Membre du jury au dernier festival du court métrage de Bruxelles, le comédien Serge Riaboukine est connu pour ses collaborations avec Pierre Salvadori et Manuel Poirier, mais aussi pour sa participation à plusieurs courts métrages remarqués en festival (« La Leçon de guitare », « Tout est bon dans le cochon », « La Copie de Coralie »). Rencontre avec un gouailleur sensible.
As-tu tu des souvenirs de cinéma reliés à ton enfance ?
J’ai eu la chance qu’un ami de la famille, un russe, Monsieur Merkouloff, m’emmène au cinéma tous les dimanche. Dans le bled paumé où je suis né, il y avait des projections de nanars. J’ai des souvenirs de trucs complément improbables, avec ce Monsieur. J’ai été marqué par des films de science-fiction japonais à chier. Il m’emmenait aussi voir les de Funès, donc j’ai découvert le cinéma un peu comme ça. Il y a eu la télé évidemment. À l’époque, quand on voyait un film à la télé, on s’en souvenait. Comme il n’y avait qu’une chaîne, quand un film était diffusé, c’était un événement. Mais le plus marquant, forcément, reste les expériences dans les salles de cinéma. Le grand choc, c’est quand tu découvres un auteur et un cinéma. Pour moi, ça a commencé par « Le bon, la brute, et le truand », puis, il y a eu tous les autres films de Sergio Leone, « Leni », et « L’important, c’est d’aimer ».
À quel moment, t’es-tu dit que tu avais envie de te rapprocher du cinéma ?
Oh, j’ai eu une révélation, tout jeune. Je me suis dit : “c’est ça que je veux faire”. Ca m’est paru comme évident. Après, j’ai mis du temps à me décider. À l’age de 16 ans, j’ai dit : ça, y est, je vais faire ça, d’une façon concrète après avoir vu « Leni » et « L’important, c’est d’aimer ». Ces deux films ont été les déclencheurs.
Tu savais que tu voulais faire comédien ou tu avais d’autres envies ?
Comédien et réalisateur, les deux. Comédien, ça m’est apparu comme étant plus facile, et réalisateur, plus difficile. La preuve, à 51 ans, je n’ai toujours rien réalisé. Mais si avec le seul film que je ferai, je fais le même effet, que m’ont fait « Orange Mécanique », « Leni », « Le bon, la brute, et le truand », ce n’est pas la peine de faire d’autres films. Un seul suffira. Donc je préfère prendre mon temps pour faire le bon film (rires)!
Tu réfléchis à ça ? Tu es en train d’écrire ?
J’ai pris la grande décision de me dire que je n’allais pas écrire, le premier. Ma compagne est scénariste. C’est elle qui écrira le film que je vais réaliser. J’écrirai plutôt le second, ce qui m’évitera de tomber dans le piège du film d’auteur où on met tout, et après, on est un peu creux, un peu vide. Je vais m’investir, parce que c’est le premier, mais moins que si c’est une histoire que j’écris. C’est une manière, je pense, d’échapper au syndrome du second film. J’étudie ça depuis longtemps. J’ai fait beaucoup de premiers films, avec des jeunes réalisateurs que je trouve magnifiques, et j’ai été déçu devant leur second film. Je me demande comment ces gens qui ont tant de talent se plantent mais c’est le syndrome du second film, c’est très dur d’y échapper. J’ai compris qu’il ne fallait pas que j’écrive.
Ce sera un long ou un court ?
Un long. Ce sera un film de genre, un film noir. Cela dit, quand je vois des courts métrages au festival, je me dis qu’un court, ça peut être un véritable coup de poing, et que je ferais bien un court métrage aussi. Ca me tenterait bien, alors que je me suis toujours dit que j’allais faire le long en premier. Pour faire un film, quelqu’il soit, long ou court, il faut remuer ciel et terre alors, je me suis dis autant le faire pour un long. Mais en même temps, si jamais il me vient une idée de court métrage que j’écrirais par contre, je le ferais volontiers.
