Tous les articles par Katia Bayer

A comme Auf der Strecke (Fausse route)

Fiche technique

Synopsis : Un agent de sécurité d’un grand magasin est rongé par la culpabilité après avoir décidé de ne pas venir en aide à la victime d’une agression dans le métro.

Genre : Fiction

Durée : 30’

Pays : Allemagne, Suisse

Année : 2007

Réalisation : Reto Caffi

Scénario: Reto Caffi, Philippe Zweifel

Images : Piotr Rosolowski

Montage : Thomas Bachmann

Son : Andreas Hildebrandt, Kai Storck, Marc von Stürler

Musique : Ivo Ubezio, Daniel Jakob, Oli Kuster

Interprétation : Roeland Wiesnekker, Catherine Janke, Leonardo Nigro, Hanspeter Bader, André Meyer, Julie Bräuning, Roland Bonjour, Florian Zimmermann, Yves Wüthrich, Fatmir Iseni

Production : Kunsthochschule für Medien Köln, Blush Films GmbH, Schweizer Fernsehen

Article associé : la critique du film

D comme #1

Fiche technique

Synopsis : Un personnage grimpe une montagne, lorsque l’Art se met sur son chemin…

Genre : Animation

Technique : 2D ordinateur, collage photos

Durée : 3’40’’

Pays : Belgique

Année : 2008

Réalisation : Noamir Castéra

Scénario : Noamir Castéra

Images : Noamir Castéra

Son : Noamir Castéra

Montage : Noamir Castéra

Musique : Noamir Castéra

Mixage : Noamir Castéra

Production : Atelier de production de La Cambre asbl

Articles associés : la critique du film, l’interview de Marion et Romain Castera

M comme Milovan Circus

Fiche technique

Synopsis : Les déboires d’un mime rejeté de son cirque.

Genre : Animation

Durée : 8’54’’

Pays : Belgique

Année : 2008

Réalisation : Gerlando Infuso

Scénario : Gerlando Infuso

Images : Gerlando Infuso

Son : Simon Elst

Montage : Gerlando Infuso

Production : La Cambre

Articles associés : la critique du film, l’interview de Gerlando Infuso, l’aperçu de tournage de « L’Oeil du Paon »

K comme Kilka prostych slów (Quelques mots simples)

Fiche technique

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Synopsis : Krystyna conduit sa fille à une audition pour un « girls band ». Une panne de voiture l’oblige à demander de l’aide à un homme qu’elle n’a pas vu depuis longtemps. Ces retrouvailles vont profondément affecter leur existence.

Genre : Fiction

Durée : 35′

Année : 2007

Pays : Pologne

Réalisation : Anna Kazejak-Dawid

Scénario : Anna Kazejak-Dawid

Images : Slawomir Berganski

Son : Michal Kosterkiewicz

Montage : Maciej Pawlinski

Interprètes : Agata Kulesza, Marlena Kazmierczak, Janusz Chabior

Production : Panstwowa Wyzsza Szkola Filmowa, Telewizyjna i Teatralna (PWSFTviT), Telewizja Polska – II Program, Telewizja Polska – Agencja Produkcji Audycji Telewizyjnych, Polski Instytut Sztuki Filmowej

Distribution : Vivarto (Pologne)

Benoît Labourdette : films de poche & Pocket Films

En 2005, le Forum des Images initia le festival Pocket Films, une manifestation attentive aux films tournés exclusivement avec des téléphones portables. Au fil des éditions, les organisateurs ont ouvert leur programmation à tous les créateurs (cinéastes, photographes, musiciens, plasticiens, amateurs, …), les genres (fiction, animation, documentaire, expérimental, clips, portraits, …) et les métrages (courts, moyens voire longs). Entretien avec le coordinateur général de la manifestation, Benoît Labourdette, présent à Bruxelles en novembre dernier en tant que membre du jury de la deuxième édition du festival Cinépocket.

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Le Forum des Images est connu pour investiguer dans le domaine de la création et de la diffusion. Comment est apparu le festival Pocket Films ?

Benoît Labourdette : Au Forum, on a senti qu’un phénomène naissait avec l’apparition des téléphones portables. À chaque fois qu’une nouvelle technologie surgit, elle génère, entre autres, des usages chez les gens. Très tôt, on s’est rendu compte que l’usage du portable était massif : les gens filment, mettent leurs images sur YouTube ou Dailymotion et s’échangent des vidéos. Ils se sont emparés de l’outil et produisent continuellement un certain type d’images parmi lesquelles on trouve des films de famille, des souvenirs personnels, mais aussi des films violents comme les happy slapping. Moins nombreux sont les films qui, à l’instar du cinéma et de l’art en général, ont pour objet de créer quelque chose et de le donner à un spectateur potentiel. Ce sont ces films en lien avec les autres que nous souhaitons diffuser au Festival Pocket Films.

À partir du moment où chacun a un téléphone dans sa poche et est producteur potentiel d’images, le cinéma est-il pour autant à la portée de tous ?

Non, il ne s’agit pas de dire qu’on est tous réalisateurs : une telle idée serait démagogique. Avant l’émergence des téléphones, il y a eu celle des caméscopes. En France, il y avait 5 millions de caméscopes et on ne comptait pas pour autant 5 millions de cinéastes. Là où on est davantage concerné, c’est que le phénomène et l’usage du portable se sont généralisés. Personnellement, je pense qu’il y a un enjeu éducatif très important dans cet outil étant donné qu’aujourd’hui, l’image est omniprésente, d’autant plus que les gens la produisent et la diffusent. Avant 2005, cette situation n’existait pas : je pouvais filmer, mais je ne pouvais pas diffuser mes images, alors qu’aujourd’hui, je mets mon film sur Youtube, et tout le monde peut le voir. Cette nouvelle situation fait que chacun a une responsabilité plus importante. Pourquoi ? Parce que filmer quelque chose n’est pas un geste anodin : filmer, c’est avoir une action sur le réel par l’image, ce n’est pas regarder mais agir.

Dans quelle mesure avez-vous un rôle à jouer vis-à-vis des jeunes ?

À l’école, il n’y a pas beaucoup d’outils pour lire et fabriquer suffisamment les images, du coup il me semble qu’il y a là un enjeu important qu’une institution culturelle se doit d’assumer. Au lieu de transmettre la grammaire de l’image, nous passons par la pratique : nous organisons des ateliers dans lesquels la création artistique et l’expression personnelle ont leur place. Les jeunes que nous rencontrons ont déjà souvent tourné des petites vidéos avec leur téléphone, mais n’ont pas envisagé de les mettre dans un contexte. Nous leur expliquons qu’il est intéressant de faire des films pour les autres et pas seulement pour eux-mêmes.

Est-ce que l’appellation « film de poche » est à rapprocher de certaines caractéristiques du livre de poche, comme sa généralisation et son accessibilité ?

Oui. Comme le livre de poche, le film de poche se diffuse facilement et a un aspect très démocratique. L’appellation a été trouvée par Laurence Hertzberg, la directrice du Forum des Images, lors d’un brainstorming, lorsqu’on a commencé à définir les contours du projet. Ce qui est étonnant, c’est qu’aujourd’hui, le film de poche est devenu un nom commun : on parle d’un « pocket film » pour évoquer un film tourné avec un téléphone alors que c’est juste l’appellation d’un événement et une marque déposée par le Forum des Images.

Chacune de vos éditions évolue en fonction des avancées technologiques. Que peut-on faire aujourd’hui que l’on ne pouvait pas faire à l’époque?

Au fil des éditions, on a suivi de près l’évolution des capacités techniques des téléphones. La plus importante est sûrement la progressive amélioration de la qualité de l’image. Il y a quatre ans, ce qu’on faisait avec un téléphone restait cantonné au domaine de l’expérimentation alors qu’aujourd’hui, il existe des téléphones qui ont quasiment la même qualité qu’une camera DV. A titre d’exemple, le partenariat noué cette année avec Arte dans le cadre de la collection « Caméra de Poche » [Mes 20 ans] n’aurait pas réellement pu se faire en 2005 car la qualité de l’image mobile n’était pas suffisante par rapport aux règles et aux conventions de diffusion.

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Pourquoi privilégierait-on le téléphone portable plutôt qu’une caméra classique ?

Le téléphone va me permettre de faire des choses différemment qu’un autre outil même si classiquement, ce qui fait le film, c’est le choix de tel comédien, tel décor ou tel technicien. Ce qui importe, c’est le dispositif de production choisi et les décisions techniques prises. Pourquoi se laisse-t-on alors tenter par le portable ? Certains réalisateurs y voient une dimension de spontanéité qu’ils ont envie d’incorporer à leur travail; d’autres s’intéressent à sa facilité d’usage, sa légèreté ou encore au traitement de son cadre.

De quelle manière le portable influence-t-il justement le cadre ?

Avec une camera habituelle ou même un appareil photo, on cadre, on a l’œil rivé à l’écran. L’image passe par le regard alors qu’avec le téléphone, beaucoup de gens ne cadrent même plus tellement l’objet est devenu habituel. La façon de porter le regard est complètement différente; cela se ressent dans le résultat. La caméra a un côté vraiment cérébral alors que le téléphone est comme un œil dans la main.

Quels sont vos arguments pour retenir, défendre et programmer un film de poche ?

Il y a plusieurs arguments à prendre en compte. Vu la quantité de films (un peu plus de mille en moyenne depuis deux ans), on est plusieurs à visionner les films et à confronter nos avis. Pour moi, un film, comme n’importe quelle œuvre d’art, doit transmettre quelque chose, une émotion, une idée, etc. Le critère principal est l’intérêt : est-ce que ça nous parle, est-ce que ça nous touche? Autre argument : on prend garde à la spécificité de l’outil. On s’intéresse aux choses différentes et inhabituelles parce qu’elles ont justement été tournées avec un téléphone portable.

Comment les films de poche sont-ils perçus par le grand public ?

Les modes de représentation ont évolué : il y a quelques années, c’était bizarre de voir des images tournées avec un portable mais aujourd’hui, le regard des gens a globalement changé, surtout que nombre d’entre eux font désormais leurs propres images. Même si beaucoup se montrent encore réticents vis-à-vis des films mobiles car ils croient que ceux-ci se rapprochent de ce qu’ils ont l’habitude de voir sur Youtube ou Dailymotion, on a encore un travail constant à faire pour que ces films soient vraiment perçus comme tels : intéressants et différents.

