Tous les articles par Katia Bayer

J’ai faim, j’ai froid de Chantal Akerman

Découvert et aimé au détour d’un rendez-vous parolier à Pantin, « J’ai faim, j’ai froid » de Chantal Akerman est issu du film à sketches « Paris vu par…20 ans après ». Extrêmement libre de ton, cette chronique en noir et blanc, réalisée en 1984 par l’auteur de « Jeanne Dilman, 23 Quai du Commerce, 1080 Bruxelles », s’intéresse de près à deux filles paumées cherchant à troquer Bruxelles contre Paris.

En 1965, sortait en salle « Paris vu par… » réunissant six courts de Jean Douchet, Jean Rouch, Jean-Daniel Pollet, Éric Rohmer, Jean-Luc Godard et Claude Chabrol. Six quartiers de Paris y étaient filmés, six réalisateurs de la Nouvelle Vague utilisaient le court comme moyen d’expression. Deux décennies plus tard, Bernard Dubois, Philippe Garrel, Frédéric Mitterand, Vincent Nordon, Philippe Vernault, et Chantal Akerman récupérèrent le concept en imaginant six nouvelles vignettes sur la capitale de la France. Le projet s’intitule « Paris vu par…20 ans après » et « J’ai faim, j’ai froid » en fait partie.

Que dissimule ce très beau titre ? L’histoire de deux fugueuses de 17 ans débarquant à Paris car elles « étouffaient à Bruxelles ». Insouciantes, vives, et sans le sou, elles ont envie de tomber amoureuses (après tout, Paris n’est-elle pas la ville de l’amour ?). En attendant de dégoter deux beaux garçons (un pour chacune, c’est plus pratique), elles ont faim, elles ont froid. Trouvant que le café et les tartines n’ont pas le même goût que chez elles, elles s’interrogent sur le meilleur moyen de gagner leur vie. Comme quoi, à Paris, il y a de la vie (ce n’est pas comme l’étouffement bruxellois).

Pour donner corps à ses héroïnes, la réalisatrice a choisi deux filles géniales, Maria de Medeiros et Pascal Salkin. Formidablement dirigées, elles passent leur temps à bouffer, à se foutre des conventions sociales, à scruter avec leurs grands yeux ce qui les entoure, à arpenter les rues avec la légéreté de la jeunesse, et à échanger avec nonchalance des mièvreries sur un joli mot – l’amour. En 1984, Chantal A. a déjà réalisé quelques films, mais avec celui-ci, elle prouve – s’il fallait encore en douter – qu’elle est une grande cinéaste.

Katia Bayer

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Coté court, côté corps

Du 9 au 19 juin, la 19ème édition du festival Côté court s’expose à Pantin. Deux compétitions (fiction/expérimental, essai, art vidéo) se préoccupent de forme, d’écriture, de cinéma. En complément à cette cinquantaine de films, un Panorama offre un aperçu diversifié de la production courte actuelle à travers une vingtaine de titres empruntant de façon aléatoire à la fiction, au documentaire et à l’animation.

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Autres post-it, autres rendez-vous : une rétrospective dédiée à la représentation du corps au cinéma, un focus Thomas Salvador, une table-ronde sur un vilain mot (la censure), une journée d’étude sur les films hors circuits/hors normes, des films débridés et alternatifs, une soirée sulfureuse consacrée à trois Catherine (Corringer, Millet, Robbe-Grillet), … Cette année, ça rock, performe, lit, expérimente, se désarticule et se désaccorde à Pantin.

Retrouvez dans ce Focus :

Les films sélectionnés dans la catégorie Expérimental-Essai-Art vidéo

Les films sélectionnés dans la catégorie Fiction

Le Palmarès 2010

La critique de « Chienne d’histoire » de Serge Avédikian

L’interview de Serge Avédikian

La critique de « J’ai faim, j’ai froid » de Chantal Akerman

La critique de « Un chant d’amour » de Jean Genet

– La critique de « En rachâchant » de Danièle Huillet et Jean-Marie Straub

L’interview de Thomas Salvador

Les quelques photos de Paul Evrard

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La forme courte évolue. Lutinesque à Paris, restaurée à Retour de Flamme, animée à Lille, moyenne à Brive, israélienne à l’école, tabou en salle, bruxelloise à Bruxelles, cannoise en mai, elle se laisse à loisir interviewer, critiquer, photographier, éditer en DVD et même actualiser.

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Ce trimestre, l’Accueil Pro a accueilli des personnalités aussi contrastées que celles de Sarah Cox, Hagar Ben-Asher, Mihal Brezis, Stéphane Saint-Martin, Serge Bromberg, Peter Peake, Sébastien Bailly, Vincent Cardona, Frédric Boyer et Atom Egoyan.

Non loin de là, le Bureau des films a enregistré des titres aussi distincts que « Voyage autour de ma chambre », « Acide Animé », « Alice et moi », « La Flamme », « Cyrano de Bergerac », « Le Voyage dans la lune », « Tulips Shall Grow », « The Cook », « Une partie de cartes », « Operator », « Creature Comforts », « Tolya », « Sliding Flora », « Versailles, rive gauche », « Le Vice et la Vertu », « Tabu », « Annie de Francia », « Wagah », « Petit tailleur », « Mary Last Seen », « Chienne d’histoire », etc.

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Le prochain rendez-vous s’inscrit dans un Focus consacré au festival Côté court de Pantin et à sa rétrospective vouée au corps. Court, image, corps, métrage. Exploration, projection, figuration, émotion.