On t’en propose beaucoup, en tant que comédien, des rôles dans des courts métrages ?
Oui, on m’en propose beaucoup, d’autant que j’ai eu la chance de faire, coup sur coup, quelques très bons courts métrages (« La Leçon de guitare », « Tout est bon dans le cochon », « La Copie de Coralie ») qui ont voyagé dans énormément de festivals, et qui ont reçu des prix. Depuis « La Leçon de guitare », beaucoup de propositions me sont parvenues. J’en avais toujours eues, mais là, ça c’est multiplié, mais je les ai déclinées assez souvent parce qu’il faut vraiment qu’un film me plaise pour que j’ai envie d’y jouer. Je ne cherche pas à faire un film pour le faire. Il faut qu’il y ait beaucoup de conditions. Il faut que je sente que ce n’est pas gratuit. Parfois, ça correspond à des attentes. Par exemple, le scénario de « La Leçon de guitare »est arrivé au bon moment. J’avais envie de chanter, je me suis dit : “voilà l’occasion de le faire”.
As-tu des critères ?
Aucun. Oh ben non, le critère, c’est que ça me plaise. C’est comme si tu me demandes de choisir entre une blonde, une brune ou une rousse. Si elle me plaît, elle peut même être chauve, ça m’est égal. Là, pareil, ça peut être une comédie musicale, un western, un film noir, un film d’horreur, un film gore, …Je n’ai pas de genre de prédilection.
Est-ce qu’à un moment donné, il y a un risque pour un comédien d’avoir une sorte d’étiquette de comédien de court métrage ?
Oui, ça peut arriver parce que les gens sont assez cons pour mettre des étiquettes. Moi, je ne veux pas avoir d’étiquette, donc quelque part, je fais attention à ça. Je suis probablement aussi con que ceux qui mettent des étiquettes puisque je fais attention à ne pas en avoir. En attendant, j’alterne les courts et les longs, je fais des téléfilms. Je prends ce qui me vient, mais je ne peux pas totalement décider de ma carrière. Je ne suis pas encore Nicole Kidman. Pour y arriver, il va me falloir beaucoup de travail !
Tu as senti une évolution de la place du court métrage tout au long de ta carrière ?
Oui, parce qu’à un moment, dans les années 80, j’en ai fait beaucoup, énormément même. On m’appelait le “Depardieu de l’IDHEC” à cette époque qui coïncidait avec celle du grand Depardieu et du grand IDHEC qui n’était pas encore la Fémis. Pendant une année, j’ai fait 6 ou 8 courts métrages, sans suite : c’étaient des films d’école. Moi, je les faisais pour apprendre mon métier en me disant que je ne risquais pas grand chose, et en même temps, je m’entraînais avec la caméra. À cette époque, je faisais beaucoup de théâtre, et pas tellement de cinéma. Là, grâce à l’IDHEC, j’ai appris plein de choses sur la caméra, et sur la façon de jouer au cinéma. Avec le temps, j’ai vu évoluer le court métrage et devenir quelque chose de plus important. Par exemple, je me suis rendu compte que plus de gens m’ont vu dans « La Leçon de guitare » que dans des longs métrages, même importants, dans lesquels j’ai joué.
Si on prend « La Leçon de guitare » et « La Copie de Coralie », le rapport au chant est très différent : dans le premier, c’est un play-back et dans le second, par contre, c’est un son direct.
Dans « La Leçon », on a été obligé de passer par le play-back, parce que c’était très difficile de jouer de la guitare et de chanter en même temps en live. Si j’avais eu une quelconque prédisposition, un quelconque talent à la guitare, on aurait pu se permettre de faire du live, mais là, ce n’était pas possible. J’étais très mauvais à la guitare, je ne savais pas du tout en jouer avant le tournage. Le comédien qui interprète le professeur dans le film est en réalité un vrai guitariste et un vrai professeur. Pendant plusieurs semaines, il est venu chez moi pour m’apprendre Laetitia. J’étais donc dans la vraie position du personnage. Chanter en studio, par contre, a été très facile. Ce que je trouve très fort, c’est qu’on ne se rend pas du tout compte que c’est un play-back. On peut croire que le play-back est une sécurité, mais il faut être très bon, surtout pour le play-back des doigts. J’ai fait des efforts afin que les 1% de guitaristes qui auraient vu le film y croient. Par contre, « La Copie de Coralie », c’était en direct, et il a fallu beaucoup, beaucoup travailler.
