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Amore Mio de Guillaume Gouix 

Amore Mio, le premier long métrage de Guillaume Gouix sort en salles ce mercredi 1er février 2023, produit par Agat Films – Ex Nihilo, distribué par Urban Distribution. Déjà repéré en tant qu’acteur dans la série Les Revenants et dans les films La French, Minuit à Paris, et plus récemment dans Les choses qu’on dit, les choses qu’on fait d’Emmanuel Mouret, Guillaume Gouix avait déjà réalisé trois courts-métrages prometteurs : Alexis Ivanovitch vous êtes mon héros (2011), Mademoiselle (2014) et Mon royaume (2019). Cette nouvelle fiction s’ouvre comme un road-movie féminin, nostalgique mais plein d’espoir, déroutant et sensible, qui a déjà conquis le public lors de ses présentations aux festivals Cinémania (Canada), au FIFF de Namur (Belgique), et au Festival des Arcs en 2022.

On évoque souvent la mort, la tragédie, le moment de fin, la douleur de celui qui part. On s’attarde moins sur celui qui reste et doit continuer de vivre, avec ses souvenirs, sa peine, ses espoirs… Et c’est ce que dépeint Guillaume Gouix dans le film Amore Mio. Le combat de celui qui reste pour reconstruire sa vie, avoir la force d’accepter et d’entamer la prochaine étape. Cette histoire, c’est celle de Lola (Alysson Paradis), une jeune maman qui perd subitement l’homme qu’elle aime dans un accident, et qui doit faire face à son propre chagrin et à celui de son petit garçon âgé de 8 ans (interprété par Viggo Ferreira-Redier). Bien agir, trouver les bons mots, redonner du sens… Il n’y en a peut-être pas. Lola nous désoriente par son comportement parfois saugrenu et égoïste; et elle nous emporte dans le voyage rocambolesque de son deuil. Elle veut voir le soleil, retrouver l’excitation de la vie… Mais ce voyage s’avère bien plus complexe qu’imaginé.Elle embarque avec elle sa sœur, Margaux (Élodie Bouchez) qui joue la conductrice de ce road trip. Les deux ne se connaissent plus vraiment. Les années ont passé et les différences ont creusé un fossé dans leur relation. Pourtant Margaux est là, au volant, prête à suivre sa cadette dans ce voyage. Les reproches sont constants entre les deux sœurs. Les cris et les insultes n’ont d’autre but que de reconstruire une relation entamée et de dévoiler au fur et à mesure la fusion entre les deux protagonistes. Comme dans Mademoiselle et Mon Royaume, l’axe sororal, à la fois cru et tendre, est central dans la construction de l’histoire et des personnages, redonnant l’élan de vie et venant par les dialogues contrecarrer la morosité du deuil.

Ces jeux d’opposition marquent toute l’histoire d’Amore Mio et construisent un enchaînement inattendu : de la voiture à l’appartement, de la grande échappée au retour au réel, de femme à mère, de l’image à la réalité. Ce film est authentique et ne cherche pas à créer d’action extraordinaire. La caméra reste centrée sur les personnages, proche d’eux dans tous leurs gestes, resserrée comme pour capter les moindres détails. L’évolution de ces derniers est ce qui est véritablement intéressant, car tous s’éloignent progressivement des codes sociétaux et de la bienséance. Comme dans la majorité des films de Guillaume Gouix, il est davantage question de l’introspection plutôt que d’action à proprement parler. Les personnages se cristallisent sur la caméra, leurs faiblesses se laissent entrevoir au fur et à mesure des scènes. Leurs fragilités font naître toute l’intrigue et la poésie du récit.

Cette manière de mettre à nu les personnages, nous avions déjà eu l’occasion de la découvrir dans le court-métrage Alexis Ivanovitch, vous êtes mon héros – dont le personnage principal était interprété par Swann Arlaud – récompensé d’une Mention spéciale à la Semaine de la Critique à Cannes en 2011. Tout allait bien dans la vie d’Alexis, jusqu’au jour où son amour propre est remis en question par une bagarre de bar. L’estime de cet homme drôle, un brin subversif et provocateur, s’effondre, laissant place aux doutes et à la vulnérabilité. Ce n’est pas tant le drame – qui intervient souvent au début – qui intéresse Guillaume Gouix que la manière dont les personnages ont de remonter à la surface, écorchés, souvent seuls face à la caméra et face à eux-mêmes. Ses films n’ont pas la prétention d’apporter une réponse, mais de laisser libre court aux émotions que l’on a plutôt tendance à enfouir.

Avec ce long-métrage, Guillaume Gouix nous invite à l’évasion, pas celle de partir loin, mais celle d’assumer des émotions dont on se prive. Si l’on résiste difficilement à l’envie de juger les personnages à certains moments – un peu caricaturaux, on ne peut s’empêcher de se questionner sur nos propres réactions et nos envies profondes. Un film touchant dans le fond, avec des imperfections et des maladresses dans la forme qui font aussi partie de la douceur de ce premier long.

Anne-Sophie Bertrand

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Aaaah ! de Osman Cerfon

Osman Cerfon, repéré avec ses précédents courts Je sors acheter des cigarettes, Chroniques de la poisse et Comme des lapins, refait parler de lui ! Son nouveau court s’appelle Aaaah ! (et oui) et croque en 4 minutes des cris divers et variés commençant par la première lettre de l’alphabet. Le film, une dinguerie absolue dans la lignée farfelue de son travail entamé en 2007 avec Tête-à-tête (son film d’école de La Poudrière), est en compétition nationale à Clermont et sera présentée d’ici quelques jours dans la section Génération de la Berlinale.

Le réalisateur-animateur propose au fil de ses films trop rares un humour sans borne, intelligent, décalé. Observateur, il croque les situations les plus incongrues et les restitue dans ses courts animés, dans des cadres différents (un appartement, une fête foraine ou dans la forêt). Ici, il s’intéresse à l’école.

Cela faisait quelques années qu’Osman Cerfon avait disparu des radars. Le revoici donc pour notre plus grande joie avec ce Aaaah ! De quoi ça parle ? De mômes, dont les voix ont été enregistrées dans une école de Valence, qui ouvrent grand la bouche à l’infirmerie, se tapent dessus, font du toboggan, hurlent à la récré, râlent, rigolent, bâillent, apprennent à lire, sautent dans la boue, s’enfoncent des crayons dans les narines (sacré moment), regardent des vidéos adultes, réclament à manger, courent, chantent, …

Des mômes partout à l’écran, seuls ou ensemble, spontanés, qui hurlent dès leur plus jeune âge, qui réagissent en l’ouvrant grand et fort, en ne disant surtout pas un mot. Les adultes, eux, se résument à des coups de sifflets, absents de ce terrain de jeu et d’apprentissage qu’est l’école. Cerfon parle dans son synopsis d’enfants, « êtres primaires et innocents », qui, on doit bien l’admettre, sont aléatoirement intenables, joyeux, râleurs, méchants.

Le film débute par un bourdonnement. Rapidement, les silhouettes envahissent l’écran, courant dans tous les sens et hurlant à vive voix. Le titre du film, lui, est écrit au mur et se clôt par un point d’exclamation. On est à 30 secondes du film et on a déjà compris que quelque chose de drôle était en train de se passer.

Les situations sont infinies pour y aller de son grand A et le rythme du film fonctionne bien avec la succession de vignettes humoristiques. On rigole, on revoit le film, on a envie de le montrer aux copains. Avec ce court, le réalisateur ne mise pas sur les dialogues (chose qu’il avait tentée avec Je sors acheter des cigarettes) en nous donnant à nous, spectateurs, la possibilité de nous interroger face à l’absurdité de la vie et d’un quotidien bizarrement constitué. Il s’intéresse aussi aux couleurs puisque ses personnages sont vif, en vert, rose, rouge, jaune, bleu.. La palette retenue est plus osée que dans ses courts précédents et c’est une bonne chose. Rien à redire sur le film si ce n’est qu’on salue le retour en courts du cinéaste (son dernier film date quand même de 2018) et qu’on est forcément curieux de voir la suite.

Katia Bayer

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Article associé : l’interview du réalisateur

A comme Aaaah!

Fiche technique

Synopsis : Aaaah! c’est des cris de douleur, la surprise, l’effroi, la joie, des chants, des râles, des rires, la colère… Aaaah! c’est l’expression avec laquelle les enfants, ces êtres primaires et innocents, font l’expérience de la vie en collectivité, bien encadrés par les coups de sifflets des adultes.

Réalisation : Osman Cerfon

Genre : Animation

Durée : 4’41 »

Pays : France

Année : 2023

Scénario original : Osman Cerfon

Montage : Catherine Aladenise

Production : Miyu Production

Articles associés : la critique du film, l’interview du réalisateur

Johanna Caraire : « L’amitié transcende les humains »

À l’occasion de la 37ème édition du Festival de Brest, Johanna Caraire, réalisatrice de Sardine, lauréat du Prix de la jeunesse, est revenue sur son parcours, ses débuts en réalisation et sur la conception de son premier court métrage. Le film raconte l’histoire de Eve, jeune trentenaire qui se rend sur l’ile-caillou de Lanzarote alors que s’y déroule un festival local : l’Enterrement de la Sardine. Eve essaye désespérément de devenir mère, mais sa paisible retraite, supposée lui donner l’occasion de méditer au sujet de sa situation, se transforme en vacances entre amies quand ses copines débarquent pour la rejoindre. Sardine est également diffusé ces jours-ci à Clermont-Ferrand, en compétition nationale.

Format Court : Comment es-tu passée à la réalisation ?

Johanna Caraire : Initialement, je travaille comme directrice artistique au FIFIB (Festival International du film Indépendant de Bordeaux) que Pauline Reiffers et moi-même avons fondé en 2012. Avant de me lancer dans ce domaine, j’avais l’habitude de réaliser des courts métrages en autoproduction avec des amies, mais nous le faisions avant tout pour nous. De plus, j’ai une formation en arts plastiques donc j’avais déjà un certain rapport à l’image, mais l’envie de raconter des histoires est venue très récemment. Je pense que ce désir est venu avec l’âge et les choses que j’ai vécues, il y a eu un moment de ma vie où j’ai eu une envie assez viscérale de raconter des histoires.

Comment est né le projet de Sardine ?

J.C : Au départ, je voulais tourner un documentaire sur mes amies. Mais quand j’ai commencé à filmer et à monter les images, je me suis rendu compte que je ne pourrai pas aller aussi loin que je le voulais avec elles. Je captais des moments où elles se montraient vulnérables, elle me confiaient des choses intimes sur leur rapport au corps, à la sexualité et j’ai eu peur qu’elles n’aient peut-être pas tout à fait conscience de ce que représentait la diffusion du film. J’ai donc préféré le fictionnaliser. La distance de la fiction m’a permis d’aller où je voulais.

Combien de temps à mis le projet pour prendre forme ?

J.C : De l’écriture à la présentation en salle, le projet a mis quatre ans à voir le jour. J’ai co-écrit le scénario avec Delphine Gleize. Ensuite, j’ai essayé pendant un moment de faire deux choses à la fois, mais ça a échoué parce je me suis retrouvée en définitif à faire les choses à moitié. Je faisais le montage du film un jour par semaine et je travaillais sur mes projets avec le FIFIB le reste du temps. Le problème est que je pensais en permanence au film, ça m’obsédait, et je n’arrivais pas à bien faire mon travail. D’un autre coté je n’avais pas non plus le temps de me consacrer pleinement au film, ce qui a ralenti le processus.

Est-ce que tu as travaillé avec un.e monteur.euse ?

