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Izù Troin. La débrouille et le son du pinceau

Pays de mots, arbres à lettres, livres interdits, idées reçues, émotions-frissons, … Nourri par des mélodies, des typographies, et des idéogrammes variés, « Le Bûcheron des mots » est un film poétique à la croisée de plusieurs imaginaires, rencontres, et cultures. Interview à Annecy, avec Izù Troin, son réalisateur.

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Les rames, les ailes, le désir

Enfant, j’ai d’abord découvert le cinéma en prises de vues réelles. Curieusement, les films d’animation m’effrayaient. Mes parents m’avaient offert un livre, La traversée de l’Atlantique à la rame, de Jean-François Laguionie. Je le lisais tout le temps, et le connaissais par coeur. Plus tard, j’ai vu l’adaptation de La traversée au cinéma (J-F Laguionie), et « Les ailes du désir » de Wim Wenders. Tous deux m’ont marqué et donné envie de faire du cinéma. Comme la vue réelle me paraissait trop compliquée, j’ai choisi l’animation.

Tremblements et bouts de ficelle

À 14 ans, j’ai fait un petit film, « Conte d’une nuit d’hiver », en Super 8. Deux ans plus tard, j’ai contacté la Fabrique, le studio d’animation créé par Jean-François Laguionie à Montpellier. J’ai montré mon film à Bernard Palacios, un réalisateur qui m’a dit : “c’est bien, mais il faut tout refaire, parce que ça tremble dans tous les sens”. Il m’a prêté une caméra 16mm et j’ai retourné le film. J’ai appris à me servir de la caméra, et après, je me suis débrouillé, dans ma chambre, avec des bouts de ficelle et des livres. J’ai constitué un banc-titre pour filmer des cellos qui n’étaient même pas des cellos. Je ne savais pas ce que c’était, alors à la place, j’ai utilisé des rodoïdes qu’on trouve en papeterie. Et pour payer la pellicule, j’ai utilisé l’argent que mon grand-père m’avait donné pour passer le permis. J’ai payé la pellicule avec, et au bout du compte, je n’ai toujours pas le permis !

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Les Beaux-Arts

Naïvement, après le bac, j’ai tenté l’examen d’entrée des Gobelins, sans rien préparer. Je me suis retrouvé, dans une salle, entouré de gens qui ne voulaient faire que de l’anim’, et je me suis aperçu que cela ne m’intéressait pas du tout. Sur un film, je préfère travailler le cadre, la lumière, ou le storyboard, que de d’animer les personnages. Je n’ai pas été pris, mais cela ne m’a pas déçu. Comme à l’époque, il n’y avait pas d’écoles comme la Poudrière ou l’EMCA [École des Métiers du Cinéma d’Animation], j’ai fait les Beaux-Arts en attendant de trouver ma voie. Pendant mes études, je faisais de l’art contemporain très conceptuel, et des films expérimentaux. J’apprenais aussi à me servir d’outils et de logiciels, mais ce qui me manquait vraiment, c’était de pouvoir raconter une histoire. Pendant mon cursus, la Poudrière a vu le jour. J’ai réussi le concours, et j’ai laissé tomber les Beaux-Arts, parce que la formation me correspondait beaucoup mieux. C’était le tout début de l’école; je fais partie de la deuxième promotion de la Poudrière.

La Poudrière

La Poudrière était, à l’époque, une école vraiment à part. Il n’y avait pas d’autres formations pour devenir réalisateur en animation. C’était de l’expérimentation pour tout le monde, pour les professeurs comme pour les élèves. Au début, on n’a pas été beaucoup d’étudiants à se présenter à l’examen d’entrée. Encore aujourd’hui, beaucoup de jeunes gens préfèrent une école comme les Gobelins, probablement, parce que il y a plus de débouchés quand on en sort et qu’on peut trouver du travail en tant qu’animateur, en tant que technicien de l’image. À la Poudrière, c’est un peu plus risqué : quand on en sort, on est censé être réalisateur, sauf que souvent, on ne l’est pas. On travaille sur d’autres productions ou on devient assistants.

Folimage

En sortant de La Poudrière, je suis entré à Folimage. Pendant plusieurs années, j’y ai fait de la conception de génériques et un peu de compositing sur des courts et un long, « Mia et le Migou ». Depuis la fin de mes études, j’avais un projet de film, « Ceux d’en Haut ». Il s’agit de l’adaptation de L’auberge, une nouvelle de Guy de Maupassant. J’ai soumis le projet à Folimage, mais comme on n’a pas eu l’aide du CNC, le projet a été mis en standby. Sans budget, le film ne peut malheureusement pas se faire.

Les mots dans les arbres

« Le Bûcheron des mots » est né par hasard. Un jour, une amie réalisatrice, Olga Marchenko, m’a dit : “j’ai une idée qui t’irait bien. Pourquoi ne ferais-tu pas un film dans lequel les mots pousseraient dans les arbres ? “ Elle a dessiné un arbre orné de lettres. Mon style est plutôt réaliste, ce n’est pas celui du « Bûcheron ». Je lui ai dit que cette histoire la correspondait mieux qu’à moi. Elle a insisté : “non, ce n’est pas pour moi, cette histoire. Elle te ressemble plus. Prends-la et fais-en ce que tu veux.” À partir de son idée, j’ai développé une trame d’histoire. Comme je n’avais aucune dramaturgie, j’ai demandé à une scénariste, Isabelle Blanchard, de travailler sur le projet, et je l’ai présenté à Folimage. Cette fois, on a eu le CNC.

La typo

Cela fait plusieurs années que je conçois des génériques, et j’aime beaucoup y inclure de la typographie. « Le Bûcheron des mots » a été une occasion intéressante de développer une histoire avec de la typographie, de ne pas faire un générique de 11 minutes, mais presque ! Je me suis dit qu’il y avait quelque chose à faire autour des mots et des arbres. J’ai commencé à faire des recherches, du côté des enluminures japonaises et de l’histoire médiévale, pour constituer le décor, le graphisme, et l’ambiance du film.

Le son du pinceau

J’ai eu envie d’utiliser, à un moment, des idéogrammes dans les décors. Le film commence avec un idéogramme de “mélancolie” en japonais, et se termine avec le mot “ressentir une émotion” en chinois. J’ai demandé à Hefang Wei, une amie chinoise, étudiante de la Poudrière, de peindre de la calligraphie pour l’utiliser dans le film. En la voyant travailler, je me suis dit que ce serait intéressant d’utiliser le son de son pinceau. J’en ai parlé à Loïc Burkhardt, responsable de la conception sonore du « Bûcheron » qui trouvait l’idée intéressante, et qui s’interrogeait, tout comme moi, sur le résultat.

