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Nouvel After Short spécial Cannes (court), le 8 juin !

Tout au long du festival de Cannes, nos rédacteurs vous ont proposé actus, films en ligne, critiques de courts…et de premiers longs (une première !) mais aussi interviews de pros présents au festival. Ces sujets sont à retrouver dans notre dossier spécial. Des articles seront publiés après le festival également.

Bonne info : 2 After Short consacrés à Cannes auront lieu au mois de juin, en partenariat avec l’ESRA (amphithéâtre Jean Renoir, 37 quai de Grenelle 75015 Paris). Pour rappel, les After Short sont des soirées de Q&A au cours desquelles les professionnels abordent leurs parcours et leurs films respectifs. Les courts-métrages ne sont pas diffusés à cette occasion.

Gratuits pour les étudiants et les anciens de l’ESRA, les After Short demeurent accessibles et payants (5€) aux autres personnes intéressées, dans la limite des places disponibles, sur réservation.

Le premier After Short s’intéressera à la présence du court sur la Croisette, il aura lieu le mercredi 8 juin à 19h. Le deuxième se focalisera sur les premiers longs et est prévu le mercredi 22 juin à 19h aussi. Les 2 événements auront lieu à l’ESRA. Prenez d’ores et déjà note de ces 2 dates 🙂

Voici déjà le détail de la première soirée au cours de laquelle 3 sélectionneurs et 10 équipes sont attendues.

Voici la liste – susceptible de modifications – de nos invités présents lors de cette soirée. Des infos (bios, photos) sur les participants sont à retrouver chaque jour sur Facebook  et Instagram.

Sélectionneurs

– Camille Hébert-Bénazet, responsable de Cannes Court Métrage, membre du comité de sélection, compétition officielle

– Gregory Coutaut, sélectionneur courts-métrages, Quinzaine des Réalisateurs

Compétition officielle

– Story Chen, réalisatrice de The Water Murmurs, Palme d’Or du court-métrage 2022

– Charles Gillibert, producteur (CG Cinéma) de A Short Story de Bi Gan

– Sébastien Hussenot, producteur (Luna Productions) de Tsutsue de Amartei Armar

Cinef

– Agathe Chevrier, productrice (La CinéFabrique) de Les humains sont cons quand ils s’empilent de Laurène Fernandez (3ème Prix ex-aequo)

– Lilian Fanara et José Revault, réalisateur et producteur de Tout ceci vous reviendra (La Fémis)

Quinzaine des Réalisateurs

– Ethan Selcer, producteur (Quartett Production) de Des jeunes filles enterrent leur vie de Maïté Sonnet

– Cindy Aubrière, assistante de production (5 à 7 Films) de Maria Schneider, 1983 de Elisabeth Subrin

Semaine de la Critique

– François-Olivier Lespagnol,producteur (Luna Productions) de Swan dans le centre d’Iris Chassaigne

– Marthe Lamy, productrice (Apache Films) de Raie Manta de Anton Bialas

– Clara Marquardt, chargée de développement (Les Valseurs) pour Les créatures qui fondent au soleil de Diego Céspedes

– Michaël Proença, producteur (Wild Stream) de Ice Merchants de João Gonzalez, Prix Découverte Leitz Ciné du court-métrage

Une femme du monde de Cécile Ducrocq

Le premier long-métrage de Cécile Ducrocq Une femme du monde, sorti au cinéma le 8 décembre dernier, est disponible en DVD chez M6 Vidéo. Bouleversant et touchant, le film nous plonge dans le quotidien d’une travailleuse du sexe. Porté par la formidable performance de Laure Calamy qui lui a valu d’ailleurs une nomination aux César 2022 pour la meilleure actrice, le film nous fait vivre 95 minutes intenses de révolte, de dégoût, de tristesse, et de joie. La réalisatrice et scénariste a pour collaborateur le chef opérateur Noé Bach (membre du jury de la troisième édition de notre festival), avec qui elle crée cette image juste et ancrée dans le monde de Marie, la protagoniste. Format Court vous permet de remporter 3 DVD du film avec le dernier court-métrage de la réalisatrice dans les bonus.

Marie est une prostituée indépendante qui vit à Strasbourg. Son fils de dix-sept ans, Adrien, qui rêve de devenir chef cuisinier, est exclu de son établissement. Marie travaille alors avec acharnement et va jusqu’à renoncer à son autonomie dans le but de lui payer une prestigieuse école de cuisine privée.

Cécile Ducrocq porte sur la prostitution un regard différent de celui qu’on trouve habituellement au cinéma. Elle se détache de l’image stéréotypée de la femme malheureuse qui exerce ce métier contre son gré. Laure Calamy incarne une travailleuse du sexe épanouie qui assume sa profession et manifeste pour ses droits. Marie et ses collègues luttent contre la dépénalisation des clients, une loi qui touche finalement davantage les travailleuses du sexe obligées d’exercer dans de terribles conditions. Il s’agit d’une thématique très rarement abordée au cinéma. Cécile Ducrocq impose ici un regard féminin novateur et audacieux. Elle montre notamment la solidarité qui règne entre les prostituées indépendantes, qui s’entraident au besoin.

Marie rencontre en premier lieu des difficultés ordinaires. C’est une héroïne à laquelle on peut s’identifier : anxieuse à propos de la situation de son fils et en relation conflictuelle avec sa mère. Elle traverse des épreuves de la vie courante: la difficulté d’écrire une lettre de motivation, le rendez-vous à la banque, les entretiens chez la conseillère d’orientation, … Son métier génère des complications particulières dans ses rapports familiaux. Si son fils tolère plus ou moins ce choix, la mère de Marie reste dans l’incompréhension.

Puis presque à la manière d’un documentaire, la réalisatrice nous montre le quotidien du métier de prostituée, l’interpellation des hommes dans la rue, leurs réactions, l’attente près de la route que certaines voitures s’arrêtent. Dans une scène particulièrement juste et comique, Marie déclare à un banquier qu’elle est prostituée, et celui-ci dissimule difficilement sa surprise et son malaise.

Bien qu’on ne puisse s’empêcher d’admirer cette femme combattive et déterminée en imperméable doré, elle n’est pas dépourvue de défauts, et Cécile Ducrocq dresse le portrait complexe d’un personnage profond et réaliste dans son scénario.

Certains plans sont filmés en caméra épaule permettant une immersion dans le quotidien de la protagoniste. Le jeu des acteurs par sa qualité vient renforcer cet effet de réalisme. Ce n’est pas seulement le jeu de Laure Calamy qui impressionne et nous transmet tant de sensations, mais aussi celui d’Adrien, le fils de Marie, incarné par Nissim Renard. Le jeune acteur parvient à nous émouvoir à travers une large palette d’interprétations, passant de l’apathie à la colère intense, ainsi que par la joie.

La récente sortie DVD du film Une femme du monde permet de visionner dans ses bonus un précédent court-métrage de la réalisatrice Cécile Ducrocq La Contre-allée, sorti en 2014. Le court-métrage avait été sélectionné à la Semaine de la Critique la même année, et avait remporté le César du meilleur court-métrage en 2016. Cécile Ducrocq dressait déjà le portrait social d’une prostituée interprétée par Laure Calamy.

Ce court-métrage constitue la source et le point de départ du long-métrage. Dans le court-métrage, la protagoniste n’a certes pas d’enfant, et Cécile Ducrocq se concentre sur les problématiques du travail de Suzanne en tant que prostituée, et non sur son rôle de mère de famille. Dans La Contre-allée, la protagoniste Suzanne perd des clients, car des prostituées noires travaillant pour un proxénète lui font de la concurrence. Suzanne demande à un groupe d’amis de l’aider à intimider ces prostituées qui empiètent sur sa zone de travail, mais ces hommes en profitent pour dévoiler leur profond racisme et exercer des actes violents.

Dans le court-métrage comme dans le long-métrage, la réalisatrice a la volonté d’aborder le sujet de la prostitution à travers un regard sans a priori, et de montrer qu’il s’agit d’un métier dans lequel on peut connaître des moments difficiles, mais aussi des moments de reconnaissance et de joie.
Il extrêmement peu commun d’adopter dans un film le point de vue d’une prostituée et il est rare de montrer cette dernière revendiquant une utilité envers sa clientèle. Cécile Ducrocq créer le timing parfait en montrant d’abord une scène de violence sexuelle très crue, puis l’intervention bienveillante d’un client très doux venu remercier Suzanne, et lui offrir des fleurs, pour ses enseignements.

La réalisatrice fait le choix de caster des acteurs non-professionnels, excepté Laure Calamy. Cela renforce cet effet de réalisme et cet aspect presque de documentaire à travers l’immersion dans le quotidien de Suzanne.

Cécile Ducrocq est une réalisatrice audacieuse qui propose un regard féminin plus que nécessaire sur le sujet de la prostitution, dont les règles sont généralement décidées par des hommes. Laure Calamy incarne dans les deux films, le rôle très fort et émouvant d’une prostituée épanouie, en lutte pour sa liberté et celle de ses proches.

Laure Dion

Une femme du monde. Edition : M6 Vidéo. Bonus : court-métrage : La contre-allée (29′).

Gagarine de Fanny Liatard et Jerémy Trouilh

À l’approche de Cannes, Format Court vous propose de faire un petit bond en arrière avec Gagarine co-réalisé par Fanny Liatard et Jerémy Trouilh. Ce premier film avait bénéficié du label #Cannes 2020 alors qu’il était en compétition officielle à Cannes il y a 2 ans. Antérieurement, les deux scénaristes et réalisateurs français avaient fait une percée en court avec plusieurs films dont Chien Bleu et Gagarine. 3 exemplaires du DVD de leur premier long, édité par Blaq Out, vous sont proposés via notre nouveau jeu concours.

Gagarine côté long

À travers leurs cadrages insolites et un montage poétique, les réalisateurs de Gagarine font preuve d’une certaine sensibilité qui favorise l’expression des sentiments des personnages. En effet, Youri, tiraillé entre le monde onirique de l’enfance et les responsabilités des adultes, représente à lui seul l’innocence, la naïveté mais aussi la maturité. Passionnée par le domaine spatial, il fonde son propre univers dans lequel il peut s’évader, la tête dans les étoiles et loin de la vie de son quartier.

L’astronomie constitue le fil rouge de l’intrigue du film. L’atmosphère générale ramène sans cesse le spectateur dans un environnement céleste et scientifique, les cadrages aériens et les décadrages donnent l’impression d’une caméra en apesanteur tandis que les personnages oscillent entre fantasme et réalité. Un précieux hommage est ici rendu à Youri Gagarine, pilote et cosmonaute soviétique, et premier homme à avoir effectué un vol dans l’espace, en 1961, ayant également inauguré le HLM de briques rouges, en 1963, dans la cité Gagarine, située à Ivry-sur-Seine.