J.C : Oui j’ai travaillé avec Dinah Ekchajzer, une monteuse formidable qui a amené les images d’archives qu’on voit au début et à la fin du film. C’est elle qui a eu l’idée de la légende qui n’était pas dans le scénario au départ. Initialement, je voulais filmer la fête du Lanzarote comme un documentaire, mais le Covid a contrecarré nos plans ! On a donc recréé le Festival de la Sardine mais malheureusement, on a été très limité dans la figuration à cause du couvre-feu. C’est pour ça qu’on a eu recours aux images d’archives pour que les spectateurs aient un aperçu de la fête en conditions réelles avec la foule qui la caractérise habituellement.

Quel est ton ressenti de cette première expérience en tant que réalisatrice ?

J.C : J’avoue m’être pris une petite claque (rires) ! Premièrement, je ne suis pas quelqu’un qui aime la technique. J’avais heureusement un super chef opérateur parce que je perds patience assez vite (rires) ! Il y a beaucoup de choses qui vont très lentement sur un plateau, et puis, il y a surtout beaucoup de gens ! Tout le monde vient te demander ton avis, tu te sens acculée de toutes parts ! Je me rends compte que je n’aime pas tant le principe du réalisateur tout puissant qui a le droit de vie et de mort sur tous. J’aime mieux m’entourer de gens compétents en qui je peux avoir confiance et qui travaillent de leur côté et me laissent surtout me concentrer sur la mise en scène.

Le projet était-il très écrit ou as-tu laissé de la place pour l’improvisation ?

J.C : Il y a certaines choses qui étaient très cadrées. Par exemple, j’avais déjà réfléchi aux lieux et aux costumes qui étaient très importants pour moi. Concernant le jeu des actrices, elle devaient s’en tenir au texte mais on discutait beaucoup ensemble et elles faisaient des propositions. Je laissais souvent la caméra tourner aussi, les filles continuaient de parler en improvisant et on voyait où ça menait. Là ou j’ai eu beaucoup de chance, c’est que les actrices se connaissaient et étaient amies dans la vraie vie, ce qui m’a permis de retrouver la complicité que je voulais capter au départ avec mes propres amies.

L’amitié entre femmes est-il un sujet qui t’intéresse particulièrement ?

J.C: Oui, beaucoup. Je trouve qu’en somme, il y a une sous-représentation de l’amitié féminine à l’âge adulte. C’est assez présent à l’adolescence mais ensuite, sauf quelques exceptions, le cinéma français est assez pauvre dans ce domaine-là. C’est toujours un peu cliché, et plus l’âge avance moins on en voit. L’amitié est un sujet très fort, pour moi, c’est la chose qui transcende tous les humains. On ne peut pas tellement échapper à la famille. Dans les rapports amoureux, on choisit mais on subit aussi, tandis que l’amitié est vraiment un endroit qui peut réparer les souffrances de ces autres rapports qui sont, d’une certaine manière, un peu des injonctions à être ensemble.

Pourquoi as-tu abordé la question des règles et de l’accouchement, et en avoir fait le sujet principal de Sardine ?

J.C: Les règles m’ont toujours beaucoup impressionnée, et cependant c’est un sujet encore assez tabou dans la société. Pourtant, les femmes en parlent normalement dans leur vie. Un jour, une de mes connaissances masculines m’a fait part de son choc après avoir vu du sang dans les toilettes, et je me suis demandé pourquoi ce genre de visions n’était pas plus représentées, comment ça pouvait encore surprendre. Ce qui m’interroge surtout, c’est que ça soit ce sang-là qui choque, alors qu’on baigne dans les représentations sanglantes ; dans les tableaux, dans tous les films… Personne n’est choqué de quelqu’un qui saigne du nez, mais le sang des règles est comme passé sous silence.

Pourquoi avoir employé la métaphore du volcan pour représenter les règles ?

J.C: Parce que je trouve ça d’une grande violence, en fait, d’avoir un vagin entre les jambes. La maternité et la fertilité sont toujours symbolisées par des fleurs et une nature verdoyante, mais pour moi, ce qu’elles représentent n’est pas forcément quelque chose de doux. C’est pour ça que j’ai eu envie d’aller sur cette île aride où rien ne pousse. Je voulais représenter la peur d’être stérile et en même temps la peur d’être enceinte. Parce qu’en fin de compte, aucun des deux ne va parfaitement de soi. Cela peut sembler paradoxal, mais je ne trouve pas du tout naturel le fait d’enfanter. Les femmes ont en elles une machine qui est aussi incroyable qu’elle est flippante. C’est pour ça que j’ai représenté la fertilité sous le signe de la violence. Selon moi, ces phénomènes sont plus de l’ordre du jaillissement que du miracle de mère nature.

Propos recueillis par Anouk Ait Ouadda

Ovan Gruvan de Lova Karlsson et Théo Audoire

Des maisons de poupées grandeur nature glissent, comme posées sur d’imposants rails, dans un décor d’une neige presque trop propre pour être prise au sérieux. On comprend que nous sommes en Suède – grâce à la langue si on a l’oreille, et sinon grâce à une carte placardée dans une chambre d’enfants pour nous ôter de tous doutes -, et dans une ville minière grâce à une splendide succession de plans panoramiques sur celle-ci. Le tout est enrobé, dans ses pointes, d’une voix féminine qui chantonne la poésie d’une ville de vapeur. En dehors de quelques repères glanés dans ses cadres, Ovan Gruvan circule, d’un point de vue spectateur, en terres inconnues. C’est bien là la qualité fondamentale de ce petit film: s’en remettre entièrement à la curiosité et à l’attention de son spectateur, et à se défausser du directement narratif. Non pas parce que “ce que ça raconte” est accessoire (au contraire !), mais parce que le film se révèle tout entier dans ses formes.

Le point de départ est la ville de Kiruna, siège de l’une des plus grandes mines de fer du monde, située au nord-ouest de la Suède, et témoin de la catastrophe climatique en cours. Conséquence absurde de l’exploitation des sols, la ville et ses habitants, économiquement sous dépendance de la prospérité de la minière, sont contraints à être déplacés sous cause d’effondrement, de la façon la plus littérale qui soit: en plus de refonder les frontières de la ville à quelques kilomètres à l’ouest, plusieurs bâtisses sont elles aussi littéralement déplacées par convois exceptionnels. De là la trouvaille de ces maisons qui se déplacent seules, fantomatiques, comme dans un décor de Miyazaki. Ce que viennent corroborer d’autres aspects du film, tous pris dans cette tension entre éléments empreints de poésie et effroi légitime face à la destruction d’un monde. Sans perdre, jamais, de l’aspect inéluctablement comique des situations – et sans rentrer, non plus, dans une tendance d’un cinéma de création écolo-dystopique qui en oublierait son réel.

Ovan Gruvan matérialise une idée abstraite (le déplacement) en inscrivant systématiquement le déplacement dans ses images. Par cette ouverture, brillante, sur les lampadaires déracinés, dont l’écho se trouve dans les variations de lumières, celles naturelles qui signifient les déplacements du jour, et celles artificielles qui clignotent au rebord des fenêtres la nuit. Et surtout grâce à ses mouvements sonores, avec cette chanson qui ouvre et ferme le film, sa ligne de synthétiseur métalliques, les pas trop artificiels sur la neige et surtout le son burlesque avec laquelle une maison se déplace. Si cette expansion d’artifices peut parfois desservir un film d’une densité créative trop étouffante et austère pour ses douze minutes de temps en nous refusant un vrai accès au sensible, on ne peut s’empêcher de voir Ovan Gruvan autrement que comme un recueil de belles idées merveilleusement exécutées.

Ovan Gruvan est le premier film du duo d’auteurices Lova Karlsson et Théo Audoire, sélectionné en compétition nationale à Clermont-Ferrand. Le court-métrage est produit par le GREC, tremplin précieux pour la production de premiers films et pour accompagner la singularité de la création contemporaine.

Pierre Guidez

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O comme Ovan Gruvan

Fiche technique

Synopsis : Lova Karlsson, Théo Audoire

Genre : Fiction, expérimental

Durée : 13′

Pays : Suède, France

Année : 2022

Réalisation : Théo Audoire et Lova Karlsson

Scénario : Théo Audoire, Lova Karlsson

Image : Théo Audoire, Lova Karlsson

Son : Ange Hubert, Théo Audoire, Lova Karlsson

Montage : Théo Audoire, Lova Karlsson, Léa Chatauret

Musique : Vassily Mitrecey, Lova Karlsson

Production : Le GREC

Article associé : la critique du film

Jean-Gabriel Périot : « Mon salaire, ma récompense, c’est d’avoir fait des films et que des gens les voient »

Réalisateur de courts et longs métrages, travaillant le documentaire, la fiction ou encore le cinéma expérimental, Jean-Gabriel Périot interroge l’Histoire et la politique à travers ses différents films. Juré de la sélection court-métrage du FIPADOC 2023, il revient dans cet entretien sur sa relation au documentaire, l’unicité du court métrage ainsi que ses différents enjeux de production en France aujourd’hui.

Format Court : Pourquoi choisir le format du court-métrage, encore aujourd’hui, après avoir fait des longs-métrages ?

Jean-Gabriel Périot : La chose principale que j’aime dans le court-métrage, qu’on ne peut pas trouver dans le long, est que le court est un terrain de jeu et d’expérimentation pour moi, la possibilité d’essayer des choses. On peut se concentrer uniquement sur ce qu’on a envie d’essayer, en termes techniques, en terme de regard, de ce qu’on a envie de dire. On peut être plus impulsif, plus rapide, on a le droit de ne pas réussir. C’est vraiment le côté expérimental, non pas comme genre mais comme façon de travailler. Pouvoir essayer les choses et d’avoir le droit de se rater, ça c’est quelque chose d’important pour moi.

Pour le documentaire, ça se prête à l’exercice ?

J.G.P : C’est d’autant plus facile que pour la fiction. Un court-métrage de fiction nécessite par exemple plus de moyens humains, techniques, de préparation qu’un documentaire. Si je travaille d’un coup avec des archives ou si je fais un film avec une caméra, c’est plus facile à mettre en place, à improviser, à faire au dernier moment, sur l’instant, avoir envie de faire quelque chose, de le faire tout de suite. Le documentaire le permet plus que la fiction ou l’animation parce que le temps de travail n’est pas le même.
En général, quand je commence un film, ça vient d’un énervement. Il y a quelque chose qui m’énerve par exemple dans la politique telle qu’elle se fait, alors je vais faire un film. Cela ne sera pas forcément sur le sujet qui m’énerve mais je mettrai mon énergie dans quelque chose d’un peu radical politiquement, ou à l’inverse je peux avoir des troubles sur des questions de violence que je ne vais pas comprendre, des choses qui se répètent dans l’histoire. Faire un film devient un moyen, peut-être pas de comprendre ce qui crée cet énervement ou ce trouble, mais de préciser son interrogation. C’est un moyen pour moi de réfléchir. Je fais des films parce que je ne comprends pas tout à fait le sujet porté par le film.

Dans votre dernier court (L’effort des hommes, 2022), vous vous réappropriez certains récits comme Moby Dick, est-ce comme ça que vous percevez le documentaire, comme une réappropriation de certains récits ?

J.G.P : Je travaille beaucoup l’archive donc je me réapproprie souvent les œuvres des autres de manière générale. Ce film est justement un bon exemple de ce que je veux dire : j’adore Moby Dick parce qu’il n’est pas clair, on peut le relire plusieurs fois, on ne comprend jamais qui est la baleine, qui est Acab. Melville lui-même donne tellement de possibilités de lecture, il n’arrête pas de dire ça et son contraire, et encore son contraire…. dans sa manière de poser une histoire sans en donner la clé de lecture, c’est ce qui me séduit beaucoup. Là, je décide de faire un court, c’est la possibilité de travailler cet endroit de flou et ce que moi je lis de l’histoire en plus d’ajouter ma propre lecture politique du livre et d’essayer de transcrire en mélangeant des bouts de fiction, d’archive, cette incertitude qu’il y a dans le livre à l’origine.