Hefang Wei est venue à Folimage. Elle s’est installée, avec sa table et son pinceau, dans la cabine d’enregistrement où on enregistre habituellement les voix au studio. On a placé le micro très, très près du pinceau, et on a fait différents essais (avec plusieurs types de pinceaux et de papiers, avec de l’eau, …). Cette calligraphie sonore a servi à plusieurs moments dans le film, dans les bruitages et les ambiances notamment.

Les livres, la liberté

Dans le film, on retrouve des références à certaines périodes de l’histoire à travers l’interdiction et la destruction des livres. « Le Bûcheron » touche à l’idée de la liberté, à la censure, à la différence, à la peur, et aux livres interdits. La peur des livres revient assez souvent, à de nombreuses époques. J’ai travaillé sur ce projet avec des personnes qui ont vécu, directement comme indirectement, le manque de libertés et certaines répressions. Olga Marchenko, à l’origine du film, vient de Biélorussie, Serge Avedikian, le narrateur, est arménien, et Aldona Nowowiejska, la compositrice, est polonaise. Elle a connu une époque où certains livres circulaient avec de fausses couvertures. Les sensibilités propres à leurs cultures ont nourri en partie le film et m’ont donné un point de vue différent sur le récit.

Musique Babel

« Le Bûcheron des mots » est habité par des “arbres à mots” issus de différents pays et alphabets. De même, la musique, très présente dans le film, mêle plusieurs langues. Par hasard, en cherchant des musiques slaves, je suis tombé sur le site Internet d’une chanteuse polonaise, Aldona Nowowiejska. Je lui ai envoyé un mail, elle a lu le scénario, et a accepté de participer au film. Comme elle est polyglotte, elle était en mesure de faire ce mélange de langues. Les chansons sont en grande partie en polonais sauf une, celle des souvenirs, dans laquelle chaque mot est lié à une langue différente. La phrase commence en hindi, se poursuit en japonais, puis en chinois, etc. Pour comprendre la phrase dans son entièreté, il faudrait connaître toutes les langues utilisées. Je suis un des seuls à en connaître la traduction !

En cours et à venir

Depuis près de sept ans, je travaille sur « Ceux d’en Haut ». C’est un film très sombre de 25 minutes en animation traditionnelle qui est très difficile à financer. À l’heure actuelle, je n’ai plus de producteur, mais 8 minutes du film sont terminées. J’espère l’achever bientôt. J’ai d’autres projets en tête : un court métrage en vue réelle : « Larmes » et une version longue du « Bûcheron des mots ». Isabelle Blanchard, la scénariste du film, a commencé à en écrire le scénario. L’histoire sera assez différente, mais inclura le même univers et le même graphisme que le court métrage.

Propos recueillis par Katia Bayer

Consulter les fiches techniques de « La Traversée de l’Atlantique à la rame », du « Bûcheron des mots », ainsi que le blog d’Izù Troin

B comme Le bûcheron des mots

Fiche technique

Synopsis : Dans un pays où les habitants se nourrissent de lettres et de mots cueillis dans les arbres, Nadal, un bûcheron des mots, fait une rencontre qui change sa vie…

Genre : Animation

Durée : 11’20’’

Pays : France

Année : 2009

Réalisation : Izù Troin

Scénario : Isabelle Blanchard

Technique utilisée : Ordinateur 2D

Graphisme : Izù Troin

Storyboard : Izù Troin

Layout : Izù Troin

Décor : Izù Troin

Animation : Izù Troin

Camera : Izù Troin

Compositing : Izù Troin

Musique : Aldona Nowowiejska

Son : Loïc Burkhardt

Montage : Hervé Guichard

Production : Folimage

Article associé : l’interview d’Izù Troin

T comme La Traversée de l’Atlantique à la rame

Fiche technique

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Synopsis : Au début, il ne s’agissait que de traverser l’Atlantique à la rame, un exploit comme un autre… Mais certains voyages durent toute une existence et la vie à deux (dans un espace réduit) n’est pas facile… Aussi faut-il sauver les apparences !

Genre : Animation

Durée : 21’

Pays : France

Année : 1978

Réalisation : Jean-François Laguionie

Scénario : Jean-François Laguionie, M. Gaspari

Musique : Pierre Alrand

Animation : Jean-François Laguionie

Technique utilisée : papiers découpés

Voix : Charlotte Maury, Jean-Pierre Sentier

Production : INA – Institut National de l’Audiovisuel, Médiane Films

Distribution : Les Films Saint André des Arts

Article associé : l’interview d’Izù Troin

Festival Expotoons 2009 : Envoyez vos films d’animations avant le 30 septembre

La 3ème édition du Festival International d’Animation Expotoons se tiendra du 25 au 28 novembre à Buenos Aires (Argentine). À la demande de plusieurs boîtes de productions et de studios indépendants, Expotoons a repoussé au 30 septembre sa date limite d’inscription de films pour la compétition officielle.

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Les catégories concernées sont :

– Les longs métrages : films d’une durée supérieure à 60 minutes
– Les courts métrages : films d’une durée inférieure à 60 minutes ne faisant pas partie d’une série.
– Les films de publicité
– Les séries télévisés : trailer, plus un chapitre requis
– Les courts métrages d’école : films de fin d’année

Deadline : 30 septembre. Pas de frais d’inscription

Plus d’infos sur www.expotoons.com

Hanna Heilborn : « Ce n’est pas évident de placer un micro et un enregistreur devant un enfant qui a une histoire difficile à raconter »

En 2003, Hanna Heilborn et David Aronowitsh ont recueilli le témoignage de Abouk et Machiek, deux anciens enfants esclaves, victimes de la guerre au Soudan. Le résultat, « Slavar » (Slaves) est un film suédois, dur, et nécessaire, lauréat du Prix Unicef et du Cristal d’Annecy, qui démunit son spectateur, par son sujet, ses voix, et ses regards. Entretien avec Hanna Heilborn, co-réalisatrice du film.

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Quel a été ton parcours avant de te lancer dans la réalisation ?

Je me suis formée à l’écriture dès le début. À 20 ans, j’écrivais des textes à but commercial en tant que conceptrice-rédactrice. Je collaborais aussi à Save the Children, une ONG qui défend les enfants maltraités à travers le monde. On montait des campagnes pour trouver des fonds, et sensibiliser les gens aux problématiques des enfants. L’association traitait de tout, de l’inceste en Suède à la guerre en Yougoslavie.