Katia Bayer
Rédactrice en chef

Festival Biarritz Amérique Latine, appel à films

Le Festival Biarritz Amérique Latine est devenu la référence pour le cinéma latino-américain. Il propose des compétitions de films inédits en longs-métrages, courts-métrages, et documentaires (en partenariat avec l’Union Latine). Outre les films en compétition, le festival propose chaque année des hommages et des rétrospectives autour de différentes thématiques ; il présente aussi une importante sélection de courts métrages provenant du Festival de Bruxelles, d’Aquitaine Image Cinéma et de l’association KIMUAK (Pays Basque espagnol).

Pour participer à la compétition, inscrivez vos courts métrages ici !

La 4ème compétition internationale du court indépendant – appel à films

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La ISFC (Indie Short Film Competition) organise un concours annuel pour sa quatrième édition. Toute candidature rentrée avant le 15 novembre 2010 est éligible.

La ISFC est plus qu’un festival, c’est une compétition en ligne unique et innovante pour des courts métrages et des scénarios. Le but principal du concours est de découvrir la prochaine génération de cinéastes et de scénaristes talentueux. Les gagnants seront récompensés par des prix, des soutiens financiers, de l’équipement et des services pour promouvoir leur carrière, ainsi qu’une visibilité internationale.

Pour plus d’information, consultez le site du concours : http://www.indieshortfilms.net/

M comme Miramare

Fiche technique

Synopsis : Aux frontières de l’Europe méditerranéenne, les touristes se relaxent tandis que les immigrés cherchent une vie meilleure. En outrepassant la zone touristique, deux enfants d’une famille suisse découvrent que la réalité a peu à voir avec la belle vie au camping. Un orage surprend la côte et chamboule les repères…

Réalisation : Michaela Müller

Genre : Animation

Durée : 8′

Année : 2009

Pays : Croatie, Suisse

Musique : Fa Ventilato

Son : Michaela Müller, Fa Ventilato

Animation : Michaela Müller

Production : Academy of Fine Arts in Zagreb

Articles associés : la critique du film, l’interview d’Atom Egoyan

Atom Egoyan : “Si vous êtes capable d’utiliser votre position pour aider une nouvelle génération, c’est tout à votre honneur”

Sympa, ôtant docilement ses lunettes de soleil pour la photo, Atom Egoyan, le réalisateur d’ « Exotica » et plus récemment de « Chloé » était cette année à Cannes à double titre, celui de Président du Jury de la Cinéfondation et de la Sélection officielle. Rendez-vous express, entre deux journalistes étrangers et deux coupes à bulles.

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Cette année, vous êtes à Cannes pour voir et juger les courts métrages dans deux sections. Faites-vous une distinction quand vous évaluez les films en sélection officielle et ceux faits à l’école ?

C’est une bonne question. Je pense que la forme courte est quelque chose de spécifique. C’est comme la nouvelle. Il y a des écrivains qui travaillent dans le format de la nouvelle et il y a des réalisateurs qui travaillent dans le format du court métrage. C’est vrai que les gens sélectionnés à la Cinéfondation sont très souvent ceux qui aspirent à faire des longs alors que je suis sûr que dans la compétition, ce sont des gens qui utilisent la forme du court pour elle-même. C’est une grande différence effectivement.

Vous savez, au Canada, il y a le National Film Board (NFB), on nous enseigne le format du film court dans les écoles, on a d’excellents réalisateurs qui ont toujours et seulement travaillé dans le court métrage, alors, c’est quelque chose que je respecte. Mais vous avez raison, je pense que la plupart des gens ne voient probablement pas que les deux jurys évaluent les films de manière très différente.

Qu’avez-vous envie de trouver dans les films d’écoles aujourd’hui ? Avez-vous le regard tourné vers les jeunes générations ou cherchez-vous de nouvelles propositions de cinéma?

Avec le jury de la Cinéfondation, on s’est vraiment intéressé à l’intégration de la forme dramatique avec de nouvelles formes d’expression cinématographique. Le travail que les réalisateurs ont mené avec les acteurs a aussi été très important dans nos décisions. On a eu des films dramatiquement construits, mais ça a été très difficile de juger parce qu’il y avait aussi dans ce jury d’excellentes animations comme « Miramare » de Michaela Muller qui est un pur chef d’oeuvre.

Dans votre pays, suivez-vous aussi le travail de jeunes réalisateurs ou le faites-vous juste ici par votre fonction ?

Oh non. Je suis obsédé par ça. Je produis des premiers longs, les plus connus étant ceux de Sarah Polley. Je possède aussi un petit cinéma de cinquante salles à Toronto où on montre de nouveaux films, des travaux digitaux, etc. J’essaye de soutenir de nouveaux talents, c’est très important, je crois…

… D’aider ?

Oui ! Si vous êtes capable d’utiliser votre position pour aider une nouvelle génération, c’est tout à votre honneur. En plus, au Canada, il y a une tradition des réalisateurs indépendants vraiment étonnante. Aujourd’hui, elle est mise en danger car on vit à côté des Etats-Unis, d’une culture monolithique. Malgré tout, on essaye de créer notre propre voie.

Quand vous avez commencé à faire du cinéma, étiez-vous aussi libre que ces jeunes gens semblent l’être aujourd’hui ?

J’ai eu un parcours très étrange. J’ai été à l’université, je n’étudiais pas le cinéma mais je faisais des films à travers un ciné-club. C’était très cher de faire des films car on n’avait pas d’autre choix que de filmer en 16 mm. Je me souviens qu’il y avait beaucoup de restrictions. Ce qui est incroyable maintenant, c’est qu’il y a énormément de liberté quand on tourne.

