », qui revient. Est-ce que tu as l’impression que tu renvoies à ça ?
W.B. : D’être sympathique ?
Oui, ce côté proche, pote, peu dans le star system.
W.B. : Ouais, tout à fait. Je regardais récemment une interview de Patrick Dewaere que j’aime beaucoup. Il dit : « Si les spectateurs me voient en train de faire une pub pour les pâtes et après une autre pour un parfum, ils ne vont jamais réussir à croire que dans un film à venir, je vais être le petit boulanger de quartier ». En fait, j’aimais bien cette approche du métier, c’est pareil avec les réseaux sociaux, je trouve que c’est hyper important de garder du mystère pour simplement ne pas dévoiler toute sa vie non plus, pour qu’en fait le spectateur puisse croire que tu es un rôle et puis un autre. Je me dis que le spectateur de cinéma, si il t’a vu juste avant sur son portable en train de faire cuire des saucisses et que tu joues un employé de banque, il va moins accrocher facilement, il va moins croire facilement que tu l’employé de banque. Tiens, j’espère qu’on me proposera un jour ce rôle (rires) ! Au final, j’ai quand même fait une pub pour la BNP [Mes colocs].
« Mes colocs »
Et là, tu ne stressais pas ?
W.B. : Non, pour le coup j’étais hyper détendu, c’était le premier casting que j’avais, que j’ai réussi et c’était Riad Sattouf qui réalisait cette pub. Je me souviens que j’arrivais dans la salle et qu’il n’y avait pas de texte. Au dernier moment, il nous filait un texte qui était totalement absurde. Du coup, c’était hyper relax, il n’y avait pas de pression. Tu savais que de toute façon, on ne te demandait pas d’apprendre un texte et de le savoir, on te demandait juste d’être naturel.
Le stress du casting est très différent de celui du théâtre.
W.B. : Oui, tu es en concurrence alors que le théâtre c’est vraiment autre chose et puis il y a un rapport au public alors que quand tu es dans une salle de casting avec une petite caméra et que tu dois faire semblant de lancer une machine à laver, c’est une autre façon de jouer.
Tu as des copains qui galèrent ?
W.B. : Bah oui, c’est une profession où il y a beaucoup de gens qui galèrent, ça fait vraiment partie de ce métier. J’ai écouté l’autre jour une interview de Charlotte Rampling, qui est une immense actrice dont je suis trop fan ! Elle racontait qu’elle a eu une espèce de traversée du désert pendant une dizaine d’années. On ne lui proposait rien et aujourd’hui, on la voit dans Dune de Denis Villeneuve. En fait, j’aime bien écouter ces acteurs et actrices qui parlent du métier où en fait de toute façon, on sait qu’à un moment donné, ça va être galère.
Tu en es conscient ?
W.B. : Mais bien sûr, c’est le jeu (rires) ! C’est en même temps ça qui est un peu excitant. On se prépare et si ça arrive, ça arrive. Il y a eu déjà des périodes où je n’ai pas ou très peu travaillé pendant un an ou deux. Là non, j’ai beaucoup travaillé ces derniers temps donc je suis très content.
Je trouve intéressant d’écouter des histoires de vies, des témoignages de gens qui ont eu une longe carrière. Est-ce que pour toi, l’idée, c’est d’en tirer une leçon ?
W.B. : Ou de me rassurer. En tout cas ça m’intéresse d’écouter l’expérience de vie d’acteurs qui font ce métier depuis très longtemps parce que c’est mon métier, ça m’intéresse, ça me passionne et du coup j’ai envie d’en savoir plus, je suis curieux.
Le Prix Louis Delluc est une récompense cinématographique française décernée depuis 1936 et nommée en hommage à l’écrivain et réalisateur Louis Delluc. En 1999, a été créé le prix Louis Delluc du premier film. Mercredi 4 décembre, deux réalisateurs, passés par le court, ont reçu ces 2 distinctions honorifiques. Un bon encouragement avant les Lumière et les César.
Alain Guiraudie a remporté le prix Louis Delluc pour son film Miséricorde, présenté à Cannes dernier. Il succède ainsi à Thomas Cailley, primé l’an denier pour son film Règne animal. En février 2023, nous interviewons Alain Guiraudie à l’occasion de sa participation en tant que juré à Clermont-Ferrand. Nous vous invitons vivement à (re)lire son long et passionnant entretien mené par Pierre Guidez.
Composé d’une vingtaine de critiques et personnalités, sous la présidence de Gilles Jacob, l’ancien président du Festival de Cannes, le jury du Prix Delluc a également récompensé, dans la catégorie Premier film, Les Fantômes de Jonathan Millet, présenté en séance d’ouverture lors de la 63ème Semaine de la Critique en mai dernier. Là encore, nous vous proposons de retrouver la riche interview conduite par Katia Bayer et David Khalfa, avec le réalisateur, sa productrice (Pauline Seigland, Films Grand Huit) et son monteur, Laurent Sénéchal.