Comment appréhendez-vous l’archive ?

J.G.P : Il y a deux cas : un qui m’arrive rarement est celui où je vois une image ou des archives que j’ai besoin de travailler, parce qu’il y a quelque chose que je n’arrive pas à comprendre. Mais la plupart du temps, j’ai un sujet de réflexion et je commence à lire des livres, à regarder des films et à un moment, ça fait une espèce de connexion entre les questions que je me pose et une image, un groupe d’images. A partir de là, j’ai la possibilité de faire un film et en général, le film parle de ces images qui ont été des déclencheurs du travail. Ça dépend vraiment des films, il y a soit le cas où c’est un peu une matière. L’archive arrive parce que j’ai un sujet, dans Eût-elles été criminelle… (2006), c’est les femmes tondues, dans The devil (2012), les luttes des Black Panthers aux Etats-Unis.

J’utilise donc les films existant comme matière et de cette masse j’essaie de raconter quelque chose. Il y a d’autres films, comme le dernier (L’effort des hommes), où là d’une certaine manière, c’est plus écrit et où je cherche des images qui ne vont pas ensemble. Dans ce dernier film, ce sont des images d’époque et de registre différents, sur des sujets différents. C’est un processus un peu plus complexe de recherches, toute cette partie un peu universitaire de chercher des films précisément plutôt que de prendre des films au hasard et de les travailler.

Quelle place a le court-métrage en France aujourd’hui ?

J.G.P : Ce qui est paradoxal c’est qu’on aurait l’impression de l’extérieur que les courts-métrages sont plus diffusés. Il y a une difficulté qui est toute bête, à part quand le film est en ligne ou si on est pas par hasard dans la ville où il y a un festival qui le passe, on ne peut pas le voir. En réalité, c’est une fausse vision, on a la chance en France que les courts-métrages soient énormément diffusés et dans des cadres très différents. Il existe beaucoup de festivals, uniquement de courts-métrages ou alors avec des sections courts-métrages. Il y a encore des diffusions en salles, il y a la télévision, quatre chaînes nationales passent du court, il y a les plateformes en lignes, dédiées ou généralistes ; et il y a les systèmes d’éducation à l’image. Certains de mes films ont été énormément vus par des collégiens et lycéens parce que ce sont des films d’histoire qui sont des bons supports pour les professeurs. On n’a pas cette impression mais la réalité fait qu’il y a beaucoup de films montrés.

Et au niveau de la production ?

J.G.P : De manière générale sur le court-métrage, dans la production, le problème, c’est le temps. Un court-métrage, même de fiction, c’est une œuvre courte, souvent portée par une énergie, une envie de faire un film assez vite, plus léger qu’un long-métrage ; alors que dans la réalité, la plupart des films mettent un temps infini à se produire et souvent pour arriver à des budgets très serrés. Il faut un an, voire deux, pour avoir trois jours de tournage. C’est disproportionné. Concernant les films documentaires ou expérimentaux, ce qui est contradictoire, c’est le besoin de passer par l’écriture. Avec les moyens techniques qu’on a aujourd’hui, c’est plus rationnel de prendre sa caméra et d’aller filmer que d’écrire des dossiers pour avoir de l’argent pour filmer. Souvent, on se retrouve dans des situations où on doit filmer au moment où l’événement arrive, on ne peut pas attendre pour faire le film. Je vois, moi, dans mon énergie, je commence un film parce que je me réveille un matin et je suis énervé et il faut que je fasse le film à ce moment-là. La production, c’est trop long. De mon point de vue de réalisateur, mais je ne suis pas l’institution ou les producteurs ! Comme je fais du long-métrage, je vois la différence entre les deux et je remarque que c’est quasiment le même temps de production pour un court et un long. Dépenser toute cette énergie pour un micro budget, au final, moi, j’ai déjà fait quatre films entre temps. Et je ne suis pas le seul ! Il y a beaucoup de films qui se font sans financement, parce que c’est trop long.

Àpropos de l’accord signé par les organisations professionnelles d’auteurs et les syndicats de producteurs pour une rémunération minimale pour l’écriture documentaire, est-ce que ça va permettre de réduire ce temps ?

J.G.P : Non, c’est même le contraire. Si on prend tout le cinéma documentaire, militant, politique, qui se fait dans l’urgence, la question de l’argent n’est pas centrale dans le travail. On fait des films avec des amis, on les paye ce qu’on peut, les gens participent à ces films parce qu’ils ont envie de les faire, pas comme un travail. Évidemment quand un film est financé, les gens doivent être payés, c’est une évidence. Mais ça veut dire quoi, payer les auteurs ? C’est très abstrait. Même le temps de travail sur un film, comment le quantifier ? Il y a beaucoup de films qui ne se feront pas parce qu’ils se font seulement sur l’énergie des réalisateurs et des gens qui peuvent les aider. Et je pense que beaucoup de réalisateurs préfèreront faire leur film sans être payés que de ne pas les faire. Moi le premier ! J’aimerais bien être payé mais je ne veux pas que ça devienne la question centrale de mon désir de faire des films.

Comment rémunère-t-on malgré tout les auteurs ? On est dans un milieu où beaucoup de gens sont rémunérés, l’institution, les diffuseurs, tout le monde est payé et souvent, sauf nous. Il y a peut-être des choses à rééquilibrer mais je ne suis pas sûre que passer par le salariat soit la solution administrative la plus judicieuse. Il y a plein de producteurs qui ne s’engagent pas dans des films parce qu’ils savent très bien qu’ils n’ont pas les moyens de payer avec ce qu’ils peuvent obtenir de financement. Un court-métrage documentaire, bien financé, c’est 10, 20, 30 000 euros, si l’auteur travaille 10 ans dessus. Il n’est pas payé au SMIC et il ne reste rien pour le film. Il faut se poser la question, il n’y a pas de réponse miracle parce qu’il y aura toujours un endroit compliqué. Mais je trouve courageux que les gens s’interrogent et proposent des solutions. Il faut se poser avant tout la question du cinéma, du besoin de faire des films, de chercher. Pour moi, le plus important, c’est de faire les films quelles que soient les conditions. La plupart de mes films, je les ai faits sans être payés et heureusement sinon je ne les aurais jamais fait. Mon salaire à moi, ma récompense, c’est de les avoir faits et que des gens les voient. Ca c’est fondamental, le reste c’est administratif.

Vous dites que vous faites des films pour comprendre, parce que vous avez des questions. Est-ce cette approche que vous avez eu, en tant que juré, en visionnant les films de la sélection court métrage du FIPADOC ?

J.G.P : Je suis différent comme spectateur que comme réalisateur. Mes goûts sont plus ouverts déjà ! Heureusement, j’aime le cinéma moins radical que celui que je fabrique. L’important, c’est justement de réussir à dépasser ses propres goûts. Moi ce qui me plaît, c’est quand un film essaye quelque chose, un peu casse-gueule, et qu’il y arrive. Pour ça, le court-métrage est parfait. Ce qu’on voit, nous, dans la compétition de court métrage, c’est une diversité de formes et de sujets, par rapport à la compétition des longs. On a un champ énorme de genres et de sous-genres de films.

Votre travail est politique. Pour vous, le cinéma est-il le meilleur moyen d’exprimer votre engagement ou souhaiteriez-vous le faire par d’autres biais?

J.G.P : De mon expérience personnelle, c’est un moyen de fuir la lutte directe. Je suis un peu incapable. Je me suis inscrit dans un parti politique, au bout de deux sessions, je suis parti. J’ai un peu peur de me dire voilà ce sujet parmi tous les sujets importants. Ce que font certains qui commencent à militer, qui passent tout leur temps à aider d’autres personnes, avec tout le courage qu’il faut parce que ça bouleverse sa vie. Tous ces gens que je trouve très courageux. Je n’ai pas ce courage-là, dès le début il y a eu un endroit de mauvaise conscience où je ne me sentais pas au niveau où je voudrais être, politiquement comme citoyen, comme individu. Faire des films est l’endroit que j’ai trouvé où je pouvais malgré tout agir pour fabriquer ces films que j’estime nécessaires. En même temps, c’est un endroit où je me cache. Si je suis honnête avec moi-même, j’aurais préféré réussir à être militant plutôt que cinéaste.

Propos recueillis par Garance Alegria. Retranscription : Agathe Arnaud

Léonore Mercier : « Le son raconte énormément de choses »

Plasticienne, réalisatrice et compositrice, Léonore Mercier a réalisé Sauvage qui vient de remporter le Prix du court métrage au FIPADOC 2023. Le film nous immisce au coeur de la vie de chevaux sauvages en Espagne et notamment d’une pratique surprenante : “le rasage des bêtes” lors de laquelle ces chevaux sont rassemblés dans une arène afin de leur couper les crins. L’homme impose sa force sur l’animal devant une foule qui acclame un spectacle des plus troublants. Léonore Mercier propose avec ce documentaire une immersion sensorielle où questionner la place du vivant dans notre société devient une nécessité.

Format Court : Comment as-tu découvert cette pratique du “rasage des bêtes” ?

Léonore Mercier : Je travaille beaucoup autour des animaux, je fais des prises de son du règne animal. Je m’intéressais aux chevaux sauvages et en faisant une simple recherche sur internet, je suis tombée sur cette pratique. Je me suis renseignée, j’ai trouvé ça vraiment étrange qu’on pratique encore ça aujourd’hui. J’y suis allée pour voir ce qui se passait.

C’était un choix de faire le film seule ?

L. M : Je suis partie avec deux amis. C’est un projet que j’ai pris à bras le corps, je n’ai pas attendu d’avoir une équipe professionnelle. J’étais avec une amie compositrice et ce n’est pas la première fois que je fais des images donc j’étais rassurée. Il y a une forme de liberté d’être libre, tout seul avec son matériel, à faire les images dont on a envie. On n’est pas empêché par le temps, on décide tout soi-même.

J’ai beaucoup composé pour d’autres courts-métrages, je fais beaucoup de compositions sonores et de musiques, et j’avais un besoin imminent de faire mon propre film, de faire mes propres sons sur mes images. J’avais besoin de faire les choses dans l’élan.

Comment as-tu appréhendé le documentaire ?

L. M : C’est l’art de l’observation. Par ma pratique de la prise de son, de l’écoute attentive de ce qui se passe autour de soi : c’est peut-être ça mon approche du documentaire. En passant d’abord par les sons, en allant sur les lieux, en rentrant dans la peau d’un cheval, un animal qui ne peut pas parler comme nous et donc être à l’écoute des vibrations, en étant dans un rapport tactile, émotionnel et vibratoire. C’est à la fois documentaire et à la fois quelque chose qui se vit où j’essaie de mettre le public dans une expérience corporelle.

La caméra reste spectatrice. Par moment, ça peut être dérangeant. Elle reste comme à l’écart, est-ce que tu voulais prendre part à ce qu’il se passait, confronter les gens ?

L. M : Le film se base sur l’expérience de l’animal. Le cheval ne va pas aller questionner les gens, il vit ce qu’il se passe dans le moment présent. Je ne me sens pas éloignée du sujet, je le traite de l’intérieur. En questionnant les gens, chacun dit sa propre réalité et là, j’essaie de passer par celle de l’animal. C’est un parti pris de travailler comme ça, dans la peau de celui qui vit ce traumatisme. Par contre, ce n’est pas gardé dans le film, mais j’ai parlé avec beaucoup de gens, pour comprendre d’où vient cette pratique, où elle va, comment elle pourrait évoluer.