Beaucoup de ces films se font sans budget. Peut-on imaginer une économie pour ce secteur ?

On peut l’imaginer mais pas pour autant la voir se concrétiser tout de suite. La majorité de ces films se fait sans moyens : les gens font des films sans budget, il n’y a pas de financement mais il n’y a pas non plus de recettes. Il y a mille choses à inventer et on a un rôle à y jouer : on essaie de susciter au maximum des financements et d’inventer de nouveaux modèles économiques par rapport aux nouvelles façons dont les gens s’approprient l’audiovisuel. Aujourd’hui, artistiquement, plein de choses se passent dans le monde du film mobile, mais économiquement parlant, tout est à inventer.

Propos recueillis par Katia Bayer

Hélène Vayssières : le cinéma de poche et Arte

Chargée des courts et moyens métrages au sein de l’Unité Cinéma d’Arte France, et de l’émission Court-Circuit, Hélène Vayssières est à l’origine de « Caméra de Poche », une collection de dix courts métrages ayant la particularité d’avoir été entièrement tournés avec des téléphones portables. En novembre, elle faisait partie du Jury de la deuxième édition du festival belge de films mobiles, Cinépocket. Entretien.

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Dans le magazine Court-Circuit, tu programmes du format court. Récemment, tu as diffusé des films réalisés avec téléphones portables dans le cadre d’une collection, « Caméra de poche ». Comment t’es-tu intéressée à ces films ?

Hélène Vayssières : Je me demandais comment expérimenter cet outil émergent, le téléphone portable muni d’une caméra, quand j’ai rencontré Benoît Labourdette qui m’a parlé de son expérience avec le Festival Pocket Films, au Forum des Images. Je me suis dit que ce serait intéressant de tester aussi la vidéo sur mobile, de découvrir ce qu’il serait possible de créer à partir d’un tel outil mais aussi de voir si une nouvelle grammaire cinématographique allait émerger. Comme ARTE développait une programmation spéciale sur le thème « Avoir 20 ans », j’ai introduit un projet de collection de films sur téléphones autour du même sujet. La chaîne a été tentée par l’opération, un budget a pu être dégagé, le Forum des Images et SFR sont devenus partenaires de « Caméra de poche », notre collection de dix courts métrages entièrement tournés avec des téléphones mobiles. L’idée devait se concrétiser assez rapidement. On a commencé en février et il fallait que les films soient terminés fin avril pour être projetés, pendant le Festival Pocket Films en juin, au Centre Pompidou. Pour avancer, j’ai soumis l’idée à onze réalisateurs avec lesquels j’avais déjà travaillé sur des films plus classiques et qui avaient, à mon avis, un potentiel. J’ai contacté six réalisateurs entre 20 ans et 29 ans, et cinq plus âgés, pour récolter des points de vue complètement différents. Ce projet intégrait un cahier des charges : un thème imposé (« Mes 20 ans »), une durée maximum de 5 minutes, et un tournage entièrement réalisé sur mobile. Par contre, le genre était libre : il pouvait il y avoir autant de documentaires que de fictions ou de reportages.

La projection à Beaubourg s’est bien passée : 300 personnes sont venues voir ces films diffusés sur grand écran. Par après, on les a diffusés, en septembre, dans Court-Circuit dans une édition spéciale Avoir 20 ans dans laquelle il y avait aussi des films plus traditionnels liés au sujet. En parallèle, on les a diffusés sur la plateforme Internet d’ARTE (http://www.arte.tv/cameradepoche) et on a crée un blog interactif sur les coulisses du projet.

Ca a été une aventure intéressante qui était loin d’être gagnée au départ. En dépit de la question du temps, il fallait convaincre les réalisateurs. Quand j’en appelais certains en leur disant : « est-ce que ça t’intéresse de faire un film avec un mobile ? », même si je ne pouvais pas voir leur regard hésiter, je sentais quand même des blancs dans la conversation. Ce n’était pas rare que mon correspondant réagisse de cette manière : « avec un téléphone ?! Je sais à peine utiliser mon téléphone et tu veux que je fasse un film avec ?! ».

Tu es très attentive à l’écriture. Comment la considères-tu à partir du moment où un réalisateur saisit un appareil mobile plutôt qu’une caméra ?

En découvrant des films sur téléphone portable, j’ai souvent constaté un déficit de scénario mais c’est peut-être une déformation professionnelle ! Par rapport à cette collection, même si l’outil n’était pas à la base une caméra mais un téléphone, j’avais envie qu’il y ait un travail sur le scénario. L’écriture se transforme : en effet, on ne peut pas écrire tout à fait de la même façon pour l’outil mobile que pour une caméra. Comme le portable est quelque chose que l’on porte sur soi, il joue souvent le rôle de caméra subjective. De plus, avec cette technique, on ne pose pas trop la caméra et le cadrage est, lui aussi, complètement différent. Tout cela implique une autre écriture. Ce n’est pas évident car logiquement, les réalisateurs sont tentés par l’écriture classique. Avec le Forum, on leur prête alors un mobile bien avant le tournage pour qu’ils essayent des choses, manipulent l’objet et se rendent compte des contraintes, des avantages, des possibilités et des impossibilités. En ayant l’outil en mains, en expérimentant, ils réalisent qu’ils ne doivent pas écrire comme si la caméra était classique, qu’ils doivent revoir leur scénario, transformer leur écriture et trouver des nouvelles astuces de narration. Eux, ils essayaient de faire l’image la plus belle possible, le film le plus correct possible, sauf qu’on n’est pas dans un outil qui génère cela. J’ai donc dû les pousser à écrire différemment, en leur disant : « servez-vous de l’outil, utilisez-le pour ce qu’il est, et voyez ce qui en sort. » Cela n’a pas été facile pour tous.

Tu as des exemples en tête ?

Je pense à Mehdi El Glaoui (« Mao est mort ») ou à Anna Da Palma (« Lisbon calling »). Au départ, ils avaient imaginé des fictions assez classiques. Petit à petit, j’ai fait en sorte de les amener à s’emparer de ce mobile et à libérer leur caméra. Ils avaient un peu peur de l’outil, mais progressivement, ils ont accepté de jouer le jeu. Ce n’est pas évident parce que quand on tourne des films classiques, on peut poser à loisir sa caméra, du coup, lorsqu’on se retrouve face à ce tout petit bidule qui bouge tout le temps et qui fait des images un peu bizarres, on en a vite peur donc on a envie de le stabiliser. Au bout de quelques temps, on peut aussi se lâcher, ce qui a été le cas de Marie Vermillard (« Les premiers pas »). Au départ, elle aussi, elle avait peur du mobile, ce qui l’avait conduite à faire une première partie très posée et classique, mais au bout d’un moment, elle a vraiment utilisé l’outil. Elle s’est tellement lâchée qu’elle a fait le film le plus expérimental de la collection !

Sens-tu que qu’une nouvelle écriture cinématographique est en train d’apparaître avec ces films-là ?

Je pense qu’il est encore trop tôt pour estimer qu’il existe une nouvelle écriture par rapport au mobile. Pour l’instant, dans leur majorité, ces films s’écrivent à la caméra ou au montage, mais il n’y a pas encore de véritable travail d’écriture sur le papier ou à l’ordinateur. Dans la prochaine collection de films sur portables qu’on va lancer à ARTE (nouveaux thèmes : « Mutants », « Années 80 »), je vais quand même essayer de faire travailler les nouveaux réalisateurs dans ce sens.

Tu évoques les possibilités et les contraintes. Lesquelles vois-tu à travers ces films ?

Avec cet outil, je découvre un parallèle avec les films en Super 8 d’une certaine époque. Je vois une possibilité de faire des films plus intimes, des films de proximité, presque de famille. De plus, l’appareil est léger et permet l’improvisation : tout à coup, s’il se passe quelque chose, on sort le mobile de sa poche et on filme. Maintenant, je pense que si c’est pour faire des choses très classiques, ça ne vaut pas le coup.

Tu es membre du jury au festival Cinépocket. Que penses-tu du niveau des films sélectionnés ?

À ce stade, je n’ai pas encore tout vu mais je constate une faiblesse générale de l’écriture. Il faut se demander pourquoi on fait un film, ce qu’on a à raconter, et savoir exactement ce que l’on veut avant d’écrire son scénario. Si on ne s’est pas posé toutes ces questions, on obtient des films qui peuvent être sympathiques mais qui peuvent aussi être très vite oubliés.

Les festivals de films mobiles sont accessibles aux réalisateurs, aux photographes, aux plasticiens, mais aussi à toute personne qui possède, aujourd’hui, un appareil téléphonique dans sa poche. À partir du moment où chacun est porteur potentiel d’images, ne peut-on pas penser que ces films peuvent être confusément apparentés à des courts métrages et donc à du cinéma ?

Effectivement. Ce n’est pas parce qu’on a dans la main un outil qui filme qu’on est cinéaste. C’est le problème aujourd’hui : on confond l’outil et le processus de création. Il faut se demander si le film est créatif ou si c’est juste une blague. Intègre-t-il une partie créatrice, artistique et réflexive ? Parmi les films que j’ai vus à Cinépocket, il y en a un qui m’a intéressée particulièrement : « Domino » (Sandy Claes, Prix du Jury). Je le trouve très original dans sa forme et très ludique. Son écriture n’est pas classique du tout, mais par contre, on voit très bien qu’il y a eu une réflexion et une construction derrière, et que le film ne s’est pas fait par hasard.

À partir du moment où un outil est démocratisé, les gens sont susceptibles de s’en emparer et de développer des projets dans lesquels un acte de création et une réflexion sont intégrés, mais le risque, c’est qu’il y ait aussi beaucoup de films qui ne sont pas des films mais des blagues. C’est pour cela qu’il ne faudrait pas confondre l’amateurisme et le professionnalisme. Dans le même ordre d’idées, quand j’ai lancé la collection d’ARTE, au-delà des réflexions qui ont entouré le projet, j’ai essayé de trouver des financements. Ce n’est pas parce qu’on filme avec un téléphone portable qu’on peut faire croire aux gens que tout est possible et que tout est gratuit. Même si on n’avait pas un budget énorme, on a tenu à payer les équipes (réalisateurs, monteurs, comédiens, …), à négocier les droits d’auteur pour les musiques, bref à se placer dans un contexte professionnel.