Une place presque documentaire est accordée à la rue et aux jeunes vivant au cœur de ladite cité. Le lien entre le titre du long-métrage, l’imagination débordante du personnage principal, ainsi que le sujet abordé tout au long de la fiction est alors flagrant et lourd de sens pour le spectateur. De plus, la volonté d’inclure des images d’archives, ajoute une dimension historique à ce scénario judicieusement établi. La performance juste et touchante de Lyna Khoudri, actrice franco-algérienne, ayant déjà fait ses preuves dans de multiples réalisations, telles que Papicha, de Mounia Meddour, en 2019 et qui ne cesse de gravir des échelons (elle sera à Cannes cette année pour Nos frangins de Rachid Bouchareb), est une fois de plus au service d’une intrigue sensible et sociale.

À son échelle, Youri (Alséni Bathily, révélation) entre en résistance contre la destruction de son foyer, le monde où il s’autorise à rêver et à s’illusionner de devenir astronaute, jusqu’à en risquer sa vie. Le film bascule entre réalisme et magie, réunis par la tendresse de l’adolescent, qui fait décoller le spectateur dans le cosmos avec lui. La brutalité du départ forcé des familles, dû aux travaux de rénovation, contraste ainsi avec le lyrisme fantaisiste du jeune garçon. Les dernières minutes bouleversantes et magnifiques plongent la cité en perdition dans le monde imaginaire et le havre de paix de Youri.

Fanny Liatard et Jérémy Trouilh font de ce long-métrage un récit à plusieurs voix, doté de partis pris forts et poignants, encourageant ses spectateurs à ne jamais cesser de rêver.

Gagarine côté court

En bonus du film se trouvant sur ce DVD, un autre Gagarine, cette fois en version courte. À l’origine du long-métrage de 2020, cette première esquisse, réalisée 5 ans auparavant, offre un avant-gout de l’univers magique de Youri. Déterminé et ambitieux, il puise dans son imagination la force de se rebeller contre les ennemis qui veulent détruire son havre de paix.

À la frontière du documentaire, ce court-métrage dépeint la vie de quartiers avec réalisme et sensibilité, mettant en lumière la violence du départ de ses familles modestes, à la recherche d’un nouveau foyer. En ferme opposition avec les quelques séquences dignes d’un film de science-fiction, le spectateur voyage, à travers les yeux de Youri, dans les étoiles grâce à une bande sonore émouvante et des ambiances lumineuses sensationnelles.
Intéressés depuis leurs premiers courts-métrages par les quartiers populaires et leurs habitants, les réalisateurs Fanny Liatard et Jérémy Trouilh réussissent à apporter poésie, émotion et magnificence à l’univers de la cité en détresse. Le HLM détient un rôle important aux côtés du personnage de Youri, tous deux se retrouvent en constante interaction, comme le dialogue insatiable entre le réel et l’imaginaire.

Les souvenirs d’enfances et les rêves fantasmés sont ici mis en lumière à travers la menace de la destruction. Porteur d’espoir et embrassé par des images d’archives symboliques, ce court métrage use d’un regard bienveillant sur la jeunesse en déconstruisant les stéréotypes de la vie en cité et de son image négative.

Mathilde Semont

Gagarine de Fanny Liatard et Jerémy Trouilh. Film et bonus : court, making of, podcast. Edition Blaq Out

Queer Palm 2022, les courts en lice

La Queer Palm est le prix LGBT+ du Festival de Cannes. Créé par le journaliste Franck Finance-Madureira (Têtu, FrenchMania), ce prix récompense deux films proches des thématiques queer, LGBTQI+ et féministes à Cannes : un long et un court, toutes sections confondues.

Cette année, le Jury est présidé par Catherine Corsini, lauréate de la Queer Palm 2021 pour son génial film La fracture. Les autres  membres du jury sont l’acteur Djanis Bouzyani (Tu mérites un amour, L’Assaut), la journaliste Marilou Duponchel (Les Inrocks, TroisCouleurs), le documentariste suisse Stéphane Riethauser (Madame) et le producteur australien Paul Struthers. Ce Jury attribuera la Queer Palm du court et du long à l’issue du festival.

17 longs-métrages et 12 courts-métrages, en lien avec les thématiques de la Queer Palm, sont en lice cette année à Cannes. Voici les titres des courts concernés (ceux qui nous intéressent plus particulièrement pour le coup).

Sélection officielle

Le feu au lac de Pierre Menahem (France)
Gakjil de Sujin Moon (Corée du Sud)

La Cinef (ex-Cinéfondation)

Feng Zheng  (The Silent Whistle) de LI Yingtong (États-Unis)
The Pass de Pepi Ginsberg (États-Unis)
Mumlife de Ruby Challenger (Australie)

Quinzaine des Réalisateurs

Aribada de Simon(e) Jaikiriuma Paetau et Natalia Escobar (Allemagne, Colombie)
Des jeunes filles enterrent leur vie de Maïté Sonnet (France)

Semaine de la Critique

Les Créatures qui fondent au Soleil de Diego Céspedes (Chili, France)
Regarde-moi de Shuli Huang (Chine)
Sur le Trône de Xerxès d’Evi Kalogiropoulou (Grèce)
Swan dans le centre d’Iris Chassaigne (France)
Hideous de Yann Gonzalez (Royaume-Uni)

La Pièce rapportée d’Antonin Peretjatko

Impétueusement drôle et férocement politique, La Pièce rapportée, le dernier long-métrage d’Antonin Peretjatko, sorti en salles en décembre dernier, est disponible en Blu-ray et DVD depuis le 5 avril chez Diaphana. Deux courts métrages du réalisateur, Panique au Sénat et Mandico et le TOpsychoPor, sont disponibles en supplément de ce DVD dont nous vous offrons 3 exemplaires.

La Pièce rapportée est le troisième long-métrage d’Antonin Peretjatko après La Fille du 14 juillet (2013) et La Loi de la jungle (2016). Il dispose avec ce film d’acteurs et d’actrices qui rejoignent son univers pour la première fois : Anaïs Demoustier, Josiane Balasko, Philippe Katerine, William Lebghil, Sergi Lopez, etc. La Pièce rapportée met en scène l’arrivée, dans une famille de la grande bourgeoisie parisenne, d’un élément perturbateur – car en provenance d’une autre classe sociale – incarné par Anaïs Demoustier. Peretjatko personnifie la confrontation des classes sociales : l’altruisme et la fraîcheur du personnage d’Anaïs Demoustier contrastent avec la morosité jouée par Philippe Katerine et avec l’égoïste mesquinerie qu’incarne Josiane Balasko. La caricature se développe jusqu’aux décors et aux costumes : loin d’appartenir à l’arrière-plan du film, ils en sont des outils comiques, comme l’escalier mécanique de la Reine Mère – nommé Pinochet – perpétuellement en panne. Avec La Pièce rapportée, Peretjatjo réalise une satire de la bourgeoisie en décalage avec son époque et avec les revendications des autres classes sociales. Il s’amuse particulièrement du langage des classes aisées : on entend des références à la suppression de l’ISF et à la théorie du ruissellement. On y retrouve de loin les gilets jaunes auxquels Peretjatko a consacré son film Les Rendez-vous du samedi (2021).

La Pièce rapportée est la rencontre entre l’univers fantaisiste de Peretjatko et la nouvelle de Noëlle Renaude dont le film est adapté. Le réalisateur y retrouve un esprit proche du théâtre de boulevard et certains éléments d’écriture qu’il apprécie, en particulier les quiproquos. Si Peretjatko réaffirme la volonté de dynamisme propre à son cinéma – les répliques sont courtes, les plans sont brefs et le réalisateur tourne de nouveau en accéléré, à 22 images par seconde – il semble, avecLa Pièce rapportée, plus posé. Sa patte est aussi plus discrète. Elle s’affirme par petites touches, entre deux lignes de dialogues ou entre deux raccords de plans. S’affranchissant de la déstructuration du récit et de la forme qui marquent ses premiers films, Peretjatko s’affirme davantage – à des fins satiriques – du côté de la sobriété formelle et de la clarté du récit comique.

Ceux qui apprécient l’effervescence du cinéma de Peretjatko le retrouveront dans Panique au Sénat, premier court métrage disponible sur le DVD. Réalisé en 2017, il est chronologiquement plus proche de La Loi de la jungle que de La Pièce rapportée : il n’est pas donc étonnant d’y retrouver le fourmillement de détails comiques et la libération de la forme. Par son récit clos, ses rebondissements et la mobilité constante des personnages, il rappelle certains des premiers courts-métrages de Peretjatko comme French Kiss (2004) ou Paris Monopole (2010). Peretjatko semble s’être amusé avec les dimensions car Panique au Sénat est disponible en 3D sur la version Blu-ray. On retrouve au casting de ce court-métrage Romain Bouteille, Fred Tousch – qui joue dans La Loi de la jungle – et Philippe Rebbot. Dans Panique au Sénat, Peretjatko imagine les conséquences de l’élection d’un candidat écologiste à la Présidence de la République. Avec son sens de l’absurde, il développe des situations folles : la première décision est d’interdire l’entretien du Sénat. Il s’amuse ainsi des préjugés qui nourrissent les caricatures des programmes écologistes. Le politique dans le cinéma de Peretjatko ne nourrit pas une solution, il déconstruit les visions étriquées. L’intention du réalisateur n’est pas de construire une utopie, ni de produire une vision révolutionnaire de la société française. À travers les situations délirantes qu’il imagine, il interroge l’esprit de sérieux qui domine dans le monde politique.

Avec le second court-métrage du DVD, Mandico et le TOpsychoPor, Peretjatko nous invite à un voyage au cœur de l’esprit du cinéaste Bertrand Mandico. Il s’appuie pour cela sur le Topsychopor, un jeu en forme de test psychologique conçu par le dessinateur Roland Topor. Ce jeu consiste à placer des personnages pré-découpés sur des planches de décor et à les faire se mouvoir suivant un récit entièrement produit par l’imagination du joueur. Le film se présente également comme une incursion dans l’intimité de Bertrand Mandico et commence par une visite de son appartement. Bien qu’il commence comme un faux reportage explicatif sur le jeu dont l’expérience de Mandico serait l’application des règles du jeu, le film de Peretjatko déjoue rapidement les attentes. Mandico et le TOpsychoPor est ainsi la rencontre de trois univers : celui de Roland Topor, celui de Bertrand Mandico et celui d’Antonin Peretjatko.

Paul Lhiabastres

La Pièce rapportée d’Antonin Peretjatko. Film et bonus courts. Edition Diaphana

Le Jury des courts de Cannes

Ils seront 5 à attribuer non seulement la Palme d’or du court parmi les 9 films sélectionnés, mais aussi les 3 prix de la Cinef aux meilleurs films d’écoles représentés parmi les 16 sélectionnés. Les membres du Jury des courts de Cannes sont désormais connus.

Le Jury est présidé cette année par Yousry Nasrallah, réalisateur égyptien (Vols d’etéLa Porte du soleil, Après la Bataille). Quatre personnes l’accompagnent : Monia Chokri, actrice et réalisatrice canadienne (Les Amours imaginaires, Laurence Anyways, La Femme de mon frère, Babysitter), Félix Moati, acteur et réalisateur français (Après Suzanne, Deux fils), Laura Wandel, réalisatrice et scénariste belge (Les Corps étrangers, Un Monde) et Jean-Claude Raspiengeas, journaliste et critique français (Le Masque et La Plume, France Inter).