La mise en scène crée une dualité entre l’homme, l’animal, un rapport de force.

L. M : C’est un rite initiatique qui se pratique depuis 400 ans ! Ceux qui pratiquent cette tradition en Galice disent bien que c’est initiatique, c’est pour mesurer à égalité, selon eux, la force de l’animal et de l’homme, dans une osmose. Il y a un discours de conquérant. Le cheval est un animal de proie, donc il n’attaquera pas l’homme, il va plutôt fuir. Il y a une dissonance entre ce que peut dire l’homme et ce qu’il se passe vraiment, le spectacle. Il y a le public, les applaudissements, les holas. C’est complètement absurde pour moi d’être comme dans un jeu où les animaux sont des objets. Mais les pratiquants de cette tradition sont dans le respect de l’animal et ils aiment profondément les chevaux. Il y a une ambivalence dans le rapport avec le vivant parce que toute l’année ces chevaux vivent de manière sauvage et c’est juste durant une semaine que les hommes vont aller les chercher et les mettre dans une arène pour se mesurer à eux. Le reste de l’année, ils sont tranquilles à brouter de l’herbe. L’argent qui est récupéré pendant ce festival, les billets vendus, la nourriture, etc, sert ensuite à s’occuper des chevaux le reste de l’année. La question que je pose, ce n’est pas forcément la relation spéciale de ces hommes avec ces chevaux, c’est notre relation en général avec le monde vivant, sauvage, qu’on laisse peu respirer. Plutôt que d’humilier l’animal, il faudrait le célébrer. Les pratiquants, ils sont dans cette ambivalence entre célébration et humiliation. Je pense que les rituels peuvent évoluer, s’ils ont cet amour du vivant, du vrai.

Comment as-tu abordé le travail du son ?

L. M : Je suis partie avec deux personnes, une compositrice, Amélie Nilles, à qui j’ai prêté mon matériel sonore, un enregistreur professionnel avec différents micros : mono, stéréo et un micro en 360. Avec tous ces sons recueillis, j’ai, en post-production, travaillé cette matière que j’ai transformé, ralenti, pour avoir une sensation de perception plus infime. Notamment quand nous sommes à l’intérieur de l’arène, tout se ralentit et devient flou comme une perte d’équilibre dû au stress. Pour moi, c’est très important de prendre beaucoup de sons au moment du tournage, c’est une richesse importante à avoir. Il faut se permettre beaucoup de choses, j’étais très libre autant au son qu’à l’image parce qu’on a énormément enregistré des deux.

Le film s’appelle Sauvage

L. M : C’est l’ambivalence du mot, sur la sauvagerie humaine et animale. On cherche toujours plus de nature. La sauvagerie humaine est complètement différente, je joue sur l’ambivalence du mot, son côté positif et négatif.

Qu’as-tu retiré de ton expérience ?

L. M : Le mot ambivalent est important. Je n’ai pas envie d’enfermer cette pratique mais ça nous concerne tous, notre rapport au vivant. C’est urgent… Si on continue à se croire supérieur au monde vivant, plus il va disparaître et plus on va disparaître. Et ça passe par le respect. Ce qui était le plus émouvant pour moi, c’était de voir les juments arriver dans l’arène et la séparation avec les poulains. C’était très douloureux de voir ces juments effrayées, qui ne comprennent pas pourquoi on leur retire leurs enfants. Et ça, c’est pendant trois jours. À la fin, ils repartent, relâchés, vivants. Les pratiquants leur font une piqure aussi, du vermifuge, une puce pour les suivre. Ça reflète notre ambivalence permanente dans le monde dans lequel on vit. Il faut faire attention, ne jamais fermer les yeux et continuer à soutenir les associations qui font quelque chose pour préserver la planète. Avec ce qui se passe politiquement, on se demande où on va, comment c’est possible de continuer comme ça ? On ne peut pas être très fier de la France sur nos pratiques, sur l’agriculture, les pesticides, le raclage des fonds marins.

Comment perçois-tu ton travail dans les autres domaines dans lesquels tu exerces?

L.M : C’est d’être immergé dans le son qui est très intéressant, c’est notre rapport au monde. La stéréo n’est pas naturelle, c’est intéressant de mixer de manière spatiale. En France on crée des catégories et moi ce que j’aime c’est que les choses s’entremêlent, comme la symbiose du vivant. On fait tous partie du même monde. Les idées c’est pareil, elles ne sont pas faites seulement d’images, elles se mélangent au son, au tactile, à un texte, à plein de choses. Le fait d’avoir une pensée infiniment morcelée qu’on peut rassembler et créer des liens. Mon travail est dans le lien, faire des ponts entre les choses, faire de la fiction, du documentaire, du son spatialisé ou en stéréo, dans la nature ou en créer avec des instruments de musique. Je fais tout le temps la même chose, je crée et m’immerge. Tout ça me permet d’imaginer des formes et de les monter sur mon ordinateur. Quand on monte du son et de l’image, on est presque dans de l’abstraction, on crée du rythme, une forme de musicalité. Tout est relié dans ce que je fais. Je vais essayer de créer des ponts et de ne plus faire comme si tout est enfermé, c’est ça ma richesse en tout cas.

Mais ce n’est pas évident parce que quand on travaille le cinéma de manière expérimentale, comme avec Sauvage qui n’a pas de paroles mais plus des sensations, la manière de le monter, de faire un son composé, musical, c’est une interprétation. Je trouve dommage parfois d’être trop bavard. Le son raconte énormément de choses, ce n’est pas juste de l’ambiance, c’est la perception des choses et la vraie observation.

Quand je l’ai vu diffusé, la salle était grande, l’écran, le son fort, je me suis sentie très oppressée. Ça m’a remémoré l’ambiance que j’avais vécue au tournage. Quand j’étais en train de filmer, je me demandais : “mais qu’est-ce que je fais vivre à mes amis” et là, je pourrais avoir le même sentiment dans la salle : “mais qu’est-ce que je fais vivre à ces gens ?”. Les films ont cette force quand même de pouvoir nous émouvoir. il faut continuer à s’émouvoir pour se rendre compte des choses, c’est en étant empathique qu’on peut avancer aussi.

Propos recueillis par Garance Alegria. Retranscription : Agathe Arnaud

Clermont-Ferrand 2023

Le Festival de Clermont-Ferrand vient de débuter. Sa 45ème édition se déploiera jusqu’au 4 février 2023. L’affiche espiègle de cette nouvelle édition est signée par l’illustratrice et réalisatrice portugaise Regina Pessoa, jurée l’an dernier.

Format Court vous proposera dans les prochains jours des critiques, interviews et reportages en lien avec la sélection 2023. N’hésitez pas à retrouver également nos articles déjà parus, en lien avec les films retenus en compétition cette année à Clermont.

Nos nouveaux articles

La critique de Will my parents come to see me ? de Mo Harawe, Grand Prix international (Somalie, Autriche, Allemagne)

L’interview de Alain Guiraudie, membre de la compétition nationale

L’interview de Osman Cerfon, réalisateur de Aaaah ! (France, F1)

La critique de L’Ascenseur de Dong Jiang (France, F9)

La critique de Aaaah ! de Osman Cerfon (France, F1)

L’interview de Johanna Caraire, réalisatrice de Sardine (France, F5)

La critique de Ovan Gruvan de Lova Karlsson et Théo Audoire (France, F10)

La critique de 48 Hours de Azadeh Moussavi (Iran, I5)

Retrouvez également nos anciens sujets, en lien avec la sélection 2023 :

National

La critique de Big Bang de Carlos Segundo (France, Brésil, F6)

La critique de Le Feu au lac de Pierre Menahem (France, F10)

La critique de Des jeunes filles enterrent leur vie de Maïté Sonnet (France, F12)

La critique de Ecorchée de Joachim Hérissé (France, F12)

L’interview de Joachim Hérissé, réalisateur de Ecorchée (France, F12)

La critique de Ville éternelle de Garance Kim (F12)

L’interview de Garance Kim, réalisatrice de Ville éternelle (F12)

Labo

La critique de Scale de Joseph Pierce (Royaume-Uni, France, République Tchèque, Belgique, L1)

L’interview de Joseph Pierce, réalisateur de Scale (Royaume-Uni, France, République Tchèque, Belgique, L1)

La critique de A Short Story de Bi Gan (Chine, L3)

La critique de Persona de Sujin Moon (Corée du Sud, L4)

La critique de Will you look at me ? de Shuli Huang (Chine, L5)

International

L’interview de Amartei Armar, Sébastien Hussenot et Yemoh Ike autour de Tsutsué (France, Ghana, I8)

La critique de Ice Merchants de João Gonzalez (Portugal, Royaume-Uni, France, I3)

L’interview de João Gonzalez, réalisateur de Ice Merchants (Portugal, Royaume-Uni, France, I3)

48 hours de Azadeh Moussavi

Programmé en compétition internationale à Clermont-Ferrand, 48 Hours de la réalisatrice iranienne Azadeh Moussavi traite du difficile retour d’un père emprisonné à Téhéran chez lui, dans sa famille, pendant 2 jours. Seul, il se retrouve face à sa femme et sa petite fille et tente de retrouver les gestes du quotidien et de reprendre sa place dans son foyer.

Azadeh Moussavi avait déjà été sélectionnée à Clermont avec son précédent court The Visit, il y a 2 ans. Dans ce film, une femme et sa petite fille rendaient visite en prison à leur mari et père, prisonnier politique, après un long moment de séparation. 48 Hours, lui, adopte le chemin inverse, celui d’un père (Nader), prisonnier politique également, qui revient chez lui, pour quelques heures. Quelle attitude adopter face à son entourage quand concrètement, on a été absent ? Comment renouer avec l’intimité ? Comment se comporter comme père lorsque son propre enfant ne nous reconnaît pas ? Comment se toucher, cajoler, rassurer, aimer quand une fenêtre du parloir séparait jusqu’ici les êtres d’une même famille ?

Dans ses courts, Azadeh Moussavi parle de ce qu’elle connaît : son propre souvenir, enfant, de l’arrestation de son père, journaliste, par la police iranienne, la débrouille de sa mère face à l’adversité, la vie avec l’absence, la peur, l’incertitude.

Dans 48 Hours, on retrouve ce qui fait la singularité du cinéma iranien : la pudeur, l’intime, les regards, les silences. Par petites touches, Azadeh Moussavi filme le malaise des uns et des autres, la solitude de la personne toujours prisonnière d’elle-même malgré quelques heures de soi-disant liberté, l’espoir vain de prolonger le temps passé en famille. On essaye de ne pas dormir pour « profiter » un peu plus, on est suspendu aux coups de fil d’un avocat qui ne peut rien faire face à une machine judiciaire implacable.

Si la réalisatrice écrit et filme en connaissance de cause, là où le film prend encore plus de sens, c’est qu’il s’intéresse à l’épouse de Nader et à leur enfant, une adorable gamine de 4 ans, qu’elle a élevée seule et qui ne reconnaît pas son père. Comment se mettre au niveau d’un enfant, de ses repères, de ses dessins animés, de ses réactions à chaud quand on ne connaît plus que la peur, les coups, l’obscurité, la séparation ? Le temps guérit les blessures, paraît-il. Azadeh Moussavi, à travers ces moments tellement intimes, nous offre une belle leçon de vie, magnifiquement close par le sommeil de la petite fille n’entendant pas ce qui se dit hors champ et qui se réveillera le lendemain, face à une nouvelle journée et à un père reparti en prison. Un père qu’elle ne retrouvera que quelques années plus tard.