Peut-on imaginer que ces films, pour le moment cantonnés à des manifestations très spécifiques, puissent un jour alimenter une section « mobile » d’un festival de courts métrages ?

Pourquoi pas ? De toute façon, les festivals ça pousse comme des champignons : il suffit qu’il pleuve ! Ceci dit, un film de qualité réalisé avec un mobile pourrait très bien se retrouver dans la section « Labo », à Clermont-Ferrand.

Est-ce que tu envisages de diffuser ces films, comme d’autres extraits du catalogue d’ARTE, sur des téléphones portables?

Pour les films de la collection, je concevais une diffusion surtout mobile. Je n’ai pas dit aux réalisateurs de penser au grand écran, mais bien à un petit, un tout petit écran. Je pensais que le partenaire SFR allait s’emparer de ces films pour les offrir à ses abandonnés mais cela ne s’est pas fait. C’est dommage mais avec l’arrivée de la TMP (Télévision Mobile Personnelle), ça va peut-être changer les choses. Sinon, dans l’absolu, moi, je suis favorable à la diffusion sur les mobiles, mais il faut lui associer une écriture spécifique. Montrer sur portable des courts métrages qui n’ont pas été pensés pour un écran différent me semble risqué à partir du moment où l’image est transmise sur une toute petite fenêtre et que le cadrage est imposé. Il faut prendre en compte ces paramètres si on envisage une telle diffusion, sans compter le fait qu’il y a un risque de différence de perception d’un écran à l’autre. Ceci dit, à une époque, on disait ça du cinéma par rapport la télévision, puis de celle-ci par rapport à Internet, et maintenant on soulève ces questions par rapport aux mobiles. Ce qui me semble intéressant, c’est qu’aujourd’hui, ce n’est plus cloisonné. On pense de plus en plus, dès le départ, au multi-écran : on imagine des déclinaisons de films ou de programmes, avec des spécificités suivant l’écran. Dans cet esprit, il y a beaucoup d’idées très intéressantes et faciles à mettre au point. Par exemple, cette année, à ARTE, on va creuser plus du côté d’Internet et de l’interactivité. Il y a quelques temps, on a lancé l’atelier Final Cut sur le site, permettant aux internautes de s’entraîner à monter les rushes de certains réalisateurs. Il est tout à fait imaginable d’y insérer ceux des films tournés avec téléphone portables.

Tu t’occupes aussi de moyen métrage à ARTE. Es-tu également tentée d’explorer le format plus long, toujours à partir de téléphones portables ?

Pour l’instant, ce n’est pas à l’étude : on a une collection à faire. Je ne dis pas que ce projet ne se fera jamais, mais si on se lance dans une telle aventure, cela demandera des financements supplémentaires et surtout, on ne fera pas dix courts métrages en même temps. Un moyen métrage réalisé avec un téléphone portable ne serait à envisager que si le scénario se prête réellement à ce type d’écriture.

Propos recueillis par Katia Bayer

Julie de Wael Koudaih

Vous avez 26 nouveaux messages

« Bonjour. Vous êtes bien sur le répondeur de Julie. Merci de me laisser un message visio après le bip. ». Pas d’erreur sur le numéro : le jeune homme s’exécute et invite sa correspondante, croisée la veille, à le revoir autour d’un verre. Elle ne le rappelle pas ? Qu’à cela ne tienne ! Il ne fait pas partie de ceux qui renoncent facilement. Persévérant, il commence à harceler son nouveau contact à différents moments de la journée en trouvant spontanément un prétexte à chaque appel (café, ciné, fleurs, chanson,…). Après 26 tentatives, le silence est toujours radiophonique. Julie ne recevrait-elle pas ses messages ? Est-elle occupée ? Pire : serait-elle timide ? Forcément, il y a une explication…. Forcément…

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Projeté cette année au festival Pocket Films, à Paris, et à Cinépocket, à Bruxelles, « Julie » est un film mobile réalisé et interprété par un musicien, Wael Koudaih. Celui-ci livre un film intime à la fois par son sujet et son médium : à défaut de nouer une relation avec Julie, le personnage masculin se répand sur son répondeur, le téléphone devient son réel interlocuteur, donc un acteur à part entière, tandis que le spectateur prend involontairement la place et les messages de Julie. Réjouissant, l’humour distillé dans ce petit film ludique tient à plusieurs traits : la personnalité versatile du personnage principal (tour à tour timide, optimiste, lyrique, amoureux, mélancolique, énervé et agressif), la fréquence, le contenu et le rythme de ses messages, mais aussi l’accentuation de son délire jusqu’à un point de non retour. Le clin d’œil du film tient en quatre secondes : c’est celui d’un feu de signalisation à l’arrêt illustré par une voix lourde en reproches (« J’attends, Julie ! J’attends ! »). À elle seule, la silhouette immobile du piéton aux mains fermement posées sur ses hanches symbolise l’impatience constante et la résignation impossible du personnage. La preuve ? Un nouveau message vient de s’afficher sur le répondeur de Julie.

Katia Bayer

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Domino de Sandy Claes

Créé et présenté dans le cadre du Festival International du Court Métrage de Louvain de 2007, « Domino » retrace, en moins de deux minutes, le mécanisme de l’animation et du cinématographe. Sous son aspect simple, se cache un jeu sémantique sophistiqué. La forme rectangulaire du domino sert de cadre pour une série de plans dessinés, tel un flip-book. À l’instar de l’effet domino et conformément au jeu de hasard, défile une succession bruyante de formes aléatoires (dominos, homme, ballon, arbre…) pour créer une animation quasi fantasmagorique.

Au-delà des images, « Domino » traite de l’artifice de la mise en scène, que la réalisatrice Sandy Claes met en évidence par le biais de l’espace et de la vitesse de son animation. Elle ne limite pas son cadre au bord des plans mais inclut les environs de l’installation, presqu’au même titre que les images dessinées. De la même manière, elle déclenche une certaine distanciation en choisissant une vitesse de défilement des images bien plus lente que ce qu’il faudrait pour assurer la persistance rétinienne. Par conséquent, le spectateur, bien conscient du défilement de chaque plan, se retrouve impliqué dans cette inédite partie de dominos animée. Outre la vitesse et l’espace, le médium (à savoir le téléphone portable) contribue lui aussi à brouiller les pistes en créant une ambiguïté entre le point de vue du spectateur et celui de la réalisatrice. À ce titre, « Domino » est une expérience de « Ciné-œil » et l’outil utilisé, le téléphone est vraiment conçu comme mobile.

La qualité du film tient aussi à une hybridité de registres (séquences filmées et dessins traditionnels) assez caractéristique du style de cette jeune animatrice, diplômée en arts audiovisuels de l’Académie Media & Design KHLim de Genk. À cet égard, « Domino » rappelle le travail de fin d’études de Sandy Claes, « On a Lead » (2005), traitant de la rencontre humoristique entre un chien en 3D et un homme en 2D, ou encore « Blauwblauw » (2007), une animation basée sur la poésie flamande contemporaine, dans laquelle une femme interagit avec un élastique animé.

« Domino » se présente moins comme un véritable film que comme une expérience technique utilisant à son avantage les limitations du matériel pour faire un modeste retour aux origines du cinéma. Son originalité et sa sobriété lui ont d’ailleurs permis de remporter le Grand Prix du jury au festival Cinépocket, cette année.

Adi Chesson

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Gwendoline Clossais, illustratrice de courts métrages

Gwendoline Clossais est bretonne comme une galette et joyeuse comme une farandole. Depuis sept ans, elle illustre la rubrique “Le film dessiné” publiée sur Cinergie.be (site de cinéma belge). Si son style est identifiable à ses taches d’encre de Chine parsemant ses dessins, Gwendoline se fait reconnaître dans le civil par son rire cristallin, son goût immodéré pour les crêpes, et son impressionnante collection de collants colorés. En novembre, la 30ème édition du festival Média 10-10 (Namur) l’accueillait en tant que membre du jury professionnel et dans le cadre d’une exposition consacrée à ses illustrations pour Cinergie. Pour la circonstance, une interview illustrée s’imposait.

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De quelle façon l’idée d’illustrer des courts métrages est-elle apparue?

Thierry Zamparutti y pensait depuis de nombreuses années quand on a commencé à en discuter à l’époque où je faisais un stage dans sa boîte de production (Ambiances asbl). L’idée  m’intéressait, il l’a proposée, il y a sept ans, à Cinergie sous la forme d’une rubrique. Depuis, on collabore mensuellement. Il me soumet des films et je retranscris par l’image ce que j’ai vu et ressenti. Avec le temps, on remarque qu’on a souvent les mêmes goûts.

Comment t’y prends-tu après avoir vu un film ? Tu détermines d’emblée une scène qui t’intéresse, tu restitues une atmosphère ou bien tu privilégies une technique de dessin ?

C’est assez instinctif comme travail : l’image se crée dans ma tête. En général, l’exécution est assez rapide. L’illustration va dépendre du film, de son ambiance et de la première impression qu’il me laisse. Pour certains, c’est plus compliqué que pour d’autres : je n’ai pas d’idées, du coup je me creuse plus les méninges. À priori, je ne travaille qu’à l’encre de Chine mais pour certains films, cette technique ne convient pas forcément car mon geste ne correspond pas à ce que je souhaite. Je cherche ailleurs alors, vers l’ordinateur ou la photographie, par exemple.

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Est-ce que ton travail autour des courts métrages a influencé tes autres dessins ?

Oui, surtout au niveau de la technique. Il m’a permis de me remettre à la photo et d’utiliser l’ordinateur. Au début, j’avais beaucoup d’appréhensions par rapport à l’ordinateur, ce n’était pas un  outil qui m’intéressait, puis à force de m’y mettre, j’ai découvert des choses que je ne pouvais pas faire à la main. Après, je ne dessine pas forcément de la même façon quand je dois faire quelque chose destiné à être publié ou si c’est pour moi : j’essaye de m’appliquer plus, de faire moins « crassou ». Même mon trait est plus léger et il y a moins de taches partout…

À ce sujet, dans de nombreuses illustrations, on retrouve des taches d’encre. Serait-ce ta signature ?

Probablement. Ces taches sont apparues avec l’encre de Chine : parfois, elles sont voulues, parfois pas.

Parlons de ton enfance et des buvards…

Ah, les buvards ! J’avais oublié leur existence… C’est peut-être lié, après tout : quand j’étais petite, je dispersais aussi de l’encre partout.