Par la suite, j’ai suivi un programme à la New York Film School, où j’ai pratiquement tout appris sur le cinéma. Après, je me suis inscrite à un cours de scénario au Dramatic Institute de Stockholm. Lors d’un de mes cours d’écriture, j’ai rencontré David [Aronowitsch], qui est le co-réalisateur de « Slaves » et de « Hidden ». À l’époque, nous voulions écrire un long métrage sur une histoire vraie, mais nous nous étions rendus compte que le sujet était plus approprié pour passer à la radio. Nous avons donc décidé de faire un documentaire radio. Au même moment, pendant nos recherches, nous avons rencontré Giancarlo, un enfant péruvien, réfugié et clandestin en Suède. Nous venions de trouver le son de « Hidden », en l’interviewant. David a alors eu une idée : le contenu de la bande son était très puissant, mais nous ne pouvions pas l’utiliser dans son entièreté à la radio. L’idée du documentaire animé est née de cette façon.

Pourquoi cette interview devait absolument se prolonger de manière animée ?

Nous avions une matière audio tellement riche que nous trouvions dommage de devoir la jeter. L’intervention de Giancarlo était très importante. Il était en quelque sorte le représentant de tout enfant qui vivait de manière clandestine, en Suède, puisqu’il parlait parfaitement le suédois, mais aussi dans le reste de l’Europe. Il était comme un symbole pour tous les autres enfants. Et puisqu’il vivait caché, David a eu l’idée d’utiliser le son, et non l’image, pour faire un documentaire animé.

Comment avez-vous gagné sa confiance pour qu’il vous parle librement ?

En fait, il parlait assez facilement de sa situation. En un sens, c’était dur, mais il était très explicite et très clair dans sa manière d’exprimer sa vie clandestine. D’autres enfants qui vivaient en cachette étaient souvent traumatisés. C’était aussi le cas de Giancarlo, mais il faisait preuve d’une lucidité étonnante. Il arrivait à faire passer son message et celui de tous les enfants dans la même situation que lui.

J’ai été honnête avec lui. Je lui ai dit ce que je faisais et qui j’étais. Je n’ai pas de formation en tant que psychologue pour enfants, mais nous avons toujours veillé à ce que les interviews se déroulent dans un milieu où l’enfant n’est pas seul, et dans lequel il se sent en sécurité. Dans le cas de Giancarlo, nous avons demandé à ses parents si nous pouvions lui parler. Ils ont dit qu’ils n’aimaient pas trop l’idée, mais que si leur fils le voulait, il pouvait le faire. Quand on lui a posé la question, il a répondu que ça ne le gênait pas de nous parler, du moment que ce n’était pas un lundi, car il avait son entraînement de foot ce jour-là ! J’ai trouvé ça très beau, cette confiance que ses parents ont montrée vis-à-vis de leur fils. Ils le protégeaient, mais ils lui laissent la liberté de choisir pour lui-même. Cela a été une rencontre très fructueuse. Depuis l’époque de l’interview, nous sommes restés en contact avec lui. Nous désirons même lui proposer d’être interprète sur un autre projet puisqu’il est grand maintenant, et que ce serait, pour lui, une bonne façon de tourner la page.

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Cliquer sur l’image pour voir le film

« Hidden » date de 2002, « Slaves », de 2009. À l’époque, il n’y en avait pas tellement de documentaires animés, alors qu’aujourd’hui, on voit de plus en plus d’histoires intimes racontées en animation.

Effectivement. Mais honnêtement, je ne pense pas que toute histoire doive être racontée par le biais d’un documentaire animé. Je crois qu’il faut vraiment se poser la question de la vision, et de la justification du choix d’un genre. Le documentaire animé est devenu une mode, et il n’est pas toujours justifié.

Si tu privilégies ce genre, est-ce pour une raison d’anonymat ?

Il y a beaucoup plus de raisons qu’un seul souci d’anonymat. Avant d’entamer de nouveaux projets, que ce soit une fiction ou un documentaire, je dois répondre aux questions que je me pose, et éprouver plusieurs responsabilités. À l’égard de l’histoire, des gens qui la racontent, et aussi du public.

Parfois on entend dire : “ce sont des histoires qu’on a déjà entendues’’. Et alors ? N’est-il pas important d’en parler ? Nous devons bien traiter ces histoires pour que les gens les écoutent et en tirent quelque chose. Dans le cas de « Hidden », l’histoire de Giancarlo avait déjà été traitée. À l’époque, en Suède, si tu prononçais le mot “réfugié’’, les gens fermaient les yeux et les oreilles, tellement ils en avaient marre, donc nous avons pensé qu’il fallait absolument redéfinir ce mot, et renouveler sa signification. Avec « Slaves », ça a été le contraire. La guerre au Soudan a duré plus de 25 ans, et personne au-delà du pays ne s’y intéressait, et n’en parlait. Quand il y a eu des problèmes au Darfour, tout le monde a commencé à en parler, ce  qui rendait la situation encore plus cynique, puisque la guerre au Soudan était au moins aussi horrible que l’autre. Il se passait les mêmes, voire de pires abus au Sud-Soudan. Comment était-ce possible que personne n’en parle ? Voilà pourquoi nous tenions à raconter cette histoire que personne ne voulait raconter, par le biais de deux enfants, Abouk et Machiek, des enfants, des victimes.

Dans « Hidden » comme dans « Slaves », il y a des éléments qui n’ont pas grand-chose à voir avec la personne interviewée, mais avec les conditions de l’interview elle-même (toussotements, hésitations, problèmes d’enregistreur, …). Pourquoi les avez-vous gardés ?

Pour plusieurs raisons. Dans nos films, tout est bien réfléchi. Nous décidons après coup ce que nous voulons garder ou non, et pourquoi. Au moment de l’interview, nous n’y pensons pas trop parce que nous nous focalisons sur ce qui nous intéresse. « Slaves » et « Hidden » sont tous les deux liés à des situations tellement fragiles. Ce n’est pas évident de placer un micro et un enregistreur devant un enfant qui a une histoire difficile à raconter. Moralement, il faut absolument trouver un équilibre. Ce sont eux les héros, ce sont eux qui sont importants. Si en faisant ces documentaires, nous voulons être fidèles à ces enfants et à leurs histoires, nous avons aussi intérêt à être honnêtes avec nous-mêmes, avec nos erreurs, et nos maladresses. Nous devons nous mettre à leur place, dans la situation du documentaire. Il faut se sacrifier d’une certaine façon, parce qu’on peut couper des morceaux qui sont intimidants ou qui nous ne nous montrent pas dans une lumière très flatteuse, mais on peut aussi faire ce qu’on veut avec l’histoire des enfants. On a une responsabilité à assumer à leur égard.