Ce qui est important, c’est de se demander si on considère encore les images aussi attentivement maintenant que l’on peut filmer n’importe quoi. Ce qui a été encourageant dans les films qu’on a vus à la Cinéfondation, c’est que même si ils ont été tournés en vidéo ou avec des montants confortables, tous ces réalisateurs ont été incroyablement concentrés par les images qu’ils ont tournés et par les performances sur lesquelles ils ont travaillé. Ils ont eu énormément de liberté. Je pense que la barrière la plus grande pour moi au début était juste l’argent. C’était difficile de monter des budgets, mais ce qui est étrange, c’est que ces minuscules montants s’avèrent aujourd’hui suffisants grâce à la révolution numérique. Je crois que la question à laquelle les jeunes cinéastes ont encore vraiment besoin de s’astreindre est la suivante : que faut-il essayer d’exprimer ? C’est ce qui communique au spectateur, ce sens d’une vision claire. Le problème avec beaucoup d’images qui nous entourent, c’est que ces considérations ne sont pas posées et qu’on n’a pas affaire à du cinéma.

Qu’est-ce qui est très particulier au court, selon vous ? Un jour, reviendrez-vous au genre court ?

Oui. Un long est plein de conventions au niveau structurel et financier. Un court est libéré de beaucoup d’éléments propres à l’industrie du long, donc le cinéaste est libre d’explorer ce qu’il veut. Il y a deux ans, j’ai fait un court pour les 60 ans du festival de Cannes [« Artaud Double Bill »], et c’est un exercice que je réitérerais volontiers.

Propos recueillis par Katia Bayer

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C comme Chienne d’histoire

Fiche technique

Synopsis : Constantinople 1910. Les rues de la ville sont envahies de chiens errants. Le gouvernement en place depuis peu, influencé par un modèle de société occidentale, fait appel à des experts européens pour choisir une méthode d’éradication, avant de décider brutalement et seul, de déporter massivement les chiens sur une île déserte, au large de la ville.

Genre : Animation

Durée : 15′

Année : 2010

Pays : France

Réalisation : Serge Avédikian

Scénario : Serge Avédikian, Karine Mazloumian

Images : Frédéric Tribole

Animation : Jimmy Audoin

Décors : Thomas Azuélos

Musique : Michel Karsky

Montage : Chantal Quaglio

Son : Christophe Heral

Interprétation : Brady Corbet, Alexia Rasmussen, Stefanie Estes

Production : Sacrebleu Productions

Articles associés : la critique du film, l’interview de Serge Avédikian

Chienne d’histoire de Serge Avédikian

« Voyez les chiens : (…) Leur décision de nous admettre les force d’habiter, pour ainsi dire, aux confins de la nature qu’ils dépassent constamment de leur regard humanisé et de leur museau nostalgique. » – R. M. Rilke

Récompensé de la Palme d’or à Cannes cette année et présenté au festival Côté court cette semaine, « Chienne d’histoire » du réalisateur français Serge Avédikian explore la mise à mal du rapport bienveillant établi entre l’homme et le chien. L’animation se met au service de l’Histoire pour exprimer l’indicible, un véritable canicide.

Interpellé par « la nature perverse des rapports entretenus par les Européens et les Turcs » à l’époque, Serge Avédikian dresse un portrait animé de Constantinople en 1910, à la veille de la chute de l’empire ottoman. Contrariés par la trop grande présence canine dans les rues de la capitale, les officiers du régime « jeune-turc » font appel à des experts européens pour trouver une solution. Peu séduits par la proposition élaborée par l’Institut Pasteur de construire des abattoirs hors de la ville, ils optent pour une déportation en masse des canidés sur une île où l’espèce la plus dépendante de l’homme sera livrée à elle-même.

Récit minimaliste, sans dialogue et sans personnages vraiment définis, « Chienne d’histoire » s’inspire entre autres de L’île aux chiens de Georges Goursat (dit Sem) et des Chiens d’Istanbul de Catherine Pinguet (avec qui Avédikian a réalisé un documentaire live-action sur ce même sujet). Rappelant le fameux conte du dératiseur médiéval, le Joueur de flûte de Hamelin, cette animation courte se présente telle une succession de tableaux. Les aquarelles du dessinateur Thomas Azuelos montrent les chiens et les humains comme des silhouettes. La palette visuelle est enrichie par une polychromie qui oppose l’impressionnisme doux et onirique des cartes postales d’Istanbul de l’époque et l’expressionnisme sanglant et dantesque des images de l’enlèvement des chiens. Ce travail de l’image est renforcé par une partition sublime, signée Michel Karsky, cauchemardesque et hautement expressionniste, elle aussi.

Subtil et mesuré, Avédikian construit habilement son récit sur la base d’un jeu scopique délibéré : l’échange de regards parlants entre un gardien et une chienne, les photographies et les croquis de la meute désespérée faits par des touristes horrifiés, jusqu’au plan de la « colline de chiens » entourée d’une flopée de rapaces. Ces images interpellent le spectateur et le placent malgré lui comme témoin de l’atrocité, témoin d’une scène qui lui apparaît inévitablement comme métaphore d’une autre extermination, humaine cette fois-ci, qui surviendra dans l’empire à peine cinq ans plus tard.

Adi Chesson

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Articles associés : l’interview de Serge Avédikian, la critique de « Histoire de chiens »

T comme Tre Ore

Fiche technique


Synopsis : Rome, aujourd’hui. Un père condamné pour meurtre, une fillette très franche. Le Tibre sépare la ville et unit leurs vies… le temps d’un après-midi.