Sortie de clown (Nabil Ben Yadir, Belgique)

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Gwendoline, à qui sont ces pieds ?!

Et bien, ce sont les miens ! La photo a été prise en Bretagne, dans une crêperie où je travaille de temps en temps. Je me suis installée dans la cuisine, sur de grands plateaux en inox. Pourquoi de l’inox ? Il m’en fallait pour rappeler l’univers plus que froid de « Sortie de Clown ».

En Bretagne, il y a beaucoup d’inox ?!

Dans les crêperies, oui !

En allusion au clown de ce film, tu as rajouté un nez rouge. Pourquoi l’avoir croqué plutôt que photographié ?

Je voulais coiffer un de mes orteils d’un vrai nez rouge mais je n’en trouvais pas. À ce moment-là, je n’avais pas trop de temps alors, j’ai eu recours au dessin. Et puis, les clowns étaient rares dans la crêperie, sinon je leur aurais emprunté leur accessoire pour la photo !

En fanfare (Véronique Jadin, Belgique)

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Dans cette image, la photographie côtoie toujours le dessin, mais elle occupe une place plus marginale. Pourquoi ne pas avoir dessiné les mains des personnages ?

Avec l’encre de Chine, j’ai tracé les personnages du film, mais les mains que j’avais dessinées ne me plaisaient pas. Du coup, j’ai introduit la photographie dans l’image : cette fois, j’ai demandé à mes collègues-copains, Romain et Benoît, les deux serveurs de la crêperie, de se tenir la main. Tu remarqueras que Romain a le bras un peu poilu : je lui dirai de s’épiler la prochaine fois !

En fait, ce n’est pas de ton enfance qu’il faut parler mais bien de cette crêperie !

Ah, la crêperie, c’est mon studio à moi. J’y ai mes crêpes, mes plateaux en inox et mes modèles !

Un monde pour Tom (Atelier Zorobabel, Belgique)

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Tes compositions sont surtout liées à des fictions, plus rarement à des documentaires. Tu évites de travailler autour de films d’animation pour contrer tout risque de concurrence avec un univers visuel préexistant. Pourquoi avoir dès lors illustré « Un monde pour Tom », un film d’animation réalisé par des enfants encadrés par l’atelier Zorobabel ?

Ce dessin fait partie des tout premiers, il doit être le deuxième ou le troisième que j’ai fait. Tu remarques tout de suite la différence de style. J’avais accepté de faire l’illustration de ce court métrage d’animation en représentant surtout le travail des enfants. On les voit autour du tout petit Tom et de trois autres personnages. C’est évident que quand un film d’animation est déjà illustré, ce n’est pas la même chose que pour une fiction ou un documentaire : je ne peux pas m’approprier le dessin d’origine et je n’ai pas réellement la possibilité de redessiner autre chose. C’est pour ça qu’« Un monde pour Tom » a été le seul film d’animation que j’ai « illustré ». Je ne veux plus le refaire…

Tu ne peux pas t’approprier l’image du film mais tu pourrais la détourner…

Oui, en l’occurrence, c’est ce que j’ai fait pour ce court métrage, mais sur un film d’animation classique, ce serait bien plus complexe. Comment ne pas empiéter sur le style de quelqu’un quand on dessine soi-même ? Pour éviter tout souci, je ne veux plus réitérer l’exercice.

La Peur, petit chasseur (Laurent Achard, France)

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« La Peur, petit chasseur » est un film très sonore. Comment as-tu procédé pour l’illustrer ?

Comme tout le film se passe justement au niveau du son, j’ai eu beaucoup de mal à l’illustrer car « La Peur, petit chasseur » est un plan fixe de 9 minutes dans lequel plusieurs actions ont lieu : un petit garçon joue avec son chien dans le jardin, sa mère sort de la maison, étend son linge, on entend un son, celui d’un train, devenir de plus en plus puissant, au même moment, le mari rentre, ivre, à la maison et commence à crier sur sa femme. C’est très pauvre, l’illustration d’un plan fixe dans lequel il se passe quelque chose seulement au niveau sonore, mais rien au niveau visuel. Du coup, j’ai eu recours à une pirouette : j’ai utilisé la seule image du film et j’ai ajouté des ondes sonores. Ce n’était pas évident comme exercice, mais je l’ai pris comme un défi parce qu’il n’y avait pas beaucoup de détails dans l’image (à part une arrière-maison avec un fil à linge et une niche).

Mompelaar (Marc Roels et Wim Reygaert, Belgique)

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« Mompelaar » est un film « ovni » absolument décalé qui a beaucoup fait parler de lui cette année dans les festivals de courts métrages. Ton illustration est drôle et en même temps très sombre…

Très sombre, tu trouves ? Pourtant, tous les détails sont dans le film : la tête coupée, le petit chien qui, même s’il n’est pas hyper ressemblant, a un peu la même tête de con, l’enregistreur, les blablablas, le petit cadre au fond, la tapisserie moche que j’ai recréée à partir d’un site Internet spécialisé dans les tapisseries moches !

On sent que tu t’es plus éclatée dans cette illustration que d’habitude.

Oui, c’est clair. J’ai pu faire un truc plus déjanté que d’habitude. « Mompelaar » cultive un aspect étrange et incongru, mais il est très intéressant à croquer vu le nombre de détails très visuels qu’il comporte. En général, tu ne fais pas un truc complètement sobre pour un film aussi décalé.

Propos recueillis par Katia Bayer, Marie Bergeret et Adi Chesson

Illustrations : Gwendoline Clossais

Thiam B.B. d’Adams Sié

Dévoiler l’histoire

Présenté déjà dans de nombreux festivals (Amiens, Vues d’Afrique, Namur) et en compétition au festival Média 10-10, « Thiam B.B. » est un court documentaire d’une grande intelligence, réalisé dans le cadre d’un atelier organisé au Média Centre de Dakar par le festival Filmer à tout prix, et animé par Philippe de Pierpont et Pierre-Yves Vandeweerd qui signe la très belle photographie du film.

Dévoilant doucement son sujet avec beaucoup de finesse et de profondeur, Adams Sié saisit tout d’abord un geste, celui qui consiste à peindre et à repeindre, inlassablement, la même figure partout au quatre coins de la ville : une silhouette debout, face à nous, dont on ne saisit que les yeux. A travers de paisibles plans fixes où la profondeur de champ est privilégiée, surgit une ville peuplée de ce fantôme glissant de portes en fenêtres, de murs en échoppes, des charrettes aux pirogues. En captant d’abord le geste de celui qui peint, ses peintures, puis sa voix, son visage, son témoignage, qu’il mêle ensuite à d’autres témoignages, revenant sans cesse capter les silhouettes dans la ville, avec une lenteur méditative, le film mêle et tresse sur la peinture les différents discours qui viennent peu à peu en éclairer le mystère et en épaissir le sens.

« Thiam B.B. » (Beugue Bamba, « le disciple de Bamba »)  peint, dessine, sculpte ainsi, à Saint-Louis mais aussi dans d’autres villes et d’autres lieux, la silhouette de Cheikh Ahmadou Bamba. Il voue sa vie à refaire toujours la même image : celle du fondateur de la confrérie musulmane mouride, qui résista pacifiquement à la fin du 19ème siècle au colon français, tant et si bien que celui-ci n’osa jamais vraiment l’enfermer ni le faire assassiner, mais le condamna plusieurs fois à l’exil avant de lui remettre une Légion d’honneur qu’il refusa. La peinture de Thiam est mystique : c’est un rituel de prière. C’est aussi un signe de reconnaissance qui trace dans la ville le réseau des membres de la confrérie mouride. C’est enfin un acte d’allégeance à cette figure de résistance.

Peu à peu, Saint-Louis, ancienne capitale du Sénégal, se creuse de sa dimension historique. Rues écrasées de chaleur, murs de poussière et cours de misère, portes et murs peints envers et contre tout, la ville se livre comme ce monde fatigué, harassé, usé jusqu’à la corde où l’homme affirme son existence, avec ses mains, sa foi, son art, guidé par cette figure historique. La grande beauté de ce documentaire est d’avoir réussi à faire surgir, à travers ce geste artistique, les dimensions historiques qui peuplent le présent d’un lieu, et d’en avoir réaffirmé, dans le même temps, à travers le même geste, la portée existentielle, la liberté, la spiritualité. Dans le présent de Saint-Louis, aujourd’hui condamnée par son histoire coloniale et les cheminements de l’ordre mondial à cette misère poussiéreuse, des hommes continuent de s’affirmer dignes et libres.

Anne Feuillère

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Le Mulot menteur d’Andrea Kiss

Tel n’est pas pris qui croyait prendre

Illustratrice et plasticienne venue de Hongrie, auteur d’une dizaine de courts métrages d’animation, Andrea Kiss, réalise un petit film enjoué et drôle, vif et gai, adapté d’une fable d’Ervin Lázár où la morale se retourne comme un gant. « Le Mulot menteur », court métrage d’une vingtaine de minutes réalisé en papier découpé et colorié – une technique réjouissante qui, par ses imperfections et son artisanat, donne au film une irrégularité humaine et vivante – se construit assez simplement sur une série de rebondissements qui suivent le chemin d’un petit mulot, menteur comme un arracheur de dents.

Dans la première scène du film, il raconte, dans une taverne envahie d’animaux sidérés et enthousiastes, ses exploits sur les planètes du lointain système solaire. « Un mulot cosmonaute, tiens donc ! » se dit quant à lui le renard qui assiste au récit. Tenu de s’expliquer devant l’assemblée quant à ses exploits étonnants, le mulot prend la fuite, prétextant qu’on l’attend, poursuivi sans le savoir par le renard, malin et un brin agressif.  Mais sur le chemin du retour, le mulot fait une série de rencontres, d’abord avec le loup, ensuite avec le bouc. À chaque fois, mettant en scène de faux exploits en rapport avec les situations des deux autres animaux, le mulot va réussir à les tirer de leurs tracas, le loup et le bouc décidant de prendre exemple sur lui. Ce faisant, ils deviennent des héros dépassant leur situation grâce aux mensonges du mulot, grâce au pouvoir de la parole.