Avez-vous envisagé de prendre une caméra avec vous, au moment des interviews ?

Non, absolument pas. Je suis persuadée que pour les enfants, c’était plus facile et moins intimidant de s’exprimer devant un enregistreur.

Pour « Slaves », il n’y a eu qu’une seule séance d’interview ?

Oui, juste une. Après, les enfants sont repartis au Soudan.

J’imagine que vous êtes restés plus longtemps avec eux. Est-ce qu’il y avait des choses que vous ne pouviez pas garder parce qu’elles étaient trop dures ?

Oui. Le film fait 15 minutes, et notre interview a duré entre une et deux heures. L’interview de Giancarlo était encore plus longue et le film est même plus court. Nous avons coupé, monté, et testé plein de possibilités, pour disposer de plusieurs versions, dont certaines étaient très dures. L’idée, c’était de ne rien changer, mais de décider ce qu’il fallait garder. Nous croyions que pour faire un bon documentaire animé, il fallait séduire, leurrer le spectateur, et abattre ses défenses. En revanche, si nous livrions tout ce qui était dur en même temps, le spectateur reconstruisait naturellement ses défenses. Il y avait donc un équilibre à chercher entre les deux. Par exemple, lorsqu’on traduisait les sous-titres, parfois, on n’était pas aussi explicites en anglais qu’en soudanais, la langue originale des enfants. Au lieu de décrire à quel point la mère de Machiek souffrait avant sa mort, on disait “simplement’’ qu’elle était morte.

Est-ce que les enfants vous ont parlé facilement ?

Abouk, la fille, ne parlait pas facilement, mais Machiek, le garçon, était tellement traumatisé qu’il a parlé très aisément. Je crois que ça lui a fait du bien d’être entendu.

Sur ces deux projets, vous avez été les seuls à rencontrer les enfants. Comment leurs visages ont-ils pris forme ? Sur base de vos souvenirs ou était-ce purement imaginaire ?

Nous travaillons très étroitement avec Mats Johansson, le directeur artistique, illustrateur et dessinateur des personnages. Il occupe une place aussi importante dans notre équipe que David ou moi-même. Nous adorons son style, et pourtant nous sommes très difficiles ! Il est très 2D, étant illustrateur pour des magazines. Il fait des dessins, en nous écoutant, en écoutant la bande-son. Il n’est pas là quand on voit les enfants, mais nous lui décrivons tout. Il est sensible à nos personnalités et on se connaît très bien. Il reconstruit complètement les personnages à partir de tout ce matériau. Nous travaillons beaucoup avec lui sur papier, sur le style et le dessin

Ensuite, nous travaillons avec Magnus Östergren, la personne en charge de la direction artistique et créative à tous les niveaux. Il sait parfaitement quelle technique il faut employer pour arriver à quel effet. Il nous accompagne au début du film, au moment de de la conception artistique, et il revient à la fin pour faire le compositing.

Y a-t-il des choses que tu as apprises sur le premier film qui ont pu t’aider pour le deuxième ?

« Hidden » date de 2002. Ce n’était pas facile de traduire la 2D en 3D ou en animation, nous travaillions avec une seule personne pour l’animation, et tout a pris beaucoup de temps. Avec « Slaves », nous avons travaillé avec plusieurs personnes, et nous comprenons maintenant ce que nous aurions dû faire pour « Hidden ». C’était notre premier projet, nous ne savions pas très bien comment s’y prendre. Cette fois, nous avons beaucoup mieux compris le processus, notamment la manière de travailler les mouvements des personnages. Je n’aimais pas du tout cet aspect dans « Hidden ». Magnus a affiné cet aspect dans « Slaves », et ça contribue pour beaucoup à la valeur du film. Maintenant, j’ai du mal à revoir « Hidden », tellement je l’ai déjà revu. Mais avec « Slaves » que j’ai aussi revu très souvent, je n’ai pas ce sentiment, car le film est beaucoup plus proche de David et de moi, de notre nature et de notre vision des choses.

Comment travailles-tu avec David ?

Nous avons ouvert notre propre boîte de production [Story]. Quand David fait des projets tout seul, ça ne ressemble pas du tout à notre travail ensemble. Même chose pour moi. Il est plus concerné par les grands enjeux politiques, tandis que moi, je m’intéresse aux enjeux plus personnels. On a des approches tout à fait différentes sur les choses, mais nous avons la même vision du monde. C’est pourquoi nous travaillons tellement bien ensemble, de même qu’avec Mats et Magnus. Nous sommes tous très différents, mais nous avons les mêmes “lunettes’’ pour voir le monde.

Est-ce que Abouk et Machiek ont vu « Slaves » ?

Abouk l’a vu. Elle habite en Ouganda. Elle va très bien, elle va à l’école, et je sais qu’on lui a montré le film. Machiek vit, lui, à Khartoum. Il va un peu moins bien, il a été très traumatisé. Il n’arrive pas à se concentrer sur ses études, il ne cesse pas de doubler. Je ne suis pas sûre qu’il ait vu le film. Mais une bonne nouvelle s’est produite : on a montré le film au Président du Sud-Soudan, Salva Kiir, qui est bien impliqué dans la question. On lui a envoyé 25 copies de « Slavar ». Il a promis de subsidier le travail de James Aguer qui a libéré des milliers d’enfants esclaves. Le film a eu un résultat concret sur place, ce qui est formidable. Un film si court, animé, peut quand même avoir des effets importants sur la réalité.

Propos recueillis par Katia Bayer. Retranscription, traduction :Adi Chesson

Consulter les fiches techniques de « Slavar » (Slaves) et de « Gömd » (Hidden)

Article associé : la critique de « Slavar »

G comme Gömd (Hidden)

Fiche technique

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Cliquer sur l’image pour visionner le film

Synopsis : D’après un entretien avec un garçon de douze ans, Giancarlo, réfugié clandestin en Suède. En combinant l’entretien réel à des images animées, nous voulons créer un espace où vous pouvez entendre et absorber, d’une façon nouvelle, l’histoire d’un enfant réfugié.