Genre : Fiction

Durée : 12’

Année : 2009

Pays : Italie, France

Réalisation : Annarita Zambrano

Scénario : Annarita Zambrano

Image : Maura Morales Bergmann

Son : Brando Mosca

Montage : Annalisa Schillaci

Décors : Sophie Neil

Musique : Virgile Van Ginneken

Interprétation : Rolando Ravello, Sofia Ravello, Valentina Carnelutti

Production : Annarita Zambrano, Sensito Film

Article associé : l’interview de Frédéric Boyer

Frédéric Boyer : “Les cinéastes de courts comme de longs ressemblent à leurs films”

Depuis plus d’un an, Frédéric Boyer est le nouveau délégué général de la Quinzaine des réalisateurs. Successeur d’Olivier Père parti pour Locarno, il continue de s’intéresser au court métrage malgré ses nouvelles fonctions. CQFD en quelques réponses.

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La Quinzaine des réalisateurs programme des séances de courts et de moyens métrages à la fin du festival. Pourquoi en montrer alors que Cannes a pour vocation d’être un festival de longs ?

Je ne sais pas. Pour moi, ce sont des films à part entière. J’adore le court, mais c’est là où le visionnage est le plus pénible, on y voit vraiment des choses pas possibles. Ce n’est pas parce que les caméras numériques sont arrivées qu’il y a eu plus de talents, ça n’a rien changé. Dans la même veine, on pensait qu’il y aurait plein de cinéastes grâce au téléphone portable, mais cela n’a pas été le cas. On se rend compte que le niveau général est assez faible, mais on arrive quand même à resserrer les bons films et à détecter LE metteur en scène de chaque pays, comme pour le long métrage.

Depuis cette année, on essaye de ne présenter que des premières mondiales, des films qui ont un univers particulier, des réalisateurs qui n’ont pas un langage sous influence, qui essayent de parler d’eux-mêmes et de leur pays. Pour moi, les cinéastes de courts comme de longs ressemblent à leurs films.

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« Petit tailleur » de Louis Garrel

Y a-t-il des gens que vous suivez plus particulièrement que d’autres ? La Quinzaine est-elle fidèle à certains réalisateurs comme par exemple Louis Garrel ?

Je déteste la fidélité, enfin en cinéma. Ça ne m’intéresse pas de reprendre un réalisateur pour la quatrième fois. Je préfère offrir le tampon de la Quinzaine à une nouvelle personne qui vient pour la première fois à Cannes. Concernant Garrel, c’est autre chose : j’aimais bien « Mes copains », son premier film, et je trouve le deuxième, « Petit tailleur », extra.

Vous proposez de mettre en avant des auteurs, mais en court, vous ne soutenez que les jeunes réalisateurs. Pourquoi en court, n’y a-t-il pas une attention égale pour les jeunes et les cinéastes confirmés, à l’image de ce que vous faites dans le long ?

J’adorerais… J’adorerais qu’un cinéaste connu fasse un court et qu’il soit tout de suite pris en sélection. Mais ça arrive rarement ou alors, il se retrouver en sélection officielle.

À Cannes, la concurrence pour le long existe-t-elle aussi pour le court ? Y a-t-il des films qui vous échappent à cause des autres sections ?

Oui. Je me suis fixé une règle avec la Semaine de la Critique, avec la bande de trois sélectionneurs de courts dirigée par Bernard Payen. Quand je sais qu’un film est invité à la Semaine, je ne le prends pas Quand une situation pareille a lieu avec la Compétition officielle, là, on ne peut rien faire. Il y a toujours un ou deux films qu’on a repérés et qui sont sélectionnés là-bas.

Est-ce que les courts sont suffisamment mis en évidence à Cannes ?

À Cannes, le court passe toujours à la fin, sauf à la Semaine de la Critique où les courts passent quotidiennement avant les longs. Pour nous, c’est différent : la séance de courts passe à la fin avec les moyens métrages.

Ce qui me désole, c’est qu’il y a un manque de curiosité de la part de la presse à l’égard du court. Je sais bien qu’on est à la fin du festival, mais tout le monde a l’air de s’en foutre, et les courts ne sont jamais chroniqués. Je trouve ça dingue ! En tant que cinéphile, j’ai 25 ans de Cannes derrière moi. Avant de rejoindre la Quinzaine, j’allais voir tous ces films. Je n’étais pas journaliste, mais au moins, je pouvais dire que tel ou tel film roumain ou italien était intéressant.

Comment la sélection des courts se fait-elle par rapport aux longs ? Quels critères vous orientent, vous incitent à vous dire qu’un film a vraiment quelque chose ?

On est tellement pris par les longs que la sélection des courts est la dernière chose qu’on fait. On travaille sur les quinze films qui m’ont été présélectionnés par le comité qui en a vu 1500, pour n’en prendre que sept. On se fait des sessions tous ensemble, c’est crucial qu’on soit au complet pour les visionner, en discuter, les revoir, et les évaluer les uns par rapport aux autres. Dès qu’un réalisateur commence à nous étonner avec quelque chose de différent, ça nous intéresse.

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« Tre ore » de Annarita Zambrano

Cette année, pour moi, c’était très important de montrer « Tre Ore » [Annarita Zambrano], un film italien magnifique, très simple, cadré, avec deux acteurs. Si un type filme son père et son petit frère au musée, ça me suffit. Je peux aussi aimer un film pour ses acteurs et ses trois lignes de dialogue. Je ne suis pas spécialement quelqu’un du visuel, j’adore l’imaginaire, le décor, les personnalités, … Le geste peut être très simple. Ce qui m’énerve, c’est quand je sens la lourdeur cinématographique, des plans et des travellings à excès. Moi, ce que je veux, c’est un truc qui soit comme « Shikasha » du japonais Isamu Hirabayashi. Le mec est dans son trip, on aime ou on n’aime pas, mais au moins, il y a quelque chose, un vrai point de vue original.

