En janvier festivalier, « Zeitriss » nous avait troublés par la beauté de son noir et blanc, par l’originalité de son cadre et par l’éclatement de sa structure narrative. En septembre, son réalisateur, Quimu Casalprim i Suárez, débarquait à Paris, à l’occasion du festival Silhouette. Rendez-vous virtuel avec cet étudiant catalan à l’école KHM de Cologne.
Quel a été ton parcours cinématographique jusqu’ici ?
Après mes études secondaires, j’ai étudié les médias audiovisuels et ai travaillé autour de la musique électronique et des performances visuelles. À l’âge de 24 ans, j’ai laissé tomber l’audiovisuel pour faire de la philosophie à l’université. Au bout de cinq ans, après avoir obtenu mon diplôme, j’ai repris mon travail de création, non plus de performances mais d’œuvres fixées. Je me suis d’abord tourné vers l’art vidéo et ensuite vers le cinéma. Je me suis installé en Allemagne et en 2007, j’ai rempilé avec un master à la Media Art and Film de Cologne. C’est là que j’ai tourné « Zeitriss » et que je viens de terminer mon film de fin d’études, il y a deux semaines.
« Zeitriss » n’est pas un film classique. On pourrait le voir comme une réalisation hybride ou expérimentale. Comment as-tu conçu un tel film ?
C’est très difficile de répondre à cette question. Et c’est encore plus difficile de caser certaines œuvres dans des catégories. Je dirais que je ne fais pas trop attention aux conventions. Je fais juste ce en quoi je crois et ce que j’estime avoir une pertinence artistique.
Un des éléments les plus forts du film est le choix du cadre. Tu as coupé les têtes des personnages à l’image, ce qui rend ton film à la fois impersonnel et universel.
C’est vrai, c’est un choix personnel. En un sens, dès la première scène, chaque spectateur peut attribuer le visage de son choix aux deux personnages. D’une part, ça modifie, voire contraint l’identification directe avec la figure, mais de l’autre, ça la rend plus facile aussi. Bien sûr, le choix du cadre évoque aussi d’autres enjeux narratifs, comme les problèmes de communication, et les rôles respectifs dans la société. Mais pour moi, l’aspect le plus important c’est bien l’utilisation de l’hors-champs pour stimuler l’imagination.
Les plans sont très mixtes : ils sont réalistes stroboscopiques, en négatifs, surexposés ou encore sous-exposés. D’où vient ce choix d’une image aussi éclectique ?
Pour moi, le film a une grande unité, mais à chaque moment il adopte le type d’image dont la narration a besoin. Par exemple, dans le salon, l’image doit avoir l’air normale, démodée, comme dans un film classique, car elle sert à décrire la vie des personnages et ce qui en résultera. À l’inverse, lorsqu’il s’agit de la dissolution des personnages, de l’histoire, voire du film lui-même, j’ai choisi une image scintillante et stroboscopique, pour montrer la destruction de la structure temporelle.
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Et le sujet lui-même? On dirait que tu veux montrer l’immobilité, l’ennui et l’hypocrisie propres à une certaine classe sociale.
C’est compréhensible que certains spectateurs pensent à la même chose que toi. C’est une interprétation que je valide, et qui est peut-être même plus adéquate que la mienne. Je ne fais pas des films pour expliquer mon point de vue sur le monde ni pour le critiquer. Et je suis sûr que mon opinion n’a pas d’importance pour le film lui-même. En tout cas, pour moi cette classe sociale n’est que l’emballage, le contexte, la scène pour le film et son sujet. En général, personne ne mentionne les deux seules phrases du film prononcées par la femme : « Et maintenant… Ne me demande pas ce qui s’est passé. » Pour moi, c’est là que réside tout le message du film : le non-sens des décisions, l’impossibilité de reconnaître notre volonté, la perte de tout contrôle de soi, et la rupture subite avec son identité. Le film narre le moment où rien ne compte plus, le moment de la fêlure. Une femme bourgeoise et son mariage sont un bon exemple pour traiter de ce sujet, mais c’en est un parmi d’autres.
Parle-nous du travail sur la bande-son. Le film semble être entièrement porté par le rythme du tic-tac d’une horloge.
Pour le son, c’est plutôt évident. Chaque élément du paysage sonore est présent parce qu’il sert à la narration : tout d’abord le silence entre le couple, renforcé par le bruit méticuleux de chaque objet et de chaque geste. Ensuite, le fondu sonore de l’horloge et le vrai silence du vide. Et enfin, la furie et le chaos de la violence. Le son est extrême, mais le film l’est aussi. Il ennuie, il fascine, il fait mal. Peut-être que mon prochain film sera plus subtil !
Est-ce que ça a été difficile pour toi de trouver un financement pour un tel film? Est-ce que la forme du film a influencé la production?
Le film a été produit par la KHM, l’école où je fais mes études, j’ai également bénéficié d’une bourse du gouvernement catalan, mais le financement du film a surtout été privé. Ce n’est pas facile de trouver des moyens pour ce genre de projets.
Tu es à Paris pour présenter ton film et pour évoquer l’état du court métrage en Allemagne. Selon ton expérience, quelle est la situation des films indépendants là-bas ?
Je n’ai pas assez d’expérience pour parler de la situation actuelle, passée et future en Allemagne. En tout cas, il est bien connu que ce pays est un nœud important pour le cinéma indépendant. Il y a une grande tradition, beaucoup de fonds de soutiens et de système de diffusion en la matière. J’ai de la chance de pouvoir en faire partie.
As-tu été tenté par l’idée de faire du cinéma en Espagne ? Comment se passent les choses là-bas par rapport à l’Allemagne en ce qui concerne le court ?
J’ai effectivement été tenté de faire des films en Catalogne, d’où je viens, et j’en ferai bientôt, j’espère. Quand j’ai quitté Barcelone, je ne connaissais pas très bien le milieu du cinéma et c’est toujours le cas. En Allemagne en revanche, j’ai commencé à produire des films, c’est donc ici que je me sens à l’aise et confiant par rapport aux possibilités. Idéalement, ce serait une bonne idée de viser des coproductions germano-catalanes.
Tu mentionnais au début ton film de fin d’études. À quel stade en es-tu ?
Je l’ai tourné il y a deux semaines. J’en suis au stade du montage et ça va assez vite, parce qu’il y a beaucoup de plans-séquences. La post-production et le montage son risquent par contre de prendre plus de temps. C’est une fiction de 45 minutes en noir et blanc, non dialoguée, avec deux récits parallèles. Elle traite de sujets comme la solitude, la perte du premier amour, le silence de Dieu et le Rhin. Pour le moment, le titre est « Galileos monde » (les Lunes de Galilée). J’espère pouvoir le présenter l’année prochaine et qu’il aura encore plus de succès que « Zeitriss » !
Propos recueillis par Katia Bayer et traduits par Adi Chesson
Article associé : la critique du film
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