Outre son dessin vibrant et original, son rythme gai, ses voix enjouées (Thierry de Coster, Edwige Baily, Benoît Van Dorslaer, Philippe Verleysen, Jean-Michel Balthazar), « Le Mulot menteur » installe de belles ambiances entre le rêve et l’effroi (la traversée de la forêt nocturne), trouve des illustrations frappantes (les fleurs clochettes semées sur la route), et surtout aboutit à ce renversement réjouissant de la morale, celle des fables et des récits, où le mensonge n’a justement pas de valeur morale puisque c’est la parole qui invente le réel. Quant à la fin du film, elle est merveilleuse : la mulette, s’énervant d’abord contre le retard de son époux, lui pardonne tous ses mensonges dans une tendre étreinte amoureuse qui sait bien où la vérité de l’autre se situe.

Anne Feuillère

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#1 de Noamir

Quelques minutes suffisent parfois à faire basculer une vie, quelques minutes ouvrent aussi des mondes. En 4 minutes pas plus, Noamir nous offre un petit bijou d’inventivité et nous résume 3000 ans d’histoire et de création. Un film sans titre (#1) pour un joli fourre-tout sans limites.

Récapitulons… L’homme court, qu’il choisisse de tourner à droite, à gauche, de monter ou de descendre, quel que soit l’endroit où il pose ses yeux, partout, autour de lui, pèse le poids de la civilisation. Par où passer ? Où s’enfermer ? Que faire ? Le grand homme en noir et blanc de Naomir cherche à fuir… en vain.

Planté là au beau milieu de nulle part, notre pauvre bonhomme est empêché, entre autres, par une Joconde souriante qui semble tomber du ciel, subit les assauts d’un masque étrusque qui se colle à son visage, manque d’être écrasé par un temple grec et autres statues de l’île de Pâques, essaie de s’en sortir en passant par le vagin de l’Origine du monde, se retrouve quatorzième invité de la Cène de Léonard, monte sur une pyramide pharaonique mais tombe au beau milieu d’une estampe qui le noircit d’encre de Chine… Sans compter les images icônes qui accompagnent sa course, d’Einstein au Che, de Mickey à Chaplin, de Mozart à Marilyn Monroe. Même le cri enfin audible de Munch ne parviendra pas à le libérer. Sur cette route semée d’embûches, s’inscrit ironiquement un CECI N’EST PAS UNE ISSUE, et ce n’est pas la colonne de l’infini de Brancusi qui le conduira quelque part, à moins de considérer que le cul-de-sac qui y mène soit bel et bien un endroit.

Intelligent, drôle, profond, #1  joue avec les références. Les objets-emblèmes y subissent des transformations stupéfiantes à l’instar d’un shuriken ninja qui évoque la triste et célèbre étoile jaune et vient ensuite orner L’Icare de Matisse. La bande-son participe de jolie façon aux variations rythmiques des images créant ainsi un tout cohérent, une sorte de joyeux big-bang cinématographique.

« Que puis-je encore dire qui n’eût pas été dit ? », demande le générique et la réalisatrice elle-même sans doute. Grand mal du XXe siècle depuis l’abandon de la « représentation » et l’impasse de l’abstraction minimaliste. Le carré blanc sur fond blanc nous raconte t-il que l’art a atteint ses limites ? Que créer ? Pourquoi ?

Tout a été dit, sans doute… Et pourtant, tout reste à faire.

Sarah Pialeprat

Article associé : l’interview de Marion et Romain Castera

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Suzanne de Julien Monfajon et de Baptiste Janon

Love U

Ils s’appellent Guillaume, Michel, Jimmy, Ghislain, Myriam et Suzanne et habitent dans le Quartier des Balances à Salzinne. Qui sont-ils ? Six personnages de fiction imaginés par douze étudiants de l’IAD.

Le professeur et réalisateur, Benoît Mariage, d’origine namuroise, a dirigé ses élèves au cœur de ce quartier de logements sociaux pour une série de douze courts métrages. Chaque histoire, écrite en binôme, a donné lieu à deux montages différents.

La qualité du projet a été reconnue par le comité de sélection du festival de Média 10-10 puisque trois d’entre eux (Michel, Suzanne et Guillaume) ont été sélectionnés. La version de Julien Monfajon (co-écrite et co-réalisée par Baptiste Janon) pour le film « Suzanne « a obtenu le Prix du Meilleur Court Métrage de fiction pour cette 30ème édition.

Portrait sensible dans un quartier sensible. Suzanne travaille dans une usine de conditionnement. Emballer, déballer, déposer, transporter, tel est son lot quotidien. Dans une tenue de travail qui lui ôte toute féminité, près d’autres femmes vêtues à l’identique, elle effectue des gestes automatiques et déshumanisants. Son lien avec le monde, un téléphone portable qui, dans cette journée qui aurait pu être comme toutes les autres, va faire naître l’évasion, le rêve, le désir.

Suzanne reçoit des messages d’un inconnu. Tour à tour troublée, inquiète, flattée, coupable, les sentiments qui l’envahissent sont captés par la caméra sans qu’un mot ne s’échange. Tout autour, le brouhaha des machines et les conversations à peine audibles des ouvrières parviennent plus encore à nous isoler avec elle dans le silence, dans une bulle de rêve et d’espoir.

La profondeur du personnage est rendu par les changements presque imperceptibles qui se lisent sur son visage : un battement de paupière, des lèvres qui se pincent, un sourire incontrôlable nous font entrer au cœur de son intimité. Le spectateur est ainsi emmené à penser et ressentir les choses comme s’il les vivait. Comme Suzanne, nous sommes dans l’attente de ce petit signal qui va délivrer un message, comme elle, nous sommes déjà dans un ailleurs possible, une histoire en train de s’écrire, au propre comme au figuré.

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Julien Monfajon et Baptiste Janon filment au plus près du personnage. La comédienne, Lara Persain, dévoile ses fragilités avec finesse. Il faut la voir croquer dans sa pomme, le sourire aux lèvres alors qu’elle vient de lire un « Je vous trouve très belle » ; il faut la voir retirer nerveusement ses gants de manutention pour supprimer un « Je vous imaginais nue » l’impliquant déjà trop dans un désir qu’elle ne peut pourtant s’empêcher d’éprouver sans en connaître l’objet.

Par un dispositif simple, une mise en scène épurée et à la fois charnelle, les réalisateurs créent tout un univers dans le presque rien qui élargit le champ des émotions et donne au film toute sa dimension entre illusions et désillusions.

Sarah Pialeprat

Article paru sur Cinergie.be

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Article associé : l’interview de Julien Monfajon

Orgesticulanismus de Mathieu Labaye

Orgesticulanismus « Orgesticulanismons ! »

« Orgesticulanismus » est le premier court métrage d’animation d’un ancien élève de La Cambre, produit par Caméra etc. Animateur dans cette maison de production consacrée principalement au film d’atelier, Mathieu Labaye a déjà réalisé en son nom propre deux courts métrages. À Media 10-10, son premier film professionnel aura fait l’unanimité, empochant le Prix du Meilleur Court Métrage d’Animation remis par le Jury Officiel et celui du Jury Presse.

C’est qu’« Orgesticulanismus », au bord d’un cinéma expérimental, est un film qui cherche, se libère, énergique, frénétique, jubilatoire, tellement vivant. Très ambitieux techniquement, il s’organise en dehors des genres codifiés du court métrage, sans scénographie étouffante ou conventions dramaturgiques attendues. D’une étonnante richesse formelle, tant par son travail autour du dessin que par ses articulations à la bande sonore et à la musique, « Orgesticulanismus » est d’une grande inventivité et se construit en trois temps sur une idée assez simple.

Tout est dans ce titre plutôt imprononçable qui semble une sorte de barbarisme formé à partir de plusieurs mots qui frappent : « le geste, la gesticulation », « l’orgasme, l’organisme» et « l’anima animée ». Trois plans de projections qui articulent le film en quelque sorte. « Orgesticulanismus » n’est pas une fiction, il ne raconte pas d’histoire, mais cherche à mettre en scène « le mouvement », du pur mouvement, l’essence même du cinéma. Il n’est pas documentaire, et pourtant il se construit autour d’un témoignage, celui de Benoît Labaye, le père du réalisateur, qui conduit le cheminement du film à travers sa voix en off.

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Mathieu Labaye monte d’abord des photographies d’un enfant qui grandit au fil du temps. Devenu adulte puis vieillissant, cet homme semble s’immobiliser pour s’arrêter enfin, totalement cloué dans une chaise roulante. En voix off, l’homme raconte son expérience : « C’est par le mouvement qu’on s’approprie sa propre vie. Par la liberté d’aller, de venir, d’avoir des gestes d’amour, de colère, peu importe. Quand on est privé du mouvement comme je le suis, si on veut survivre, il faut réinventer le mouvement autrement. ». Comme pour faire œuvre de réparation, « Orgesticulanismus » va frénétiquement reconstruire le mouvement pour le donner à voir, à sentir, l’abstraire enfin, mettant en scène dans le geste, la colère, la révolte, le débordement des énergies, la joie, l’apaisement.

Cette dernière image photographique d’un homme cloué dans sa chaise roulante se transforme en un dessin : le même homme est relié à des fils, immobile toujours, dans sa chaise roulante. Lui succèdent d’autres personnages (petite fille qui descend d’une chaise, vieillard qui se redresse, gros monsieur qui fait pipi), eux aussi reliés à des fils, dont le film décortique le mouvement, le reproduisant plusieurs fois. Répétition mécanique des gestes de petites marionnettes.

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Et puis, voilà que le premier des personnages, celui de la chaise roulante revient, tente de se lever de sa chaise, tombe mais se transforme en un autre personnage. Chaque image désormais sera celle d’un autre corps, d’un individu nouveau. Dans ces multiplications de personnages qui mutent les uns les autres par le vecteur du mouvement, c’est le mouvement lui-même qui se figure, s’échappant de cette toile d’araignée pour s’évader dans une danse de plus en plus frénétique. Sur une musique extrêmement rythmée, entre jazz et electro, signée Fabian Fiorini, ces mutations superposées explorent la richesse des mouvements de la danse, moment de jubilation totale où les corps jouissent de leurs propres possibilités, sortant d’eux-mêmes, en extase, jusqu’à se heurter à leurs limites et exploser. Alors, au-delà même des gestes,  les corps sont devenus  des images abstraites, ronds de couleurs, anneaux flottants, le mouvement s’étant comme libéré, se figurant désormais de l’intérieur, pure sensation, respiration, pulsation.