Les courts de la Quinzaine

La Quinzaine des Réalisateurs a dévoilé il y a quelques jours sa sélection de longs-métrages. 18 cinéastes sur 24 films sélectionnés feront le déplacement à Cannes pour la première fois; 11 réalisatrices font partie de cette sélection. Dans cette liste, on s’intéressera beaucoup cette année aux travaux de Youssef Chebbi, Léa Mysius (jurée à notre 2ème festival), Thomas Salvador, Alice Winocour et Nicolas Pariser, venus du court.

Côté courts, on découvrira 10 films retenus dans la sélection ci-dessous qui vient d’être annoncée. En font partie les cinéastes roumains Radu Jude et allemand Jan Soldat.

Courts métrages sélectionnés

Aribada de Simon(e) Jaikiriuma Paetau & Natalia Escobar, Allemagne, Colombie

As time passes de Jamil McGinnis, États-Unis, Turquie

Beben (Tremor, Tremblement) de Rudolf Fitzgerald-Leonard, Allemagne

Des jeunes filles enterrent leur vie de Maïté Sonnet, France

Happy New Year, Jim (Bonne année, Jim) d’Andrea Gatopoulos, Italie

Jitterbug d’Ayo Akingbade, Royaume-Uni

Maria Schneider, 1983 d’Elisabeth Subrin, France

Potemkinistii (The Potemkinists) de Radu Jude, Roumanie

Staging Death de Jan Soldat, Allemagne, Autriche

The Spiral (La Spirale) de María Silvia Esteve, Argentine

Cannes, la sélection des courts à l’officielle !

Sur 3507 films issus de plus de 140 pays, 9 courts-métrages ont été retenus par le comité de sélection de Cannes et seront présentés cette année en compétition. Ils proviennent des 11 pays suivants : Chine, Corée du Sud, Costa Rica, États-Unis, France, Ghana, Hong Kong, Italie, Lituanie, Mexique et Népal. La Palme d’or du court métrage sera attribuée le samedi 28 mai lors de la cérémonie de clôture du 75e Festival de Cannes.

Les films en compétition

Tsutsue de Amartei Armar (Ghana/France)

Po sui tai yang zhi xin (A Short Story) de Bi Gan (Chine)

Lori de Abinash Bikram Shah (Népal/Hong Kong)

Hai bian sheng qi yi zuo xuan ya de Story Chen (Chine)

Uogos de Vytautas Katkus (Lituanie/Italie)

Same Old de Lloyd Lee Choi (États-Unis)

Le feu au lac de Pierre Menahem (France)

Gakjil de Sujin Moon (Corée du Sud)

Luz nocturna (Lumière de nuit) de Kim Torres (Costa Rica/Mexique)

Actu associée : la liste des films d’écoles retenus à la Cinef

Cannes 2022

Cette année, les marches de Cannes ne sont pas rouges mais bleues. À la couleur du ciel, elle mène vers une petite porte qui invite à traverser l’écran. Comme Truman dans le film de Peter Weir, nous aussi allons gravir les marches, nous plonger dans l’obscurité et attendre une révélation ; ou plutôt des révélations tant les sélections sont prometteuses.

10 jours de festival, du 17 au 28 mai, où les sélections rivalisent de belles promesses. Aux côtés de la sélection officielle, l’ACID, la Quinzaine des Réalisateurs, la Semaine de la Critique, mais aussi Cannes Premières et les films hors-compétition, autant d’occasions de découvrir les derniers films de grands réalisateurs; autant de chances de découvrir de nouvelles têtes. Beaucoup de premiers longs sont sélectionnés cette année à Cannes, beaucoup de réalisateurs et réalisatrices sont issus du court-métrage.

Le court-métrage, un format qui n’est pas boudé à Cannes, a toute sa place dans les sélections. Voire même le très court-métrage puisque cette année Cannes célèbre son nouveau partenariat avec TikTok.

Format Court sera sur place pour vous présenter ses coups de coeur parmi les courts-métrages à l’officielle, à la Semaine et à la Quinzaine. Format Court vous proposera également des courts en ligne liés aux premiers longs-métrages sélectionnés. Des After Short consacrés à Cannes auront par ailleurs lieu à l’ESRA Paris après le festival : le premier s’intéressera aux courts le mercredi 8 juin, le deuxième se focalisera sur les premiers longs le mercredi 22 juin. Infos à venir prochainement.

Agathe Arnaud

Retrouvez dans ce focus :

Côté palmarès

La Palme d’or et la Mention spéciale du court 2022 !

Prix Lights On Women : Spring Roll Dream de Mai Vu

Queer Palm du court, Un Certain regard : 3 lauréats repérés par Format Court

Les courts primés à la Cinef

Les courts primés à la Semaine de la Critique

Nos interviews

Joseph Pierce, réalisateur de Scale (la Semaine de la Critique)

– Mai Vu, réalisatrice de Spring Roll Dream, lauréate du prix Lights on Women

Story Chen, réalisatrice de The Water Murmurs, Palme d’or du court-métrage

Jan Soldat, réalisateur de Staging Death (Quinzaine des Réalisateurs)

Valerio Ferrara, lauréat du Premier Prix de la Cinef

João Gonzalez, lauréat du Prix  Découverte Leitz Ciné du court-métrage (Semaine de la Critique)

Monia Chokri, juréee des courts à l’officielle et à la Cinef

Laura Wandel, jurée des courts à l’officielle et à la Cinef

Félix Moati, juré des courts à l’officielle et à la Cinef

Nos critiques de courts

– Des jeunes filles enterrent leur vie de Maïté Sonnet (Quinzaine des Réalisateurs),  France

A Short Story de Bi Gan (compétition officielle), Chine

Staging Death de Jan Soldat (Quinzaine des Réalisateurs), Autriche

Gakjil de Sujin Moon (compétition officielle), Corée du Sud

Il Barbiere Complottista (La Cinef), Italie

Le Feu Au Lac de Pierre Menahem (compétition officielle), France

The Water Murmurs de Story Chen (Palme d’or du court-métrage), Chine

Nauha de Pratham Khurana (La Cinef), Inde

Maria Schneider, 1983 de Elisabeth Subrin (Quinzaine des Réalisateurs), France

Spring Roll Dream de Mai Vu (La Cinef), Royaume-Uni

 Potemkinistii de Radu Jude (Quinzaine des Réalisateurs), Roumanie

Les humains sont cons quand ils s’empilent de Laurène Fernandez (La Cinef), France

On Xerxe’s throne de Evi Kalogiropoulou (Semaine de la Critique), Grèce

The Ice Merchants de João Gonzalez (Semaine de la Critique), Portugal

Will you look at me de Shuli Huang (Semaine de la Critique), Chine

Scale de Joseph Pierce (Semaine de la Critique), Royaume-Uni

Nos critiques de premiers longs

Les Pires de Lise Akoka et Romane Guéret (Quinzaine des Réalisateurs), France

Magdala de Damien Manivel (ACID), France

Tout le monde aime Jeanne de Céline Devaux (Semaine de la Critique), France

Grand Paris de Martin Jauvat (ACID), France

Alma Viva de Cristèle Alves Meira (Semaine de la Critique), France, Portugal

Rodeo de Lola Quivoron (Un Certain Regard), France

Sélections courtes

Queer Palm 2022, les courts en lice

Le Jury des courts de Cannes

Les courts de la Quinzaine

La sélection des courts à l’officielle

Les films d’écoles retenus

Semaine de la Critique, le lien au court assumé

Anciens & nouveaux cinéastes à l’ACID

Cannes, l’officielle et le passage par le court

Les films d’écoles retenus à Cannes 2022

La sélection de la Cinef (ex-Cinéfondation) a été dévoilée ce vendredi en fin de journée. Cette section officielle de Cannes a été créée en 1998 pour identifier des jeunes talents. Elle sélectionne chaque année une quinzaine de courts et moyens métrages en provenance d’écoles de cinéma du monde entier. Des cinéastes comme Emmanuelle Bercot, Asif Kapadia, Corneliu Porumboiu, Kornél Mundruczó, Nadav Lapid, Juho Kuosmanen, Claire Burger, Vincent Maël Cardona, Léa Mysius, Omar El Zohairy, Laura Samani et Payal Kapadia, parmi de nombreux autres, y ont été sélectionnés.

Pour sa 25e édition, le comité de sélection de la Cinef a retenu 16 films parmi les 1528 courts métrages qui lui ont été envoyés par des écoles de cinéma du monde entier. 13 d’entre eux sont des fictions, 3 sont des films d’animations. La section accueillera cette année 6 réalisateurs et 10 réalisatrices.

Le jury de la Cinef, qui sera le même que celui de la compétition des courts métrages (et qui n’a pas encore été dévoilé), remettra trois prix qui seront dévoilés le jeudi 26 mai en salle Buñuel. La cérémonie de remise des prix sera suivie de la projection des films primés.

Les 16 films sélectionnés sont :

– CHLIEB NÁŠ KAŽDODENNÝ, d’Alica BEDNÁRIKOVÁ, FTF VŠMU-Film and Television Faculty (Slovaquie)
– MUMLIFE de Ruby CHALLENGER, AFTRS (Australie)
– TOUT CECI VOUS REVIENDRA de Lilian FANARA, La Fémis (France)
– LES HUMAINS SONT CONS QUAND ILS S’EMPILENT de Laurène FERNANDEZ, La CinéFabrique (France)
– IL BARBIERE COMPLOTTISTA de Valerio FERRARA, Centro Sperimentale di Cinematografia (Italie)
– THE PASS de Pepi GINSBERG, NYU (États-Unis)
– SHEHERUT d’Orin KADOORI, The Steve Tisch School of Film & Television Tel Aviv University (Israël)
– NAUHA de Pratham KHURANA, Whistling Woods International (Inde)
– JUTRO NAS TAM NIE MA de Olga KŁYSZEWICZ, The Polish National Film School in Łódź (Pologne)
– DI ER de LI Jiahe, Hebei University of Science and Technology / School of Film and Television (Chine)
– FENG ZHENG de LI Yingtong, Emerson College (États-Unis)
– MISTIDA de Falcão NHAGA, ESTC (Portugal)
– GLORIOUS REVOLUTION de Masha NOVIKOVA, London Film School (Royaume-Uni)
– 100% FLÅET KÆRLIGHED de Malthe SAXER, Den Danske Filmskole (Danemark)
– HAJSZÁLREPEDÉS de Bianka SZELESTEY, Eötvös Loránd University / Department of Film Studies (Hongrie)
– SPRING ROLL DREAM de Mai VU, NFTS (Royaume-Uni)

Actu associée : la sélection des courts à l’officielle

Rémi Boubal : « Les courts m’ont formé »

Au Festival Musique et Cinéma de Marseille, le compositeur Rémi Boubal présentait Bigger Than Us, un documentaire de Flore Vasseur qui était à Cannes l’an passé, dans la section éphémère « Les films pour le climat ». Cette année, il reviendra sur la Croisette avec Plan 75 de la cinéaste japonaise Chie Hayakawa (Un Certain Regard). Il y a quelques années, il signait la partition de Nuestras Madres de César Diaz (Caméra d’or au Festival de Cannes 2019) mais aussi d’un court qu’on avait beaucoup aimé à Format Court : Une chambre bleue du polonais Tomasz Siwiński (Semaine de la Critique 2014). Discussion autour de la liberté, des gouttes d’eau et de l’imagination.