Genre : Documentaire animé

Durée : 7’30’’

Pays : Suède, Danemark, Finlande

Année : 2002

Réalisation : Hanna Heilborn, David Aronowitsch, Mats Johansson

Scénario : Hanna Heilborn, David Aronowitsch

Technique utilisée : Ordinateur 3D

Graphisme : Acne, Mats Johansson

Animation : Flemming Borgen, Jonas Moberg

Effets : Oskar Wahlberg, Mantra Animation

Musique : Jonas Bohlin

Production : Asteriskfilm, Story AB

Distribution : Story AB

Le site du film : www.story.se/films/hiddengomd

Article associé : l’interview d’Hanna Heiborn

Les Quatre saisons de Cinergie

Vendredi 4 septembre, Cinergie.be présentera à l’Espace Flagey une nouvelle session de courts métrages belges (en présence de leurs auteurs), ainsi qu’un portrait filmé de Jaco Van Dormael.

* Taxi dancer de Caroline Strubbe (fiction, 1991, 40′, Belgique)

Synopsis : 1926, la dernière semaine de la vie d’un liftier d’un grand hôtel parisien, fasciné par Rudolph Valentino, le grand acteur du cinéma muet.

* Bxl minuit de Dorothee Van Den Berghe (fiction, 17′, 1998, Belgique)

Synopsis : Barbara erre dans la ville ; elle vient de découvrir que son ami la trompe. Entre-temps un voleur s’est introduit dans son appartement.

* La sensation de Manuel Poutte (fiction, 11’, 1991, Belgique, France)

Synopsis : Il faisait froid ce soir-là. Personne pour s’attarder dans la rue. Rentrer vite pour trouver un peu de chaleur et de lumière. Pourtant, derrière cette fenêtre-ci, il n’y avait que de l’obscurité.

* « Cinéma cinéastes » : portrait de Jaco Van Dormael réalisé par Cinergie.be

Infos pratiques : Vendredi 4 septembre 2009, à 20h au Studio 5 de Flagey.

www.flagey.be

Je criais contre la vie. Ou pour elle. de Vergine Keaton

Lorsqu’un film s’ouvre sur des gravures romantiques animées du XIXème, le spectateur s’arrête pour regarder. Sélectionné à l’ACID (à Cannes) cette année, « Je criais contre la vie, ou pour elle » est une véritable symphonie en sépia qui innove sur le plan formel. Son auteure, Violaine Tatéossian, alias Vergine Keaton, historienne d’art et animatrice française, démontre qu’elle a plus d’un tour dans son plumier.

Dans un cadre très classique, Keaton dépeint une chasse à courre à l’anglaise. Une scène forestière classique, rompue lorsque le ciel assombri commence à se dégager, et que les cerfs se retournent contre les chiens et que les chasseurs deviennent les chassés.

« Je criais contre la vie, ou pour elle » s’inspire de la mythologie antique d’Antigone, réinterprétée par le traducteur Henri Bauchau sous la forme d’un rêve fait par l’héroïne éponyme. Vergine Keaton va plus loin que la simple citation, en revisitant les mythes fondateurs comme l’apocalypse (le ciel qui s’écroule sur la tête), la cyclicité (la référence au dicton Post nubila, Phoebus – Après la pluie, le beau temps) ou la régénération (la mue des cerfs). Ce jeu de symbolisme sophistiqué, la réalisatrice l’opère par le biais d’un travail soigné et laborieux de décomposition et de recomposition d’authentiques gravures d’époque.

Au même titre que l’image, la musique occupe une place centrale dans ce film. Elle est en quelque sorte le ‘’cri’’ du titre. Signée Vale Poher, la partition prend la forme d’une toccata bien rythmée, aux accords électriques évocateurs de Pink Floyd. Obstinée, elle mène, au gré de ses modulations rythmiques, une fantastique chorégraphie de flore et de faune, aux tournures tantôt à la Bewick tantôt à la Escher. D’un côté, la constance de la représentation en profil renforce le dynamisme de ces gravures classiques. De l’autre, l’allusion aux œuvres géométriques d’Escher se fait remarquer dans les superbes plans de corbeaux, mais aussi dans le va-et-vient incessant entre les deux pôles de cette vision naturaliste (la célébration de la nature dans toute sa splendeur, et l’horreur de sa face chaotique et impitoyable). « Je criais contre la vie, ou pour elle » : ce titre, provenant du texte de Bauchau, résolument indécis, recouvre lui aussi cette dualité.

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La force de ce court énigmatique et saisissant réside dans son style singulier. Entre la stase sobre du dessin, l’adresse inattendue des mouvements saccadés, et la limpidité de l’eau délicatement animée, le film fait preuve d’une adéquation réussie entre une recherche esthétique formelle et une trame narrative bien approfondie. Mariant l’original et le familier, « Je criais » imprime cette sensation : l’animation pourrait être, en quelque sorte, la suite logique de la gravure.

Adi Chesson

Consulter la fiche technique du film

Article associé : l’interview de Vergine Keaton

J comme Je criais contre la vie. Ou pour elle

Fiche technique

Synopsis : Dans une forêt, un troupeau de cerfs se retourne contre la meute de chiens qui le poursuivait jusque-là. De cette étrange course naissent des paysages s’élevant du sol.

Genre : Animation

Durée : 9’10 »

Pays : France

Année : 2009

Réalisation : Vergine Keaton

Scénario : Vergine Keaton

Graphisme : Vergine Keaton

Storyboard : Vergine Keaton

Animation : Anna Khmelevskaya

Techniques : éléments découpés, ordinateur 2d/3d

Musique : Vale Poher

Montage : Vergine Keaton

Compositing : Anna Khmelevskaya

Production : 25 Films

Articles associés : la critique du film, l’interview de Vergine Keaton

Festival Silhouette, la programmation

Du 29 août au 6 septembre 2009, se tiendra la 8e édition du Festival Silhouette, à Paris. Courts métrages et concerts sont prévus durant l’intégralité de la semaine. Ta-ta-tam : découvrez la programmation 2009.

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* La compétition internationale

* Les concerts

* Focus Belgique

* Sélection Jeune Public

* Sélection clips

* Sélection hybride

* Sélection documentaire

* Ateliers Jeune Public

Le site du Festival : www.association-silhouette.com

Log Jam (« The Log », « The Rain », « The Moon », « The Snake ») de Alexei Alexeev

On prend les mêmes et on recommence

Après le succès de « KJFG n°5 », Alexei Alexeev a crée une série de quatre petits films, chacun d’une durée d’une minute, pour le compte de la chaîne de télévision Nickelodeon. En juin, « Log Jam » (« The Log », « The Rain », « The Moon », « The Snake ») a reçu le Cristal pour une production TV, à Annecy. L’ours, le loup, et le lapin en ont profité pour fêter leur prix. Avant de se remettre à jouer leur morceau favori.