Anne Feuillère

Article paru sur Cinergie.be

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Franco Lolli, réalisateur de Como todo el mundo

Franco Lolli est sorti diplômé du département Réalisation de la Fémis en 2007. Son film de fin d’études, « Como todo el mundo », a été sélectionné et récompensé dans de nombreux festivals, notamment à Huy, Angers, Poitiers et Clermont-Ferrand où il a remporté en février 2007, le Grand Prix de la Compétition Nationale. Début octobre, il était de retour en tant que juré à Huy, au FIDEC (Festival International des Écoles de Cinéma).

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As-tu vu des films dans ton enfance qui t’auraient incité à te dire : “plus tard, moi aussi, j’aimerais faire du cinéma”?

Franco Lolli : J’ai commencé très tôt à y penser. J’ai 25 ans et depuis l’âge de 14 ans, je sais que je veux faire du cinéma. Je passais beaucoup de temps devant la télévision, et comme j’avais le câble, je regardais énormément de films. Des films comme « Trainspotting », « Forrest Gump » et « Pulp Fiction » m’attiraient. Rapidement, j’ai commencé à fréquenter un ciné-club de Bogota, avec mon meilleur ami. À 14-15 ans, on a réellement découvert le cinéma d’auteur et commencé à voir des films différents, comme « Crash » de David Cronenberg, les premiers films de Verhoeven, « La Grande Bouffe » de Ferreri et les films de Kubrick. Ces films-là et ceux de ma jeunesse m’ont marqué et m’ont donné envie de faire un jour à mon tour du cinéma.

À l’époque, t’intéressais-tu aussi au cinéma colombien ?

Non. Le cinéma colombien est très mauvais. Il ne me parle pas, à l’exception des films de Victor Gaviria vus à deux reprises à Cannes. Il s’agit du seul cinéaste colombien de fiction qui m’intéresse. Je ne sais pas pourquoi le cinéma ne marche pas en Colombie, d’ailleurs ça m’effraye un peu parce qu’à chaque fois que quelqu’un fait un film là-bas, c’est mauvais !

Tu as quitté Bogota pour venir étudier en France, d’abord à Montpellier, puis à Paris (La Sorbonne, La Fémis). Comment s’est effectué ton parcours ?

Je voulais aller dans une école en Europe ou aux États-Unis parce qu’en Colombie, il n’y a pas vraiment de possibilités de faire de bonnes études de cinéma : les profs et les moyens techniques ne sont pas les mêmes. Après le bac, j’ai voulu entrer à la Sorbonne (Paris III) mais la faculté n’acceptait pas d’étrangers âgés de 18 ans. J’ai donc commencé un DEUG de cinéma à Montpellier que j’ai poursuivi à Paris III. Pendant cette deuxième année, je me suis dit que j’allais tenter les examens des écoles européennes. Quand je me suis renseigné sur la Fémis, je me suis dit : « c’est là que j’aimerais être, cette école a les moyens, et les étudiants ont tout le matériel à leur disposition ». J’ai aussitôt pensé que je ne serais jamais pris. Pour passer le concours, il faut avoir fait un Bac+2. Moi, je me suis présenté à 20 ans, je n’avais rien fait dans le cinéma, juste deux courts métrages vraiment amateurs tournés en vidéo en Colombie. En me préparant pour le concours, je me suis dit : « si tu veux entrer là-dedans vu que tu as tout contre toi, il va vraiment falloir que tu bosses beaucoup ». À l’oral, on m’a demandé pourquoi je voulais être réalisateur et qu’est-ce que j’avais de différent par rapport aux autres. J’ai notamment parlé des films que j’aimais et de ceux que je n’aimais pas.

Qu’est-ce que tu avais envie de faire, toi, comme films ?

Moi, je savais que je ferais des films assez réalistes et que je parlerais de ce qui m’interpelle. En termes de rêves, je voulais faire un cinéma asez digne, un cinéma qui s’intéresse aux personnes et aux rapports de classes. À l’examen d’entrée à la Fémis, par exemple, je parlais déjà de l’envie de filmer l’adolescence et les classes sociales. Et quatre ans plus tard, j’ai fait “Como todo el mundo”, un court métrage qui reprend ces thèmes.

Quelle était la liberté accordée à la Fémis?

On a une liberté totale. La seule liberté, c’est celle que nous nous enlevons : c’est nous qui nous mettons les contraintes. Moi, je me suis libéré peu à peu. Juste avant mon travail de fin d’étude, j’ai réalisé un film qui était tout le contraire de ce que j’aurais imaginer faire un jour. C’est une histoire d’amour perçue par le point de vue d’une fille, tourné rapidement en vidéo avec des acteurs du Conservatoire de Paris. Il y a des scènes que je n’aurais pas osé faire dans un autre film parce que tout était au feeling, improvisé. Je ne m’interdisais rien, je faisais ce qui me venait. Je prenais la caméra; si j’avais envie de filmer un œil, je le faisais. Ça m’a beaucoup libéré d’avoir fait ce film : je me suis lâché, je me suis libéré des contraintes, des pressions, des trucs d’ego par rapport à mon propre regard et surtout par rapport au regard des autres.

Comment est-ce que le court métrage y est présenté ? En tant que carte de visite ou en tant que film?

Les professeurs prennent le cout métrage pour ce qu’il est : pour un film. Ils ne se disent pas juste qu’ils vont nous faire faire des courts pour qu’on sache après faire des longs métrages. Un film est un film et si il est court, il est court. Après, évidemment, on est très nombreux à faire des courts et avoir envie de passer au long. C’est très rare, les gens qui ont envie de rester au court toute leur vie, surtout dans une école de cinéma.

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Qu’est-ce qui a été à l’origine de ton film de fin d’études, « Como todo el mundo » ?

C’est un film extrêmement autobiographique. Il a été tourné en Colombie, en espagnol. Il parle de mon milieu social, de ma relation avec ma mère à une époque de ma vie, de mon groupe d’amis, de mes souvenirs de jeunesse. Même si elles sont fictionnalisées, presque toutes les scènes sont arrivées. Même le chien qui apparaît dans le film est autobiographique : c’est le chien que j’avais à Bogota! Cela faisait deux ans que je savais que je voulais tourner en Colombie et quatre ans que l’idée du film trottait dans ma tête. En première année d’étude, j’avais déjà fait une fiction de 10 minutes sur la relation entre un fils et une mère, mais elle se passait en France. Cette fois, mes désirs étaient divers. J’avais très envie de filmer des non professionnels, l’adolescence et les relations entre les classes sociales en Colombie. Je me suis intéressé à une classe très particulière, la bourgeoise, parce que c’est la seule que je connaisse vraiment. Ça, c’est une des choses que j’ai dites à mon oral, au concours d’entrée de la Fémis : il faut raconter ce qu’on connait, ce qu’on a vécu, avoir un lien d’intimité avec ce qu’on filme.

Pourquoi as-tu eu envie de travailler avec des comédiens en partie non professionnels?

J’avais plus envie de travailler avec des amateurs qu’avec des professionnels. Avant « Como todo el mundo », j’ai fait ce film en vidéo avec des comédiens du Conservatoire que j’avais choisi de filmer non comme des comédiens, mais comme des personnes. J’ai voulu les filmer comme ils étaient dans la vie, le plus près du réel, de façon un peu documentaire. Cette manière de procéder m’a convenu, cela m’a donné envie de poursuivre dans la même voie. J’avais fait un autre film avec des comédiens, ça s’était mal passé avec eux, mais j’ai pu sentir une fraîcheur et du cinéma grâce à une scène pleine de figurants, de non professionnels. J’ai eu envie de retrouver ces sensations. Dans mon film de fin d’études, tous les jeunes sont des comédiens non professionnels. Le protagoniste (Pedro Santiago Corrès) est également un amateur. Il n’avait jamais joué avant et n’a pas joué depuis. Par contre, son rôle est très proche de sa vraie vie. Cette proximité entre réalité et cinéma m’intéressait.

Ton film fait 27 minutes. As-tu envisagé de le raccourcir?

J’avais l’argent pour un film de 24 minutes, on a dû se battre pour trouver les fonds nécessaires pour pouvoir le faire dans la durée qu’on considérait comme bonne. Je ne me suis jamais dit que le raccourcir serait meilleur pour sa diffusion. Au contraire : c’était une expérience cruciale de faire le film le plus long possible comme préparation pour la suite.

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L’année passée, « Como todo el mundo » a remporté le Grand Prix de la compétition nationale (française) à Clermont-Ferrand. Avais-tu imaginé une telle récompense dans un festival aussi important ?

À vrai dire, j’ai été tout à fait étonné. Avoir un prix à Clermont-Ferrand semble tellement improbable que tu n’y crois pas vraiment, néanmoins, tu as quand même envie d’y croire un tout petit peu ! À Clermont, les films d’études sont au même niveau de compétition que les autres, ce qui fait qu’on a autant de chances que les autres réalisateurs. C’est difficile d’anticiper, mais c’est possible d’avoir de l’espoir. J’ai trouvé que la qualité de la sélection française n’était pas extraordinaire : il y a des bons films, mais la grande majorité n’est pas bonne.

Pourquoi penses-tu que ces films ne sont globalement pas bons ?

Je pense qu’en France comme dans n’importe quel pays, ce n’est pas possible de trouver 60 bons courts métrages et 60 bons réalisateurs chaque année. La compétition nationale reprend tous les films français tandis que son pendant international recense les meilleurs films, tous pays confondus. La compétition internationale est bien meilleure que la nationale, le niveau n’est vraiment pas le même.

Selon toi, y a-t-il une différence entre être sélectionné dans un festival de courts métrages et dans un festival de films d’écoles ?

Il me semble qu’un festival qui n’est pas spécialisé dans le film d’école a plus de liens avec le monde professionnel réel et que les films sont parfois plus mûrs, mais sincèrement, cela ne veut rien dire. Regarde cette année, par exemple, ce qui s’est passé à Clermont-Ferrand, le festival de courts métrages le plus grand du monde censé être très représentatif du secteur. Il me semble que c’est très symbolique qu’à la fois le grand prix national et le grand prix international (« Auf der Strecke » de Reto Caffi) aient été attribués à des films de fin d’études.

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Tu travailles maintenant simultanément sur deux projets : un moyen et un long métrage. Quel regard portes-tu sur le format court ?