Face à ce film, on pense à la lettre de Tahereh Saeedi, l’épouse de Jafar Panahi, à son mari emprisonné, Jafar Panahi, postée sur Instagram il y a quelques jours : « Sommes-nous heureux ? Nous sommes anéantis…» qui parle de la solitude de l’entourage des personnes détenues en Iran et de l’incertitude quant à l’espoir de leur libération.

Katia Bayer

Consulter la fiche technique du film

Article associé : l’interview de la réalisatrice

4 comme 48 Hours

Fiche technique

Synopsis : Après trois années passées en prison, Nader obtient une permission pour rentrer dans sa famille. Il a 48 heures pour devenir un papa pour sa petite fille de quatre ans.

Réalisation : Azadeh Moussavi

Genre : Fiction

Durée : 20′

Pays : Iran

Année : 2022

Scénario : Azadeh Moussavi

Image : Masoud Amini Tirani

Son : Ensieh Maleki

Musique : Afshin Azizi

Montage : Sepideh Abdolvahab

Interprétation : Baran Kosari, Reza Akhlaghi Rad, Dorin Afsharian

Production : Azadeh Moussavi, Siamak Zaringhalam

Articles associés : la critique du film, l’interview de la réalisatrice

Jakub Gomółka. La relation entre l’esprit et l’image

Jakub Gomółka est étudiant au département de réalisation de l’École nationale polonaise de cinéma de Lodz. Son court-métrage, Father.Son, est sélectionné dans la catégorie Jeune Création au FIPADOC 2023. On y rencontre Mariusz et son fils qui sortent tous deux de prison. C’est avec sincérité qu’il tente de montrer l’impact que le système carcéral porte sur leur vie, sur leur relation père-fils.

Format Court : Comment ton projet est-il né ?

Jakub Gomółka : Il est né en septembre 2020. J’ai vu une amie avec qui j’étudiais avant, elle avait un boulot à me proposer. On devait se rencontrer pour parler des détails et puis on a discuté un peu de nous et elle m’a raconté qu’elle travaillait dans un centre de réinsertion pour détenus et j’ai pensé : “c’est super, je cherche un sujet pour mon court-métrage”. Je lui ai demandé si je pouvais faire un film à propos de ce lieu. Deux mois après, j’ai visité pour la première fois le centre. J’ai fait de la documentation, j’ai parlé avec les anciens détenus là-bas. C’est un petit centre : deux étages, dix chambres, maximum 20 personnes à la fois. J’y suis revenu avec mon chef op et nous avons commencé à tourner immédiatement là-bas, 15 minutes après être arrivés. Je ne savais pas quoi faire, j’avais un peu peur des gars. C’est une peur normale, on est éduqué avec ces mythes comme quoi les détenus sont des tueurs, violeurs, etc. J’ai décidé qu’on devait commencer à tourner et que ça nous aiderait à les rencontrer, à les comprendre. Je me suis dit qu’il ne fallait pas démarrer par la conversation mais plutôt par des images. On y a passé une semaine la première fois, on devait y rester plus longtemps mais on n’était pas assez prêt pour cette expérience. On nous racontait beaucoup d’histoires terribles. On passait toute la journée avec eux, on dormait dans une chambre du centre et on n’avait plus accès à notre vie normale (la famille, les copines). On était constamment dans le centre. Après 6 ou 7 jours et un entretien très puissant avec le personnage principal du court-métrage, on était assis sur un canapé avec mon chef op et on a commencé à pleurer. On a eu besoin de rentrer chez nous, d’analyser ce qui s’était passé. Quand on y est retourné, on était plus préparé mentalement.

La première fois que tu es allé au centre, tu as expérimenté la vie là-bas et tu as filmé immédiatement ?

J.G. : On cherchait les personnages du film, il y avait 15 personnes dans le centre et chacun avait sa propre histoire. On devait décider d’une structure narrative : est-ce qu’on voulait parler de 5 personnes ou de manière plus classique d’un seul personnage ? Après avoir rencontré Mariusz, on a décidé de faire un film à propos de lui. Il nous a dit que son fils allait quitter une prison dans un mois et on a su que ce serait notre histoire, un père et un fils qui quittent la prison. Dans la première partie du court, il y a une scène dans la cuisine où ils se retrouvent après huit ans. J’ai aussi ce sentiment que Mariusz était très ouvert et qu’il nous permettait de rentrer dans sa vie. J’ai passé deux semaines avec Mariusz et son fils. Ils savaient qu’on faisait le film aussi pour eux. Ils nous ont permis de les approcher parce qu’ils savaient que nos intentions étaient bonnes.

Je ne savais pas que j’allais faire un film sur une relation père et fils. J’aurais refusé si quelqu’un m’avait demandé de filmer mes retrouvailles avec mon père huit ans plus tard ! Mais ils ont accepté. On a discuté de mes idées, de mes intentions. On a parlé de leur exclusion sociale et j’ai dit qu’avec ce court-métrage, je voulais leur donner une voix : “ce n’est pas seulement mon film, c’est aussi le vôtre”. Ils ont accepté autour de ce contrat, ils nous ont donné accès à leur vie.

Comment les as-tu approchés avec la caméra ?

J.G : C’était le résultat de notre travail sur la confiance. Je voulais montrer que le système en Pologne rend dépendant à la prison, il augmente la pauvreté. En prison, tu as un lit, tu as de la nourriture et tu sais ce qui t’attend le lendemain. En dehors, tu n’es plus sûr de rien. Quand tu viens de ce monde, tous les jours sont un combat. Parfois, la prison n’est pas trop mal pour eux, ils ont une vie normale avec des gens qui les comprennent.

Il y a deux sujets dans ton film : une relation entre un père et un fils et le centre pour anciens détenus. Comment as-tu trouvé l’équilibre entre les deux ?

J.G : Je n’avais pas de scénario pour ce film. Le film s’est écrit grâce à des conversations avec mes personnages : je leur disais ce dont j’avais besoin, ce que je voulais, et ils me disaient ce qu’ils imaginaient. Mariusz était très conscient des images qu’on avait tournées, il avait ce court métrage en tête même avant qu’on commence le tournage. Et c’était incroyable pour moi car on travaillait ensemble sur le même film, sur les mêmes matériaux.

Comment sentais-tu que c’était le moment de prendre la caméra et de filmer?

J.G : On a essayé de tourner de façon précise, pour utiliser la caméra juste au moment où ça nous sentait important. On a eu sept heures environ de rushs, ce qui n’est pas beaucoup. Au début on avait une sorte de scénario, on imaginait tourner par exemple une interview et dans ce cas là, on prendrait la caméra. On la sortait principalement lors des interviews, mais dans les moments d’observation, on avait peu d’images parce qu’on ne pensait pas que cela ferait partie du film. C’était une question d’intuition.

Quand on fait du documentaire, on cherche la vérité. Comment ton intuition, ta subjectivité, influe-t-elle au tournage?

J.G : Je pense que tout le monde a un point de vue sur quelque chose. Tous réalisateurs ont leur propre esthétique, leurs sujets de prédilection. Quand tu vas dans un endroit, tu sens dans ton corps ce qui te touche ou pas. C’est très important de raconter une histoire si tu l’aimes, si tu t’identifies aux personnages. À la première de mon film, une amie m’a dit qu’elle sentait que c’était mon film, elle l’a comparé à ma personne et elle a senti que j’en étais l’auteur. Je crois que c’est très important de trouver une relation entre son esprit et l’image à l’écran. Ça fait partie de cette vérité, de cette authenticité, le fait de tourner avec ses yeux.

As-tu choisi ce sujet parce qu’il te parlait ? Parce qu’il résonnait en toi ?

J.G : J’ai d’abord pensé que ce serait une bonne aventure d’aller dans le centre. Puis, quand j’ai rencontré ces anciens détenus, j’ai senti une résonance. Pour moi, ce film traite d’un combat quotidien, du fait de lutter tous les jours avec le monde autour de nous. J’ai pensé que c’était ma vie aussi, dans des conditions différentes.

Est-ce que tu as d’autres projets ?

J.G : En ce moment, j’essaye de travailler avec le matériel que je n’ai pas gardé pour le court-métrage. Je veux faire un film avec ce que j’ai tourné et des images d’archives. J’ai le sentiment que ça pourrait être un bon film. Je n’ai choisi pour Father.Son que des images avec Mariusz et son fils alors que les autres sont bien. Il y a d’autres bons personnages mais ce sera un film plus expérimental.

Pourquoi avoir choisi de conclure le film avec des images de prison?

J.G : Pendant tout le film, on est avec eux hors de la prison. Mais la prison est quelque chose de maudit, toujours en train de les attendre, même si elle est vide. C’est dans leur esprit.

Propos recueillis par Garance Alegria et Agathe Arnaud

Ondine Novarese : « C’est le micro qui fait le cadre »

Dans Radiadio, on découvre les joies des retrouvailles d’une famille autour de la traditionnelle fête juive de Pessah. Depuis des générations, les gestes se transmettent, se perdent mais gardent leur sincérité. Ondine Novarese, la réalisatrice de Radiadio, a peur de voir ces gestes traditionnels disparaître mais elle aime sa famille, même si le Pessah sur Zoom est un sacré bazar !

Dans son court-métrage sélectionné dans la catégorie Jeune création au FIPADOC 2023, elle mélange les images d’archive filmées par son arrière-grand-père, des images d’un enregistrement Zoom et un tournage en famille. La jeune réalisatrice, tout juste diplômée du département son de la Fémis, raconte son envie de créer un sentiment de nostalgie dans son film.

Format Court : Quand ce projet est-il né et comment ?

Ondine Novarese : Dans le film, on voit les repas de Pessah faits sur Zoom et Skype. Le premier a eu lieu en 2020 : on était en plein confinement et j’avais pris le son. A ce moment-là, je ne savais pas que j’allais faire un film mais j’avais envie de prendre le son, de filmer ça. Puis, j’ai retrouvé l’archive de 1959, un Pessah en famille aussi. Pour moi, c’était deux matières qu’il fallait faire communiquer. Il y avait quelque chose de tellement évident de l’ordre de la perte, en tout cas du changement. Ça m’a fait peur, c’est une fête qu’on fait pour mon grand-père et il venait d’avoir 90 ans. C’est là que je me suis mise à me poser la question : qu’est-ce que va devenir cette fête traditionnelle et familiale plus tard ? L’idée est vraiment née là.

Tu avais déjà des enregistrements son et image avant d’avoir une idée du film ?

O. N : J’avais déjà l’archive du Pessah de 1959. Pour le reste, je suis allée chez mes grands-parents un mois avant le montage. C’est un peu cliché mais c’est vrai : j’ai trouvé un sac plein de bobines dans la cave. Il y a eu un travail de montage : il a fallu regarder les archives, se demander ce qui communique bien, ce qui peut exprimer ce qu’on veut dire.

C’est donc l’image d’archive qui t’a donné envie de faire ce film ? Plus que la crise du Covid ?

O. N : C’est le son de l’image qui m’en a donné envie. Ce qui résonne le plus en moi, émotionnellement, c’est le discours de mon arrière-grand-père à la fin du film, où il s’adresse à ses enfants parce qu’il espère qu’il y aura d’autres Séder (repas de Pessah), que ses enfants auront des enfants aussi dévoués. Il y a quelque chose qui m’a touchée, c’est un discours que j’entends encore aujourd’hui alors que c’est quelqu’un que je n’ai pas connu. C’est ce qui m’a donné envie d’exprimer ce que ça me faisait ressentir : une sorte de nostalgie mais particulière, une nostalgie à la fois d’un passé que je n’ai pas connu et d’un futur très incertain.

Ton travail de fin d’étude à la fémis traitait déjà de la nostalgie.