Le mystère, le point de vue, le regard, donc. Après, la qualité technique, ce n’est pas très important pour moi, mais il faut quand même que le film soit bien monté, qu’on sente les points de coupe, la dynamique, la modestie du réalisateur, sa capacité à ne pas être trop sous l’influence d’autres cinéastes.

Par le passé, vous avez sélectionné des films d’écoles. Pourquoi vous intéressez-vous au travail d’étudiants ?

On est en contact avec les écoles de cinéma, on leur demande qu’elles nous envoient les films de dernière année parce qu’on espère toujours mettre en avant un génie fou. Un nouveau Lars von Trier qui n’aurait jamais été repéré.

Propos recueillis par Katia Bayer

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Article associé : la critique de « Petit tailleur »

Le Court en dit long, les prix

• Le Grand Prix Le Court en dit long : L’Heure bleue de Michaël Bier et Alice de Vestele

• Le Prix du Scénario : décerné à David Lambert pour Vivre encore un peu

• Le Prix d’interprétation féminine : Ingrid Heiderscheidt dans Putain Lapin de Guérin Van de Vorst

• Le Prix d’interprétation masculine : Jean Lognay dans Mijn Broer de Brieuc de Goussencourt

• Mention spéciale du Jury : Nimbus Machina de Thomas Plaete

• Mention spéciale du Jury : Sous un coin de ciel bleu de Cécilia Marreiros-Marum et Arnaud Demuynck

• Le Prix du Public : Tabu de Vincent Coen et Jean-Julien Collette

• Le Prix Cinécourts : Na Wewe de Ivan Goldschmidt

• Le Prix Be-TV : Putain Lapin de Guérin Van de Vorst

• Le Prix Coup de Cœur, décerné par Critikat.com : Hors chant de Renaud de Putter

M comme Mary Last Seen

Fiche technique

Synopsis : Une jeune femme part avec son petit ami pour un week end en amoureux. Mais très vite, le comportement de son compagnon laisse à penser qu’elle se trompe sur la nature relation et sur le but de leur voyage.

Genre : Fiction

Durée : 13’

Année : 2010

Pays : Etats-Unis

Réalisation : Sean Durkin

Scénario : Sean Durkin

Images : Drew Innis

Montage : Sean Durkin

Interprétation : Brady Corbet, Alexia Rasmussen, Stefanie Estes

Production : Borderline Films

Article associé : la critique du film

Mary Last Seen de Sean Durkin

La traque

Sélectionné à la Quinzaine des Réalisateurs, Prix SFR ex aequo avec « Cautare » du Roumain Ionut Piturescu, ballade musicale sur les routes de Transylvanie, « Mary Last Seen » est aussi une ballade en voiture, mais d’un tout autre genre. La voiture est un tank hermétique sur roue (un 4×4 quoi) qui s’enfonce depuis les routes immenses et de plus en plus désertes des Etats-Unis vers la forêt profonde. Le second court métrage de l’Américain Sean Durkin laisse pantois. Glaçant, glacé… où comment se faire prendre dans les fils d’une caméra bien tissée…

On rentre dans « Mary Last Seen » par un long plan séquence qui n’en finit pas. On glisse sur la route. Une voix féminine chantonne. Celle, agacée, d’un homme, l’interrompt. Dès cette image, le malaise s’installe. Où se situe cet échange ? Qui filme ? Sommes-nous  dans la voiture ? Est-ce celle que nous suivons ? Et déjà le ton, un peu trop autoritaire, surprend. Le second plan, panoramique à 360°, capte à nouveau des mots brusques et un geste, étrange, qui allume notre méfiance. Un jeune homme emmène sa belle à la campagne. Une surprise. Elle ne sait pas où ils vont. Mais très vite, au fil d’une route de plus en plus abandonnée, d’un chemin de plus en plus tortueux, derrière les gestes amoureux et les mots tendres, les chamailleries ou les réconciliations, le malaise se renforce : la manipulation est de plus en plus évidente. Et de plus en plus glaçante. Grâce à la présence singulière du comédien Brady Corbet, aux yeux très bleus et très froids, la force du film s’étire dans la tension de son personnage et dans sa réalisation, toute en coulée, glissante et lisse le plus souvent, qui ne se joue des échelles de plans que pour semer le trouble sur qui voit quoi.

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À la manière des films d’horreur, court et plutôt sec narrativement, le film travaille quelques plans-séquences bien sentis avec un sens de la durée particulièrement brillant. Et comme tout bon film d’horreur, à nouveau, la caméra se glisse dans les pas de l’un qui guette l’autre et qui n’en devine rien. La profondeur de champ, immense, reste toujours celle d’un regard, celui de l’homme qui guide Mary, l’accompagne, la mène par le bout du nez, la surveille, la guette. Et jusqu’au bout, le doute plane. L’amour n’est-il pas un rapport qui exige l’abandon ? La puissance du film tient aussi à cette ambiguïté. Au jeu de l’amoureux auquel nous nous laissons prendre. Si l’on peut regretter que le film prenne parfois un peu la pause – comme lors de ces ralentis dans l’eau -, si l’on peut aussi lui reprocher un petit côté film à tricks, bonne idée de scénario bien ficelé – qui en plus se donne le luxe de ne donner aucun véritable éclaircissement – , il n’en reste pas moins que Sean Durkin fait preuve d’un sacré sens de la mise en scène. Froide, bleutée et glissante. De quoi geler sur place.