C’est compliqué. Si je ne faisais pas de cinéma, je n’aurais jamais vu de courts métrages. Il y a de très bons courts qui n’auraient pas pu exister sans ce format-là. Pense à « La Jetée » de Chris Marker : ce film-là ne peut exister que comme il existe, c’est-à-dire en court métrage. À Huy, dans la compétition internationale du FIDEC, j’ai aimé un tout petit objet, « L. H. O. », qui ne dure que 3 minutes. Je trouve qu’il faut être très fort pour raconter une histoire sur le monde ou sur quelqu’un en si peu de temps. Moi, par exemple, je ne sais pas comment raconter une histoire en peu de temps, que ce soit en 3 ou en 12 minutes. J’ai besoin de faire de longues scènes de 3-4 minutes comme je les ai vues au cinéma entre 14 et 18 ans, j’ai besoin de voir mes personnages évoluer. C’est pour cela que j’ai en partie envie de m’exercer au format long.

Qu’est devenu ton meilleur ami de l’époque, celui avec qui tu avais l’habitude d’aller au cinéma?

Il fait du cinéma, lui aussi (rires) ! On est venu en France en même temps, il a raté la Fémis trois fois, et comme il avait trop d’orgueil pour faire une autre école de cinéma, il a décidé de se lancer seul. Il est premier assistant sur des longs métrages en Colombie, a un projet de long métrage et a été premier assistant sur presque tous mes films.

Tu es sorti de la Fémis il y a un an. Qu’as-tu retenu de ton passage par cette école?

Avant l’école, mon parcours était théorique : j’avais rêvé du cinéma. En arrivant à la Fémis, j’ai commencé à faire du cinéma. Pendant ces quatre années, j’ai fait des films et j’ai été entouré de cinéastes, donc je retire tout. Même si j’avais des choses à raconter, à exprimer, j’ai tout appris là-bas.

Propos recueillis par Katia Bayer

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Justine Montagner, responsable de la programmation du FIDEC

À Huy, se tient, depuis huit ans, au mois d’octobre, un festival de courts métrages unique en son genre en Belgique : le FIDEC. Ce Festival International des Écoles de Cinéma ne programme que des films réalisés par des étudiants issus d’écoles belges comme étrangères. Cette année, du 14 au 19 octobre, 35 films, venant de 24 pays et 14 écoles, étaient en compétition à Huy. Rencontre avec Justine Montagner, responsable de la programmation du FIDEC.

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Le FIDEC est un festival créé dans le sillon d’un autre festival implanté à Huy. Dans quelles circonstances est-il apparu ?

Justine Montagner :Pendant 40 ans, la ville et le Centre Culturel de Huy ont accueilli un festival de courts métrages amateurs, porté par des bénévoles. L’équipe, fatiguée, avait décidé de terminer en beauté sur un 40ème anniversaire. Ce festival était présidé par Roger Closset, le grand-père d’Audrey Lekaene, notre actuelle présidente. Quand elle a appris que l’équipe arrêtait, Audrey a sollicité plusieurs personnes de son entourage pour occuper ce créneau que le Centre Culturel était toujours prêt à accueillir. Après réflexion, nous avions envie, tout en assumant l’héritage du festival précédent, de proposer quelque chose de totalement différent, et de se démarquer des festivals de courts métrages belges. Nous nous sommes inspirés de ce qui se faisait à l’étranger, et pas encore ici. Audrey avait eu l’occasion d’aller au Festival International des Ecoles de Cinéma de Poitiers [Rencontres Henri Langlois]. Elle est revenue motivée : le créneau était trouvé. Nous nous sommes dit : “pourquoi ne pas décliner ce concept en Belgique, et particulièrement à Huy ? ”. Depuis, nous avons constitué une asbl, le Centre Culturel de Huy s’est associé au projet en nous offrant une structure et un cadre.

Parmi les festivals de courts métrages belges, aucun ne s’intéresse spécifiquement aux films d’écoles, à part le FIDEC. Est-ce que tu n’as pas le sentiment que les programmateurs de festivals ou même le public considèrent ces films comme des essais, des brouillons ?

Peut-être que certains programmateurs craignent que ces courts issus d’écoles de cinéma comportent des “erreurs”. Mais dans les courts réalisés par des professionnels, il peut y avoir aussi des maladresses. Nous, nous avons envie de les montrer, ces films. Cette année, nous en avons reçu 450 soit 100 de plus que l’année dernière. L’offre est énorme, riche et diversifiée : depuis huit ans, nous recevons de plus en plus de films. Pour moi, la majorité des films qui passe à Huy pourrait très bien être sélectionnée dans de nombreux festivals de courts métrages, et pourtant, ils franchissent rarement la barre de la sélection.

Pourquoi ?

Je pense qu’ils sont noyés dans une masse. Ce que je sais, c’est que ce n’est pas un problème de qualité. Sur les 450 films reçus cette année, il y en a vraiment des bons, et je ne m’explique pas que d’autres festivals n’aient pas eu, avant nous, l’envie de les mettre à l’honneur.

Pour quelles raisons ces futurs réalisateurs doivent-ils être davantage mis en évidence ?

Ces futurs réalisateurs sont jeunes, ils ont des choses à dire et un regard à porter sur le monde. Ils ont la possibilité de pouvoir s’exprimer, à eux de saisir cette chance. Dans les écoles, ils ont une équipe, un cadre, et les moyens, pour porter leurs films de l’idée à la réalisation. Ils y trouvent des libertés comme des contraintes. Ceux qui ont vraiment des choses à dire dépassent, subliment, ces contraintes. Malheureusement, pour certains, il n’y aura qu’un seul court métrage car ils ne travailleront plus dans le cinéma. Ils y mettent donc tout leur engagement et leur foi. Même si ces films font partie de leur formation, qu’ils interviennent dans l’accès au diplôme, ils revêtent une importance particulière  pour eux. C’est une implication qu’on ressent très fort au FIDEC.

Est-ce facile de maintenir sa spécificité dans un format déjà spécifique ? Le court métrage est une niche. Vous, vous avez choisi une niche dans la niche !

Ce n’est pas évident. C’est vrai, nous avons choisi une niche dans la niche, dans une petite ville qui n’a pas d’école de cinéma, de surcroît. Nous aurions pu penser à nous installer à Louvain-la-Neuve parce qu’il y a l’IAD, ou à Bruxelles, parce qu’il y a d’autres écoles. Mais le fait de ne pas être attaché à une ville évitait tout conflit d’intérêts. De plus, nous sommes attachés à Huy et plus globalement, à la province de Liège. Même si je suis une adepte de Bruxelles, j’ai envie de croire que des projets ambitieux en termes de culture peuvent se faire ailleurs que dans les grandes villes.

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Au-delà de votre intérêt pour la nouvelle génération, vous cherchez à “tirer la langue aux idées reçues”. Pourrais-tu m’expliquer ce credo ?

Il y a plusieurs niveaux de lecture dans cette expression. Dans la province de Liège, on est le seul festival à exister depuis 8 ans et à avoir conservé la même forme. Cette manifestation, nous voulons la défendre dans cette province, et plus particulièrement dans la ville de Huy. Nous désirons également montrer que le court métrage n’est pas quelque chose d’inaccessible : nos séances sont conçues au regard de critères techniques et professionnels, mais nous envisageons aussi le plaisir ressenti par le public. Enfin, autre idée reçue que nous nous efforçons de combattre : le court métrage n’est pas du sous-cinéma et les films d’école ne sont pas des sous-films.

Qu’est-ce que, selon toi, les réalisateurs tirent de leur expérience au FIDEC ?

En découvrant notre programmation, les réalisateurs nous disent fréquemment : “c’est étonnant de penser que tous ces films ont été réalisés par des étudiants”. J’ai plaisir à croire qu’en voyant des courts métrages réalisés par leurs pairs issus de formations, d’écoles et de pays différents, ces réalisateurs vont évoluer dans leur propre travail. En étant sélectionnés, les réalisateurs présents ont la possibilité d’avoir des retours sur leurs films. Pour certains, il s’agit de la première projection publique, donc des premiers retours. Et puis, il y a l’ambiance du festival : on essaye d’associer à notre événement un aspect convivial, presque familial. Les jurés et les invités se mélangent au public. Comme on travaille avec des jeunes, on n’a pas forcément de stars, du coup, on peut se permettre de loger notre jury sur une péniche-hôtel et pas dans un hôtel 4 étoiles. Le matin, on prend  le petit déjeuner tous ensemble en pyjama : c’est plutôt original ! Quant aux réalisateurs invités, on essaie de les loger dans des chambres d’hôtes, chez des particuliers. On a vraiment envie d’être dans l’humain, la rencontre et la découverte.

Cette année, les films d’étudiants proviennent de 14 pays. Comment vous êtes-vous fait connaître des écoles?

À nos débuts, nous n’avions pas vraiment de réseau. Nous sommes partis de la liste du CILECT (Centre International de Liaison des Ecoles de cinéma et de télévision) avant de découvrir qu’il y avait bien d’autres formations. En France, par exemple, plusieurs écoles d’animation se sont créées, ces dernières années,  autour de l’infographie et du multimédia. Nous essayons également d’être présents à des événements comme Poitiers et Clermont-Ferrand. À Poitiers, nous pouvons faire un important travail de pré sélection, et au marché du film de Clermont, nous pouvons rencontrer les représentants de beaucoup d’écoles.

Le festival est doté d’une compétition internationale et nationale. Est-ce que les écoles belges vous envoient systématiquement leurs films ?

C’est assez particulier. Les institutions structurent peu la présence en festival et l’envoi des films. On serait ravi d’accueillir à chaque fois les enseignants, les directeurs d’école, mais ce n’est pas simple : ils se déplacent peu. Par rapport à l’envoi de films, c’est très variable. L’IAD envoie systématiquement un DVD de la production annuelle, et nous invite à leur projection de films de fin d’études. Pour la première fois en huit ans, l’INSAS nous a également invités à sa projection en juin. En ce qui concerne l’animation, La Cambre, via l’Adifac, nous envoie régulièrement un DVD. Par contre, cette année, les écoles flamandes, KASK comme le Rits, ne nous ont rien communiqué. Ça m’intrigue : ces films existent et représentent la plus belle carte de visite pour les écoles. Pourquoi ne sont-ils pas diffusés ou même inscrits ?

Le FIDEC a deux représentantes au sein du Centre Culturel : Anne Wathelet et toi. En tant que programmatrices, comment l’initiation se passe-t’elle au niveau du court métrage ?

