Créée en 1998 à Paris, la revue Repérages est passée par tous les genres cinématographiques avant de se focaliser sur le court métrage. Le magazine suit régulièrement quelques festivals majeurs en France, (Clermont-Ferrand, Némo, l’Étrange Festival, Annecy), et est systématiquement accompagné d’un DVD depuis 2003. Le dernier numéro de Repérages, consacré au Festival d’Annecy, s’intéresse à la 3D et propose un DVD bien étoffé, avec dix courts métrages, plusieurs clips et bonus, ainsi qu’un focus sur la maison de production, The World of Arthur Cox.
Le premier titre de la sélection, « Naïade », de Nadia Micault et de Lorenzo Nanni (France, 2008), établit d’emblée le niveau des films repris sur ce disque. Ava, une nymphe aquatique évocatrice de la petite sirène de Disney, règne dans les eaux limpides d’une forêt entourée de la Nature dans toute sa magnificence. À la surface, l’Homme, cruel et pervers, attrape les animaux et les dissèque sans scrupules, pour sauver son confrère. « Naïade », métaphore élogieuse de la Nature, non pas passive et martyrisée, mais tout puissante et furibonde, nous rappelle les conséquences des abus écologiques. Accompagnée d’une musique éthérée, la plastique marquante de ce film est due à son chromatisme riche et sensuel, inspiré de la palette chagallienne, ainsi qu’à son animation stylisée, miroitante et cristalline.
Le discours sur la nature-victime se retrouve également dans « Aubade » de Pierre Bourrigault (France, 2007), un conte simple et poignant sur des animaux disloqués. S’il s’attache à « Naïade » par son contenu, il s’en démarque par la sobriété de son image terne et la translucidité de ses teintes matinales.
Ailleurs sur la carte, Georges Shwizgebel propose « Retouches » (Suisse, Canada, 2008), une animation en train de prendre forme. La mise en abyme d’une main qui crée rappelle à la fois Escher et « Le Mystère Picasso » de Clouzot. À l’instar de « #1 » du duo français Noamir, ce film opère une revisitation de l’art, en s’appuyant sur la liberté qu’offre le médium de l’animation.
Le Hollandais d’Adriaan Lokman, offre, lui aussi, dans « Forecast » (2007), un regard transversal lié à l’art plastique. Entre film et art vidéo, cette animation »stratosphérique » s’étale sur l’écran comme une surcharge visuelle qui joue sur les éléments (air, eau, feu, nuage, pixel y compris). Entre l’éthéré et le bionique, le calme et le tempétueux, « Forecast » glisse aisément d’un registre à l’autre, par le biais de la pulsation musicale chromatique, voire atonale. Cet exercice stylistique se défend par sa légende finale : »Look up, marvel at the ephemeral beauty and live with your head in the clouds. » (Regarde vers le haut, émerveille-toi de la beauté éphémère et vis avec la tête dans les nuages.)
Sur un ton plus sérieux, « Raging Blues » (France, 2004) tend vers le social. Avant « Persepolis », l’animateur Vincent Paronnaud a dépeint la Grande Dépression des années trente à la manière des films de gangster. Son film offre un souffle à un genre désuet, ainsi qu’un regard particulièrement pertinent sur la crise actuelle. « Raging Blues » est à la fois glauque et léger, cynique et humoristique, osé et pudique. S’il réussit son défi ambitieux, c’est grâce au contrepoint : les événements lugubres (abus sexuel, misère, désespoir, suicide, …) sont représentés de façon allégée, dépourvue de toute sentimentalité. Doté de la marque esthétique de « Persepolis », ce film muet et monochromatique fonctionne par une surexplicité d’expressions, de gestes, de liens de cause à effet, renforcée par un usage appuyé d’effets d’iris et de vignettes, typiques du genre noir. Il livre le portrait d’un monde sans visage et sans espoir, où l’humanité est repoussée à ses limites.