O. N : J’ai fait un mémoire sur la nostalgie. À la Fémis, en quatrième année, pour le TFE (travail de fin d’études) , on a le droit de faire un film – ce n’est pas obligatoire – et quelle que soit sa section, il doit s’accompagner d’un travail d’écriture de mémoire, en rapport avec le département dans lequel on est. J’ai eu l’idée du film avant l’idée du mémoire. Cette émotion de la nostalgie est ce qui m’a donné envie de faire ce film. J’avais envie d’en parler sous l’axe du futur comme de quelque chose qu’on n’a pas encore perdu mais qu’on a peur de perdre. Une sorte de nostalgie du futur en somme.
Je suis repartie des théories du temps de Bergson selon lesquelles il y a toujours dans le présent à la fois un passé qui se conserve et un présent qui passe. Je me suis dit que pour donner naissance à un sentiment de nostalgie, il faudrait qu’il n’y ait pas juste ces deux temps-là mais un troisième temps, simultanément. Le passé qui se conserve, le présent qui passe mais aussi le futur présent à l’esprit. On a des images d’archives du passé, et le tournage du temps présent, aujourd’hui comment on célèbre Pessah ; de réussir dans un instant d’avoir simultanément trois temps différents. Ce qui permet de créer une connexion, un pont, et qui crée un sentiment de nostalgie. Après, est-ce que ça marche ? C’est une autre question.

Comment as-tu travaillé la mise en scène et l’approche des images d’archives, notamment concernant les gestes traditionnels qui se répètent ?

O. N : Je voulais réussir à relier les époques où il y a beaucoup de choses qu’on fait très différemment. Il y a des gestes qui restent les mêmes, qui permettent de faire des ponts temporels et de passer aux images d’archives. La façon dont ils disparaissent et se transforment m’intéressent. Ils ne sont plus très bien réalisés, quant à la langue, elle a vraiment disparu. Dans le Pessah de 59, tout se passe en yiddish qui est un vrai vestige aujourd’hui. Ce sont des éléments qui permettent de faire des liens, soit par rupture, soit pas similitude et qui permettent de faire répondre des époques qui n’ont rien à voir.

Pour le tournage, je n’ai pas du tout donné d’instructions à ma famille. L’idée c’était qu’on se fasse oublier. Même si on était une petite équipe de trois, ils n’avaient pas l’habitude. Je perchais donc je n’étais ni complètement avec eux, ni avec l’équipe. Dès qu’il y avait une prière, il fallait que je mange le plat correspondant au bon moment, c’était difficile à gérer !

C’est un peu acrobatique d’être à la fois un personnage de ton film en même temps que quelqu’un qui le fabrique.

O. N : Dans Radiadio, la construction du film fait partie du film. Au début, je me suis interrogée si je devais faire moi-même l’image. Très vite, j’ai voulu filmer mais j’ai abandonné parce que je ne sais pas filmer. Par contre, je sais faire du son, je sais percher. L’envie de faire l’image, elle vient surtout d’une envie de contrôler le cadre, d’être au bon endroit au bon moment. Mais ce n’est pas parce que je fais de la perche que je ne peux pas être au bon endroit au bon moment. J’ai donné mes instructions au chef op en lui disant : « si tu vois des choses qui t’intéressent, n’hésite pas. Par contre, si tu vois que je me déplace à la perche quelque part, tu me suis.” C’est le micro qui fait le cadre.

Quand la période de montage s’est-elle située par rapport au tournage ?

O. N : Comme c’est un film très intime, j’avais besoin de temps, de recul. On a eu deux semaines en janvier et deux semaines en mai. En plus, j’ai eu deux monteurs différents ce qui n’était pas prévu. Avec Gabrielle Stemmer, une monteuse très brillante qui a fait son TFE avec seulement des images de Youtube (Clean with me (After dark), 2019), on a vraiment construit le film en termes de structure. On a beaucoup bossé ensemble sur les parties de Zoom. Ça a permis de voir ce qu’on avait déjà et donc de savoir ce qu’on voulait aller chercher au tournage. Toujours dans le but de créer des ponts entre les époques et de voir ce qui reste, ce qui disparaît, ce qui change. On a reconstruit tout ça avec Charly Cancel, un autre monteur. C’est un exercice d’avoir deux monteurs mais c’était super. Avec Gabrielle, on a travaillé sur la structure et avec Charly, on s’est concentré sur la création du personnage de mon grand-père, on a relié les archives à lui. En rentrant dans le détail, on a pu construire quelque chose de plus intime, de plus émotionnel. La structure était là, elle était assez évidente et on ne voulait pas la changer mais l’enrichir.

Comment as-tu travaillé les images sur Zoom et Skype ? Comment construis-tu un récit, comment choisis-tu tes images ? Les personnages de ta famille ne sont introduits que par Zoom et pourtant on a quand même l’impression de les rencontrer.

O. N : Avant d’arriver en montage, j’avais écrit un traitement et j’avais présélectionné les moments que j’aimais, ceux qui me faisaient rire, ceux que je trouvais intense. J’avais une idée de construction du film, je voulais qu’on commence avec quelque chose de léger, de drôle. Parce que c’est comme çà que je vis Pessah. C’est un peu le bazar et j’avais envie de remettre ça dans le film. Je savais à peu près qui je voulais mettre en avant mais ça s’est fait assez naturellement, c’était évidemment mes grands-parents. Mais eux, on a dû aller les chercher un peu plus au tournage. On s’est rendu compte que cela tournait autour de mon grand-père et il fallait, dès le Zoom, attirer l’œil sur lui. Ce n’est pas toujours évident.

Quand quelqu’un parle sur Zoom, on regarde celui qui parle. On savait que quand quelqu’un interviendrait on allait avoir l’attention du spectateur sur cette personne. Il peut y avoir un détail aussi, quelque chose qui nous intéresse, une moue, etc. C’est du documentaire mais forcément il y a de la mise en scène. Ce qui est pratique avec le Zoom, c’est que c’est fait de plein de vignettes, forcément il y a des moments où on a un peu triché. On remplace une vignette, on met un autre moment. C’est un mélange d’écriture préalable, de réflexion avec la monteuse et le monteur et puis, avec le tournage, de possibilité de se refocaliser sur certaines personnes.

Vois-tu ton film comme une nouvelle archive qui se construit, porté par un désir de transmission?

O. N : La transmission, c’est une question tout le temps présente chez moi, encore plus dans les familles juives. Dans ces familles, on a une partie de l’histoire qu’on se lègue, il y a beaucoup de névroses. Mon grand-père a beaucoup filmé, j’avais envie de reprendre son geste à lui et de partager mon point de vue sur ça, sur la peur de la perte de la tradition mais aussi leur transmettre que peut-être, finalement, on est une famille, ensemble, qui s’aime et que ce n’est pas grave si ça change. En faisant le film, j’ai pensé que je réutilisais des films qui ont été filmés il y a 50 ans. Peut-être que dans 50 ans, mon film pourra être vu et utilisé. C’est l’espoir qu’on a quand on filme quelque chose, de se dire que ça deviendra un souvenir aussi et qu’avec un peu de chance, il fera partie du passé.

Comment se déroule la fabrication d’un film de fin d’année à la Fémis ?

O. N : C’est un peu différent selon les départements. Tout le matériel est prêté par la Fémis, toutes les salles de post-prod aussi et les gens ne sont pas payés. C’est encore une année d’école. Sur les TFE, tout le monde est bénévole et cela ne concerne pas seulement des étudiants de la Fémis. Sur mon équipe, j’ai eu de la chance parce que j’ai osé contacter des gens qui ont déjà le statut d’intermittent mais qui ont accepté de travailler bénévolement. Je pense qu’il faut avoir du culot. C’est beaucoup de contacts et puis, il faut réussir à motiver des gens sur un projet qui est bénévole. L’avantage du TFE, c’est que les gens se disent que c’est un film qui va aller en festival – si c’est réussi. C’est beaucoup plus difficile de faire travailler bénévolement après l’école. Le problème aussi, surtout en documentaire, est que lorsqu’on on attend de l’argent, il y a des films qu’on ne fait pas. On ne s’en rend pas trop compte, quand on sort de la Fémis, du temps que ça prend. On nous prévient mais ce n’est pas pareil de le vivre, d’envoyer un dossier et de savoir qu’il faut attendre trois mois avant d’avoir une réponse alors que certains films pourraient se faire en une semaine de tournage et deux mois de post-production. Le problème, c’est qu’il faut trouver les financements et dans la réalité, c’est extrêmement long. Il y a des films qui n’attendent pas. Il faut se dire : “tant pis je n’ai pas de financement”. Avec un peu de chance, ce sera financé après sinon ce sera à perte. Avec Radiadio, c’était facile, il a suffi d’une petite caméra qui a fait le travail puis d’un enregistrement d’écran. J’ai un autre projet de documentaire en Corse, on filme une dame de 95 ans qui est cardiaque comme pas possible et moi, si j’attend le financement du CNC, elle ne sera peut-être plus là. On a décidé de partir tourner et puis, on verra bien…

Propos recueillis par Garance Alegria et Agathe Arnaud

Article associé : la critique du film

Retour sur le PIAFF 2023

Le Paris International Animation Film Festival (PIAFF) vient de s’achever. Hébergé une nouvelle fois au Studio des Ursulines, dans le 5ème arrondissement de Paris, il a accueilli pas moins de 6 sélections : court-métrage, horizon, étude, musique, jeunesse et expérimental. Petit coup de projecteur sur la compétition des courts-métrages.

Cette compétition présentait 27 films issus de diverses nationalités, répartis en trois séances de 9 films. La plupart des films abordait des sujets forts, en prise avec l’actualité et la société contemporaine. Les esthétiques brillaient par leur diversité, des marionnettes filmées en stop-motion au dessin animé en passant par le papier découpé.

Hommages et prises de conscience

Si de nombreux sujets d’actualité contemporaine sont évoqués, cela tient pour partie à un point d’honneur du festival : rendre hommage à l’une des nombreuses luttes du monde.
Cette année, ce sont les combats des Iranien.nes que le PIAFF a souhaité soutenir. Le festival a ainsi donné la parole à Sepideh Farsi, réalisatrice iranienne qui présente cette année son premier long-métrage d’animation, La Sirène, au Festival de Berlin, sélectionné dans la section Panorama. Elle a affirmé au PIAFF, à propos des luttes iraniennes contre l’extrémisme religieux : “Je pense qu’on va gagner”.

D’autres hommages, destinés cette fois à saluer le travail de specialistes du cinéma d’animation, ont émaillé le festival. L’un d’eux a ainsi été rendu à Sébastien Roffat, historien de l’animation, décédé en 2022.

Quant au Prix Giannalberto Bendazzi, créé lors de la précédente édition du festival, il a vocation à rendre hommage aux métiers de l’ombre du cinéma d’animation. Cette année, il a été remis à Nancy Denney-Phelps, journaliste spécialisée dans le cinéma d’animation.

Des courts-métrages d’une grande diversité

La diversité de ces hommages est à l’image de la diversité des films présentés. Ainsi, l’Iran lui-même était présent grâce aux deux très beaux films de Shiva Sadegh Asadi : Tache et Satin blanc. Dans de très courts formats (3’40’’ et 2’18’’), la réalisatrice évoque avec sobriété la violence que subissent chaque jour les femmes. Grâce au rythme heurté, nous passons de poupées filmées à des papiers découpés ou du dessin 2D, dont le caractère inanimé évoque la réification subie par les victimes. La cadence hachée participe pour sa part d’une dislocation de la narration à l’image de la dislocation des corps.

