Tous les articles par Katia Bayer

S comme Spring Roll Dream

Fiche technique

Synopsis : Le pèrex de Linh lui rend visite en Amérique. Son entêtement à préparer un plat traditionnel vietnamien pour la famille, donne au dîner un tout autre sens : Linh doit se confronter à son passé et sa culture.

Genre : Animation

Année : 2022

Durée : 9′

Pays : Royaume-Uni

Réalisation : Mai Vu

Scénario, dialogue : Chloe White

Image : Martyna Jakimowska

Décors : Nathalie Carraro

Son : Carlos San Juan Juanchi

Musique : Sam Rapley

Montage : Mira Thu

Interprétation : Bai Binh Bui, Elyse Dinh, Jarlan Bogolubov

Production : National Film And Television School

Article associé : la critique du film

Retrouvez ici l’interview de la réalisatrice

Les courts primés à la Semaine de la Critique 2022

Premier palmarès cannois. Le Jury (Kaouther Ben Hania, Ariane Labed, Benedikt Erlingsson, María Zamora et Huh Moon yung) et les partenaires de la Semaine de la Critique  ont annoncé ce mercredi 25 mai les films primés dans la section parallèle de Cannes.

Côté courts, le Prix Découverte Leitz Cine du court métrage a été attribué au film d’animation portugais The Ice Merchants de João Gonzalez (Portugal, Royaume-Uni, France).

Le Prix Canal+ du court métrage




, quant à lui, a été attribué à On Xerxes’ Thron de Evi Kalogiropoulou (Grèce).

A Format Court, on a eu une bonne intuition puisque les deux films ont fait l’objet de critiques sur notre site.

P comme Potemkinistii

Fiche technique

Synopsis : En 1905, les marins du cuirassé Potemkine obtiennent l’asile politique en Roumanie – un acte de défi contre la Russie. En 2021, un sculpteur veut créer une œuvre d’art inspirée de cet événement.

Genre : Fiction

Pays : Roumanie

Durée : 18′

Année : 2022

Réalisation : Radu Jude

Scénario : Radu Jude

Image : Marius Panduru

Montage : Catalin Cristutiu

Son : Titi Fleancu

Interprétation : Alexandru Dabija et Cristina Draghici

Production : Micro Film

Article associé : la critique du film

Potemkinistii de Radu Jude

Radu Jude accompagne aujourd’hui la première mondiale de son dernier court métrage, The Potemkinists (Potemkinistii), à la Quinzaine des Réalisateurs. Le cinéaste roumain n’était pas revenu au Festival de Cannes depuis 2014, alors que son dernier long métrage, Bad Luck Banging or Loony Porn, a été sélectionné en compétition à la Berlinale en 2021 – où il a reçu l’Ours d’or – et que son court métrage Plastic Semiotic a été présenté en hors compétition à la Mostra de Venise, toujours en 2021.

The Potemkinists est entièrement construit autour d’un fascinant dialogue entre un homme et une femme, une conversation entre un sculpteur et une représentante du Ministère de la culture, un débat entre l’art et la politique. La très forte caractérisation des personnages fait d’eux des types sociaux, porteurs d’idées différentes qui cohabitent dans la société roumaine, à l’instar des personnages de la longue dernière séquence de Bad Luck Banging or Loony Porn.

Le film s’ouvre sur des images qu’on croirait issues d’une campagne publicitaire : fleurs aux teintes rehaussées, lumière accentuée par la surexposition et couleurs de carte postale. Mais ce qu’on entend détonne avec ce qu’on voit : sur ces images de fleurs, un homme raconte l’histoire des marin du cuirassé Potemkine. Après leur révolte, les marins du cuirassé ont demandé l’asile politique au roi de Roumanie, qui choisit de leur accorder en signe de défiance vis-à-vis du tsar.

Les deux personnages entament une ascension au sommet d’une colline où se dresse un immense monument en forme d’aile déployée. Ici encore le paysage de publicité est perturbé par la présence de l’imposante sculpture grise. Celle-ci est la métaphore de la mémoire du communisme : un encombrant bloc de béton au milieu de la verte clarté du paysage. Ce monument, le sculpteur voudrait le remplacer par un hommage aux marins de Potemkine, en prévision du 120e anniversaire de l’arrivée de ces derniers en Roumanie, en 2025. Il veut bâtir une immense statue qui s’inspire de la séquence des escaliers d’Odessa du film que le cinéaste soviétique Sergueï Eisenstein a consacré à la révolte du cuirassé Potemkine.

À travers la statuaire et l’architecture, Radu Jude poursuit son travail autour du rôle des œuvres d’art dans la construction de la mémoire historique. Dans Peu importe si l’histoire nous considère comme des barbares, il s’intéressait à la reconstitution d’un événement historique et de la valeur de celle-ci dans la société contemporaine. Dans The Potemkinists, il offre une perspective roumaine au débat sur les statues qui anime le monde entier. La représentante du Ministère ne veut pas que la sculpture soit vue comme un éloge du communisme et comme un affront aux prisonniers politiques du régime de Ceausescu. Le sculpteur répond qu’il faut retenir du communisme la valeur universelle, l’idéalisme des marins qui s’opposaient à la violence du régime tsariste. Il explique qu’on ne doit pas construire des statues en hommage aux dirigeants communistes mais qu’on peut construire des statues en hommage aux artistes et aux idées qu’ils portaient – et qui ont eux aussi souffert du stalinisme. Par le dialogue entre ses personnages, Radu Jude questionne ce qu’il faut retenir de l’histoire : les idées ou bien les faits ? Mais est-il possible de retenir les idéaux sans considérer leurs conséquences ? Le cinéma de Jude est un cinéma de questions : la confrontation de personnages sûrs de ce qu’ils pensent ne peut nous amener qu’à interroger nos certitudes.