Dans un registre plus léger, quatre films, tous français, se démarquent de la compilation Animatic. « Blind Spot » est un très court ludique co-réalisé par pas moins de six élèves des Gobelins. Le film enregistre, par le biais d’une caméra de surveillance, un hold-up raté et des catastrophes provoquées par un effet domino. Son originalité repose sur le concept du blind spot (le point aveugle) de la caméra, et ses personnages en 3D grotesques et disproportionnés.
Dans la même logique de l’absurde, « For Sock’s Sake » de Carlo Vogele, prix du meilleur film de fin d’études à Annecy 2009, narre la sortie en ville d’un tas de vêtements anthropomorphisés, organisée par une chaussette rebelle. « Une histoire vertébrale » de Jérémy Clapin évoque son deuxième film über primé « Skhizein », par le choix d’un sujet atypique. « Une histoire » relate la rencontre entre un homme au cou replié vers le bas, et une femme avec la tête penchée en arrière. Après une suite de chutes et de rechutes et à l’aide d’un petit oiseau, le couple retrouve son bonheur et, pour ainsi dire, « se complète » physiquement. « Un Jour » de Marie Paccou narre le récit d’une femme qui se retrouve un beau matin avec un homme dans son ventre. Derrière cette façade farfelue, se cache une belle allégorie des relations amoureuses perçues du point de vue de la femme à la recherche de l’homme parfait et de la dimension maternelle de ces relations.
Le film qui se démarque le plus de la sélection est indiscutablement « Chainsaw », une intrigue bien tissée de 24 minutes, avec deux, voire trois récits en parallèle. Le fil rouge du film tient dans le mot »chainsaw » lui-même, signifiant tronçonneuse en français, et servant aussi de nom à un célèbre taureau, vedette de rodéo. Ce mot clef relie aussi les trois chapitres du film : le pseudo-documentaire (le film éducatif sur la sylviculture), le documentaire (la relation entre le toréador Luis Miguel Dominguin et Ava Gardner, mariée à l’époque avec Frank Sinatra), et le docu-fiction (inspiré du triangle hollywoodien). Le style de l’animation est aussi riche et sophistiqué que sa thématique, et diffère pour chacune des parties du récit : dessins colorés proches des comics des années 50, collages et images d’archives de la belle Gardner et du Crooner, et séquences en live action retravaillées en rotoscopie.
Co-fondée en 2002 par Sally Arthur et Sarah Cox, The World of Arthur Cox est une boîte de production d’animation britannique qui se veut spécialiste dans « tout ce qui bouge ». Elle inclut dans son éventail des techniques d’animation diverses : de la 2D, de l’animation en volume, de travail sur la live-action, … . Six court métrages et sept pubs et films de commande alimentent ce focus, et démontrent une diversité technique et thématique presque aussi grande que celle des films vus ci-dessus. Parmi ces œuvres, se trouve « Heavy Pockets », de Sarah Cox (2004), un mélange de live action et d’animation, gravitant autour de l’histoire fantaisiste d’une jeune fille dans une école publique, qui doit remplir ses poches de pierres lourdes afin de ne pas s’envoler. « Operator » (2007) de Matthew Walker (auteur de « John and Karen »), met en scène la conversation téléphonique frivole entre un homme oisif avec le barbu là-haut, le grand D lui-même. Last but not least, « 3 Ways To Go » de Sarah Cox (1993) analyse trois façons de « manger les pissenlits par les racines » : le suicide, le naufrage et l’accident de voiture. Chacun de ces trois phénomènes sont représentés par un graphisme différent (la typographie, les ratures, les dessins traditionnels, la live action retravaillée,…). Ils prennent chacun, par conséquent, une immédiateté unique, provoquant un sentiment de brutalité liée à l’acte fatal, malgré le ton indifférent de la narration.
Adi Chesson
Consulter les fiches techniques de « Naïade », « Blind Spot », « Raging Blues », « 3 Ways To Go », « Chainsaw »
Animatic volume 6 : le meilleur de l’animation – Co-édition Repérages et Chalet Pointu