Sa filmo alterne aussi bien les courts que les longs, et des films de la Fémis qu’« Indigènes » de Rachid Bouchareb. Bernard Blancan, membre du Jury National, a la spontanéité dans la poche et un regard lucide sur sa profession. Rencontre avec un acteur qui se pointe aux interviews avec des sucettes au citron.
Il y a beaucoup de métiers associés au cinéma. Qu’est-ce qui t’a intéressé à la base pour devenir comédien ?
Je viens d’une famille éloignée de l’artistique. J’ai commencé très tôt à faire du théâtre, aux Jeunesses Communistes, mais je n’ai jamais envisagé d’en faire mon métier, du moins dans un premier temps. J’ai travaillé, repris des études, puis vers 25 ans, j’ai fait un IUT dans lequel un metteur en scène que j’appréciais beaucoup avait monté un superbe Beckett, En attendant Godot. En réalité, j’ai suivi ces études essentiellement pour rencontrer ce mec. A ce moment-là, j’ai rencontré Yves Caumon, qui était à la Fémis, et j’ai tourné dans ses films. Après, j’ai continué, j’ai bossé, je suis même devenu instituteur. A 30 ans, j’ai décidé d’être comédien de théâtre, et de laisser tomber tous les boulots pour ce choix-là, même si j’ai fait quelques films que ce soit pour Yves Caumon ou pour Hélène Angel qui était à la Fémis en même tant que lui. Ce sont des personnes qui m’ont rappelé des années plus tard et avec qui j’ai continué à faire des courts.
Tu parles de théâtre. Est-ce que tu as appris à jouer autrement au cinéma et à t’habituer à la caméra ?
Ah, complètement. Quand les acteurs de théâtre qui n’ont jamais tourné s’y mettent, ils parlent un peu fort et répètent des mimétismes qu’ils se sont appropriés à la scène, alors que moi, j’ai commencé très tôt avec Caumon et les autres. Pour moi, le court métrage a été une vraie formation. Avec ce format, j’ai vraiment appris mon métier d’acteur.
Comment prend-on en considération le travail de comédien sur un court ? Qu’est-ce que tu as appris avec la caméra d’Yves Caumon ou Hélène Angel ?
Ce n’est pas tant se former à la technique (parler moins fort, moins bouger le visage, être moins expressif) qu’apprendre en voyant le rendu du travail à l’image. La première fois, tu vois que tu en as fait des tonnes, la fois d’après, tu feras attention à gérer ton image et à travailler de sorte que ça se passe bien. En même temps, le cinéma t’apprend à travailler entouré d’une équipe, à être dans le présent avec des personnages ou dans une situation en zappant tout le reste, et à apprivoiser la caméra, à en faire abstraction tout en sachant qu’elle est là.
Tel père telle fille
Dans ta filmographie, à un moment, il y a «Indigènes », et puis, on te retrouve dans un court métrage. Tu passes facilement d’un format, d’une structure, et d’une équipe plus grande à quelque chose de plus réduit, de plus artisanal ?
Oui, c’est tellement important que le lendemain de la sortie d’« Indigènes », je partais sur le tournage de « Tel père telle fille » de Sylvie Ballyot. Je logeais au camping alors la veille, je fréquentais le Martinez. Cela ne m’a pas posé de problème. Alterner les expériences est même une nécessité. Il ne faut pas se perdre, il faut garder les pieds sur terre, et l’énergie du court me plaît, avec sa petite économie et cette envie qu’ont les gens de faire les choses sans un rond.
Comment les autres personnes d’« Indigènes » ont-elles perçu le fait que tu enchaînais avec un court le lendemain ?
Dans ce paysage du cinéma français, j’ai commencé tardivement. Je suis seulement monté à Paris en 2000, il y a dix ans. Mon chemin est un peu bizarre, je fais office de vilain petit canard, donc les gens ne sont pas étonnés que je fasse un court et que j’enchaîne après avec Louis la brocante. Normalement, un type qui sort avec un prix d’interprétation à Cannes, si il n’a pas les pieds sur terre, il se met à rêver et croit qu’il doit juste que les grands et beaux scénarios lui parviennent. Moi, j’ai une grande lucidité de cette profession et de la façon dont elle fonctionne.
On t’en propose beaucoup, en tant que comédien, des rôles dans le court métrage ?