Les vrais musiciens s’entraînent partout et nulle part. Même par temps de pluie, sous la lune, à proximité d’une souche ou d’un serpent, le trio farfelu de Alexei Alexeev poursuit ses répétitions. Comme à l’accoutumée, l’ours est à la basse, le loup fait office de chanteur hurleur, et le plus petit, le lapin, marque la mesure avec sa tête et ses pattes. Depuis le début de leur carrière, la forêt est leur scène, leur public est inexistant, et leur morceau reste invariablement le même.

Doté du Prix SACEM de la musique originale à Annecy en 2008, « KJFG n°5 » est un film d’animation à part, qui doit sa valeur à sa simplicité, son originalité et son humour. Certains traits plus spécifiques, comme l’esprit absurde, l’absence de dialogues, la mélodie devenue tube, la durée limitée, et le tracé ludique, se retrouvent d’ailleurs en filigrane dans ces quatre nouvelles pastilles.

Pour éviter la répétition, l’animateur à tout faire (dessin, storyboard, graphisme, décor, layout, …) a diversifié les situations, l’enchaînement des gags, les chutes, et le positionnement de ses personnages, tout en privilégiant une durée plus courte que « KJFG ». Chaque segment de la série dure en effet une minute. Il n’en faut pas plus pour que l’ours, le loup, et le lapin, soient perturbés dans leurs répétitions. Que ce soit à cause d’un nuage, d’une pomme de pin, d’un serpent gourmand, ou d’une déglutition qui dérape.

Katia Bayer

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Articles associés : la critique de KJFG n°5, l’interview d’Alexei Alexeev

L comme Log Jam (« The Log », « The Rain », « The Moon », « The Snake »)

Fiche technique

Synopsis : En pleine forêt, trois animaux n’ont qu’une passion : improviser librement avec leurs instruments personnalisés. L’ours est à la basse, il y a un loup hurleur et un lapin qui bat la mesure – avec sa tête.

Genre : Animation

Durée : 4’

Pays : Hongrie

Année : 2008

Réalisation : Alexey Alexeev

Scénario : Alexey Alexeev

Graphisme : Alexey Alexeev

Storyboard : Alexey Alexeev

Techniques : Dessin sur papier, ordinateur 2D

Layout : Alexey Alexeev

Décor : Alexey Alexeev

Animation : Alexey Alexeev

Caméra : Alexey Alexeev

Musique : Alexey Alexeev

Son : Alexey Alexeev

Montage : Alexey Alexeev

Compositing : Alexey Alexeev

Producteur : András Erkel

Production : Studio Baestarts

Distribution : Studio Baestarts

Article associé : la critique de Log Jam

Nouvelle édition du ‘Goût du court’ : appel à courts métrages

Dans le cadre de la nouvelle saison du « Goût du court », le cinéma Le Balzac et Cinezik recherchent des courts métrages dans lesquels la musique tient une place pertinente. La prochaine édition du « Goût du court »  se déroulera le 21 novembre 2009. Date limite d’envoi des films : le 30 septembre.

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Après une saison mettant à l’honneur des compositeurs de renom avec la projection de courts métrages auxquels ils ont participé, le « Goût du court » sera de retour le 21 novembre 2009 pour une nouvelle formule mettant l’accent sur les Jeunes Talents. Les courts métrages sélectionnés devront jouir d’un intérêt musical évident tout en constituant une oeuvre globale réussie révélant autant le talent du musicien que du cinéaste.

Compositeurs et réalisateurs seront d’ailleurs invités (présence indispensable) et le public pourra distinguer son favori. Pour clôturer la matinée, une personnalité viendra partager son expérience, commenter son actualité, tout en discutant avec les invités et répondre aux questions du public.

Les DVD peuvent être envoyés à l’adresse suivante :

Cinéma Le Balzac
Le Goût du court
A l’attention de Benoit Basirico
1 rue Balzac
75008 Paris

Date limite : 30 septembre 2009
Renseignements et communications sur les candidatures : contact (at) cinezik.org

Partly Cloudy de Peter Sohn

Diffusé au cinéma, avant « Up », « Partly Cloudy » est le dernier-né des studios Pixar. À la fois drôle et poétique, il offre, par l’entremise de son réalisateur, Peter Sohn, une astucieuse pirouette à la redoutable question, “d’où viennent les bébés ?”.

Vendredi 12 juin, Annecy. Ça se bouscule, place et avion en main, pour accéder à la séance Pixar. Le processus de création dans les célèbres studios d’animation est sur le point d’être exposé par Peter Sohn, le réalisateur de « Partly Cloudy », et Bob Peterson, l’auteur de « Up » (venu sans son co-réalisateur Pete Docter). Making-of, présentation du long métrage, projection du court en avant-première européenne, questions-réponses : le public annécien accompagne le déroulement de la conférence, en bavant, intervenant, et applaudissant à l’envi.

« Partly Cloudy » s’ouvre, comme dans un dessin animé Looney Tunes, sur un visuel et une musique légèrement rétros. Une nuée de cigognes dépose de précieux baluchons (bébés, chatons, chiots) à des parents épatés, avant de reprendre son envol et de regagner le ciel. Là-haut, chaque coursier rejoint son poste, et se voit remettre de nouveau colis, des mains des nuages qui modèlent et donnent vie aux nourrissons.

Dans la stratosphère, l’ambiance est pétillante et insouciante. Même pour Gus, un nuage gris et solitaire, chargé des commandes atypiques (crocodiles, béliers, porcs-épics, requins, …). Peck, la fidèle cigogne de Gus, voit les choses différemment. Ayant de plus en plus de mal à gérer les comportements turbulents des créations de son nuage, elle est en train de remporter le titre de volatile le plus stressé du ciel. Face à ces conditions de travail difficiles, Peck commence à lorgner vers les autres nuages.

En animation, le thème de la naissance est souvent associé aux cigognes. Le pitch de Peter Sohn, storyboarder pendant neuf ans chez Pixar, pourrait donc sembler simpliste à première vue, et pourtant, son traitement se veut original. “D’où viennent les bébés ?” Réponse : Des nuages. Il fallait y penser.