© Lisa Lessourd

Format Court : Une chambre bleue, sorti en 2014, est un court-métrage d’animation sur lequel tu as travaillé avec un réalisateur étranger, il y avait une contrainte de la distance sur ce projet. Comment as-tu travaillé dessus ?

Rémi Boubal : Je suis arrivé à la fin du projet. On s’est rencontré [avec le réalisateur, Tomasz Siwiński] le jour de l’enregistrement. On a fait des allers-retours pendant plusieurs mois où je lui envoyais des choses et où il me répondait. La musique a été mise en place comme ça. Puis, il est venu en France pour superviser la post-prod’ et je l’ai rencontré à ce moment-là, avec les musiciens.

Tu es un peu le lien entre le réalisateur, le producteur et les musiciens ?

R.B : Pour ça, il y a parfois un intermédiaire, une vraie personne qui fait ce lien plutôt pour les longs-métrages. Ca s’appelle un superviseur musical. Il s’occupe de tout ce qui touche de près ou de loin à la musique comme les droits d’un morceau dans certains cas ou la garantie de la bonne tenue de la musique. Selon le projet, il n’est pas obligé d’être interventionniste. Mais dans le court-métrage c’est beaucoup plus rare car c’est une personne de plus à payer. Dans l’économie du court, le compositeur joue souvent ce rôle-là, oui.

Certains compositeurs ont débuté en travaillant gratuitement pour se faire connaître, tout en se constituant une filmographie. Est-ce que cela a aussi été ton cas de passer par le court-métrage pour te former ?

R.B : Oui, j’ai commencé par des courts qui évidemment m’ont formé, et heureusement, car si j’avais commencé sur un long, je pense que je me serais planté. Mais au-delà de ça je continue, même si ça reste rare, de faire des courts. Ca permet de rencontrer des réalisateurs et je trouve le terrain d’expérimentation très libre. On nous laisse une liberté de faire les choses beaucoup plus grande que dans le long parce qu’il y a moins de risques économiques. La singularité, je pense, fait un peu partie de ce format.

Est-ce que la musique peut être un élément distinctif en apportant une originalité aux court-métrages ?

R.B : Disons qu’avec la musique de court, il me semble, on peut essayer des choses auxquelles le réalisateur et le producteur ne sont pas opposés, voire sont demandeurs. Dans un long, c’est beaucoup plus cadré, on ne peut pas s’amuser à vouloir essayer des choses parce qu’on a pas le temps et il y a des enjeux financiers tels qu’on ne va pas tenter de bousculer des codes. On en invente dans des courts et ça permet de plus s’amuser, même si le long reste intéressant pour plein de choses !

Pourquoi par exemple ?

R.B : Parce qu’on a beaucoup plus de temps pour musicalement étayer son discours, le construire différemment. Un ou plusieurs thèmes peuvent être utilisés, il peut y avoir des variations. On traite la durée différemment : sur un long, pour deux heures de temps, s’il y a 30-40 minutes de musique voire plus, ce n’est pas la même chose que sur un court de 10 minutes où s’il y a 10 minutes de musique, il faut qu’il y ait une super raison.

Le métier de compositeur tend de plus en plus à s’assumer, notamment avec l’arrivée de nouvelles générations. Est-ce que le statut de compositeur a évolué ? As-tu le sentiment que c’est plus accessible aujourd’hui de faire ce métier ?

R.B : Je pense que ce qui a changé maintenant, par rapport aux années 60-70, c’est qu’il y a des outils mis en place et qui permettent de maquetter les musiques. Ca, c’est très important. Avant, si le compositeur savait jouer d’un instrument, il pouvait faire une réduction, càd proposer à quoi allait ressembler la musique dans les grandes lignes. Il fallait que le réalisateur ait suffisamment d’imagination pour entendre la musique orchestrée. Aujourd’hui avec des ordinateurs, on peut arriver à maquetter, càd à donner vie à la partition de manière virtuelle avec des instruments eux aussi virtuels. Ces maquettes permettent de simuler ce à quoi va ressembler la musique une fois qu’elle sera enregistrée. C’est un outil clé qui a vraiment changé l’aspect de notre métier pour les réalisateurs. Je pense qu’il y a plus de jeunes compositeurs qui se lancent dedans qu’avant, c’est peut-être dû au fait que ça se soit démocratisé avec les ordinateurs, ce qui est plus ludique. Il y a le Conservatoire National Supérieur qui a aussi créé des “classes de musique à l’image” et très certainement que cela participe aussi à former des jeunes, car avant il n’y avait pas de réelles formations.

Le long-métrage Bigger Than Us sur lequel tu as composé la bande originale est un documentaire. Quel a été l’enjeu sur ce projet ? Est-ce que tu as pu récupérer les images pendant le montage ?

R.B : J’ai pu récupérer des images mais j’ai commencé à travailler avant et pendant le tournage et puis pendant le montage. J’ai pu être là durant toutes les étapes de conception, de fabrication du film. En général, c’est plutôt pendant le montage. La réalisatrice, Flore Vasseur, tournait dans divers pays et continents, donc à chaque fois qu’elle revenait de 2-3 semaines de tournages elle passait par la France où elle faisait des debriefs publics, auxquels tout le monde pouvait assister d’ailleurs. Et à la suite de ses debriefs, on se voyait pour parler de la musique.

Internet a dû énormément contribuer à faire connaître votre travail, avec le fait que les films soient en ligne, que vous créiez des sites internet et mettiez en avant ce qui n’était jusqu’à présent pas à portée de bras…

R.B : Je ne crois pas trop en l’idée qu’un réalisateur va taper : “Cherche compositeur de musique » sur Internet et tombe sur un site. Enfin peut-être que cela arrive, ce serait rigolo d’ailleurs ! Mais je pense plutôt que c’est un outil permettant à un réalisateur qui s’intéresse à nous de lui dire qu’il peut écouter ceci ou cela. Il y a tellement de choses nouvelles qui sortent tous les jours dans le monde que l’on est une goutte d’eau dans l’océan.

Être compositeur, c’est un métier très solitaire ?

R.B : Pour ma part oui. Le plus clair de mon temps, je le passe seul dans un studio. Après il y a des compositeurs qui travaillent en équipe avec d’autres. L’acte de composer est solitaire mais je suis mais je suis toujours en lien avec une équipe, un réalisateur et un monteur.

Propos recueillis avec Katia Bayer. Retranscription : Eliott Witterkerth

Semaine de la Critique 2022, le lien au court assumé

Ce mercredi, Ava Cahen, nouvelle déléguée générale de la Semaine de la Critique a annoncé vocalement sur la Toile le détail de la sélection de la 61ème Semaine. Sur 1700 courts visionnés, seuls 10 chanceux font partie de la sélection finale. 3 courts figurent également en séance spéciale. Ils sont également programmés par le Comité Court piloté par la nouvelle coordinatrice Farah Clémentine Dramani-Issifou.

Côté premiers longs, 7 films ont été retenus par le comité de sélection de la Semaine. La réalisatrice portugaise Cristèle Alves Meira dont nous avions bien aimé Invisível Herói et Tchau Tchau présentera son premier long, Alma Viva à la Semaine 2022. Côté belge, Emmanuelle Nicot qui avait réalisé RAE, son film de fin d’études de l’IAD (visible en ligne) et A l’arraché, son premier court pro, se lance dans le long avec Dalva.

En séances spéciales, les désormais repérés Yann Gonzalez et Emmanuel Gras, habitués de la Semaine, reviennent à la forme courte avec Hideous et Amo. Clément Cogitore, également connaisseur de la Semaine, sera présent avec son nouveau long, Goutte d’Or, porté par un acteur qu’on aime bien : Karim Leklou. Clément Cogitore s’intéresse, comme Yann Gonzalez et Emmanuel Gras, au court comme au long. Pour preuve, nous avions parlé sur le site de plusieurs courts du cinéaste et vidéaste plasticien : Braguino, Les Indes galantes (à retrouver ci-dessous en ligne) et Parmi nous.

Toujours en séance spéciale, deux auteurs qu’on aime bien présentent leurs nouveaux projets. En premier, Céline Devaux revient à Cannes après Le Repas dominical qui faisait partie des courts en sélection officielle en 2015 et qui avait eu le César du meilleur court d’animation en 2016. Elle présente à la Semaine son premier long-métrage Tout le monde aime Jeanne, une comédie franco-portugaise avec Blanche Gardin, Laurent Lafitte, Nuno Lopes et Marthe Keller. La réalisatrice, passée par les Arts Décos, avait déjà mêlé animation et fiction dans son deuxième court professionnel, Gros Chagrin, diffusé en ouverture de notre festival dans le cadre de notre focus consacré à notre parrain, Swann Arlaud.

Retour en courts avec le britannique Joseph Pierce dont c’est la première fois à Cannes avec un film nommé Scale. Joseph Pierce est un réalisateur et animateur à qui nous avions consacré un focus en… 2010 et dont nous avons accompagné tous les courts, depuis Stand Up (son film de fin d’études à la NFTS de Londres, réalisé en 2008), en passant par A Family Portrait (2009) et The Pub (2012). Ces 3 films sont tous visibles en ligne et sur notre site. On ne résiste pas à vous en proposer un, le tout premier, à l’origine du style et de l’humour du cinéaste.

Son nouveau court, Scale, est co-produit par 4 pays : la France, le Royaume-Uni, la République tchèque et la Belgique. Un film, également sélectionné à Annecy, qui nous intrigue déjà beaucoup en amont du festival et qui nous donne enfin des nouvelles du cinéaste en pleine prépa de son premier long.

Katia Bayer

La sélection des courts de la Semaine de la Critique 2022 au complet

En compétition

Raie Manta de Anton Bialas (France)
Cuerdas d’Estibaliz Urresola Solaguren (Espagne)
It’s Nice in Here de Robert-Jonathan Koeyers (Pays-Bas)
Sur le Trône de Xerxès d’Evi Kalogiropoulou (Grèce)
Swan dans le centre d’Iris Chassaigne (France)
Canker de Lin Tu (Chine)
I Didn’t Make It To Love Her d’Anna Fernandez de Paco (Bosnie, Espagne, Royaume-Uni)
Regarde-moi de Shuli Huang (Chine)
Ice Merchants de João Gonzalez (Portugal, Royaume-Uni, France)
Les Créatures qui fondent au Soleil de Diego Céspedes (Chili, France)

Séances Spéciales

Scale de Joseph Pierce (France, Royaume-Uni, République tchèque, Belgique)
Amo d’Emmanuel Gras (France)
Hideous de Yann Gonzalez (Royaume-Uni)

Anciens & nouveaux cinéastes à l’ACID 2022

Les sélections au festival de Cannes pleuvent de partout en ce moment et nous rendent encore plus curieux. Aujourd’hui, celle de l’ACID, est pleine de promesses. Neuf films sélectionnés et presque autant de premières mondiales !