Les violences sexuelles et sexistes étaient également présentes dans Oneluv, de la réalisatrice russe Varya Yakovleva. Mais, si la violence des films de Shiva Sadegh Asadi reposait en grande partie sur leur sobriété et l’absence de tout commentaire, Oneluv souffre de sa trop grande évidence. En soulignant son propos là où Tache et Satin blanc se passaient de commentaire, ce film perd de sa force et devient finalement assez banal. Il a toutefois su séduire le Jury du court-métrage qui lui a attribué le Prix de l’interprétation.

Puisque violence il y a, la guerre a également influencé les films sélectionnés. Nuit, du réalisateur palestinien Ahmad Saleh, s’ouvre sur la très belle maquette d’une ville dévastée, dont la beauté séduit bien plus qu’elle ne repousse. Le ciel étoilé se transforme en un sol jonché de bougies, lieux de prières aux victimes des bombes. C’est à la Nuit que la mère d’un enfant disparu adresse sa prière en un chant grave et fort.

Quant à la Letter to a pig de la réalisatrice israélienne Tal Kantor, elle nous fait entrer dans les pensées d’une élève qui écoute un ancien déporté se livrer à un exercice étrange, lire une lettre à un cochon : le rescapé s’était, durant la guerre, caché dans une porcherie, ce qui lui a permis de survivre. L’animal devient alors métaphore d’un ennemi paradoxal, salvateur en dépit du dégoût qu’il inspire. Quelques prises de vue réelles enracinent le dessin dans la réalité, tandis que l’esprit de la jeune fille vagabonde. Si ce moment s’étire un peu, il nous fait ressentir avec beaucoup de précisions le vertige de cette élève dans un dessin en noir et blanc qui fait fi de toute perspective et évoque avec subtilité l’esthétique de l’expressionisme allemand. Un parti pris qui a conquis le Jury du court-métrage, qui lui a décerné le Prix du scénario.

D’autres sujets d’actualité ont été évoqués au PIAFF, comme la transidentité et la transphobie dans Lada, la sœur d’Ivan d’Olesy Shchukina, ou l’uniformité du monde contemporain dans Mon tigre, de Jean-Jean Arnoux. Le premier déçoit toutefois par l’importance du commentaire : une personne en transition nous conte par le menu la libération que fut son changement de genre. Si le dessin fait montre de quelques trouvailles, la voix off qui livre le récit est clairement de trop et transforme ipso facto le film en un spot bien didactique. De son côté, Mon Tigre amuse par sa peinture du monde contemporain, mais ne parvient pas à éviter les poncifs en la matière. Il s’agit là d’un film distrayant, mais qui manque d’originalité.

Un soin particulier a en revanche été porté au travail de l’image dans Ice Merchants de João Gonzalez , qui nous montre un père et son fils aux prises avec la fonte d’un glacier. Le travail des couleurs et la précision du dessin sont à saluer.

Il en est de même pour La Ville magnifiée, d’Isaku Kaneko, qui nous embarque dans une ville incendiée, « magnifiée » par des caméras et des appareils cinématographiques en tout genre, lesquels entreprennent de redonner vie à la ville détruite. La façon dont les couleurs jouent entre elles et les jeux de lumière nous emmènent dans un monde surréel qui rend un bel hommage au septième art. Dans un genre semblable, Isaku Kaneko avait réalisé en 2019 Locomotor et The Balloon Catcher en 2020. La Ville magnifiée a remporté le Prix de la critique et le Prix du public.

Un peu d’humour anglais, enfin, avec le très beau La Débutante, de Elizabeth Hobbes. Le film s’inspire d’une nouvelle de 1936 de Leonora Carrington, qui raconte les horreurs auxquelles est réduite la narratrice pour éviter un bal à la cour de George V. Le texte puise ses inspirations dans l’univers de Virginia Woolf et l’humour d’Oscar Wilde ou de Bernard Shaw. Le court-métrage vaut toutefois pour autre chose que son fil narratif : le rythme du montage et la variété des traits et des techniques font de ce film un petit bijou d’humour britannique, qui a su séduire le Jury court-métrage, ce dernier lui ayant décerné le Prix Sauvage.

Le PIAFF 2023 aura su présenter en trois séances des courts-métrages d’animation variés. Si nombre d’entre eux présentent de façon crue un monde terrible où chacun.e se déchire, l’humour et les appels à l’imaginaire apportent un peu d’espoir salutaire.

Julia Wahl

Max Lesage : « Le plateau de cinéma est un endroit où tout peut arriver »

Lors de la 37ème édition du Festival de Brest, le jeune réalisateur Max Lesage a remporté le prix Bref Cinéma de la meilleure réalisation dans la catégorie « Compétition Bretagne ». À cette occasion, le lauréat s’est exprimé sur son parcours, son approche d’écriture et plus particulièrement sur son troisième court-métrage Titou pour lequel il a été primé. L’histoire tourne autour de Titou, un jeune homme plein d’ambitions qui souhaite réaliser des clips de rap. Il embarque son ami rappeur avec lui pour aller dans la maison de sa grand-mère, récemment décédée, afin de créer un morceau et d’en tourner le clip. À leur arrivée, les deux jeunes hommes découvrent que l’aide soignante de la défunte squatte la maison, une rencontre qui signe le début d’une suite de mésaventures qui vont perturber le tournage et mettre à l’épreuve le jeune réalisateur.

Format Court: Quel est ton parcours dans le cinéma ?

Max Lesage : Mon amour du cinéma a vraiment commencé quand j’étais au lycée. C’était un établissement qui proposait une option cinéma. C’était très chouette, on avait 8h de cinéma par semaine, on faisait des sorties à Cannes, à Belfort… Et on a fait des films aussi. C’est vraiment le début de tout, et comme j’étais aussi à l’internat, c’était très immersif. J’ai ensuite fait un an dans une école de cinéma mais ça ne m’a pas beaucoup plu car c’était très axé sur les aspects techniques et les cours sur la mise en scène étaient peu intéressants. Je pense que c’était une bonne formation pour être technicien mais ça ne me convenait pas.

C’est après que tu es parti au Sénégal ?

M.L: Oui exactement. J’étais entré en contact avec un anthropologue qui m’a ensuite proposé de le suivre au Sénégal dans le cadre d’une mission pour le CNRS; l’idée était d’aller faire des images des peuples nomades dans le désert du Ferlo. Finalement, ça n’a rien donné d’exploitable mais ça a été très formateur, ça m’a fait comprendre que l’école de cinéma n’était pas un passage obligatoire en vérité.

À quel moment t’es-tu familiarisé avec les aspects techniques du filmage ?

M.L: À vrai dire, je connaissais déjà la technique que j’avais apprise au lycée, et puis de manière générale, je suis plus concentré sur la mise en scène que là dessus, même si je connais les bases évidemment. Je ne me sentirais pas de tourner un film tout seul maintenant avec du gros matériel par exemple.

Pourtant, la photographie est remarquable dans Titou. Tu as travaillé seul ?

M.L: Non, j’ai travaillé avec Mathias Godron que j’ai rencontré à l’école de cinéma, je lui ai fait confiance parce qu’on savait déjà ce qu’on voulait à l’image, on avait beaucoup de références en commun pour ce projet. On avait en tête les films d’été de Éric Rohmer évidemment, et d’autres films comme ceux de Guillaume Brac par exemple.

Au-delà du film d’été, Titou représente principalement une mise en abîme du tournage et du travail artistique en général. Est-ce que tu as écrit le personnage du réalisateur comme un double de ta personne ?

M.L.: Au début ce n’était pas tant explicite, mais au fil du tournage c’est vraiment devenu mon double, c’est vrai. Son caractère n’est pas le mien bien sûr, je suis beaucoup moins colérique (rires) ! Mais il est vrai qu’on a tous vécu ces péripéties de tournage qui conduisent à des choses improvisées par la force des choses. Le plateau de cinéma, c’est un endroit où tout peut arriver et je trouvais que ca se prêtait particulièrement à la comédie.

Ce n’est pas la première fois que tu travailles avec ton frère. Comment est-ce de diriger quelqu’un avec qui on a une relation aussi intime dans la vraie vie ?

M.L: Je commence à avoir l’habitude parce que ça n’est pas le premier tournage qu’on fait ensemble (rires) ! Après le Sénégal, j’ai tourné avec lui un film expérimental en super 8 qui s’appelle Conatus. On a tourné dans une décharge sauvage située à 20km de Paris qui s’étale sur des milliers de kilomètres avec des montagnes de déchets en plein milieu de la nature, et bien sûr, tout ça est parfaitement illégal. J’ai tourné dans une décharge parce que je voulais parler d’un mec obnubilé par des images d’objets de surconsommation. Pour en revenir à mon frère, bien sûr, il y a parfois des aspects personnels qui ressortent. On se connait très bien, on connait les attentes et les réactions de l’autre. D’ailleurs, on trouve de plus en plus notre équilibre au fil des projets, ça va dans le bon sens.

Comment est-ce que tu écris tes projets ?

M.L.: Je n’ai pas de co-scénaristes. Je travaille surtout avec les retours des personnes à qui je demande un avis. Il ne faut pas non plus trop multiplier les opinions parce que ça peut finir par embrouiller plus qu’autre chose (rires) !

Penses-tu en premier les plans ou l’histoire ?

ML: Les deux vont ensemble je trouve. Il est vrai qu’un plan est souvent à l’origine du projet et à partir de là, le scénario se déroule autour et fait jaillir d’autres images ensuite. J’aime que les deux collaborent parce que sinon je trouve qu’on ressent au scénario que l’histoire prime au detriment du reste, et dans ces moments-là, le projet manquera très certainement d’images fortes.

Dans Titou, tu intègres beaucoup de codes de ta génération : les drones, les kebabs, le rap etc .. Est-ce par envie de filmer ce que tu connais, ce qui t’entoure ?

ML: C’est tout simplement des choses qui gravitent autour de l’univers du rap. Ce que je représente dans Titou est ce qui se passe vraiment dans les petites cessions studios. Le rappeur que Titou croise dans Paris, par exemple, est rappeur dans la vie. Il est arrivé avec l’attitude, le style et tout, on a commencé à filmer directement parce qu’il était déjà prêt (rires) ! Mais pour en revenir aux codes, il est evident que Titou est un film qui gravite autour de cet univers du rap mais en même temps, il a été très influencé par les duos iconiques du cinéma et de la littérature. Par exemple, je voyais dans ce duo quelque chose qui rappelait Don Quichotte et son écuyer. La relation entre les deux est très touchante, mais en même temps très conflictuelle. Le livre date du début du XVIIème, et pourtant c’est toujours une référence absolue en terme de duo, je trouve. Don Quichotte est un homme qui se rêve chevalier, Titou est semblable à lui car il aspire à avoir sa place dans le monde du rap et veut faire les choses en grand. Il rêve beaucoup et parfois n’arrive pas forcément à regarder la réalité en face. L’histoire de Titou n’est rien de plus, rien de moins que celle de deux losers qui veulent faire comme les rappeurs qu’ils trouvent très stylés. Ce qu’ils sont fait partie intégrante de la dimension comique pour moi, avant même les péripéties de l’histoire.

Quels sont tes projets futurs ?

ML: J’ai plusieurs projets en cours qui sont en attente car on cherche des financements. Je prépare un court-métrage que je vais tourner dans les Vosges prochainement, et un deuxième qui sera à Paris ou Strasbourg. J’ai aussi des longs qui sont écrits mais qui ne sont pas en état d’être tournés.

Tu te sentirais prêt à passer aux longs-métrages ?