Diplômé de la Tisch School of the Arts de New York, Durkin devrait cet été se retrouver à Sundance au Summer’s Directors and Screenwriters Lab, où le projet de son premier long métrage a été sélectionné. « Martha Marcy May Marlene » raconte cette fois un retour, celui d’une jeune femme échappée d’une secte dans sa famille…Une suite donc ? En tous les cas, on prendra volontiers le risque de mourir congelé devant son premier long métrage.

Anne Feuillère

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Palmarès de la 13e Nuit des Lutins

Lutin du meilleur film : ¿ Dónde está Kim Basinger ? de Edouard Deluc

Lutin des meilleurs costumes : Györgyi SzakÁcs pour L’histoire de l’aviation

Lutin des meilleurs effets spéciaux : Bif pour Dix

Lutin des meilleurs décors : Sidney Dubois pour Les astres noirs

Lutin du meilleur son : Julien Maisonneuve, Luc de la Selle, Bruno Seznec, Fabien Devillers et Sébastien Marquilly pour L’homme à la gordini

Lutin du meilleur montage : Frédéric Baillehaiche pour C’est gratuit pour les filles

Lutin de la meilleure photo : Mátyás Erdély pour L’Histoire de l’aviation

Lutin de la meilleure actrice : Nanou Garcia pour Annie de Francia

Lutin de la meilleure musique originale : Baptiste Bouquin pour Un transport en commun

Lutin du meilleur acteur : Philippe Rebbot pour ¿ Dónde está Kim Basinger ?

Lutin du meilleur scénario : Edouard Deluc, David Roux et Olivier de Plas pour ¿ Dónde está Kim Basinger ?

Lutin de la meilleure réalisation : Edouard Deluc pour ¿ Dónde está Kim Basinger ?

Lutin du meilleur film d’animation : Madagascar, carnet de voyage de Bastien Dubois

Lutin du public : Annie de Francia de Christophe Le Masne

T comme The boy who wanted to be a lion

Fiche technique

Synopsis : Max est un garçon sourd de 7 ans qui a grandi dans les années 60. Un jour, il part visiter un zoo avec son école, où il voit un lion pour la première fois. Un sentiment commence à naître, qui va lui changer sa vie à jamais.

Genre : Animation

Durée : 8’

Année : 2009

Pays : Royaume-Uni

Réalisation : Alois Di Leo

Scénario : Jérémie Dubois

Image : Benoit Soler

Animation : Alois Di Leo, Filipe Grimaldi, Windy Van Druten

Effets de synthèse : Juan Pablo Salazar, Anna Lind Saevarsdottir, Zsolt Balogh

Son : Luis Fernández Garcia

Montage : Esben B.W. Askgaard

Décors : Sophie Neil

Musique : Paul Pringle

Voix : Harry Boyd-Walker, Tristan Sturrock, Naomi Frederick

Production : the National Film School and Television School

Article associé : la critique du film

The boy who wanted to be a lion d’Alois Di Leo

L’habit ne fait pas le moine

Alois Di Leo, sorti tout récemment de l’école anglaise The National Film and Television School (NFTS), signe un film d’animation prometteur « The boy who wanted to be a lion ». Sélectionné à Cannes à la Semaine de la Critique, ce court métrage de huit minutes nous entraîne, dès les premières images, dans la mélancolie d’un conte philosophique pour le moins cruel.

Agenouillé dans sa chambre, Max, à la lumière d’une bougie, transforme ses mains en animaux d’ombres sur la tapisserie de sa chambre. Le jeu n’a qu’un temps, et il est l’heure déjà d’aller à l’école. Avant de sortir, l’enfant enfile son appareil auditif, appareil qu’il a tôt fait d’ôter dès qu’il entre dans le bus. Autour de lui, des enfants de son âge braillent bruyamment, créant en lui un chaos qui l’empêche de rêver, de se bercer doucement des sons qu’il entend intérieurement.

Ces sons, ce sont ceux d’une Afrique qu’il n’a sans doute jamais vue, mais qu’il peut imaginer peut-être mieux qu’un autre en parcourant des yeux le plan du zoo que l’école a prévu de visiter aujourd’hui. Seul dans le bus, seul dans le zoo, l’enfant, enfermé dans sa bulle, évolue dans un univers où les autres ne sont que de pâles silhouettes sans reliefs. Se frayant un chemin parmi elles, il découvre, émerveillé, un lion qui vient directement plonger dans ses yeux et bouleverser son existence. L’enfant, qui ne se sent pas de ce monde, croit enfin avoir trouvé le sien, croit enfin avoir trouvé un frère dans l’animal sauvage qui le fascine et dans lequel il se reconnaît.

Alois De Leo (son nom a t-il inspiré cette histoire ?) pose la question de l’identité et de la difficulté d’appartenir à un monde qui rejette la différence (ici, la surdité). Dans une esthétique de la fin des années 60, « The boy who wanted to be a lion » déroule son récit dans les couleurs chaudes de la savane dans lesquelles viennent se détacher le personnage de Max et celui du lion, créant ainsi une connivence du point de vue graphique. Pourtant, la connivence ne sera qu’un leurre. Max n’est pas un lion, et le monde sauvage auquel il aspire ne sera pas plus accueillant que celui dans lequel il évolue depuis son enfance.

Loin de vouloir offrir un conte de fée, le jeune réalisateur, avec une douceur et une mélancolie qui rendent la cruauté peut-être plus terrible encore, détruit toutes possibilités de rêve pour montrer l’hostilité d’un monde dans lequel la différence ne trouve pas de place.