Il y a beaucoup d’appréhension, un problème de méfiance et de méconnaissance de la part du public. Quand une information intéresse les gens, ils peuvent la trouver facilement. Nous, nous avons vraiment un travail inverse à faire : nous vous proposons quelque chose que vous ne recherchez pas a priori mais cela vous intéressera si vous franchissez la salle. Malgré ce pessimisme, nous avons quand même quelques spectateurs dans la salle ! Une partie du public est régionale, et l’autre est festivalière. En tant que Centre Culturel, nous avons des contacts avec beaucoup de gens, des associations et des groupes scolaires de la région. Les autres spectateurs sont des habitués de festivals : nous les voyons à Huy, à Média 10-10, mais aussi à Namur et à Bruxelles. C’est un public intéressé par le court métrage qui se dit que notre projet apporte un autre éclairage au secteur et qu’il a d’autres choses à montrer en matière de films.

Qu’est-ce qui te touche finalement dans le format court ?

Ce qui me touche, c’est l’immédiateté, la rencontre. Moi, j’ai un vrai intérêt pour les récits, les univers. J’ai plutôt tendance à retenir un film dont l’histoire me plaît. D’habitude, j’ai une préférence pour les courts “courts”. Ce qui me heurte, c’est quand un film comporte une bonne idée, mais qu’il fait 15 ou 18 minutes alors qu’il aurait pu être traité en 7-8 minutes. Dans de nombreux courts d’écoles, il y a encore un problème de longueur. Mais cette année, mes coups de cœur, vont à des films plutôt longs. Je me surprends moi-même…

Propos recueillis par Katia Bayer

Article paru sur Cinergie.be

Auf der Strecke (Fausse route) de Reto Caffi

Conte de la lâcheté ordinaire

Rolf, vigile dans une grande surface, est secrètement amoureux de Sarah, la jolie libraire. Assis devant ses écrans de contrôle, il passe ses journées à l’observer par l’entremise des caméras de sécurité. Rolf, solitaire, triste et maladroit, n’ose approcher la jeune femme et ne sait comment attirer son attention. Ses tentatives se soldent par des échecs, son manque de courage et de prise d’initiative prenant toujours le dessus…

Un soir dans le métro, Rolf est témoin d’une dispute entre Sarah et un homme qu’il pense être le nouveau petit ami de la jeune femme. Sarah quitte le véhicule en pleurant, ce qui réjouit Rolf… Mais son amusement est de courte durée : le compagnon de Sarah est agressé par une bande de jeunes délinquants. Au lieu de l’aider, partagé entre lâcheté et jalousie, Rolf descend du wagon, laissant le jeune homme à son sort…

Lauréat d’une flopée de prix dans de nombreux festivals de courts métrages, notamment le Grand Prix de la compétition internationale à Clermont-Ferrand en 2008, « Auf der Strecke » est avant tout un film d’acteurs révélant le talent de Roeland Wiesnekker (Rolf), particulièrement convaincant et attachant dans la peau de ce lâche rongé par le remords qui va devenir un opportuniste par la force des choses.

Au-delà de son casting, « Auf der Strecke » ne dit rien de plus que l’on n’ait déjà vu dans des films de qualité supérieure mais délivre son message avec une certaine finesse. Si l’œuvre est donc très loin d’être révolutionnaire, elle n’en est pas moins de qualité, filmée avec élégance et économie. On pardonnera un score trop explicatif et redondant pour s’intéresser avant tout aux deux acteurs principaux, excellents et à des thématiques particulièrement intéressantes : la lâcheté (Rolf n’est pas le seul à ignorer la mort imminente du jeune homme : d’autres passagers quittent sans vergogne ou par peur le lieu du drame, coupables de non-assistance à personne en danger) la culpabilité, le remords, la solitude… Des thèmes à première vue passionnants, exposés avec brio par Reto Caffi, un jeune réalisateur sorti de la KHM (Haute Ecole d’Art des Médias) de Cologne dont il s’agit ici du film de fin d’études.

« Auf der Strecke » ne va malheureusement pas au bout de ses enjeux et laisse le film inabouti, sur une interrogation. Rolf ne révèle donc jamais à Sarah son secret honteux, ce qui d’un point de vue scénaristique ne fonctionne pas et laisse le spectateur sur sa faim. Dommage, car le réalisateur s’avère néanmoins doué pour installer un dilemme passionnant. « Auf der Strecke » est une œuvre intéressante et réalisée par une équipe talentueuse, mais qui aurait sans doute bénéficié d’un quart d’heure supplémentaire.

Grégory Cavinato

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Kilka prostych slow (Quelques mots simples) d’Anna Kazejak-Dawid

Krystyna est une jeune femme indépendante mais aussi une mère totalement irresponsable. Convaincue du don artistique de sa fille membre d’une chorale, elle l’emmène, contre son gré, à un casting de girls band. Sur place, celle-ci renie publiquement sa mère.

Gagnant du Prix Roger Closset à la dernière édition du FIDEC (Festival International des écoles de cinéma), ce court métrage de plus de 30 minutes raconte avec justesse et force la relation difficile entre une mère célibataire et sa fille adolescente qui se toisent, s’affrontent se heurtent jusqu’à se détruire. « On ne choisit pas ses parents, on ne choisit pas sa famille » pourrait être le leitmotiv de ce drame social.

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Au lieu de s’engouffrer dans les abîmes du pathos, Anna Kazejak-Dawid, jeune réalisatrice polonaise ayant étudié à Lodz, à l’Ecole Nationale de Pologne, joue la carte de la pudeur par l’intermédiaire de comédiennes à l’interprétation irréprochable (Agata Kulesza et Marlena Kazmierczak). Tout au long de ce roadmovie, mère et fille transportent leurs blessures comme unique bagage : celui d’une seule et même souffrance de deux êtres incapables de communiquer.

Marie Bergeret

Eine geschichte mit Hummer (Une histoire avec Homard) de Simon Nagel

Bruno (Stephan Witschi), la quarantaine bedonnante, est un petit représentant en sapins de Noël musicaux. Un peu gauche, pas très adroit, il est… le Grand Blond avec un homard ! Un homard ? Disposé à avancer sentimentalement, Bruno reçoit une amie à dîner. Au moment de plonger un homard dans une casserole, il suspend son geste. Quand son invitée arrive, elle découvre le crustacé en train de patauger gaiement dans la baignoire.

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Sorte de poème de l’absurde, plus proche du comique à la Bourvil qu’à la de Funès, ce petit film tout droit venu de Suisse, émeut par son héros attachant et attendrissant. L’humour naît de situations contrastées et non de la simple moquerie. Filmée dans un décor très sobre privilégiant les plans d’ensemble aux plans rapprochés, « Une histoire avec homard » met l’accent sur la mise en scène. Les dialogues sont quasi absents, la musique, loin de se limiter à illustrer les images, joue un rôle prédominant. Elle permet d’identifier le personnage à l’instar du début de « Mon Oncle » de Tati : le choix des cuivres souligne le côté comique et léger des situations vécues par Bruno. Ce parti pris esthétique rapproche le film des muets d’antan plus que des grosses productions à l’effet surabondant.

En observateur compatissant d’une société individualiste où les personnes seules ne trouvent pas forcément leur place, l’auteur a préféré l’humour à la tragédie et la fiction au documentaire. Ce qui fait du film de fin d’études de Simon Nagel, sorti en 2008 de l’école ZHdK (Zürcher Hochschule der Künste) de Zürich, une réelle bouffée d’air frais à respirer sans modération.

Marie Bergeret

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Milovan Circus de Gerlando Infuso

Tours et détours

Dans son film de troisième année, « Margot » (Prix Jury Jeunes au Festival d’Annecy), Gerlando Infuso, étudiant à La Cambre, avait développé un récit autour d’un personnage partagé entre la folie et le froid. Un an a passé, une nouvelle idée a poussé, celle d’un artiste de cirque en proie au rejet et à la vieillesse. Avec « Milovan Circus », Gerlando Infuso renoue avec le sentiment de solitude, la poésie du sombre et l’animation en volume, éléments qui avaient contribué à la qualité de son court métrage précédent. Le film a séduit le Jury au dernier Festival Média 10-10, puisqu’il a obtenu le Prix de La Meilleure Bande Sonore, et le Prix de l’Image Numérique.

Nuit noire, rues désertes, rêves et cauchemars. Dans les cages et roulottes du Milovan Circus, on dort déjà, ou on est sur le point de mettre son pyjama, juste après s’être démaquillé ou avoir craché le feu une dernière fois. Le vent, lui, travaille encore : un souffle suffit à décoller une affiche et à en dévoiler une plus ancienne, celle d’une gloire passée, le Grand Iakov. Torse et pieds nus, celui-ci apparaît, vieilli et affaissé, dans le reflet du miroir fissuré de sa table de maquillage. En suivant le contour de ses rides, Iakov se met à se remémorer sa vie : son don pour la magie révélé pendant son enfance, ses débuts remarqués au cirque, sa célébrité croissante, ses sentiments naissants pour une collègue acrobate, son éviction de la piste au profit d’une “innommable créature”, et sa reconversion en mime de rue.

« Milovan Circus » est intéressant à plusieurs égards. Au niveau de la forme, Gerlando Infuso, interviewé après le Festival d’Annecy au sujet de « Margot », expliquait qu’après s’être essayé à plusieurs procédés, il s’était enfin trouvé avec l’animation en volume. « Milovan Circus » prouve qu’il a eu raison de poursuivre dans cette voie : ses marionnettes sont tout aussi vivantes, sombres et poétiques d’un film à l’autre. Avec une nuance : « Margot » se construit sur base d’une voix-off censée représenter le monologue intérieur et obsessionnel du personnage principal, tandis qu’aucun son, si ce n’est musical, ne sort de « Milovan Circus ». Les scènes en flash-back et le regard perdu et vide du héros déchu racontent l’intériorité, les mots et les épreuves. Confrontée au succès éphémère et à ses effets pervers (déconvenue de l’artiste, solitude, rejet, oubli, …), la marionnette Iakov rappelle avec une certaine émotion Calvero, ancienne vedette comique de music-hall interprétée par Chaplin dans « Limelight », (Les feux de la rampe). Un autre laissé-pour-compte de la réussite.

Katia Bayer

Article paru sur Cinergie.be

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