ML: J’aimerais ! Mais au stade actuel, je ne pense pas que ça soit possible. Il faut encore quelques autres petits projets pour avoir des financements plus rapidement et passer plus vite dans les commissions. Mais si j’avais un financement demain, oui j’aimerais tourner un long. J’ai d’ailleurs un scénario que j’ai écrit en arrivant à Paris et que je n’ai pas cessé de retravailler depuis. L’histoire tourne autour d’un personnage jeune dont je me sens très proche, donc le projet me tient à coeur. Je pourrais faire un film personnel peut-être, mais à l’heure actuelle, je ne me sentirais pas capable de réaliser une grande commande sur un film historique ou quelque chose comme ça. De plus, faire une commande quand on est jeune, et pas encore très installé dans le milieu, revient à prendre le risque de se faire manger par les producteurs et de ne plus avoir l’occasion de proposer quelque chose de vraiment personnel.

Ton film a reçu le prix de Bref Cinéma ce qui le rendra disponible sur la plateforme. Il y a peu de plateformes qui mettent en avant les courts-métrages. Est-ce que ça pourrait évoluer selon toi ?

M.L.: Oui, c’est vrai que Bref cinéma est l’une des seules plateforme entièrement dédiéee au court métrage, il y a aussi Arte et Canal+ par exemple, mais ça reste restreint. Je pense que ça va se développer, le court métrage a pris un tel essor ces dernières années… Avant, ce format était principalement considéré comme un exercice. Même s’il y a de grands réalisateurs qui ont fait des courts métrages que j’adore, je pense que ça n’avait pas la même place qu’aujourd’hui.

Quels sont les trois films qui t’ont marqué et qui ont influencé ton cinéma, notamment pour Titou ?

ML: Alors, il y a L’épouvantail (1973) de Jerry Schatzberg avec Al Pacino qui livre une performance incroyable selon moi, Zabriskie Point (1970) d’Antonioni, un film sur l’Amérique et les hippies qui se passe dans le désert sur fond de pink floyd, et Punch-Drunk love (2001) de Paul Thomas Anderson.

Propos recueillis par Anouk Ait Ouadda

Oscars 2023, les nominations

Il y a un mois, nous vous annoncions les 45 films shortlistés aux Oscars 2023. Ce matin, l’Académie des Oscars a annoncé les nominations des différentes catégories dont celles en lien avec les courts. Voici désormais les 15 films nommés à l’Oscar du meilleur court d’animation, de fiction et documentaire 2023. Bonne info : plusieurs films sont visibles en ligne !

Documentaire

The Elephant Whisperers de Kartiki Gonsalves (Inde, Etats-Unis)

Haulout de Evgenia Arbugaeva, Maxim Arbugae (Russie, Royaume-Uni)

How Do You Measure a Year? de Jay Rosenblatt (Etats-Unis)

The Martha Mitchell Effect de Anne Alvergue, Debra McClutchy (Etats-Unis)

Stranger at the Gate de Joshua Stefel (Etats-Unis)

Animation

The Boy, the Mole, the Fox and the Horse de Peter Baynton & Charlie Mackesy (Royaume-Uni)

The Flying Sailor de Wendy Tilby & Amanda Forbis (Canada)

Ice Merchants de João Gonzalez (Portugal, Royaume-Uni, France)

My Year of Dicks de Sara Gunnarsdóttir (Etats-Unis)

An Ostrich Told Me the World Is Fake and I Think I Believe It de Lachlan Pendragon (Australie)

Fiction

An Irish Goodbye de Tom Berkeley et Ross White (Irlande)

Ivalu de Anders Walter (Danemark)

Le Pupille de Alice Rohrwacher (Italie, États-Unis)

Night Ride (Nattrikken) de Eirik Tveiten (Norvège)

The Red Suitcase de Cyrus Neshvad (Luxembourg)

R comme Radiadio

Fiche technique

Synopsis : Une famille juive tente de faire survivre ses traditions dans le monde moderne, malgré le passage des générations. De la pellicule au Zoom, nous vivons avec cette famille une fête de Pessah.

Genre : Documentaire

Durée : 20′

Pays : France

Année : 2022

Réalisation : Ondine Novarese

Montage : Gabrielle Stemmer, Charly Cancel, Amaïllia Bordet, Mona Rossi

Image : Hugo Malidin

Son : Lou Jullien assistée d’Ondine Novarese

Production : La Fémis

Articles associés : la critique du film, l’interview de la réalisatrice

Radiadio de Ondine Novarese

Le « Seder » est un repas de Pessah, une fête, se déroulant à Pâques, célébrant la libération du peuple juif et la sortie d’Egypte. Après un parcours son à la Fémis, Ondine Novarese nous invite avec ce film à participer au Seder de sa famille et notamment à celui de son grand-père en 1959. Le film est en ce moment diffusé dans la thématique Jeune création au FIPADOC 2023 qui met à l’honneur des films de réalisateur.ice.s produits dans le cadre de leurs formations. À l’ère du numérique et du Covid, le film nous montre comment tentent de survivre traditions religieuses et familiales. Un dialogue entre images d’archives et prises de vues réelles.

Le film s’ouvre sur des images d’un soir de Pessah de 1959 filmé par le grand-père de la réalisatrice. Une suite de plans présente une famille réunie autour d’un repas composé de plusieurs petits plats. Ces archives permettent à la réalisatrice de convoquer ses propres souvenirs du Seder et d’introduire une nouvelle temporalité : le Seder 2020, puis 2021. Rapidement, la réalisatrice nous inclut au coeur des retrouvailles familiales depuis son ordinateur, filmées avec une petite caméra et enregistrées depuis son écran. On rejoint une réunion Zoom dont les participants ne semblent pas connaître tous les usages. Le repas débute et le film décortique chaque étape de cette fête au fur et à mesure que cette famille tente de reproduire les gestes traditionnels. À l’image, les vignettes sur Zoom sont nombreuses, elles défilent et accroissent le sentiment de confusion de la scène. Plus personne ne sait vraiment comment célébrer le Seder.. Avec ce film, Ondine Novarese aborde la nostalgie d’un savoir qui évolue avec le temps mais où le désir de prolonger une mémoire familiale résiste. Les liens virtuels de cette séquence ne font que renforcer l’importance de ce moment pour cette famille. La réalisatrice filme un repas et on retrouve avec tendresse des comportements familiaux usuels.

S’entremêlent ainsi les images du passé : au coeur du récit, son grand-père. Il filme avec une caméra Super 8 et prend le son avec un enregistreur à bande magnétique. Ce sont ses souvenirs, des images de la vie courante. Les images se répètent, des visages reviennent. Les archives nous laissent entr’apercevoir une famille et un repas dont on ne connaît pas très bien les codes. La figure du grand-père s’impose ici comme lien intergénérationnel, gardien d’une mémoire transmise à travers le Seder.

Radiadio est un film de famille. Les images d’archives répondent aux images actuelles où l’importance de se réunir unit les personnages. Le film nous accueille au sein de ces souvenirs familiaux, et nous fait partager à tous Pessah. Radiadio témoigne de la question mémorielle qui se transmet de génération en génération. La réalisatrice souhaite faire perdurer des traditions qui vivent pour et par son grand-père afin de continuer à partager des instants uniques avec les siens. Ondine Novarese nous fait spectateur de ces moments de compassion, simples et chaleureux. Son travail de captation depuis 2020 est aussi un travail d’archives où la question de la transmission encre le film dans ses temporalités diverses.

Garance Alegria

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Article associé : l’interview de la réalisatrice

Aralkum de Mila Zhluktenko et Daniel Asadi Faezi

Quand la mer quitte la terre, que font les hommes ?

La mer d’Aral, entre le Kazakhstan au nord et l’Ouzbékistan, est maintenant un désert ; le sable a remplacé l’eau. Les bateaux de pêche sont devenus des épaves et les filets se sont desséchés. Alors, que sont devenus les pêcheurs ?

Le court-métrage de Daniel Asadi Faezi et Mila Zhluktenko, Aralkum (co-produit par l’Allemagne et l’Ouzbékistan), sélectionné au FIPADOC, le Festival International du Documentaire qui a lieu en ce moment à Biarritz, convie dans cet univers désertifié et pourtant foisonnant en imaginaire. L’ouverture – un tableau en aquarelle d’un paysage asséché – nous invite à contempler le décor. Alors que nos yeux cherchent des vagues, du bleu, des animaux marins, ils se heurtent au beige du sable et aux poissons dans des bocaux. Avec la mer, la faune a, elle aussi, disparu. Seuls sont restés les hommes…

Le film déroute, joue entre les genres du documentaire : de l’éducation pédagogique sur les origines de la vie à l’élan lyrique en passant par le style naturaliste. Le sujet, la disparition de la mer, se dessine en creux. Semblant prendre pour thème central le vide, le documentaire trouble le spectateur qui ne saisit pas immédiatement de quoi il est exactement question. Comment faire quand le sujet du documentaire est absent ?

Aralkum pourrait être un film de deuil, il tient en son cœur l’absence de la mer et la peine de ceux qui l’ont connue. Les objets de la mer sont morts alors que les hommes vivent encore. Dans des plans immobiles, ils apparaissent avec toute leur sécheresse comme des cadavres figés dans le sable et dans le temps ; tandis que le vieux pêcheur marche sans but dans ses pensées. Comment parler à sa petite fille d’une mer qu’elle n’a pas connue, qui était pourtant là ? Le vieux pêcheur endeuillé contemple l’horizon d’un regard empli de souvenirs où les vagues apportaient richesses au village. Accompagné par le fantôme de la mer, il monte encore au-devant du bateau de pêche abandonné, rouillé par le temps, poli par le sable, oublié par les vivants. Le navire fantôme n’a pas perdu son capitaine qui nous rappelle le « tempestaire » d’Epstein. Le vieil homme de la mer a le pouvoir d’évoquer les vagues. Par son regard sur l’horizon, celles qui ont quitté la terre reviennent à reculons. Il est le conteur silencieux, celui qui par ses souvenirs du passé raconte la mémoire du lieu. Les réalisateurs donnent corps à une allégorie apocalyptique. En effet, si l’eau a quitté la mer, les oiseaux et les arbres ont fui, à quand la disparition de l’homme ?

This is the way the world ends
Not with a bang but a whimper.
T.S Eliot, The Hollow Men

Notre monde se termine, non pas dans un vacarme retentissant mais dans un murmure imperceptible. Fable sur le dérèglement climatique, Aralkum provoque une sourde inquiétude : notre environnement devient hostile. Appauvri de son système naturel, il est en déperdition. La désertification de la mer d’Aral est l’une des catastrophes environnementales les plus dévastatrices du XXème siècle. Les fleuves qui l’alimentaient sont détournés pour la culture intense du coton au début de l’ère soviétique. L’avidité capitaliste conduit tristement à l’appauvrissement de nos terres. Aralkum n’est pas dénonciateur, il interroge simplement : comment vivre dans un climat qui nous retire ce qui nous permet de vivre ? La dernière pêche de la mer d’Aral était bien maigre, un poisson à partager pour quatre familles. La faim résonne maintenant dans ce lieu où seul le vent chante en soulevant quelques grains de sable.

Agathe Arnaud

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A comme Aralkum

Fiche technique

Synopsis : Aralkum est aujourd’hui un paysage désertique parsemé de quelques bateaux couchés sur le flanc, épaves solitaires et rouillées. Le film réimagine la mer d’Aral avant qu’elle soit asséchée, permettant à un vieux pêcheur de prendre la mer une dernière fois.

Genre : Documentaire

Durée : 13’

Pays : Allemagne, Ouzbékistan

Année : 2022

Réalisation : Mila Zhluktenko, Daniel Asadi Faezi

Image : Sadriddin Shakhabiddinov

Son : Fazliddin Musurmonov

Production : O’zbekiston Kinematografiya Agentligi,  Lotas Film

Article associé : la critique du film