Sarah Pialeprat

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A comme A distração de Ivan

Fiche technique

Synopsis : Ivan est un garçon de 11 ans. Il vit avec sa grand-mère dans la banlieue de Rio de Janeiro. À travers ses jeux d’enfants et chamailleries quotidiennes avec ses amis, il va gagner en maturité.

Genre : Fiction

Durée : 17’

Pays : Brésil

Année : 2009

Réalisation : Cavi Borges, Gustavo Melo

Scénario : Gustavo Melo

Image : Paulo Castiglioni

Son : Ives Rosenfeld Felippe Mussel

Montage : Fernanda Teixeira

Musique : Bernardo Gebara

Interprétation : Rodrigo da Costa 
Luciano Vidigal 
Mirian Pérsia 
Jhonatan Azevedo 
Marcelo Melo Jr. 
André Gonçalves

Production : Cavideo Produçoes

Article associé : la critique du film

A distração de Ivan de Cavi Borges et Gustavo Melo

« L’enfance retrouvée à volonté » (Baudelaire)

Sélectionné à la Semaine de la Critique, « A distração de Ivan » du tandem brésilien Cavi Borges et Gustavo Melo saisit le monde intérieur de l’enfance dans un Rio animé par la fièvre du football.

Ivan vit dans les quartiers populaires de Rio de Janeiro. Du haut de ses 11 ans, il contemple le monde qui l’entoure avec envie et admiration. Flanqué d’une grand-mère peu encline à partager la proximité de ses jeunes voisins, il limite ses occupations à jouer tout seul et à renvoyer le ballon de football d’une bande de jeunes qui trouve dans la rue le terrain qui lui manque. Dans les jeux de rue, la violence et l’agressivité palpables se font davantage ressentir lorsque après avoir eu un pot de fleurs renversé, l’ancêtre crève l’unique objet de distraction des jeunes, exhibant ainsi à son petit-fils, les travers de l’âme humaine.

La prise de conscience de l’injustice et de la frustration propulsent l’enfant dans le monde des adultes. Et, sur les chemins tortueux de Rio, il prend son vélo et pédale sa fureur de vivre. Passage difficile et douloureux qu’est celui qui mène à l’adolescence. La nostalgie des verts paradis de l’enfance évoquée chez Baudelaire sont dans ce film, nourris d’images fortes et sensibles.

En tournant « A distração de Ivan », le duo Borges-Melo a voulu poursuivre l’exploration des quartiers populaires, initiée dans leur documentaire « Vidigal ». Les cinéastes y distillent avec émotion la charge de réalisme dont sont animés les différents personnages. Le film est un cri sourd à travers une ville qui porte en elle les marques profondes de clivages incisifs. Doux-amer, il emporte le spectateur dans un petit coin d’enfance au milieu d’un monde d’adultes.

Marie Bergeret

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Vincent Cardona : « Il ne faut pas lâcher la première émotion”

« Coucou-les-nuages », son film de fin d’études, vient de remporter le deuxième prix à la Cinéfondation, à Cannes. Interpellé par la vie, le non-formatage et les rencontres, Vincent Cardona, en passe de sortir diplômé de la Fémis, revient sur son parcours et ses questionnements.

L’évidence, le résultat

Le cinéma a toujours été une sorte d’évidence pour moi. N’ayant aucun contact dans le milieu, ce projet me paraissait improbable. Grâce à des copains en Cinésup, j’ai appris l’existence d’écoles publiques de cinéma en France. Du coup, après des études en philosophie, j’ai tenté la Fémis pour me donner les moyens de faire du cinéma. Dans mon coin en Bretagne, personne ne connaissait la Fémis. Quand j’ai annoncé aux gens que j’étais pris, tout le monde s’en foutait !

J’ai passé deux fois le concours en réalisation. La première année, j’ai été recalé au deuxième tour. L’année suivante, je me suis mieux renseigné sur l’épreuve technique. En arrivant, on te fournit un texte et deux photos de comédiens qui vont jouer pour toi. Tu t’isoles dans une salle et tu prépares pendant une heure une scène que tu tournes juste après. Sur le plateau, un jury t’observe en ne parlant pas, ensuite, tu discutes de tes rushes avec deux autres personnes. C’est très bizarre de tourner et de parler juste après de son désir de cinéma, de son rapport à la mise en scène. Quelque soit le texte, je me suis dit que je ferais un plan séquence en plusieurs prises, avec des variations, mais pas un film à monter. La scène, je m’en fichais, c’était un prétexte. Ce que je voulais, c’était montrer un résultat : adresser une lettre filmée aux personnes qui allaient voir les rushes. J’ai été pris.

16/26

En première année, on nous donne la possibilité de faire un film en 16 mm, « une fiction 16 ». J’ai ainsi fait un film qui s’appelle « Le pénis de Napoléon » que j’ai revu récemment. J’y ai retrouvé des motifs vaguement prémonitoires de mes films suivants (un équilibre entre la comédie et le drame, un intérêt pour la maladresse, un goût pour les films peu narratifs). Je pense que cette continuité s’explique par le fait que je suis entré à la Fémis assez vieux, à l’âge de 26 ans. J’ai tiré profit du fait d’y accéder sur le tard. J’ai eu besoin de tout ce temps pour arriver à définir mes envies de travail, à appréhender un peu mieux mon propre rapport au langage cinématographique. Un mystère demeure : dans mes deux derniers films, une notion fantastique est apparue, et je ne sais pas d’où elle vient.