La sélection traverse les genres, du thriller au documentaire. Jacky Caillou de Lucas Delangle, jeune réalisateur français sortant de la Fémis, est une fiction qui se situe dans un petit village des Alpes ; tandis que le film de Denis Gheerbrant et Lina Tsrimova, La Colline, est un documentaire nous emmenant au Kirghizistan. Le réalisateur est déjà un ponte dans le domaine et ce n’est pas sa première fois à l’ACID : ses films La vie est immense et pleine de dangers, Grand comme le monde et Après, un voyage dans le Rwanda avait déjà été sélectionnés, respectivement en 1995, 1998 et en 2004. Le documentariste émérite n’est pas le seul parmi les anciens de l’ACID. Damien Manivel revient avec un nouveau long-métrage, Magdala. En 2010, la section parallèle de Cannes avait programmé son court-métrage La Dame au chien (qu’on vous invite à voir sur la page Vimeo du Grec) et en 2016, son long-métrage Le Parc y était sélectionné. Enfin, Jan Gassmann présente aujourd’hui 99 Moons, il était en 2008 à l’ACID avec son film Chrigu : Chronique d’une vie éclairée.

Nous aurons aussi le loisir de découvrir de nouveaux.elles réalisateur.ices dans cette sélection. Fanny Molins a fait de la photographie et sa série sur un bar à Arles l’amène à réaliser un documentaire sur ce même sujet, son premier film, Atlantic Bar. Un autre jeune attire notre curiosité : Martin Jauvat a déjà fait des courts-métrages, Les Vacances à Chelle (2019), Mozeb (2020) et Le Sang de la veine (2021) qu’on a pu voir en sélection à Clermont-Ferrand et aux César.

Aujourd’hui, le réalisateur présente son premier long-métrage, Grand Paris, un film rafraîchissant dans son style et dans son sujet qui fait suite à Grand Paris Express, un moyen-métrage ayant déjà retenu l’attention au festival de Clermont par son aspect un peu kitsch, décalé et très tendre.

Enfin, quelques curiosités venues d’ailleurs viennent s’ajouter à notre impatience. Le film de Ainara Vera, Polaris, nous vient du Groenland. Sa réalisatrice était été sélectionnée à Locarno en 2014 avec son court-métrage Sertres. Sur un autre continent, Juichiro Yamasaki, est sélectionné à l’ACID avec son film Yamabuki. Après quelques courts-métrages et une vie de cultivateur de tomates, le Japonais est revenu au cinéma. D’une petite ville minière au Japon à la Croisette de Cannes, il n’y a qu’un film !

Agathe Arnaud

La sélection dans sa totalité

– 99 Moons de Jan Gassmann
1h50 | Suisse | 2022
Première mondiale

– Atlantic Bar de Fanny Molins
1h17 | France | 2022
Première mondiale

– La Colline de Denis Gheerbrant et Lina Tsrimova
1h17 l France, Belgique l 2022
Première mondiale

– Grand Paris de Martin Jauvat
1h25 | France | 2022
Première mondiale

– How to save a dead friend de Marusya Syroechkovskaya
1h43 | Suède, Norvège, France, Allemagne | 2022
Première française

– Jacky Caillou de Lucas Delangle
1h32 | France | 2022
Première mondiale

– Magdala de Damien Manivel
1h18 | France | 2022
Première mondiale

– Polaris de Ainara Vera
1h18 | France, Groenland | 2022
Première mondiale

– Yamabuki de Juichiro Yamasaki
1h37 l Japon, France l 2022
Première française

Carlos Segundo. L’absence plutôt que la présence

Carlos Segundo est cinéaste, scénariste producteur et professeur de cinéma au nord-est du Brésil, dans la ville de Natal. Il a réalisé Sideral, un court-métrage génial, co-produit par Les Valseurs, qui faisait partie de la sélection officielle de Cannes 2021 et qui pourrait bien se retrouver aux prochains Oscars. Le film a obtenu le prix du scénario à notre Festival Format Court en novembre passé. Il raconte avec humour l’histoire d’une mère de famille, femme de ménage de son état, cherchant un autre avenir et une place dans l’espace.

Par bonne chance, le réalisateur était de passage à Paris la semaine passée et a pu présenter son film lors de la diffusion de notre palmarès au Studio des Ursulines (Paris, 5ème). L’occasion était trouvée pour parler avec lui de créativité, des femmes, du Brésil et d’universalisme.

Format Court : Sideral comporte des choix esthétiques forts comme le noir et blanc et la mise en scène. À quoi ressemblait le film au départ et comment as-tu écrit ce projet ?

Carlos Segundo : J’aime beaucoup penser mon cinéma comme du cinéma d’auteur, donc j’aime beaucoup contrôler les deux principaux axes de réalisation que sont le scénario et la mise en scène. Je pars d’une idée, d’une situation avec ces éléments, et je commence à penser aux possibles schémas que je vais parcourir. Au début, je ne sais pas vraiment quel chemin aboutira, alors c’est un petit peu chaotique lors de l’écriture. À partir du moment où je trouve les personnages et les autres éléments qui vont définir ce schéma, je peux penser en même temps la forme du film et sa narration. C’est pour cela que Sideral est différent, par exemple, de mon long-métrage Fendas. J’utilise le format de cadre 4/3 qui enferme davantage les personnages et le noir et blanc pour penser la symbolique entre les femmes et les hommes. C’est un autre type de relation à l’image et non une écriture classique d’un scénario puis de l’image.

Est-ce que le film pourrait avoir une dimension autobiographique qui passerait par le personnage de Felipe, le petit garçon ?

C.S. : C’est possible ! Après la première séance du film, je me suis demandé d’où venait cette histoire et je me suis rendu compte que ma mère avait en réalité fait les mêmes mouvements. Elle vivait au Brésil, elle a déménagé en Angleterre il y a 20 ans avec moi et est sortie de relations très violentes symboliquement. Il y a donc bien quelque chose d’autobiographique mais plus du côté de la mère que du garçon. Je crois beaucoup dans cette relation entre le passé et le présent de la pensée créative, on ne peut pas vraiment capturer ce qui émerge de notre inconscient. L’histoire de ma mère, c’est l’histoire de cette femme dans la fusée.

Tu es de São Paulo mais tu vis à Natal, là où se passe également l’intrigue du film et où se trouve une base aérospatiale. Est-ce que l’idée du film était aussi de jouer le jeu d’une dimension historique ou bien au contraire c’était simplement un procédé narratif fictionnel ?

C.S. : La base de Natal existe toujours, on l’utilise pour faire des lancements de petites fusées. C’est une ville qui a accueilli beaucoup de Nord-Américains car elle servait de base pendant la Seconde Guerre mondiale. Il y a une atmosphère à la fois très riche et sèche parce qu’on parle d’une région très particulière du Brésil du point de vue du climat, de sa nature. Travailler ce film-là, dans ce territoire-là, c’était pour moi très important car cette relation familiale mais aussi de travail est totalement différente avec São Paulo, par exemple. Cette histoire spécifique ne pourrait donc pas être la même ailleurs.

Tu es aussi professeur de cinéma à Natal. Comment transmettre aux étudiants la place et l’importance du court-métrage avec ton regard ?

C.S. : Je pense que le court-métrage n’est pas un escalier pour le long-métrage, tout comme les contes et les romans : il a ses propres valeurs. C’est ainsi que j’essaye de transmettre ses valeurs aux étudiants. Le Brésil a connu un moment très, très délicat il y a au moins cinq ans. Il n’y avait pas de ressources ni de fonds pour le long-métrage et pour le court-métrage, il était quasiment impossible d’avoir d’aides du gouvernement…

Comment faire dans ces cas-là ? Se tourner vers des co-producteurs étrangers ?

C.S. : Travailler avec les co-producteurs étrangers oui, mais avec créativité. Si on avait fait Sideral aux États-Unis, on aurait utilisé des effets et filmé réellement une fusée en train de décoller alors qu’on cherche plutôt des façons différentes de créer un monde narratif et de travailler l’imagination du public, s’intéresser à l’absence plus qu’à la présence. Et cette absence est aussi dans le scénario : l’absence de la femme peut faire toute la différence dans le monde des hommes. Dans mes quatre films précédents, je travaille cet univers féminin que j’aime beaucoup.

Il y a différentes manières de penser la co-production. La première c’est d’avoir un peu plus d’argent pour faire le film en ouvrant en même temps un nouvel espace de distribution, et nous sommes là grâce à ça. La deuxième, c’est justement d’apporter différents regards et points de vue, spécialement avec Justin (Pechberty) et Damien (Megherbi), des Valseurs, qui travaillent avec beaucoup de réalisateurs et réalisatrices. À plusieurs, on cherche, regarde, filme, décale, choisit, supprime. Le travail de montage, de finalisation, qu’on fait ensemble marche très bien et m’aide beaucoup a penser à l’universalisation du film.

Tes projets, From Time to Time, I Burn et Subcutâneo présentent, comme Sideral et Fendas, la même particularité de suivre un personnage central féminin solitaire dans son quotidien. Est-ce une volonté d’émanciper le regard sur ces femmes qu’on ne voit pas ?

C.S. : J’aime beaucoup chercher une puissance dans l’ordinaire de la vie. Tous les personnages de ces différents films vivent une vie très ordinaire : une femme faisant des épilations, une professeure de physique quantique, une autre qui fait de la photo mais n’est pas une grande artiste… Quand on a un personnage ordinaire, simple, s’il a quelque chose de puissant pour le public, c’est plus fort, parce qu’on n’imagine pas qu’il y a de la poésie et de la folie en lui. J’aime trouver la limite entre les possibles et l’impossible de la vie autour de ces personnages. L’univers féminin est un univers vraiment riche et en même temps j’essaye d’apprendre. Je suis un homme cis, hétérosexuel, donc j’essaye d’apprendre sur cet univers en ouvrant la possibilité d’un dialogue entre mon univers masculin et le féminin. Toute ma vie, j’ai été entouré de femmes, avec ma mère, ma grand-mère, mes deux sœurs, un père totalement absent et un grand-père que je ne connais pas. Il y a quelque chose qui traverse ma vie et c’est totalement parti de ces rencontres. J’ai été avec cette famille féminine pendant toute ma vie, c’est comme ça…

Sideral est une intrigue simple mais possède une part de fantastique, avec cette fusée dans laquelle on projette des choses. Raconter des histoires, toutes différentes, chez toi, c’est quelque chose qui te semble important ?