Une phrase du sculpteur donne une résonance particulière à son projet, et au film. Le personnage explique vouloir faire de l’apologie de l’accueil des marins un « poing dans la gueule de la Russie », « à l’heure où tout le monde s*** la b*** de Poutine » ajoute-t-il. Il fait alors référence à l’arrestation de Roman Protassevitch, journaliste biélorusse et opposant au régime de Loukachenko, allié de Poutine. Le 23 mai 2021, celui-ci a été arrêté par les autorités biélorusses après le détournement, sur ordre du gouvernement, de l’avion dans lequel il se trouvait. C’est pourquoi la date de tournage du film – juin 2021 – est précisée aux côtés du titre. Ce détail ancre le film dans une actualité brûlante et confère à l’œuvre de Radu Jude une force de protestation. Le film trouve une résonance d’autant plus forte depuis l’invasion de l’Ukraine par la Russie le 24 février dernier.

Il y a un fantôme dans le film de Radu Jude : celui de Sergueï Eisenstein, le réalisateur du Cuirassé Potemkine, l’un des grands maîtres de l’histoire du cinéma. Le personnage du sculpteur explique que l’épisode de l’asile accordé par le roi de Roumanie n’apparaît pas dans le film et qu’Eisenstein a fait le choix de la propagande en mettant l’accent sur le combat des marins et sur leur révolution manquée. Radu Jude ne fait pas simplement référence au film d’Eisenstein, il en réutilise des images à plusieurs reprises. Il s’amuse à en réemployer les images les plus iconiques, à l’instar de la séquence des escaliers d’Odessa. De la même manière qu’il retravaille l’histoire de son pays – dont l’écriture a été entravée par des années de dictature – il façonne une histoire du cinéma. Si Radu Jude se montre critique sur l’usage de l’image à des fins idéologiques, il rend hommage au film du réalisateur soviétique. Loin de désavouer les images d’Eisenstein, il les fragmente, il les déleste du poids de la propagande pour en souligner la beauté et la force.

Si toute image est porteuse d’une idée, le rôle que se donne le cinéaste n’est jamais de la contester mais de la faire cohabiter et dialoguer avec d’autres, qu’importent le grotesque ou le ridicule qu’elles portent, puisqu’elles ont aussi des idéaux et des valeurs. C’est là que réside le cinéma politique de Radu Jude.

Paul Lhiabastres

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Retrouvez très prochainement l’interview du réalisateur

Les Humains sont cons quand ils s’empilent de Laurène Fernandez

Sélectionné à la Cinef (ex-Cinéfondation), Laurène Fernandez signe son premier court-métrage Les Humains sont cons quand ils s’empilent. Son film est produit par la CinéFabrique, une école basée à Lyon, dont un ancien court Mano a Mano, réalisé par Louise Courvoisier, avait remporté le premier prix de la Cinéfondation en 2019. Datant de 2022, Les Humains sont cons quand ils s’empilent est une animation simple et efficace, de quatre minutes seulement. Elle offre un aperçu du quotidien exaspérant des habitants d’un immeuble, forcés de subir le vacarme de leurs voisins.

A travers de véridiques témoignages et des voix d’origine, la cinéaste tourne en dérision les absurdes conséquences de la vie en communauté. Entre les passages incessants de l’aspirateur, les tapages redondants du marteau-piqueur ou encore les rires hystériques, voici les inconvénients d’un édifice aux murs de papier. La réalisation originale et amusante immerge le spectateur dans des querelles de voisinages anodines. Qui n’a jamais été dérangé par l’intrusion sonore de ses voisins de palier ?

L’animation en stop motion des personnages de laine ajoute à la situation davantage d’ironie à leurs réactions et leurs expressions corporelles, face aux énièmes raffuts abrutissants, le tout accompagné d’une musique comique. Les décors simplifiés permettent une mise en situation du contexte rapide et percutante pour le spectateur, qui se retrouve à son tour plongé dans le HLM extrêmement bruyant. La drôlerie est poussée à son paroxysme lorsque les habitants entrent dans une folle fureur jusqu’à commettre un homicide avant d’en rire. Au climax de la fiction, la dernière phrase fait sens, en référence au titre osé : cette démence serait-elle donc le reflet de notre société ?

Dans ce très court-métrage, Laurène Fernandez met en scène avec humour et subtilité une situation banale et connue de tous, à travers une intrigue épurée. Le parti pris de la stop motion et l’originalité du sujet confèrent au film des qualités techniques et esthétiques. Peut-être un nouveau prix en vue du côté de la Cinef…

Mathilde Semont

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L comme les humains sont cons quand ils s’empilent

Fiche technique

Synopsis : Enfermés chacun dans leur appartements, des voisins racontent à la caméra des petits tracas de la vie en communauté. Petit à petit, quand tout s’empile, il y a de quoi devenir fou.

Genre : Fiction

Durée : 4′

Pays : France

Réalisation : Laurène Fernandez

Scénario : Loriane Arribas

Image : Margot Cavret

Décors : Kim Fino, Quentin Billet-Garin, Adèle Cardoner, Fanette Richet, Ophélie Adzic, Keywa Henri, Louis Pignol-Cattelat, Lucille Rochat, Coline Vernon

Animation : Marilou Renault-Carraro, Emma Lafarge, Iana Sanson, Milena Buisson,

Son : Augustin Bourget, Maëlle Page, Tiphaine Depret

Musique :

Montage : Loup Dufresne, Magali Todeschi

Production : CINEFABRIQUE, Agathe Chevrier

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On Xerxe’s Throne de Evi Kalogiropoulou

Sensualité réprimée à la Semaine de la Critique

Dans un chantier naval grec, les ouvriers travaillent sous la chaleur ardente du soleil méditerranéen. Dans ce décor qui semble coupé du monde, ils vaquent et n’ont d’autres vocations que celle de travailler aux bateaux, de grands yachts d’un blanc étincelant et d’un silence déserté. Une règle prime sur toutes les autres, l’interdiction de toucher les autres. Les corps ne cessent de se regarder et de s’approcher mais ne se touchent jamais.