Chez Pixar, il y a toujours une histoire personnelle derrière chaque film. « Partly Cloudy » se conforme à cette idée. Peter Sohn n’est pas né dans un nuage, mais derrière les problèmes de communication entre Gus et Peck, se cachent les difficultés de compréhension entre un fils et sa mère. À Annecy, le réalisateur a raconté que dans son enfance, sa mère, d’origine coréenne, l’emmenait souvent au cinéma. Ne maîtrisant pas la langue anglaise, elle demandait fréquemment à son fils de lui expliquer ce qui se passait à l’écran. À l’inverse, devant les films de Disney, elle ne posait aucune questions, car elle arrivait à se repérer intuitivement dans l’histoire et les images sans avoir besoin de comprendre les dialogues en anglais. Ceci explique probablement cela : « Partly Cloudy » évoque, sans le moindre mot, la relation entre deux êtres qui traversent des épreuves, mais qui ne peuvent pas faire autre chose que s’aimer.

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Sans lien autobiographique apparent, « Partly Cloudy » est également un conte émouvant sur la valeur de l’amitié et l’acceptation de la différence. L’humour, essentiel chez Pixar, s’invite, lui aussi, dans ce ciel animé, et dans certaines scènes (plus spécifiquement celles du crocodile et des émotions-météo de Gus, le nuage). Et pour le reste ? On vous invite à le découvrir.

Une fois n’est pas coutume, le film chroniqué est accessible dans son intégralité, au commun des spectateurs, à condition que lui vienne la bonne idée d’aller au cinéma voir « Up », déjà sorti dans certains pays. Les nuages disparaissent, l’horizon s’éclaircit, les cigognes font des bonds. Cela s’appelle une bonne nouvelle.

Katia Bayer

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P comme Partly Cloudy

Fiche technique

Synopsis : Tout le monde sait que les cigognes apportent les bébés, mais où diable les trouvent-elles ? La réponse est : tout là-haut dans la stratosphère.

Genre : Animation

Durée : 5’47’’

Pays : États-Unis

Année : 2009

Réalisation : Peter Sohn

Scénario : Peter Sohn

Adaptation : Bob Peterson

Voix : Tony Fucile, Lori Richardson

Directeur artistique : Peter Sohn,Teddy Newton

Chef décorateur : Noah Klocek

Animateur : Andrew L. Schmidt

Montage : Jason Hudak

Musique : Michael Giacchino

Production : Pixar Animation Studios

Article associé : la critique du film

66ème Mostra de Venise : la sélection officielle

Du 2 au 12 septembre 2009, aura lieu la 66ème Mostra de Venise. Corto Cortissimo, la compétition internationale réservée au court, compte de nombreux titres, en lice pour le Lion du Meilleur Film, une Mention Spéciale, et une nomination aux Prix UIP pour le meilleur court métrage européen. Le Jury de cette année est composé de Stuart Gordon, Sitora Alieva, et Steve Ricci.

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Liste des films sélectionnés :

Felicita, de Salome Aleksi (Georgie, 30′)

Kinematograf, de Tomek Baginski (Pologne, 12’)

Plastic bag (film d’ouverture, hors compétition), de Ramin Bahrani (Etats-Unis, 15’)

So che c’è un uomo (I know there ‘s a man), de Gianclaudio Cappai (Italie, 30′)

Recordare, de Leonardo Carrano, Alessandro Pierattini (Italie, 7’)

La città net cielo (The city in the sky), de Giacomo Cimini (Grande-Bretagne, Italie, 28’)

To je zemljia, brat moj (This is heart, my brother), de Jan Cvitkovic (Slovenie, Italie, 9)’

La seconda famiglia (The second family), d’Alberto Dall’ara (Italie, 27’)

Alle fugler (Still birds), de Sara Eliassen (Norvège, 13’)

O teu sorriso (Bliss), de Pedro Freire (Brésil, 19’)

Il gioco (The game), d’Adriano Giannini (Italie, 18’)

Earth, de Tzu Nyen Ho (Singapour, 43’)

Object #1, de Murad Ibragimbekov (Russie, 5′)

Girllikeme, de Rowland Jobson (Grande-Bretagne, 14′)

Eersgeborene (Firstborn), de Etienne Kallos (Afrique du Sud, Etats-Unis, 27′)

Umma-e huga (Mom’s vacation), de Kwang-bok kim  (Corée, 22′)

The it.aliens, de Clemens Klopfenstein, et Lukas Klopfenstein (film de clôture, hors compétition) (Italie, Suisse, 24’)

Storage, de David Lea (Grande-Bretagne, 15′)

Nuvole, mani, de Simone Massi (France, 8′)

Sinner, de Meni Philip (Israel, 28′)

Radio, de Riccardo Pugliese (Etats-Unis, Italie, 6’)

Uerra (War), de Paolo Sassanelli (Italie, 16′)

Family jewels, de Martin Stitt (Etats-Unis, Grande-Bretagne, 20’)

Er ren (For two), de Shijie Tan (Singapour, 17′)

Jitensha (Bicycle), de Dean Yamada (Japon, Etats-Unis, 22′)

Kingyo, d’Edmund Yeo (Japon, Malaisie, 25′)

A la lune montante, d’Annarita Zambrano (France, 25′)

Pour plus d’informations : www.labiennale.org

Slavar de Hanna Heilborn et David Aronowitsch

Sur l’écho de mon enfance, j’écris ton nom. Eluard

Lauréat du Prix Unicef et du Cristal d’Annecy, « Slavar » est une expérience cinématographique qui ne laisse pas indifférent. En livrant le témoignage de Abuk (9 ans) et de Machiek (15 ans) enlevés par la milice soudanaise et exploités comme esclaves, les réalisateurs suédois, Hanna Heilborn et David Aronowitsch abordent un sujet percutant et engagé.

Alors que dans le paysage cinématographique actuel, une grande partie des films ne dénonce plus la bêtise humaine mais la diffuse allègrement sur les grands et petits écrans, il est rassurant de  découvrir ce court métrage librement engagé ouvrant les horizons de l’animation et du documentaire.

Nous sommes en 2003, en Suède. Un médecin, des interprètes, Hanna Heilborn, David Aronowitsch, et deux enfants, Abuk et Machiek, sont rassemblés autour d’une table. Tour à tour, dans un silence de plomb, les enfants racontent leur enlèvement par la junte militaire, leurs conditions de survie pendant leur séquestration, ainsi que leurs rêves futurs. Quelques années plus tard, les deux réalisateurs envisagent de mettre le récit en images. Ils vont jusqu’à illustrer les toussotements, les hésitations, les gestes indécis, les rires nerveux et les problèmes techniques rencontrés, pour accentuer la véracité des faits.