Est-ce dû en partie à la musique du compositeur du film, Philippe Poirier, qui n’est pas réellement chantée ?
Oui. C’est une musique qui est très difficile, et en même temps, très agréable. Pendant qu’on travaillait, j’ai beaucoup pensé à l’homme à la tête de chou, au Paris chanté de Gainsbourg. Chez Poirier, il y avait une espèce de décontraction et en même temps, une façon d’appuyer sur certains trucs. Dans « La Copie », j’ai un long plan séquence, un monologue chanté. Le faire, ce n’est pas si dur que ça. Le problème, c’est le faire sans s’arrêter (rires) ! J’étais fier d’y être arrivé, mais Engel, il a dû se tirer les cheveux, parce que j’ai eu des moments difficiles. Même Jeanne Cherhal qui est chanteuse, a eu des petites difficultés à s’acclimater à cette technique de chant. Mais c’est ce qui fait toute la valeur du film. Ce n’est pas Jacques Demy, on est ailleurs. C’est surprenant, la façon dont le chant entre petit à petit dans l’histoire, alors que dans les comédies musicales, ils ne se prennent pas la tête des fois : ils parlent, puis d’un coup, sans prévenir, ils lancent la musique, et ils chantent.
Qu’est-ce qui t’a décidé à t’impliquer dans ce projet ?
Quand j’ai reçu le projet, j’ai dit : “oh, putain !”. Moi, je suis fou de comédies musicales qui ont révolutionné le genre à chaque fois. du genre West Side story ou les Blue Brothers. Quand j’ai vu « Les voiliers du Luxembourg », le premier film de Nicolas, je n’ai pas été plus motivé que ça, parce que j’ai un rapport conflictuel avec Jacques Demy. Quand j’étais petit, ma mère et mes soeurs m’ont emmené voir Les Parapluies, et j’ai pleuré, et j’ai dit : “ça, c’est du cinéma de gonzesses!”. Rétrospectivement, je pense que j’ai refusé d’admettre que ça me touchait, et sans savoir pourquoi, j’ai gardé ce blocage à la con. En fait, je crois que c’est plus lié à la musique de Legrand qu’à Demy. Demy, c’est quand même lyrique, beau, lumineux, et gai, alors que Legrand, c’est pompeux, ça me gave. Du coup, dès que quelque chose y ressemble, j’ai une espèce de rejet. Mais comme Nicolas m’a dit qu’il allait déstructurer la musique, et qu’il y aurait des sons de photocopieuses qui rentreraient petit à petit dans le rythme, j’ai dit oui.
Tu joues souvent des personnages plutôt fragiles, pas forcément dans leur environnement, un peu gauches. Ce sont des rôles que tu affectionnes ou on t’en propose beaucoup, des rôles comme ça ?
Les fragiles, j’aime beaucoup ça. Mon rêve, c’est de faire aussi des rôles fragiles dans des comédies. Bizarrement, il n’y a que les cinéphiles qui savent que je peux être bon dans ce registre, il y en a beaucoup qui se laissent berner par l’image de l’homme fort qu’on me donne à jouer, qui n’est pas moi. Moi, je ne suis pas un homme fort, même si ce n’est pas à moi de le dire. Enfin, si, un peu d’embonpoint, peut-être (rires) ! Dans les films de Poirier, de Salvadori ou dans « La Tour Montparnasse infernale », je joue des méchants ou des forts un peu cons qui font rire. Les rôles de méchant, c’est bien, mais moi, je veux faire la victime, le gentil con comme je suis dans la vraie vie. Le type qui ne sait pas s’exprimer, et qui est maladroit, ça, ça m’intéresse. Et ça marche d’enfer, parce que quand tu es grand comme ça, le spectateur ne s’attend pas à avoir un gentil con, en face de lui !