Dans cet essai poético-politique, la réalisatrice grecque Evi Kalogiropoulou signe un film surprenant en compétition à la Semaine de la Critique cette année. On Xerxes’ Throne est rempli de rêves d’ailleurs, d’envies de sensations : les corps sont sublimés, perlant de sueur, lissés par le grain de l’image. Les décors sont magnifiés par des couleurs chaudes, des jeux d’ombre et une profondeur de champs saisissante. Dans ce décor dystopique, l’homme est réprimé par l’interdiction de toute sensualité.

Le court-métrage est un semblant de science-fiction qui ressemble pourtant à n’importe quel chantier naval. Mais les notions de temps et de lieux sont abolis ne laissant place qu’à un asservissement depuis longtemps oublié. Quelques drones survolent le lieu, seuls preuves d’un monde extérieur, et dominent la scène. Panopticon du monde moderne, ces petits engins volants portent leur regard inquisiteur sur les travailleurs. Surveillés et réprimés, privés de leur droit à toucher les autres, ils sont vidés de leur condition humaine et limités à leur seule valeur laborante. C’est par l’aliénation des corps que gagne le grand capital – sans doute, les textes de Foucault et Marx se lisent entre les lignes de ce court-métrage plein de sensualité. Les corps sont compartimentés, séparés, dissociés et l’aliénation des ouvriers depuis longtemps assimilée.

Les travailleurs errent dans les chantiers navals comme des âmes en peine. Certes, la règle est esquivée et les ouvriers trouvent des substituts au contact humain : ils contemplent, écoutent, remplacent le corps par des substrats artificiels mais toujours règne le pouvoir du contrôle des corps. L’élément perturbateur dans ce petit équilibre libéral saura défaire des hommes l’aliénation de leurs corps. Un couple arrive et leur beauté éveille le chantier. Comment ne pas penser à Beau travail de Claire Denis – le couple a la beauté sensuel de Sentain et le contremaître la fureur de Galoup ? C’est par la reconquête du toucher et de la tendresse que l’être humain peut se libérer de sa condition aliénée par le capital et c’est bien ce que propose le film de Evi Kalogiropoulou. Le souverain Xerxes, au loin, depuis son trône, observe ses navires mourir et, impuissant mais sauf, assiste à sa défaite.

Agathe Arnaud

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X comme on Xerxes’ Throne

Fiche technique

Synopsis : Un lieu de travail dystopique au chantier naval de Perama. L’interdiction du contact physique a transformé les interactions humaines en simulations d’un autre monde. La suppression du toucher a aliéné la communication des travailleurs, transformant le chantier naval en un paysage chargé d’aliénation et de sensualité réprimée au-delà des désirs hétéro-normatifs stéréotypés. Selon la légende locale, le roi perse Xerxès a assisté à la défaite écrasante de sa flotte depuis son trône dans l’actuelle Perama.

Genre : Fiction

Durée : 15′

Pays : Grèce

Réalisation : Evi Kalogiropoulou

Scénario : Yorgos Teltzidis

Image : Evan Maragkoudakis

Montage : Yorgos Zafiris

Son : Leandros Ntounis, Dimitris Demoirakos

Décors : Evelina Darzenta, Anna Zotou

Musique : Kid Moxie

Interprétation : Yorgos Mazonakis, Angela Brousko, Myrto Kontoni, Xenia Dania, Lorenzo Sarjan, Kevin Zans Ansong, Jordan Genidogan, Vassilis Koutsogiannis

Production : Neda Film For Onassis Culture

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Canker de Lin Tu

Sélectionné à la Semaine de la Critique, Canker de la réalisatrice chinoise Lin Tu, est un court métrage espiègle et marquant de la sélection cannoise de cette année.  D’une durée de 13 minutes, aussi dense que vaporeux, ce drame passe en revue des fragments aléatoires qui composent le quotidien de 33, jeune influenceuse chinoise en quête de célébrité. Héroïne typique de son temps, cette habitante de métropole cherche à se cacher derrière sa fausse représentation sur le Net. Cependant les clichés Instagram, les robes glamour, les soirées sans fin ni même les prises de repas gargantuesques filmés avec son smartphone, ne s’avèrent suffisants pour compenser sa solitude et son anxiété, tandis que cette envie de plaire aux followers n’est pas sans conséquences sur elle…

Avec Canker, Lin Tu vas bien au-delà du simple dévoilement de la face sombre de la génération Z, en utilisant comme méthode principale un jeu habile de contrastes déconcertants. Lorsque dans le prologue, l’héroïne énumère, en voix-off et sur un ton très factuel, les malheurs qui ont coûté la vie à tous ses proches, l’évocation de chaque ancêtre décédé est ponctuée par un emoji rieur correspondant, pendant qu’en arrière-plan les photos et vidéos de 33, euphorique durant ses activités quotidiennes, défilent en un montage frénétique.

Ainsi à la matière du film initial, viennent se superposer avant de disparaître tout aussi brusquement, comme si ce n’était que des interférences, des images aux propriétés plastiques. L’effet est significatif, car il participe à la dénonciation des apparences du quotidien : la forme ludique est là pour mieux faire résonner le fond cruel.

Alors qu’elle achève son monologue et qu’on réalise que la jeune femme est sans aucune famille, on la voit pendant une fraction de seconde trinquer avec ses copines, et on pourrait croire un instant qu’on a affaire à une femme forte qui garde sa joie de vivre en dépit des malheurs. Or ce n’est pas le cas, le long plan fixe qui s’ensuit nous montre l’influenceuse, maquillée dès l’aube, attendant devant son téléphone que des abonnés rejoignent son live, en vain.

La princesse est bel et bien seule dans sa tour, et nul ne vient rompre sa solitude, pas même le photographe et amant d’un jour qui trouve encore moyen de la rabaisser en lui disant que son style de vie n’est pas convenable pour une jeune fille.

Rien alors n’agit mieux pour autant sur le spectateur qu’un symbole parfaitement choisi : sur la lèvre de la protagoniste pousse un aphte douloureux. Sa mère l’avait pourtant mise en garde, disant que si elle continuait de se goinfrer de nourritures grasses, elle attraperait un ulcère, Canker.