Oui, et j’en refuse certains, parce que je ne gagne pas ma vie en faisant du court. Je fais des courts métrages quand j’en ai le temps. Quand je lis quelque chose qui ne me plaît pas, je ne le fais pas, même si j’ai le temps. Après, quand le projet m’intéresse, on essaye de le caler dans un moment où je peux le faire. Là, normalement, je devais faire un court, mais il avait lieu pendant le festival. C’est dommage, je le trouvais bien, mais les dates ne pouvaient pas bouger. J’ai orienté le réalisateur vers Serge Riaboukine.
Quand tu parles d’image de vilain petit canard, c’est lié à quoi ?
Il y a d’abord quelque chose de très personnel. C’est dû à mon comportement et à mes choix bizarres qui font qu’on a du mal à me classer. Je suis un touche à tout, je veux réaliser, jouer, faire de la musique, … De plus, je ne m’exprime pas comme on a l’habitude d’entendre un comédien parler. Un comédien, ça pose, ça fait trois blagues à la con, moi, je peux le faire aussi, mais à ce moment-là, je joue, et je n’ai pas envie de jouer. Médiatiquement, je suis très lucide sur la manière dont les choses fonctionnent. Même si j’ai une palme refilée par un jury international qui s’en fout de la notoriété et qui juge en fonction du travail accompli, je ne vaux que dalle pour les Français, sauf pour les cinéphiles. Si la presse ne parle pas de toi, tu n’existes pas.
En faisant beaucoup de courts, est-ce qu’à un moment donné, il y a un risque d’être catalogué “comédien de courts” ?
Quoi qu’on fasse, on est étiqueté. Je suis étiqueté ”court” par les mecs qui font du court. Pour les mecs qui font de la télé, je suis un “comédien France 2”, et dans le cinéma, vu que je bosse avec des gens assez radicaux comme Yves Caumon et Philippe Fernandez, je suis catalogué “cinéma d’auteur”. Après, quand je fais « Indigènes », les mecs sont un peu perdus ! Pour moi, ce qui compte en fait, c’est de faire mon boulot avec plaisir et d’être intéressé par des choses suffisamment variées et ouvertes.
Depuis le temps, est-ce que tu as senti une évolution dans le court ?
En vieillissant, tu commences à avoir de l’expérience et à reconnaitre certaines choses. Certains courts sont des grosses machines surfinancées qui ne sont pas amusantes à tourner parce qu’on se retrouve à faire un petit long métrage. Ici, en étant juré, je trouve qu’il y a vachement de tenue dans le court, qu’il y a un nivellement vers le haut qui, d’après moi, est dû au financement des films. Dans les génériques, je sens beaucoup la présence du CNC, des télés, des régions, et je trouve que les films répondent aux critères attendus par les commissions qui leur ont refilé du pognon. Du coup, ça assagit les films, et je ne me suis ni époustouflé ni surpris en séances.
Quand tu regardes ces films, tu les vois en tant que spectateur ou comédien ?
J’avoue que je ne suis pas très objectif. Je suis d’abord comédien, donc forcément, les films dans lesquels les acteurs m’étonnent à chaque plan me plaisent. Ils peuvent complètement m’emporter dans un film, même si il y a des imperfections à côté, je n’en ai rien à foutre. Si je suis embarqué par des personnages qui me racontent une histoire, cela me suffit.
Est-ce que tu es quelqu’un qui a besoin d’être beaucoup dirigé ?
Quand on veut trop me diriger, en général, je me raidis, et je retourne dans ma voiture ! Non, ce n’est pas vrai, je suis un mec assez docile. En général, les mecs qui t’en disent trop, ce sont ceux qui n’y connaissent rien. Si on m’a choisi, c’est pour donner même ce que je ne veux pas donner. Les meilleures directions d’acteurs que j’ai eues, c’est Hélène Angel qui me dit juste : “Fronce pas les sourcils. C’est une indication qui m’a vachement aidé, qui peut paraître complètement débile et formelle, mais qui dit tout. Et c’est Bouchareb dans « Indigènes » qui dit : “Tiens-toi droit”. Ça, c’est de la vraie direction d’acteurs. Moi, je suis un acteur instinctif. J’adore les réalisateurs qui le sont aussi. Pour moi, un bon réalisateur, c’est un mec qui regarde. Ce n’est pas un mec qui projette, c’est un mec qui regarde.
Propos recueillis par Katia Bayer
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Article paru dans le Quotidien du Festival