Produit hybride, « Slavar » mêle animation en 3D et documentaire en jouant sur les contrastes. Au-delà du stylistique (animation/documentaire), le montage alterne les tons monochromatiques, variant des couleurs chaudes pour l’évocation de la vie au Soudan et des couleurs froides (plus neutres) pour l’interview en Suède. Les dessins de Malt Johansson et Acne JR fonctionnent comme des esquisses narratives apportant les nuances nécessaires au récit sans jamais renforcer l’aspect tragique de façon outrancière.

Oser parler des agissements meurtriers de la milice soudanaise dans un film d’animation est un défi brillamment relevé par le duo suédois qui n’en est pas à son premier coup d’essai. Avant « Slavar », il a initié une série de documentaires animés traitant de l’enfance en difficulté, dont le premier film, « Gömd » (Hidden), raconte l’histoire d’un jeune réfugié péruvien.

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À travers ces deux témoignages, le film dénonce les atrocités et les injustices que provoquent les conflits dans le monde. Un authentique coup de fouet à notre conscience humanitaire un brin léthargique.

Marie Bergeret

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Article associé : l’interview d’Hanna Heiborn

S comme Slavar (Slaves)

Fiche technique

Synopsis : D’après une interview faite en 2003. Comme des milliers d’autres enfants, Abouk, 9 ans et Machiek, 15 ans, ont été enlevés par une milice commanditée par le gouvernement soudanais et utilisés comme esclaves.

Genre : Documentaire animé

Durée : 15’57’’

Pays : Suède

Année : 2008

Réalisation : Hanna Heilborn, David Aronowitsch

Scénario : Hanna Heilborn, David Aronowitsch

Graphisme : Mats Johansson, Acne Junior Production

Décor : Isak Gjertsen, Kim Naylor

Animation : Nicolas Maurice, Benoît Galland, Mathilde Le Moal, Gilles Brinkhuizen, Nicolas Hu, Hubert Seynave

Layout : Magnus Östergren, Degauss

Son : Peter Albrechtsen, Lydrummet

Voix : Abuk, Machiek, James Aguer Alic, Charles Deng Majok Kwal, Hanna Heilborn, David Aronowitsch

Production : Story AB, Swedish Film Institute

Le site du film : www.story.se/films/-slaves/

Articles associés : la critique du film, l’interview d’Hanna Heiborn

Festival de Locarno : le palmarès

Le Festival de Locarno a rendu son verdict samedi 15 août. Du côté du court métrage, plusieurs films issus de la Compétition internationale et nationale, se sont partagés les différents prix liés aux Léopards de demain.

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Le jury composé de Céline Bolomey, Denis Delcampe, Maike Mia Höhne, Najwa Najjar, Adrian Sitaru, a décerné les prix suivants :

Compétition internationale

* Pardino d’or : Believe de Paul Wright (Royaume-Uni-Ecosse)

* Pardino d’argent : Variációk de Krisztina Esztergályos (Hongrie)

* Prix film et vidéo « Untertitelung » : No country for chicken de Huang Huang (Chine)

* Mention Spéciale : Edgar de Fabian Busch (Allemagne)

Compétition nationale (suisse)

* Pardino d’or : Las Pelotas de Chris Niemeyer

* Pardino d’argent : Nachtspaziergang de Christof Wagner

* Prix « action light » pour le meilleur espoir suisse : Connie de Judith Kurmann

D’autres prix ont récompensé les Léopards de demain, les prix «cinema e gioventù». Un Jury spécial, composé de Elena Binda, Valentina Bosia, Carlotta Dionisio, Vania Gottardi, Jasmine Leoni, Giulia Moltrasio, Gianni Nägeli, Valentina Peduzzi et Samira Yeganeh, a décerné les prix suivants :

*  Prix du Meilleur court métrage pour la compétition internationale : Túneles en el río de Igor Galuk (Argentine)

* Mention spéciale : Gjemsel de Aleksandra Niemczyk (Norvège)

*Prix du Meilleur court métrage pour la compétition nationale : Kitsch panorama de Gilles Monnat (Suisse)

Le site du Festival : www.pardo.ch

El Empleo de Santiago Grasso

Lauréat du Prix Fipresci (auquel Format Court était associé cette année), « El Empleo », de Santiago Grasso, est le tout premier film argentin primé à Annecy, depuis la création du Festival. Révélation de cette édition, il mêle subtilement passivité du quotidien, individus-objets et sobriété du dessin.

Tic, tac, tic, tac. 7h15. L’homme à la tête en forme d’index se réveille, se gratte, et sort de son lit. Il se rase, avale un biscuit et un café, renoue sa cravate, hèle un taxi pour rejoindre le bureau. Une fois arrivé, il attrape de justesse l’ascenseur, et dépose ses affaires dans son casier, avant de se mettre au travail. Une nouvelle journée commence.

Dépourvu de tout dialogue, « El Empleo » est un film éloquent, à plus d’un titre. Le décalage surgit devant la représentation d’un univers incongru dans lequel les individus sont relégués au rang et à l’usage d’objets. Dans ce monde, chacun travaille, quelque soit la fonction à accomplir et l’effacement de soi à accepter. Sans distinction, hommes et femmes sont au service les uns des autres, faisant office de meubles, de porte-manteaux, de porte-clés, de feux de signalisation, de transports, ou même de contre-poids d’ascenseurs.

Le film interpelle par sa problématique universelle. Entre critique sociétale et humour raffiné, « El Empleo » livre un regard différent et original sur les notions de travail, de monde en crise, et d’exploitation de l’homme par l’homme. Pour servir sa mécanique domestiquée, Santiago Grasso fait appel à un humour fin et absurde, proche de Ionesco, et à un dessin simple et dépouillé, incrusté de regards vides, sans âme ni espoir.

L’intelligence d’« El Empleo » tient aussi et surtout à sa chute touchante. “M. Index” s’installe à son poste, celui d’homme-paillasson, sous les ordres et les pieds de son patron. À la différence de ses congénères, il sort de son silence et de sa passivité, en poussant un soupir à peine audible. L’humanité s’exprime. Malgré tout.

Katia Bayer et Adi Chesson

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Article associé : l’interview du réalisateur