Les plans tournés sur le vif qui suivent montrent 33 qui continue de s’enfoncer dans sa routine, s’étourdissant avec encore plus d’alcools et de fêtes, tandis que son abcès grossit un peu plus à chaque fois qu’elle l’inspecte. Une oscillation paradoxale entre les paillettes et le repoussant se crée, illustrant son état d’esprit trouble.

Dans cette métropole colorée et au rythme incessant, qui ne pardonne ni hésitations ni échecs, et où on ne peut plus simplement rêvasser à la manière des personnages d’un film de Wong Kar-Wai, la jeune fille est exposée dans sa touchante vulnérabilité. « Seule la douleur est vraie » admettra-t-elle finalement.

Lin Tu dresse le portrait d’une génération et d’une Chine, où la douloureuse vérité (y compris des émotions) se cache sous les faux-semblants de la société de consommation moderne, comme la plaie infectée se tapit au revers de la bouche de l’héroïne, à quelques cm des lèvres sensuelles sous le gloss luisant.  Prisonnière sous ses artifices corrosifs, la jeunesse souffre, en silence.

Polina Khachaturova

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C comme Canker

Fiche technique

Alors que la vie de strass et de paillettes de l’influenceuse 33 s’emballe, l’ulcère à l’intérieur de sa lèvre inférieure ne cesse de croître…

Genre : Fiction

Durée : 13′

Pays : Chine

Année :2022

Réalisation : Lin Tu

Scénario :Lin Tu

Image :Haonan Wang

Décors : Lin Tu

Son : Sam Fan

Musique : Wei Zuo, Di Liu

Montage :Lin Tu

Interprétation : Aifang She, Dong Meijia, Dong Yang, Yihan Liu

Production : Xixi Zhu, Lin Tu (Cat People Productions)

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Ice Merchants de João Gonzalez

Diffusé aujourd’hui dans le premier programme de courts-métrages de la Semaine de la Critique, Ice Merchants, troisième film d’animation de João Gonzalez nous a particulièrement émus. Déjà remarqué grâce à ses deux précédents films Nestor et The Voyager (qui ont à eux deux reçu une vingtaine de prix à l’international et ont été nommés dans un peu plus de 130 festivals), ce jeune réalisateur portugais de 26 ans confirme avec ce film de 14 minutes qu’il est l’une des étoiles montantes de l’animation.

Bouleversant. Le premier mot qui nous vient pour décrire Ice Merchant. Le dessin, la couleur, la musique, le rythme, tout est réuni pour provoquer des émotions profondes chez le spectateur. Nous suivons un père et un fils installés sur un flanc de montagne assez brut. Tous deux sautent tous les jours en parachute pour aller vendre des glaçons au village de la vallée. João Gonzalez nous fait entrer dans une routine familiale, dans laquelle tout un chacun pourrait se reconnaître : l’enfant fait de la balançoire, le père travaille… Mais pourtant il y a cette maison minuscule, isolée et accrochée succinctement à la roche. La localisation est surréaliste. Une sensation de vertige s’installe immédiatement par les jeux de perspectives et les angles choisis. Ce quotidien banal finit par laisser place à un équilibre qui s’avère précaire et s’effile tout au long du film. Un sentiment de solitude et de tristesse naît progressivement, bien que la relation entre les deux protagonistes soit attachante, soudée et tendre. Il y a cette peur du saut et de la chute, de l’accident… mais n’est-il finalement déjà pas survenu ?

En terme d’esthétique, le dessin épuré peut faire penser aux estampes japonaises ukiyo, avec une palette reposant sur 4 couleurs (bleu, rouge orangé, jaune et noir) et des traits assez fins structurant l’espace. Des paysages utopiques, rêvés et qui – au 16è siècle – évoquent davantage le caractère évanescent de la vie, un monde flottant, triste et inconstant. Cette symbolique, on la retrouve également dans l’œuvre visuelle de João Gonzalez. Les couleurs, les formes, les lignes deviennent des indices qui forment l’histoire. Les symboles du temps qui passe, du souvenir, de la trace.

Dans Ice Merchants, la mélancolie est appuyée par la création musicale, aussi signée Gonzalez, qui accompagne les séquences à la perfection. Ce couplage illustration et musique est une des signatures de ce réalisateur qui a également une formation et une maîtrise du piano classique. Il nous emmène alors dans une fable triste qui finira par donner raison à l’amour filiale et à la vie, tout en questionnant l’imprévu, la force des choses et les états de changement dans un cadre familiale établi.

Produit par Wild Stream (France), Cola Quente (Portugal) et The Royal College of Art (UK), ce film est une jolie leçon de poésie qui se passe du langage parlé pour exprimer des angoisses et des besoins primaires universels.

Anne-Sophie Bertrand

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Article associé : l’interview du réalisateur

I comme The Ice Merchants

Fiche technique

Tous les jours, un homme et son fils sautent en parachute de leur maison froide, à flan d’une vertigineuse falaise, pour aller au village au sol, loin, où ils vendent la glace qu’ils produisent chaque jour.

Genre :Fiction

Durée : 14′

Pays : Portugal, Royaume-Uni, France

Année :2022

Réalisation : João Gonzalez

Scénario : João Gonzalez

Image : João Gonzalez Ed Trousseau, Ricardo Real, Joana Rodrigues

Son : Ed Trousseau, Ricardo Real, Joana Rodrigues

Musique : João Gonzalez, Nuno Lobo

Montage : João Gonzalez

Production : Bruno Caetano, Michaël Proença

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Will you look at me de Shuli Huang

Sélectionné à la Semaine de la Critique, le court-métrage Will you look at me de Shuli Huang retient particulièrement l’attention pour la poésie qu’il dégage.

Le jeune réalisateur chinois de 25 ans avait déjà réalisé un film de cinq minutes en 2020, exposed sur l’histoire d’un petit garçon qui prenait des photos en ville. Il a été notamment directeur de la photographie sur un long-métrage Farewell, my home town réalisé par Wang er Zhuo qui a remporté un prix au festival de Busan en 2021. Shuli Huang continue sur sa lancée avec cette première à Cannes, avec un court-métrage introspectif de 20 minutes à l’image sublime.