Cette année, le festival Cinébanlieue nous a offert un large panorama de court-métrages, recouvrant pour un certain nombre le thème du ou des « Mouvement(s) », explorant ainsi le sport comme vecteur de changement social et personnel. Coup de projecteur sur deux films de la sélection compétition Talents en Court qui nous ont marqués.
« Hors jeu » de Paolo Mattei
Hors jeu de Paolo Mattei, c’est l’histoire d’un jeune garçon qui, à défaut d’être numéro 10 au foot, souhaite devenir un arbitre professionnel. Tout sauf reprendre le bar-tabac de sa mère aveugle en Normandie. À la fin de la semaine, la demi-finale de la coupe régionale sera déterminante pour son avenir en tant qu’arbitre… et pour son frère aussi, le numéro 10 du FC Offranville.
Comme pour le personnage principal, la tension monte au fil des entraînements jusqu’au jour fatidique, mais on se surprend à rire : le duo coach (Sandro Renault) – élève (Victor Lefebvre) marche parfaitement à cet effet-là. Et puis, on finit par s’attacher, et à prendre ce match aussi à cœur que les deux frères le prennent. Une histoire fraternelle qui remet à l’honneur une position oubliée du terrain, pour notre plus grand plaisir.
Que les meilleurs gagnent de Noah Cohen, c’est le court-métrage révélation de la sélection Talents en Court, qui a gagné le prix du meilleur court-métrage. Ici, on ne fait plus de sport, on assiste à une pratique sportive, la course de chevaux. Alex est un enfant de dix ans qui aime regarder la télé. Jusque là, rien d’anormal : la mère discute au téléphone au balcon, le père essaie de réparer la télévision puis prend de l’argent dans le porte-monnaie de sa femme, sans doute pour faire des courses.
« Que les meilleurs gagnent » de Noah Cohen
D’un seul coup, nous sommes transportés avec les personnages hors du foyer, à l’hippodrome. Le père, furtif, absorbé, tient un carnet de comptes entre ses mains. Et c’est parti, première course, premiers paris. Gros plan sur le visage d’Alex, il crie : “Cravache ! Cravache !”. Montée d’adrénaline qui redescend aussi vite que la course est finie.
Deuxième, troisième course. Images impressionnantes des chevaux en mouvement, démonstration de leur rapidité et de leur force. Puis on ne compte plus les courses, on a un sentiment désagréable. Le père d’Alex veut qu’il parie aussi, comme un jeu, c’est amusant – il n’a plus de pièces dans sa poche ? C’est là que va résider toute la force du court : le regard de la caméra, c’est celui de l’enfant vers son père, celui du passage de l’héroïsation à la déception.
Du coup d’envoi au coup de sifflet final, la sélection Compétition Talents en Court du festival Cinébanlieue nous aura fait (re) découvrir des pratiques sportives, et surtout, des liens qui entourent ces pratiques – fraternels, paternels, et même personnels, le sport permet de raconter de belles histoires, qui sur grand écran, résonnent bien au-delà du terrain.
Pour sa 13ème édition, le Festival du Film franco-arabe de Noisy-le-Sec programmait à nouveau une séance consacrée au court-métrage. Le cinéma le Trianon de Romainville proposait ainsi dimanche 24 novembre une compétition, avec sept courts-métrages en lice.
Un thème commun parcourait l’essentiel de la sélection, celui de la mémoire. L’abordaient ainsi le film Me-Moire, de Amel Zikikout, mais aussi 3350 km, de Sara Kontar, Le Cinéma Massara, de Stéphanie Amin ou D’Oran à Almeria, de Lina Saïdani. Me-Moire et Le Cinéma Massara reliaient la question de la mémoire avec celle de la filiation, avec comme fils conducteurs les relations petite-fille/grand-mère (Me-Moire) ou l’évolution d’un cinéma de quartier dirigé par la famille de la réalisatrice (Le Cinéma Massara). Ces films posent la question de l’héritage familial avec tendresse et subtilité. 3350 km nous plonge davantage, comme son titre l’indique, dans la distance qui sépare la narratrice de sa famille en rendant celle-ci palpable par un jeu sur la cartographie ; D’Oran à Almeria rend cette question de la mémoire davantage collective, puisque la réalisatrice y rend compte de la traversée de la Méditerranée par son frère sur une embarcation de fortune. Elle nous livre ainsi un beau film documentaire animé, dans lequel ciel et mer semblent se confondre.
« 3350 km »
D’autres questions de société étaient abordées lors de cette soirée, comme ce rite de passage qu’est le mariage d’un ami dans Le Verre de thé de Sara Bernanos ou la survie dans un quartier créé de façon anarchique à Tunis en 2011 dans Generous Bodies de Achref Toumi. Le travail du son et la beauté de certains plans font de ce film une véritable pépite. Une petite note d’humour, enfin, avec Boussa, de Azedine Kasri, qui met en scène un jeune couple cherchant désespérément un endroit où s’embrasser sans être importuné.