Question sur ta présence au festival. Tu suis les projections, en tant que juré. Est-ce que tu as réussi à être surpris, à sentir une originalité dans les films ?
C’est très délicat. On est humble dans un festival de courts métrages. Souvent, quand on voit un très bon film, ça galvanise, on a envie de faire ce métier, en se disant : “je vais faire pareil”. Quand on voit un mauvais film, on hésite à faire du cinéma, on se dit : “merde, c’est dur quand même”. Il y a beaucoup plus de mauvais films que de bons. Il faut vraiment oublier les mauvais, et penser aux bons.
Il faut avouer que plus on avance en âge dans le métier, plus on a du mal à être surpris. Les émotions dues aux films que j’ai cité au début, ce sont des émotions que j’ai eues en étant jeune, en étant “pur”, novice. Devant un travelling, mes poils se hérissaient, un mouvement de caméra me rendait fou… Je regrette d’ailleurs de ne pas avoir eu le courage et l’audace de réaliser quelque chose à ce moment-là, parce que je suis sûr que j’avais une sensibilité avec la caméra que j’ai perdu. Aujourd’hui, j’en ai le souvenir, mais je n’en ai plus la vraie émotion. Ici, c’est pareil : je vois des films, et ceux qui me surprennent, ce sont ceux qui osent et qui ont un ton. Pour certains, on sent vraiment le sujet, pour d’autres pas. Je trouve que les préoccupations des réalisateurs sont souvent terre à terre, et que les films sont anecdotiques. Personnellement, ce qui m’a surpris, c’est la spontanéité des acteurs dans des situations données par l’écriture, et le metteur en scène. Celui-ci les amène à faire des actes que je trouve vraiment géniaux.
Est-ce que tu as besoin d’être beaucoup dirigé ?
Ah non, moi, je n’aime pas trop qu’on me dirige.Par contre, j’aime bien qu’on me donne, comme dans un parcours de ski, des indications. Il y a des metteurs en scène qui sont très directifs, qui te font refaire plein de prises, et petit à petit, tu te trouves en étant libre, et il y en a d’autres qui te font chier pour la façon de parler, et de jouer. Grâce à Dieu, je les éloigne ceux-là. Ils ne me font pas de propositions, parce qu’ils ont peur de moi, je pense ou parce qu’ils savent que ça ne va pas être possible. Et moi, quand je les vois venir, je sais que je ne vais pas travailler avec eux. Ca m’emmerde les scolaires qui sont chiants sur le texte et qui ont envie qu’il soit restitué tel qu’il est écrit. Moi, je ne suis pas du genre à transformer le texte, j’ai même beaucoup de respect pour ça, mais il n’y a pas de musique préétablie dans un rôle.
Quels sont tes prochains projets ?
Je vais jouer dans le premier long métrage de Teddy Modeste, un jeune réalisateur sortant de la Fémis. Le film aborde l’univers des pentecôtistes, des gitans chrétiens, et je vais y jouer un prêtre pentecôtiste. C’est un rôle extraordinaire, j’en attends beaucoup. Sinon, je suis en train de faire un téléfilm, « Les vivants et les morts », avec Gérard Mordilla pour France 2.
Tu es là par rapport au court métrage. Question carte blanche : qu’est-ce qui t’intéresse dans ce format ?
C’est que tout est possible. J’ai l’impression qu’on peut plus facilement faire des choses totalement incorrectes dans un court métrage plutôt que dans un long métrage, parce qu’il n’y a pas d’enjeu économique
Il y a plus de liberté ?
Oui, je crois. Je crois d’ailleurs que ce qui manque pendant l’élaboration d’un court métrage, c’est la conscience de cette liberté.
Propos recueillis par Katia Bayer et Thierry Lebas
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