Tout comme son premier court-métrage, Shuli Huang reprend l’idée de la photo spontanée et urbaine. Muni d’une caméra super 8 fraîchement acquise, il filme ses proches et ce qui l’entoure, en commentant le tout d’une voix-off calme et paisible. Il capture particulièrement le discours abrupt et fermé de sa mère, qui aborde le sujet de son homosexualité.

Shuli Huang nous livre des moments intimes de son quotidien, il réalise des portraits authentiques et plein de charme de ses amis et de sa famille à travers l’image de sa caméra fissurée. Le début du court-métrage d’abord très mélancolique, dont la continuité est assurée par la douce mélodie d’un instrument qui s’apparente à un carillon ou xylophone, contraste ensuite avec la violence de la dispute avec sa mère. Celle-ci ne supporte pas l’homosexualité de son fils, se lamentant sur l’éducation ratée de celui-ci.

Le court-métrage questionne la société chinoise très attachée aux valeurs traditionnelles. Souvent, les familles ont tendance à rester volontairement dans le déni quand un enfant est homosexuel, préférant préserver leur réputation plutôt que l’épanouissement de ce dernier. En Chine, l’importance de la descendance est essentielle. Le réalisateur révèle le problème de cette conception traditionnelle. Il souligne l’absurdité de ce phénomène avec le jeu du contraste entre images et sons : la mère arrose ses fleurs et sourit à son fils en train de la filmer, puis affirme ensuite qu’elle a donné naissance au « mauvais » enfant. Elle le compare notamment à une « monstruosité » puis découpe et cuisine un crabe vivant dans le plan suivant.

Dans ce film, l’idée de transmission entre les membres de la famille semble être évoqué à travers la présence de l’eau. Le réalisateur et narrateur, Shuli Huang insiste sur la passion de son père pour la nage. Suite à une dispute avec sa mère, celui-ci place au montage le son de l’eau qui bout, avec l’idée d’une intensité très forte au sein de leur relation mère-fils. Lors de la fin du film, Shuli Huang plonge dans l’eau rappelant son lien avec ses parents.

Le court-métrage de Shuli Huang sonne comme un long poème entrecoupé de magnifiques portraits, contrasté par la réalité d’une société stricte. Le réalisateur nous permet d’entrer en immersion dans sa vie, d’observer les choses à travers ses yeux d’artiste et de pénétrer dans l’intimité de ses souvenirs.

Laure Dion

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W comme Will you look at me

Fiche technique

Synopsis : Un jeune cinéaste chinois entame un voyage introspectif en revenant dans sa ville natale. A cette occasion, une conversation longtemps différée avec sa mère les plonge tous deux dans une quête d’acceptation et d’amour.

Genre : Fiction

Durée : 20′

Pays : Chine

Année : 2022

Réalisation : Shuli Huang

Scénario : Shuli Huang

Image : Shuli Huang

Son : Nicolas Verhaeghe/ Jingxi Guo

Montage : Shuli Huang/ Yang Yang

Production : Shuli Huang/ Exposed Picture

Article associé : la critique du film

Magdala de Damien Manivel

Sélectionné en première mondiale à l’ACID à Cannes, Magdala, cinquième long-métrage de Damien Manivel, étonne par le traitement du personnage de Marie-Madeleine. Pendant près d’1h20, on se concentre sur la la fin de sa vie passée dans une forêt. On suit les derniers jours, les derniers moments, les derniers instants de celle qui fut la compagne de Jésus.

Tourné en pellicule 16 mm, la caméra de Damien Manivel et de son chef opérateur Mathieu Gaudet filme les mouvements de Marie-Madeleine, incarnée par Elsa Wolliaston, fidèle actrice du réalisateur. Sur un rythme plutôt lent, c’est la vie d’une femme âgée mais sans vraiment d’âge que l’on voit à l’image. Nous sommes ici dans une contemplation où le temps passe à un autre rythme. On la voit marcher, dormir, manger des mûres, tousser, goûter la pluie, crier son amour, faire des dessins sur le sol. C’est peut-être d’ailleurs l’un des plus beaux moments du film, tellement le visage que l’on voit apparaître devant nous prend forme et vie. La caméra se concentre sur son visage mais aussi sur d’autres parties de son corps : ses mains, ses pieds, son dos. Le cinéaste s’est interrogé : «  comment mangeait-t-elle ? Comment dormait-t-elle ? Comment observait-elle le monde ? ».

Une attention très nette est aussi apportée au son : on entend sa respiration, ses cris, le son de la pluie, ses bruits de pas dans cette foret, le vent dans les arbres qui rappelle les séquences du parc dans le Blow Up de Antonioni. Puis la voix arrive, parfois des cris, parfois des petits murmures en araméens.

On retrouve ici un dispositif que Damien Manivel a utilisé dans ses films précédents : tournage en petite équipe et en plusieurs parties. A la base, l’écriture du scénario était une forme poétique de quelques pages. Dés que le tournage a commencé, le réalisateur a affiné, simplifié et de cette manière compris aussi son propre désir. Le tournage a eu lieu en trois phases durant lesquelles il a déjà pu commencé à monter. Dans sa façon de travailler, il s’est laissé la possibilité de retourner des scènes, de ne pas forcément tout savoir à l’avance. Son plaisir de réalisateur réside par exemple dans le fait d’arriver sur le lieu de tournage, de découvrir un arbre avec une forme particulière, de le montrer à l’équipe et d’écrire une scène sur le moment.