Le court-métrage à Noisy, toutefois, déborde de cette compétition : le film lauréat du Festival international du film d’Amman, partenaire du festival, était projeté en début de soirée. Il s’agissait de Rolling, de Omar Al-Taher. Quant à la séance d’ouverture, elle proposait en première partie la projection du film Vibrations from Gaza, de Rehab Nazzal, film-documentaire sur des enfants gazaouis sourds ou malentendants. Il ressort de l’ensemble de ces sélections une programmation en prise sur le monde et des films forts et émouvants, témoins de la maîtrise de leurs auteurs et autrices.
Au milieu de milliers de tragédies grecques, le choix cornélien entre succès et amour se présente comme un sujet matriciel qui a toujours été réapproprié pour commenter son époque. Prenez comme exemple les quatre films A Star is Born, qui vont de l’œuvre classique hollywoodienne au film post-MeToo, en passant par l’œuvre rock pré-Reagan. Ici, à travers son propre prisme queer, Alexis Langlois nous raconte dans Les Reines du drame, sélectionné en séance spéciale à la Semaine de la Critique, le destin de la diva pop Mimi Madamour, au sommet de sa gloire en 2005, et de sa descente aux enfers précipitée par son histoire d’amour avec l’icône punk Billie Kohler.
L’excitation était grande tant nous connaissions le talent d’Alexis Langlois, qui a montré avec ses courts-métrages comme De la terreur, mes sœurs ! et Les démons de Dorothy un univers singulier, rempli d’influences, quoique foutraque et qui n’avait jamais été encore porté sur grand écran. Une impatience qui vaut le détour tellement on sort de la séance avec l’impression d’avoir assisté à deux heures de jouissance queer, fun, incontrôlable et absolument formidable. Avec Les Reines du drame, Alexis Langlois nous livre une œuvre baroque et musicale, toujours au bord de l’artificialité et de la facticité par son dispositif et le décorum qui l’entoure, mais qui ne passe jamais la ligne grâce notamment à l’humour de ce dernier. Cela nous est montré dès le début, dans un futur proche, avec l’apparition hilarante du personnage de Bilal Hassani, botoxé jusqu’aux chevilles, qui se présente à nous, spectateurs, comme le narrateur, celui qui va donner le ton de cette fable. Cette scène d’introduction se révèle ainsi comme la lettre d’intention d’un film qui utilise l’humour comme ouverture vers des personnages revendicatifs et fiers d’être ce qu’ils sont.
Une fierté, une pride qui transpire de tous les pores de l’œuvre et jusqu’à son genre, la comédie musicale, dont il respecte les codes, jusqu’à sa construction narrative en rise and fall. Ainsi en allant chercher du côté de Starmania ou encore de La La Land dans son histoire d’amour parasitée par la recherche du succès, Alexis Langlois se présente comme un auteur réellement passionné par ce genre et par les tensions qui en découlent. Et ceci tout en pervertissant les paroles et les musiques qui lui sont accolées, y ajoutant une couche extrêmement jouissive au film (petit coup de cœur pour la musique “Pas touche” de Mimi Madamour).
Une réjouissance qui se retrouve principalement dans l’envie de Langlois de nous livrer une œuvre pop qui se réapproprie les codes autant visuels que musicaux des années 2000. À l’intersection de plusieurs icônes féministes et queer des années 2000 comme Lorie, Priscilla ou encore Britney Spears, on retrouve le personnage principal de Mimi Madamaour, se présentant comme un melting pot, un pastiche de toutes ces influences, qui se reflète dans l’esthétique pink, kitsch et théâtrale.
Une esthétique et une mise en scène tellement propres à son auteur que le film ne présente que très peu d’aspérités et de sorties de piste, ce qui est rare pour un premier film. Notamment dans son traitement de la figure de la femme comme sujet, comme action de comédie et action de résistance face aux normes de la société. Avec une énergie fédératrice et une mise en scène qui met ses personnages et leurs doutes au cœur du régime de narration et d’esthétique, Alexis Langlois nous livre un female gaze absolument passionnant. Dans la continuité de ses courts-métrages comme De la terreur, mes sœurs !, il nous offre ainsi un éventail de personnages et de femmes en tout genre, chacun à leur manière iconisés et adoubés au niveau de reines. Le seul point noir au milieu de cet océan d’idées nouvelles est l’essoufflement de la relation entre Mimi et Billie qui, dans son dernier tiers, vire à une banalité qui nous fait regretter la première heure du film.
Issu du format court, Alexis Langlois ne semble pas en oublier l’inventivité, s’appropriant le format long comme un immense parc de jeux où il peut étendre toute une panoplie thématique inédite.