C.S. : Les films sont différents mais leur essence est simple. Je ne sais plus quel l’écrivain brésilien a dit : « Avant de transformer le monde, on doit d’abord nettoyer notre chambre ». Le cinéma, particulièrement au Brésil, a longtemps été un art très cher dont seuls les riches pouvaient faire partie. En ce moment, il y a beaucoup de réalisateurs – dont je fais partie – qui viennent de la périphérie et qui aimeraient s’exprimer. Je pense que c’est un moment très spécial au Brésil. Malgré cette période politique, il y a une puissance, une énergie qui pense pour les femmes, les hommes, les personnes trans, gays, et noires. C’est le moment de parler de notre territoire mais de le faire aussi en universalisant, parce que l’histoire humaine se croise toujours. Sideral est un film particulier mais dans son essence, il peut toucher quelqu’un en Turquie, en Syrie, etc. Il y a dedans quelque chose d’universel mais avec un point de vue brésilien. En même temps que je pense à l’histoire, à la narration brésilienne, j’aime penser la manière dont elle peut être en connexion avec le monde. En ce moment, je travaille au Brésil car il y a beaucoup d’histoires à raconter dans notre pays.

Tes œuvres présentent souvent un rythme prenant le temps de s’installer, avec peu de mouvements de caméra et de plans. Dans cette industrie où tout doit aller vite, surtout dans le court-métrage où il « faut » être efficace, d’où cela te vient-il ?

C.S. : Dans le court-métrage, normalement, il y a beaucoup de choses qui arrivent dans un petit espace, c’est pour ça qu’on a besoin de trouver l’essence du film. Je vois parfois des films qui essayent de parler de plusieurs choses et qui se perdent complètement dans cette essence. Si on trouve le sens, on peut travailler davantage l’action, la narration et les plans. On peut aussi donner aux spectateurs la possibilité de regarder et d’avoir cette expérience réelle, vive, de la relation entre les yeux, les oreilles, l’image et le son. Le ton du film est celui du film, pas celui de la vie. Je travaille le cinéma comme le miroir de la vie. Il y a un ton spécifique dans chaque film que j’aborde.

Propos recueillis avec Katia Bayer, avec la complicité d’Eliott Witterkerth et de Paul Lhiabastres. Retranscription : Eliott Witterkerth

Article associé : la critique du film

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Cannes, l’officielle et le passage par le court

Ce matin, Thierry Frémaux annonçait la sélection de la 75ème édition du Festival de Cannes. À Format Court, nous sommes, vous vous en doutez, attentifs aux courts en compétition qui seront révélés d’ici peu. Néanmoins, plusieurs noms retenus à l’officielle sont passés par le court. Ça valait bien un petit billet de circonstance :).

Il a reçu en 2017 une Palme d’or pour The Square, il revient avec Le triangle de la tristesse : Ruben Östlund sera de retour à Cannes après un bon moment d’absence. Tout le monde ne le sait pas mais le réalisateur suédois a fait un super court (son deuxième) il y a quelques années. Le film, Incident by a Bank, avait même reçu l’Ours d’or à Berlin en 2010. Nous avions diffusé le film lors du focus suédois de notre festival en novembre passé. Ce même film est en ligne, jugez plutôt de sa qualité !

Du côté d’Un Certain regard, une section qui nous intéresse beaucoup car elle se focalise sur « du cinéma radical, expérimental »et des jeunes réalisateurs, on a identifié plusieurs films en vue de nos prochains After Short (courts et longs) qui seront organisés à l’ESRA en juin prochain.

Commençons avec Les Pires, le premier long-métrage du tandem formé par Lise Akoka et Romane Gueret. Les deux jeunes femmes avaient co-réalisé un film coup de poing, Chasse royale, qu’on avait beaucoup, beaucoup aimé à Format Court. Le film avait démarré à la Quinzaine des Réalisateurs en 2016 où il avait reçu le Prix illy et avait été chroniqué sur notre site. Une interview des réalisatrices avait été publié, le film avait été également diffusé aux Ursulines, en leur présence. On attendait sans attendre leur premier long, produit par Les Films Velvet qui avaient déjà soutenu leur premier court. Entre temps, les deux réalisatrices avaient travaillé sur un autre format via une série pour Arte : Tu préfères.

Akoka et Guéret sont des amoureuses du cinéma direct, des comédiens dits non-professionnels, elles bossent bien leurs dialogues. Le hasard est pas mal, là aussi : Chasse royale est également visible sur la Toile (merci UniversCiné !). On vous en fait profiter aussi du coup. On est loin de l’univers de Ruben Östlund, mais ça reste du court visible en ligne, du coup, c’est plus que bien !

À Un Certain Regard, on s’intéressera aussi beaucoup, beaucoup cette année au nouveau film de Davy Chou, réalisateur du joli court Cambodia 2099 qui était lui aussi à la Quinzaine (2014, pour le coup, merci les archives !). Autre jeune cinéaste à suivre : Lola Quivoron. La jeune femme avait réalisé plusieurs courts quand elle était encore à la Fémis, dont le formidable Au loin, Baltimore, diffusé aux Ursulines en sa présence. Son premier long, Rodéo, fait lui aussi partie de la sélection d’Un Certain Regard qui compte 15 films au total dont 7 premiers longs-métrages.

Katia Bayer

Emmanuelle Bercot : « A l’école, je suis partie directement dans une direction qui me correspondait »

Le Festival Musique et Cinéma de Marseille a accueilli ces derniers jours la comédienne et réalisatrice Emmanuelle Bercot et son compositeur Eric Neveux. Tous deux présentaient le très émouvant De son vivant (hors compétition, Cannes 2021) pour lequel Benoît Magimel a reçu dernièrement un César du meilleur acteur.

Emmanuelle Bercot a fait plusieurs courts alors qu’elle était étudiante à la Fémis. Son tout premier court, Les Vacances, a reçu le Prix du Jury à Cannes en 97 et son film de fin d’études La Puce a obtenu 2 ans plus tard le 2ème Prix de la Cinéfondation, la section cannoise réservée aux films d’écoles. Eric Neveux, de son côté, est également passé par le court et a collaboré notamment avec Édouard Deluc et Myriam Boyer. Entretien croisé autour de l’apprentissage, du dialogue, du vinyle et du temps de composition.

© Leïla Macaire

Format Court : Quand vous étiez à la Fémis, Emmanuelle, vous avez fait trois courts, il y en a même un qui a été pris à la Cinéfondation. Comment perceviez ce format-là à l’époque ?

Emmanuelle Bercot : C’était un peu particulier parce que j’étais obligée de faire des courts-métrages et que j’étais encadrée pour les faire. Je n’ai ni dû me battre ni convaincre des gens pour trouver de l’argent. Ça faisait partie de la scolarité. Après je vous avoue que je pensais que mes premiers courts-métrages n’allaient être vus que par mes profs et mes parents. Je ne venais pas du tout de ce monde-là. Je n’avais aucune notion qu’il y avait autant de festivals et je ne savais même pas qu’à l’intérieur de l’école, quelqu’un s’occupait de proposer les courts des étudiants en festival. Je me souviens très bien qu’on m’a appelée pour me dire que mon film était sélectionné à Cannes mais je n’ai même pas été contente, tellement je n’ai pas compris ce que ça voulait dire. C’est après, une fois qu’il a fallu tout mettre en branle pour être présent à Cannes et tout le reste, que je me suis dit qu’il y avait un truc qui pouvait se passer pour les courts-métrages qui était énorme. Le fait que mon court-métrage était à Cannes et qu’il ait eu un prix, ça a complètement tout changé pour moi. Dès le moment où vous avez un prix, les producteurs ne regardent même pas votre court-métrage, ils vous appellent directement ! Ça m’a ouvert absolument toutes les portes. En débarquant complètement dans ce métier, je l’ignorais et après, avec ce court métrage, j’ai fait à peu près tous les festivals qui existent et j’ai vu qu’il y avait un vrai monde du court-métrage. De loin, on peut penser que c’est un peu le parent pauvre, qu’il faut se démerder un peu tout seul mais il y a énormément de lieux qui mettent en valeur le court-métrage et qui te font découvrir des cinéastes. C’est ça pour moi le rapport au court-métrage.

Est-ce que vous aviez les moyens d’expérimenter ce que vous vouliez ?

E.B. : Bien sûr, c’est une école d’état. Il y a énormément de moyens dans cette école. Je ne sais plus le coût de la scolarité par étudiant mais on a des moyens de dingue. C’est très dur d’y rentrer aussi (rires), il y a une grosse sélection. Comme tous les concours, c’est injuste mais quand on y est, on a énormément de moyens.

En terme d’écriture, est-ce qu’il y avait un truc que vous vouliez particulièrement faire sur ce film vu que vous aviez des moyens à disposition ?

E.B. : Je n’ai pas raisonné comme ça. J’ai écrit un truc que j’avais envie de raconter, sans penser à expérimenter en fait. De toute façon, quand on fait un premier court-métrage, on expérimente ce que c’est que de faire un tournage car on ne sait pas ce que c’est en fait. Pour moi, c’était ça l’expérience. Je ne me suis pas dit : « Je vais faire un truc hyper radical parce que là je peux le faire et que je ne pourrai pas après ». Je n’ai pas du tout raisonné comme ça. C’est un court-métrage qui s’apparente au film social, c’est un type de film qui m’a toujours énormément plu, je suis partie directement dans une direction qui me correspondait, je n’ai pas eu le sentiment d’expérimenter autre chose que ce que c’est que de faire du cinéma.

Vous travaillez en famille, avec vos comédiens, votre équipe technique. Est-ce que c’est quelque chose qui a démarré quand vous étiez à l’école ?

E.B. : Tous les gens qui étaient sur Les Vacances, mon premier court-métrage, sont des gens avec qui je travaille encore aujourd’hui.

« Les Vacances »

Votre monteur, Julien Leloup commence le montage au début du tournage et vous envoie à vous, Eric Neveux, des séquences pour que vous puissiez commencer à composer. Est-ce que c’était une idée de vous, Emmanuelle ? Est-ce vous qui avez instauré cette façon de faire ?

E.B. : Pour moi, la façon de faire, c’est de commencer à monter pendant le tournage. Ce n’est pas obligatoire. Je le fais parce qu’on travaille ensemble depuis 25 ans avec Julien, il me connaît tellement que j’ai confiance dans ce qu’il va faire en mon absence. Je ne pense pas que je le ferais avec un autre monteur. Je fais ça de plus en plus car on gagne quand même deux mois de post-production. Comme je leur fais à tous les deux extrêmement confiance, ça me parait normal qu’ils avancent sans moi parce que pendant le tournage, je ne suis absolument pas disponible pour penser à autre chose. Je trouve ça chouette qu’ils puissent démarrer tous les deux sans moi.

Est-ce que votre monteur vous montre des séquences montées pendant le tournage ?

E.B. : Non, je ne regarde même pas les rushes. La seule chose, c’est que mon monteur me fait très régulièrement des retours par mail, des critiques, peu de compliments, pour essayer de redresser la barre avant qu’il ne soit trop tard.

Des critiques, à quel niveau par exemple ?