Le tournage de  Magdala a eu lieu en Bretagne dans les Monts d’Arrée. Un endroit le plus vallonné de cette région où le réalisateur, né à Brest, passait avec son père en voiture. La nature y est ici très forte. Une forêt très dense, des rochers. Cette nature occupe une grande place dans le film. C’est même, avec Marie-Madeleine, le deuxième personnage principal tellement elle est présente. L’intention était d’insérer le corps de l’actrice dans cette nature. Mais aussi de filmer les insectes, les poissons, les oiseaux. Cette nature, l’équipe technique l’a souvent guettée en attenant le vent, la pluie, l’orage, le crépuscule. Le réalisateur avait besoin d’elle pour porter la présence de son actrice.

C’est d’ailleurs aussi un film sur elle, sur cette actrice, Elsa Wolliaston. Présente dans quasiment tous les plans, c’est elle qui incarne le personnage de Marie-Madeleine. Un corps puissant et présent à l’image.  Avant « Magdala », le réalisateur et elle avaient tourné La dame aux chiens et  Les enfants d’Isadora. C’est leur troisième collaboration en treize ans. Tous deux viennent du monde de la danse, Damien Manivel raconte que sur le tournage, leur communication est quasiment non verbale. Ils se comprennent sans beaucoup se parler.

Dans le court-métrage  La Dame au chien produit par le GREC en 2010, elle incarnait déjà un personnage qui parle peu, qui se déplace lentement, qui a chaud, qui est fatigué, face à un Rémi Taffanel adolescent qui lui ramène son chien qu’il a retrouvé. Là encore, il y avait ses souffles, ses respirations, ses questions posées aux jeune garçon avec la voix d’une femme mure, ses silences parfois évidents et parfois lourds d’équivoque ou de pesanteur.

Pour le cinéaste, faire un film, c’est au minimum avoir deux projets : un en surface avec une intention personnelle et un autre, plus secret. Dans Magdala, il a voulu faire un film sur Marie-Madeleine mais aussi sur l’actrice Elsa Wollaston. Et son projet secret était de lui offrir une mort cinématographique.

Filmer des instants, des moments de vie d’un personnage, le réalisateur a continué à le faire dans Un dimanche matin son quatrième et à ce jour dernier court-métrage avant de passer au long. Avec ce film également produit par le GREC, Damien Manivel filmait la promenade dominicale et matinale d’un maître et de son chien. Par ce film sans dialogue, on sentait par la mise en image d’un récit relativement simple, le temps s’écouler d’une façon bien particulière.

Grâce à  Magdala, Damien Manivel montre une autre façon de faire du cinéma en 2022. Loin de certaines productions stéréotypés, la volonté est ici de faire du cinéma différemment. Sa méthode de travail et l’utilisation de procédés techniques artisanaux permettent de faire appel à une forme d’authenticité dans le but de redécouvrir qu’une image est quelque chose de précieux et d’important. Que l’on soit sensible ou non à la vie de la sainte, dans ce film, Damien Manivel nous emmène dans un geste de cinéma. Geste qui lui est propre et singulier. Ce nouveau long métrage lui permet de continuer son dialogue avec le septième art, commencé par ses premiers courts-métrages Viril en 2007 et  Sois sage, Ô ma douleur en 2008.

Damien Carlet

S comme Scale

Fiche technique

Synopsis : Sur l’autoroute où il conduit, Will perd le sens de l’échelle. Tandis que s’accroît son addiction à la morphine, il se débat pour démêler la succession d’évènements qui l’a amené à cette situation avant d’être à jamais perdu.

Genre : Animation

Durée : 15′

Pays : Royaume-Uni, France, République Tchèque, Belgique

Année : 2022

Réalisation : Joseph Pierce

Scénario : Joseph Pierce, Nicolas Pleskof

Image : Vanessa White

Décors : Milly White

Son : Dominique Fitzgerald

Montage : Robbie Morrison

Interprétation : Sam Spruell, Zahra Ahmadi, Evelyn Neghabian Pierce, Minou Neghabian Pierce, Aaron Neill, Eddie Chamberlin, Gemma Lokat-Smith

Production : Melocoton Films, Bridgeway films, Ozù Productions, Endorfilm

Articles associés : la critique du film l’interview du réalisateur

Scale de Joseph Pierce

Si les programmateurs de la Semaine de la Critique sélectionnent des courts en compétition, ils retiennent aussi des films en séance spéciale depuis quelques années. À l’origine de ces films-là, des cinéastes repérés passés au long et revenant au court ou ayant réalisé plusieurs  courts, l’objectif des programmateurs de la Semaine étant – rappelons-le – de valoriser les premiers et deuxièmes films. Cette année, par exemple, trois cinéastes sont sélectionnés dans cette catégorie dite spéciale : Yann Gonzalez, Emmanuel Gras côté français et Joseph Pierce, côté britannique.

Joseph Pierce n’est pas (encore) passé au long-métrage. Il a par contre réalisé plusieurs courts d’animation depuis son film d’école remarqué à la NFTS (National Film and Television School) : Stand Up. Il a réalisé depuis plusieurs autres courts : A Family Portrait The Pub et The Baby Shower (une fiction bien moins intéressante). À Format Court, nous avons accompagné le travail de cet animateur britannique : un focus lui a été consacré il y a 10 ans et tous ses courts d’animation ont été relatés sur le site. Plusieurs choses nous intéress(ai)ent dans son travail : son goût pour le documentaire animé, la voix-off, les travers de chacun, les corps et visages triturés, déformés et l’originalité de son trait. Ses trois films d’animation sont également en ligne, ce qui facilite leur (re)découverte malgré le temps écoulé depuis le dernier film, The Pub (2012).

En découvrant la sélection 2022 de la Semaine, on a été ravi d’apprendre le retour de Joseph Pierce avec son nouveau projet : Scale. D’emblée, le film percute : « Certains perdent le sens de la perspective. Moi, j’ai perdu le sens des perceptions ». Will, un père de famille, se remémore sa vie d’avant, celle où il était en couple, élevait ses deux filles dans un patelin anglais. Dans son jardin, un village recomposé avec des maisons miniatures amusait les filles. En grandissant, celles-ci s’y sont désintéressées. Elles ont également détourné le regard de leur père qui s’est mis à changer. En travaillant sur sa thèse consacrée aux autoroutes, Will a en effet commencé à prendre de la morphine, à l’extraire des médicaments, à ne plus faire la différence entre le jour, la nuit, les rêves, les cauchemars, ses proches et ses fantômes. En proie à des hallucinations propres à son addiction, il a tout perdu, sa femme, ses mômes, ses repères. Depuis, sa vie est devenue une succession de moments hébétés devant l’ordinateur et de prises de drogues en tout genre.