La liberté, le formatage

À la Fémis, on est très bien loti, on est très libre. Pourtant, au début, j’avais très peur du formatage. On m’en avait beaucoup parlé, on m’avait dit de faire attention. En rentrant, je me demandais comment on allait réussir à me formater, à me faire faire des films « Fémis ». Je craignais de perdre ma singularité et mes envies. En réalité, c’est bien d’avoir peur. Ça oblige à être encore plus vigilent, à revenir sans arrêt à l’émotion première du film. Même si c’est difficile, même si la fabrication d’un film est très fragmentée, il ne faut pas lâcher cette émotion, il faut tenter de faire en sorte que le film lui corresponde.

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L’apprentissage

Je suis en accord avec la pédagogie de l’école qui consiste à dire qu’on apprend le cinéma en faisant des films. Mon avant-dernier film, « Sur mon coma bizarre glissent des ventres de cygnes » est arrivé après un moment important, un stage sur le film « Hadewijch » de Bruno Dumont. J’étais à la fois assistant mise en scène et assistant régie. Avant, ce qui m’intéressait au cinéma, c’était la vie, la vitalité, l’évitement du théorique, du derrière l’écran. Naïvement, je croyais que l’expérience vécue du tournage et l’enthousiasme de l’expérience contribuaient à mettre de la vie dans le film. Par la suite, en me retrouvant sur le plateau de Dumont, j’ai découvert une vraie puissance cinématographique, et le tournage m’est apparu comme une messe. C’était très silencieux, extrêmement pragmatique, il n’y avait pas de postures, pas d’artifices. Dumont est un cinéaste au travail, et un tournage, c’est vraiment de l’ordre du travail et de l’artisanat. Bizarrement, je n’ai intégré cette notion qu’à ce moment-là. Du coup, quand je suis arrivé sur « Mon coma », je me suis dit que la vie, c’était ce qu’il y avait devant la caméra, qu’il fallait rester concentré sur le film, et que le reste n’avait aucune importance. Après, sur mon film de fin d’études, j’ai plutôt rééquilibré les choses, en restant dans la concentration mais en prenant aussi en considération l’environnement du tournage.

Le souci documentaire, les comédiens non professionnels

Dans « Coucou-les-nuages », il n’y a que trois comédiens professionnels. Les autres comédiens sont mes voisins vivant près de chez mes parents. À la Fémis, c’est quasi impossible dans les films et les exercices, d’aller tourner ailleurs qu’à Paris ou en région parisienne pour des raisons de budgets mais pour le film de fin d’études, on a la possibilité d’aller où on veut. J’ai ressenti un désir fort d’aller tourner à côté de chez moi et le besoin de saisir cette opportunité-là.

Les comédiens non professionnels m’offrent une cohérence, un lien avec le documentaire. Même si le cinéma est une imposture, ça m’aurait semblé violent de faire venir un car de comédiens depuis Paris. Je n’aurais pas vraiment assumé cet artifice.

Le parti pris de l’exposition

Je me suis mis mis en scène dans tous mes films. Ce n’est jamais quelque chose qui se dessine très en amont, mais cela arrive comme une évidence. Ce n’est pas toujours confortable d’être derrière la caméra, d’envoyer les comédiens au front. J’aime l’idée des limites personnelles, de l’inconfort, ça m’intéresse d’aller de l’autre côté de la caméra, de partager cette exposition avec les comédiens, de mouiller moi aussi ma chemise.

Découvrir une comédienne, travailler avec Mathilde Bisson

En deuxième année, j’ai travaillé avec les élèves du Conservatoire à l’occasion d’un atelier animé par Noémie Lvovsky. Pour moi, ça a été un cadeau incroyable et un très beau moment d’apprentissage d’avoir à disposition dix jours, une petite caméra et six jeunes comédiens super motivés, boursouflés de vitalité ayant un vrai désir de cinéma et de jeu pour la caméra.

À ce moment-là, il y a eu la rencontre avec Mathilde, elle faisait partie de ce groupe. Depuis qu’on est ensemble, on fait les films à deux. Mathilde écrit autant son personnage que moi, on est au diapason, on sait exactement ce qu’on recherche dans chaque scène. Après, il y a son talent propre, son rapport exceptionnel au jeu, sa spontanéité. Dans ce que j’essaye de mettre en place, à un moment donné, il faut que dans le dosage, dans la recette, il y ait une Mathilde Bisson.

Le court derrière soi

Pour le moment, ça ne m’intéresse pas trop de refaire des courts. J’en ai fait beaucoup, ma culture et mon goût du cinéma viennent du long, et finalement, c’est très paradoxal qu’une école de cinéma nous entraine à faire du court. Ce n’est pas tout à fait la même chose de faire un court et un long, en plus, ce sont deux mondes très différents. Par ailleurs, je ne pense pas que le court soit une préparation au long. Quand on en a fait un ou deux, c’est très bien, mais ça ne sert à rien de multiplier les expériences de courts pour se rassurer ou rassurer les investisseurs, pour un jour tenter l’expérience du long.

Transition Fémis

Quand j’ai été admis à l’école, c’était au moment des 20 ans de la Fémis. J’avais lu un article dans lequel de nombreuses personnes qui étaient passées par l’école répondaient à la question : « Qu’avez-vous retenu de votre passage à la Fémis ? ». Il y avait toutes sortes de réponses, et comme je m’apprêtais à y entrer, je me suis demandé ce que je répondrais si on me posait la question. Pendant mes études aussi, je me suis interrogé sur ce sujet. Ce que je retiens, finalement, ce sont les rencontres. Pour moi, la grande différence a été le passage d’un état à l’autre : avant, je ne connaissais personne pour qui le cinéma était une chose concrète. Maintenant, alors que je m’apprête à sortir de cette école, je connais des gens pour qui le cinéma n’est pas de l’ordre du fantasme.

Propos recueillis par Katia Bayer

Article associé : la critique du film 

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