E.B. : Sur la mise en scène, les focales, le choix des plans, ceux qui manquent, beaucoup sur les acteurs, sur tout ce sur quoi on peut encore agir pendant le tournage.

Eric Neveux : Pour la musique, le fait de faire ça permet de gagner un temps précieux. Il y a plein de cas où on fait des films en 2-3 mois parce la collaboration n’est pas aussi organisée que ça, parce que tout à coup, le montage est fini et qu’il faut faire la musique. Ça arrive assez souvent et là sur De son vivant, l’idée, comme il y avait un enjeu un peu particulier sur la musique, c’était de trouver un ton spécifique sur ce film. Il y avait un réflexe de se dire qu’on allait commencer dès que possible. Julien, le monteur, m’a même demandé à partir de quand j’étais en mesure de recevoir le contenu. Je lui ai dit : « Dès que tu peux, dès que tu trouves un assemblage ». Je suis très partant pour recevoir des choses, pour commencer à travailler.

Vous dites que sur chaque projet, il y a un enjeu. Quelle était la particularité de celui-ci ?

E.N. : Je ne sais plus si on se l’est vraiment dit mais il fallait trouver un ton pour traiter ce principe de mélo, un principe qui soit le bon. Pour ça, on a besoin de temps. Quand on a du temps, on l’utilise pour chercher. Parfois, travailler dans l’urgence sur la fin, ça peut être très intéressant. Là c’était typiquement un film sur lequel j’étais content de ne pas recevoir des images et d’avoir juste deux semaines pour proposer mon travail. Pour De son vivant, c’était vraiment une bonne chose de prendre le temps, de ne pas être obligé de fournir ou de produire. C’est ce qui a caractérisé la façon de travailler sur le film, ce qui ne nous a pas empêchés d’avoir des rushes à la fin car si même tu as travaillé très tôt, à la fin, il va y avoir des choses que l’on met plus de temps à trouver et que l’on doit faire un peu plus dans l’urgence. Ce sont des dynamiques qui se suivent et qui sont d’ailleurs intéressantes toutes les deux.

(…) Le moment de tension, c’est quand on cherche le ton. Après, quand on a l’impression d’avoir trouvé une couleur et une sorte de grammaire musicale qui peut durer 30 minutes ou 1h10, ça représente du boulot, mais ce n’est plus la même pression. Avoir du temps pour chercher ce ton, c’est vraiment très précieux.

Eric, vous avez fait des courts à vos débuts, est-ce que vous avez encore envie de faire de la musique pour ce type de films ?

E.N.: J’ai fait des courts au début pour apprendre mon métier. C’était passionnant. En revanche, à quelques exceptions près, je trouve que c’est bien de ne plus en faire après parce que c’est utile de laisser les projets aux gens qui ont besoin de démarrer justement. Quand on m’appelle pour des courts, je dis en général non parce qu’il y a plein de gens qui sont comme moi il y a dix ans. Un court, c’est un film. Pour un musicien, c’est le même enjeu, les mêmes problématiques, donc j’ai plutôt tendance à ne pas accepter.

Est-ce que le court-métrage est une forme que vous, Emmanuelle, vous suivez encore un peu ?

E.B. : Je ne vais pas vous mentir, je n’aime pas ça. Parfois, des jeunes réalisateurs m’envoient leurs courts-métrages donc par gentillesse et politesse, je les regarde et je leur fais un retour, mais c’est vraiment le seul contexte dans lequel je vois des courts-métrages. Même quand j’en faisais, je n’aimais pas trop ça. Je trouve ça extrêmement difficile, cette durée. Il y a pourtant des courts fantastiques, ceux de Ozon par exemple, des films exceptionnels qui sont bien mieux que certains longs-métrages mais sur la masse de courts, c’est un format dans lequel je ne suis pas bien. Après, j’ai beaucoup de curiosité. Si tout le monde parle d’un court-métrage, je vais aller le regarder. Souvent quand on me propose des rôles d’actrice dans un premier long-métrage, je regarde les courts-métrages qu’on m’envoie. Là ça m’intéresse énormément parce que c’est la seule boussole que j’ai pour savoir un peu à qui j’ai à faire. Et je me détermine beaucoup sur les courts-métrages.

« La puce »

Par rapport à cette position d’actrice, est-ce vous avez envie de faire confiance aux jeunes réalisateurs ?

E.B. : On a hyper envie, c’est sûr, c’est génial. Mais sans avoir rien vu, c’est compliqué.

Quand vous travaillez, qu’est-ce qui détermine une belle écriture ?

E.B. : Les dialogues. Sur la construction, c’est normal, on a tous été médiocre. Au début, c’est tellement compliqué l’écriture de scénario. Les premiers scénarios sont plein d’erreurs. Et même aujourd’hui, au bout de 25 ans de métier, mes scénarios sont toujours plein d’erreurs de construction. En revanche les dialogues, ça, ça ne trompe pas. Si ça sent l’écriture, si ça sent le papier comme on dit… Le dialogue, pour moi, on a le sens ou on ne l’a pas. C’est vraiment le baromètre.

Donc à l’écriture, vous allez savoir selon le dialogue si ça peut être bon ou pas ?

E.B. : Le meilleur acteur du monde, s’il dit un mauvais dialogue, il est « à chier », il n’y a rien à faire. Souvent, quand il y a un truc qui ne marche pas, ce n’est pas l’acteur, c’est que le truc est mal écrit. Moi ça m’arrive de  réécrire quelque chose parce que l’acteur n’arrive pas à le jouer. C’est pas de sa faute, c’est de la mienne. C’est comme quand vous voyez un premier court-métrage et que les acteurs ne sont pas bons. Ça ne donne pas très envie d’y aller.

Eric, vous avez lancé votre propre label. Pourquoi ?

E.N. : C’est plus une maison de production qu’un label. C’est ce qui me permet de sortir des choses comme le vinyle de la musique de De son vivant ou des albums en digital. Ce n’est pas un label à proprement parlé avec du développement d’artistes.

Les manières de consommer ont changé. Avant, on allait acheter le CD de la bande originale d’un film. Aujourd’hui, les gens ont plus recours au vinyle.

E.N. : Le retour du vinyle, c’est vraiment intéressant. Ce qui se passe en ce moment est énorme. À la Fnac par exemple, le rayon vinyle à explosé en taille, ça me ravit. Les vinyles sont des beaux objets et ça se vend. Les usines n’arrivent pas à en fournir depuis quelques mois. Ça s’explique par diverses raisons mais aussi parce qu’il y a des gros artistes qui sortent en vinyle et qui engorgent des usines entières. En ce moment, c’est complètement dingue. Je pense qu’il y a un rapport à l’objet par opposition avec le streaming où c’est pratique, où on fonctionne plus en playlist. Je suis très content parce que faire des vinyles, ce n’est pas très rentable mais c’est super, ça crée des occasions, on retrouve ce rapport à l’objet.

Comment percevez-vous du coup le fait que les films sortent en DVD ? Est-ce que ça reste un enjeu pour vous, Emmanuelle, de sortir vos films en DVD ?

E.B. : Je pense être assez représentative des personnes lambda. J’achetais énormément de DVD, je n’en ai pas acheté depuis à peu près dix ans, je ne sors plus un DVD de ma bibliothèque et je pense que je ne suis pas la seule. Je me demande pourquoi on continue à sortir des DVD. En plus, moi, je n’ajoute plus de bonus dessus. Je ne mets plus de making of parce que ça coûte de l’argent qu’on m’enlève sur le film donc je n’en veux pas, mais pour moi l’intérêt du DVD, c’est le fait que l’on avait des documents (bonus), j’adorais ça. Personne ne les regarde aujourd’hui alors je ne vais pas me fatiguer. Ça va peut-être revenir comme le vinyle… Je ne me renseigne jamais sur les ventes de DVD de mes films et puis personne ne m’en informe. J’ai l’impression que personne ne s’en soucie alors que sur les sorties des films, vous êtes bien au courant du nombre des entrées. Le reste, par contre…

Propos recueillis par Katia Bayer et Damien Carlet. Retranscription : Damien Carlet

The Penelopes : « On aime bien les gens qui ont une certaine fragilité »

Invité au Festival Musique et Cinéma à Marseille, le groupe français The Penelopes, exilé à Londres, s’est fait connaître par sa musique électronique et ses collaborations avec les actrices Isabelle Adjani, Virginie Ledoyen et Asia Argento. En parallèle à leur groupe, les deux amis d’enfance Axel Basquiat et Vincent Tremel, s’intéressent au cinéma, court comme long.

Vous avez signé la musique de plusieurs courts-métrages, quel rapport entretenez-vous avec ce format ?

Axel Basquiat : Nous on aime bien cette forme. Même si on a un groupe de musique, que l’on a une carrière, on aime bien rester ouvert d’esprit et rencontrer des gens créatifs, des jeunes gens. Le futur du cinéma. C’est un moyen de ne pas être conservateur, de ne pas traîner seulement dans ta chapelle avec des gens avec qui tu as déjà collaborés.

Vincent Tremel : J’aime bien le format court. Ça m’intéresse que l’on puisse développer une idée en 10-15 minutes. On a fait un court pour Canal +, Eden de Olivier Perrier, qui est un film de 12 minutes. C’est efficace et j’aime bien ça.

Comment appréhendez-vous le travail avec les réalisateurs ? Faites-vous des propositions en amont, à la lecture du scénario ou attendez-vous de recevoir les images des films ?

A.B. : La règle, c’est qu’il y a pas de règles. C’est pour ça que l’on aime bien composer pour des films. Tu peux travailler avec un réalisateur ou arriver à la fin du dispositif où tu fais la musique quand tout est terminé. Mais nous, on a un tropisme quand même pour proposer quelque chose avant le tournage. Souvent, dans nos projets qui ont assez bien marché et qui se sont retrouvés dans des festivals importants (Cannes ou Sundance), on avait bossé sur les séquences en amont. C’est le cas du film Acide de Just Philippot, dont la musique de la scène d’ouverture avait été créée un an avant le tournage. Le réalisateur disposait de la musique dès le départ.

V.T. : On aime bien sonder un peu le réalisateur avant, connaître ses goûts musicaux personnels. Même si ce n’est pas vraiment ce qu’il veut pour le film, parfois il aime entendre des petits rappels de sa culture musicale. On aime bien parler avec lui et voir ce qu’il veut entendre. Plus c’est en amont, mieux c’est.

A.B. : On aime bien envoyer du matériel sonore qui n’est pas forcément utilisé mais qui peut rassurer le réalisateur. Même si ça nous demande du travail, on aime bien mettre les gens en confiance, surtout quand il s’agit d’un premier court.

Vous avez été amené à chanter avec des comédiennes (Asia Argento, Isabelle Adjani, Virginie Ledoyen). Qu’est-ce qui vous intéresse dans l’idée de faire chanter des actrices ? Est-ce qu’à l’inverse, l’écriture de scénario voire la réalisation, vous a déjà intéressés ?

V.T. : Alors, la réalisation ne nous a jamais intéressés.