Ce qu’on aimait dans les films précédents se retrouve dans celui-ci : les déformations (nez, oeil, bouche, cou, bras, …), la fusion entre l’homme et l’animal, le travail autour de la voix. Scale fonctionne aussi pour l’inversion du rapport parent-enfant, l’immersion ultra réaliste de l’addiction et du manque lié à la drogue, la dimension fantastique très travaillée, le jeu entre les échelles et l’extrême solitude du personnage principal, Will, dont l’histoire ne peut laisser indifférent.

Scale est un film plus ambitieux que les courts d’animation précédents. Financièrement déjà : il compte sur l’appui de plusieurs pays, la France, la Belgique, le Royaume-Uni et la République tchèque. Ensuite, le film est l’adaptation d’une nouvelle homonyme de l’auteur William Woodard Self publiée en 94. De plus, Pierce ose vraiment la couleur, ce qui n’avait jamais vraiment été le cas avant, ses films restant cantonnés dans des tons sombres (surtout Stand Up et The Pub, entièrement en noir et blanc). Là où on sent aussi le progrès, c’est dans le travail autour du son, de la musique et des mises en perspective. Le réalisateur a un long en projet. Une bonne étape car loin de se défaire de ses acquis développés depuis son film d’école, le réalisateur a mûri et assume sa prise de risques avec ce film d’animation, le nouveau depuis 10 ans. Cela méritait bien une catégorie spéciale à Cannes !

Katia Bayer

Consulter la fiche technique du film

Retrouvez ici l’interview du réalisateur 

Tout le monde aime Jeanne de Céline Devaux

Après plusieurs courts remarqués (Vie et mort de l’illustre Grigori Efimovitch Raspoutine, Le Repas dominical et Gros Chagrin), Céline Devaux franchit une nouvelle étape avec Tout le monde aime Jeanne, présenté hier en séance spéciale à la Semaine de la Critique. Son premier film, mêlant fiction et animation, est interprété par les comédiens Blanche Gardin, Laurent Lafitte, Maxence Tual, Nuno Lopes et Marthe Keller. Côté animation, il s’appuie sur des voix intérieures et des dessins de la réalisatrice.

Lors de la projection à la Semaine, la productrice du film Sylvie Pialat (Les Films du Worso) évoquait avec humour le meilleur lifting : « celui de produire des premiers longs-métrages ». La réalisatrice et la productrice se sont rencontrées par hasard : la première n’osant écrire à la deuxième (son mail restait dans ses brouillons), la deuxième n’osant contacter la première (ayant fait ses courts avec une autre boîte, Sacrebleu). Le hasard les a réunies : Sylvie Pialat a été la marraine de Céline Devaux à un événement sur le court. Comme quoi, le court peut être un bon tremplin.

Blanche Gardin joue Jeanne, une femme qui se retrouve endettée du jour au lendemain car l’une de ses inventions écolo se révèle être un échec cuisant, rendu viral par les médias. « Femme de l’année », elle devient plutôt « Paumée du siècle ». Pour récupérer de l’argent, elle se voit contrainte de retourner à Lisbonne pour vider et vendre l’appartement de sa mère, décédée un an plus tôt. Jeanne a un frère kiné (Maxence Tual), des lunettes noires pour dissimuler sa honte, un ancien amant (Nuno Lopes) et un relou cleptomane qui s’intéresse à elle (Laurent Lafitte). Jeanne a aussi des pensées intérieures qui se concrétisent sous la forme de dessins (réalisés par Céline Devaux) et de voix cocasses.

Sur place, à Lisbonne, Jeanne a du mal à ranger ses affaires dans les cartons, les souvenirs de sa mère et sa culpabilité n’étant jamais bien loin. En fait, Jeanne a du mal tout court, qu’elle soit seule ou en contact avec les autres car ses petites voix ne la quitte jamais vraiment.

Dans le film de Céline Devaux, on aime plusieurs séquences comme celle où l’une des voix décrète que le jus de tomate ne se prend que dans les trajets en avion (c’est vrai) ou quand on fait le vide en jetant les assiettes maternelles par terre. On aime aussi le jeu de Lafitte mais aussi et surtout ces moments animés qui nous avaient tellement plu dans Le Repas dominical.

L’humour se veut au rendez-vous de ce premier film par le choix des comédiens (Blanche Gardin, Laurent Lafitte), le décalage entre les situations et la perception de Jeanne, bien, bien paumée (et ça se comprend : après avoir perdu sa mère, elle se retrouve sans boulot et revenus). Les moments d’angoisse de l’héroïne qui a du Bridget Jones dans les veines fonctionnent plutôt bien aussi avec les visuels propres à Devaux qui a écrit, réalisé et dessiné le film.

Après avoir dirigé Vincent Macaigne dans Le Repas dominical et Swann Arlaud et Victoire Du Bois dans Gros Chagrin, la réalisatrice diplômée des Arts Décos s’est fixé plusieurs défis pour ce nouveau film : un personnage intérieur féminin, une bande de comédiens, 3 langues (le français, l’anglais et le portugais), une direction de jeunes enfants et même d’un chien. Par moments, on ne peut s’empêcher de rester sur notre faim : la douce folie du court n’est pas celui du long et si le travail graphique entourant l’animation (dessins, voix) est bien rythmé, c’est bien au niveau du scénario et du jeu de Blanche Gardin qu’on est plus dubitatif. Il n’empêche : Tout le monde aime Jeanne reste un premier film – fragile donc – et Céline Devaux continue à nous intéresser par son humour, son trait bien à elle et sa fidélité à l’égard notamment du compositeur Flavien Berger, rencontré quand elle était encore étudiante, et qui signe à nouveau la BO de son film.

Katia Bayer

Rodeo de Lola Quivoron

La dalle à Cannes

À Cannes, on apprend à monter les marches en Y. Sélectionné dans la compétition Un Certain Regard, le premier long-métrage de Lola Quivoron fait du bruit. Son film Rodeo pétarade, détonne, vrombit, il sent le pétrole, l’acier et le bitume et on en resort avec une envie folle de chevaucher une moto pour “fly”. Julie, esprit solitaire et féroce, n’a qu’une seule passion : la moto. Elle attire l’attention des B-more, un groupe de motards très masculin et illicite, qui l’intègre non sans difficultés. Le patron, un taulard qui mène sa petite équipe et sa femme d’une main de fer depuis le placard, veut bien travailler avec elle tant qu’elle respecte les conditions. Mais Julie, surnommée l’Inconnue, est indomptable…

Ce premier long-métrage de Lola Quivoron est très prometteur. La réalisatrice tisse un récit où les pistes s’entremêlent ingénieusement. Julie court derrière sa liberté – factice illusion ? dans un monde qui enferme et maltraite les femmes. De belles scènes de douceur surgissent ça et là et rassurent un spectateur sans cesse bousculé par le quotidien intrépide de Julie.

En gourmette, bidon d’essence et rap hardcore dans une image en pellicule, le film magnifie ses personnages et ses décors. La réalisatrice partage sa passion pour le cross-bitume qu’elle connaît et sur lequel elle a déjà réalisé de nombreux courts-métrages comme son film de fin d’étude à la Fémis, Au loin, Baltimore où un jeune banlieusard galère quand son quad le lâche. Son premier long-métrage rugit avec la même énergie. Sous le pont d’Aquitaine, dans la banlieue bordelaise, les moteurs rugissent et nous donnent la dalle d’en voir plus. La dalle, c’est la fureur de vivre, de s’émanciper, de toujours viser plus haut, plus fort, plus vite. La dalle c’est une course enflammée qui ne se termine jamais vers la liberté, sans cesse pourchassée.

Agathe Arnaud

Alma Viva de Cristèle Alves Meira

Un film de famille fait en famille

Cristèle Alves Meira revient de son petit village portugais avec un film de famille bouleversant. Son premier long-métrage Alma Viva, sélectionné en compétition à la Semaine de la Critique au festival de Cannes, raconte l’histoire d’une famille d’un village du Nord-Est du Portugal traversée par le deuil. La grand-mère, sorcière du village, meurt dans son sommeil aux côtés de sa petite-fille qui vit sa peine avec intensité et solitude, puis le fantôme rôde dans le village et cristallise autour de lui la douleur et la colère de la famille. La petite-fille, qui apprenait avec sa grand-mère à communiquer avec les morts, possède les mêmes dons et devra à son tour porter la charge des passeuses dans l’au-delà. S’abat alors sur elle tous les ressentiments du village sur sa grand-mère, personnage singulier, femme forte et indépendante, effrayante et aimée. Alma Viva traite du sort réservé aux femmes seules dans un Portugal que la réalisatrice décrit sans concession.

Ce premier long est le portrait d’un pays encore très habité par la superstition et très abîmé par la crise, mais Cristèle Alves Meira s’éloigne du réalisme naturaliste et de son habituel misérabilisme. Son film se défait des catégories de genre – il n’est pas fantastique ni social, ou il est des deux. Grâce au regard sincère que pose la réalisatrice sur ce village, il aboutit à un récit nuancé et une image magnifiée et naturelle.

Cristèle Alves Meira filmait déjà ce lieu familier pour la réalisatrice franco-portugaise dans Invisivel Heroi, un court-métrage qui avait été sélectionné à la Semaine de la Critique en 2019. On retrouve dans son long-métrage la qualité qui fait de cette réalisatrice une autrice au travail intéressant : Cristèle Alves Meira pose un regard tendre et familier sur ce qu’elle filme, sa famille, son pays, sa fille. Elle parvient à créer avec son sujet une étonnante intimité qu’elle transmet chaleureusement à son public. La réalisatrice choisit de jouer avec des professionnels et des non-professionnels et la direction d’acteur est très impressionnante. Parce qu’elle a décidé de faire ce film en communauté, avec sa famille et une équipe technique qu’elle connaissait déjà bien, Alma Viva est un film de famille surtout fait en famille.

Sa mise en scène, sobre, précise et surtout sensible, plonge le spectateur dans le deuil avec la jeune fille. L’image parvient à l’intimité de ses personnages et des lieux sans en forcer le passage par une brillante maîtrise des paysages et des portraits. C’est surtout le portrait de Lua Michel qui émeut : jeune actrice au grand talent et surtout fille de Cristèle Alves Meira, elle crée un personnage vibrant qui touche son public par sa sincérité. Dans Tchau Tchau, son précédent court-métrage, la réalisatrice filmait déjà sa fille dans un film qui lui-aussi racontait le deuil d’une famille mais en temps de Covid (dans un entretien avec Format Court, elle raconte d’ailleurs son passage du court au long).

Alma Viva réchauffe le cœur et fait froid dans le dos. C’est un film avec des fantômes, des rituels de sorcière, des scènes de possession. C’est aussi un film de famille, glaçant dans ce qu’il dépeint des relations humaines parce que le deuil est pénible. Il révèle le pire en l’humain, la douleur, la colère. Mais, par la force d’amour de la petite-fille, la famille résiste contre vents et marées et dans la pénibilité trouve son harmonie. Au travers de son deuil, on assiste aux déchirements d’une fratrie qui subit la haine d’un village ravagé par la crise. D’un point de vue subjectif très discret, le film se construit dans ce regard d’enfant. Deux yeux féroces comme candides observent le monde des adultes par le judas de la porte avant de se porter vers ciel qui soutient son regard dans un dernier plan majestueux.

Agathe Arnaud

Article associé : l‘interview de la réalisatrice