A.B. : On a des idées mais on est trop occupé avec le groupe. Ça demande déjà beaucoup d’énergie. Pourquoi on bosse avec des actrices ? En premier, on travaille avec des actrices qui ont des  tempéraments, qui ont des idées fortes.

V.T. : Des femmes qui ont des voix particulières aussi. : celle de Asia, celle de Isabelle avec son célèbre trémolo que l’on connaît des chansons de Gainsbourg et celle de Virginie qui est très grave. Ce sont des voix totalement différentes mais très facilement identifiables pour l’auditeur. Tu sais par exemple que c’est Virginie Ledoyen qui chante sur le morceau quand tu l’entends.

A.B. : Et puis, ce sont de belles rencontres. On aime bien la fragilité, on adore collaborer avec des gens qui n’ont pas forcément un entraînement classique à la musique. Moi par exemple, j’adore Leonard Cohen, plein de gens disent qu’il ne sait pas chanter mais moi je trouve qu’il chante super bien. J’aime bien les gens qui ont de la personnalité, qui ont une certaine fragilité.

Vous avez emménagé à Londres il y a 7 ans. Comment percevez-vous la scène musicale et l’univers cinématographique sur place ?

V.T. : En musique, c’est hyper riche. Ils ont une culture musicale très importante. Les musiciens solistes sont d’un niveau fou. Il y a énormément de groupes, c’est ultra compétitif. En cinéma par contre, ils sont quand même moins lotis qu’en France parce que c’est plus libéral, parce qu’il y a n’a pas de subventions. Il n’y a pas tous ces systèmes d’accompagnement. Autant sur la musique ils sont très bien lotis – c’est pour ça aussi que l’on y est – autant sur le cinéma, il y a moins d’opportunités pour les jeune réalisateurs.

Propos recueillis par Damien Carlet

Fragile de Emma Benestan

Il y a quelques mois, est sorti en DVD Fragile, le premier long-métrage de Emma Benestan, un premier film sensible, léger, drôle et touchant, sorti en salles en août 2021 grâce à Haut et Court. Avant ce long, la réalisatrice a fait 5 incursions en court avec notamment Belle gueule en 2015 et L’Amour du risque en 2017, tous les deux présentés en bonus sur ce DVD, édité par Blaq Out, dont nous vous offrons 3 exemplaires. En parallèle, le film est projeté à plusieurs reprises cette semaine lors du Festival Musique et Cinéma de Marseille lors de séances pour les scolaires et les familles.

Az, interprété par Yasin Houicha, travaille chez un ostréiculteur à Sète. Il fréquente Jess, une comédienne jouant dans une série policière tournée dans la région (interprétée par Tiphaine Daviot, vu entre autres dans le cesarisé Les bigorneaux de Alice Vial). Az décide de demander Jess en mariage et se met en tête de cacher la bague dans une huître qui serait ouverte devant elle au restaurant, mais tout ne se passe pas comme prévu. C’est justement le moment que choisit Jess pour annoncer à Az qu’elle a besoin d’air et qu’elle voudrait une pause. La peine de coeur que va essuyer Az va être rendu plus vivable par sa bande de potes. Ceux-ci vont essayer de le réconforter, de l’aider à sortir de sa déprime (parmi eux Bilel Chigrani, vu dans Le Chant d’Ahmed de Foued Mansour et Raphaël Quenard que l’on a retrouvé dans le récemment cesarisé Les Mauvais garçons de Elie Girard). De son côté, le personnage de Lila, interprété par Oulaya Amamra, va se montrer autrement présente. Fidèle collaboratrice de la réalisatrice, la comédienne était était déjà le personnage principal de son court métrage Belle gueule en 2015.

En se faisant passer pour sa nouvelle petite amie pour rendre Jess jalouse ou encore en apprenant à Az à danser (ce qui donne d’ailleurs lieu à quelques scènes décalées et drôles), Lila lui permet de sortir la tête de l’eau. Une ambiguïté surgit entre les deux êtres qui finissent par flirter l’un avec l’autre. Ce premier long-métrage fait la part belle à un ton léger et enlevé. Il nous transporte dans une atmosphère de printemps ou d’été au bord de la Méditerranée (comme dans Belle gueule où Oulaya Amamra vendait des beignets et des chichis sur une plage). Malgré la peine de coeur que vit Az, la réalisatrice nous emmène dans le registre de la comédie grâce notamment aux personnages secondaires qui offrent un ton plus léger au film. Comme dans cette séquence magistrale où après s’être fait refouler par le physionomiste d’une soirée organisée par le producteur de la série dans laquelle joue Jess, la bande d’amis réussit à s’introduire malgré tout dans la fête et vient bousculer les codes et les rouages de cette soirée privée par des joutes verbales, d’esprit, portées par une verve digne du 18ème siècle.

On retrouve dans ce film la question de la séduction, de l’amour et des rapports hommes/femmes, thèmes qui semblent chers à Emma Benestan. Elle avait déjà questionné ces thèmes dans le court-métrage L’Amour du risque où une « coach » en séduction venait en aide à des garçons en demande de conseils de drague et de séduction. Fragile, lui, s’intéresse plus particulièrement au personnage de Az, un jeune homme sensible ayant peu confiance en lui et ayant besoin de se faire aider. Pour le coup, ce sont les femmes qui seront ses meilleurs guides : sa mère, ses soeurs et sa nouvelle complice, Lila, qui cherchent à le rassurer et l’accompagner. Fragile interroge aussi la notion d’« être un homme », car c’est souvent par cet adjectif de « fragile » qu’est désigné Az, le héros. En éffet, il peut être maladroit, sensible et pas toujours sur de lui. Mais cela ne l’empêche pas de séduire, de pouvoir aimer et de tomber amoureux. Porté par des comédiens de talent, le film réussit à nous emporter par son ton loufoque et son énergie solaire. Grâce à ce premier long métrage, Emma Benestan continue avec la légèreté qui caractérise désormais son cinéma, à raconter des histoires et à interroger des thèmes importants, contemporains et universels et ainsi à tracer un sillon déjà bien entamé dans ses courts-métrages.

Damien Carlet

S comme Sideral

Fiche technique

Synopsis : À Natal, dans le nord du Brésil, le premier lancement historique d’une fusée brésilienne est sur le point d’avoir lieu. Un couple vit avec ses deux enfants près du centre spatial, lui est mécanicien, elle, femme de ménage, mais elle rêve d’autres horizons…

Pays : Brésil, France

Durée : 15′

Année : 2021

Réalisation : Carlos Segundo

Scénario : Carlos Segundo

Image : Carlos Segundo, Julio Schwantz

Montage : Carlos Segundo, Jérôme Bréau

Son : Miguel Sampaio, Antoine bertucci & Vincent Arnardi

Musique : Jérôme Rossi

Interprétation : Priscilla Vilela, Enio Cavalcante, Fernanda Cunha, Matheus Brito, George Holanda, Mateus Cardoso, Robson Medeiros.

Production : Les Valseurs, Casa da praia, O Sopro do Tempo

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Sideral de Carlos Segundo

Prix du scénario et Mention spéciale du Jury Jeunes au Festival Format Court 2021, Sideral est programmé ce jeudi 7 avril 2022 aux Ursulines dans le cadre de la reprise de notre palmarès. Le film, présenté par Carlos Segundo, réalisateur, scénariste, co-monteur et co-chef opérateur du film, faisait partie de la sélection officielle des courts à Cannes en 2021.

Le premier plan de Sideral représente la maison des protagonistes du film, devant laquelle brûle un petit feu. La maison est d’apparence modeste, bâtie par des ajouts progressifs de matériaux. Une seule image suffit à situer la classe sociale des personnages du film. Le cadre est fixe, comme la plupart de ceux qui composent le film. L’image est en noir et blanc. Et pourtant, une flamme allumée devant la maison se meut dans la nuit et rompt la fixité. Ce premier plan donne la tonalité d’un film qui libère ses personnages de toute tentative d’enfermement, dans leur vie comme dans le cadre.

Les relations entre les membres de la famille sont rapidement posées dans un cadre naturaliste. Le premier soir, le père est absent. On apprend plus tard qu’il était avec une autre femme, plus jeune que la sienne. Il ne s’occupe pas de ses enfants et passe son temps à réparer des voitures au garage où il travaille. La mère travaille comme femme de ménage la journée, elle s’occupe de la maison et des enfants le soir. L’emprisonnement des personnages dans la répétition quotidienne des mêmes gestes est particulièrement souligné par la fixité des plans, pour la plupart d’entre eux, et le choix du cadre 4/3 tout au long du film. Les objets qui composent l’arrière-plan sont pour la plupart usés et anciens : ils sont des marqueurs sociaux, vétustes parce que la famille n’a pas les moyens de les changer.

La famille vit enfermée dans une quotidienneté qu’un événement vient bouleverser : le lancement de la première fusée brésilienne, à proximité de la maison. Le petit garçon est fasciné par les fusées, il en a une réplique dans sa chambre et demande à sa mère de filmer celle qui va décoller, car elle fait partie de l’équipe de nettoyage qui s’occupe de la fusée avant son lancement. Or l’événement qui rompt la quotidienneté souligne précisément la fracture sociale. La conquête spatiale reste hors-champ : elle apparaît dans le film à travers la télévision ou la radio. Le décollage de la fusée rappelle d’autres événements qui ont fait rêver les enfants brésiliens tout en leur étant éloignés voire inaccessibles, comme la Coupe du monde de football de 2014 ou les Jeux Olympiques de Rio de 2016.

L’intrigue de Sideral se situe dans la région brésilienne historique pauvre du Nordeste. C’est dans cette région que se trouvent les deux bases de lancement de l’Agence spatiale brésilienne. La première se trouve à Natal, elle est active jusqu’au début des années 1990. La seconde est la base d’Alcântara, d’où les fusées partent aujourd’hui. En s’intéressant au lancement de la première fusée brésilienne et en situant le récit près de Natal plutôt qu’à Alcântara, Carlos Segundo ancre son film dans un temps passé, peut-être du côté d’un événement mémoriel.

Si la fusée est tenue à distance de la plupart personnages, celui de la mère franchit la frontière qui sépare la réalité du rêve. Agacée par le rôle qui lui est assigné, elle rêve de s’en aller. À travers le choix qu’elle fait à la fin du film, elle signe un refus de sa condition par la recherche d’un échappatoire. Le désir d’ailleurs de la mère, c’est bien la flamme qui brûle dans le premier plan du film. C’est là le rôle de la fiction : libérer les personnages du poids de la réalité. Les longs silences qui marquent l’incompréhension des autres personnages face à ce choix apportent à la conclusion du film une tonalité comique qui complète la dimension naturaliste. Le rêve, nourri de l’imaginaire de la conquête des étoiles, libère le personnage de la quotidienneté. La fiction s’émancipe du réel, elle rompt l’enfermement des personnages dans leur condition sociale. Elle est la flamme qui brûle dans la nuit.

Paul Lhiabastres

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Article associé : l’interview du réalisateur