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Shlomi Elkabetz : « C’est en regardant les courts-métrages des autres que j’ai appris à filmer »

Membre du Jury des courts-métrages et de la Cinef à Cannes 2023, le réalisateur, comédien, scénariste et producteur israélien Shlomi Elkabetz évoque sa découverte du plateau, sa curiosité pour le court-métrage et son goût pour les images, partagé avec sa soeur, la comédienne et réalisatrice, Ronit Elkabetz, disparue en 2016.

© David Adika

Format Court : Vous avez fait plusieurs longs-métrages mais vous n’avez pas fait de courts-métrages. Comment cela se fait-il ?

Shlomi Elkabetz : C’est juste. J’ai directement réalisé des longs-métrages en co-écriture avec ma soeur. Avant Cahier noirs, j’ai fait un film court de 10 minutes appelé Les petits cahiers, davantage pour moi-même que pour les autres. C’était pour moi un moyen d’experimenter, d’établir un langage cinématographique qui me convienne. Mais je n’ai jamais réalisé de films d’école comme ceux-là, non.

Pensez-vous que la réalisation d’un premier film est plus libre que d’autres entreprises ?

S.E. : Je n’ai jamais étudié le cinéma vous savez, je n’avais jamais été sur un plateau de cinéma avant ça, je ne savais pas à quoi m’attendre. Je ne connaissais pas du tout l’industrie donc je n’avais pas du tout de pression. Tout ce que je savais, c’était que je voulais faire un film. Etrangement, sur le plateau tout m’était très naturel, j’ai compris que c’était là ma place. Bien sûr, il y a eu beaucoup d’imprévus pour le tournage, comme toujours mais, vous savez, une fois qu’on a compris le mécanisme de l’industrie du cinéma, on a moins peur et on sait se gérer.

Comment restez-vous vous-même après toutes ces années ?

S.E. : Premièrement, j’ai peur de me répéter, et j’ai peur d’être aimé. Bien sûr, je veux qu’on aime mes films, mais je ne veux pas qu’en regardant un de mes films on reconnaisse un de mes films précédents. Après mon deuxième film (Shiva), j’ai compris qu’il fallait que je m’ouvre. C’est là que j’ai commencé à me diversifier, à jouer en tant qu’acteur, à produire. Par exemple, Cahiers noirs, qui est mon neuvième film, est mon premier film. Je veux dire que son langage est si différent qu’on ai l’impression que c’est mon premier film.

Quels sont vos critères quand vous visualisez des films d’école ? Aviez vous un intérêt pour le court-métrage avant ?

S.E. : Je n’avais jamais pensé à faire un film court mais j’en avais vu beaucoup. En Israël, dans les années 1990, beaucoup de gens faisaient des films courts comme ça. Nous étions très curieux d’en découvrir de nouveaux, nous nous tenions au courant sur ce qui se faisait. Par exemple, j’ai participé à un concours de scénario pour films courts que le journal israélien Haaretz avait publié. Je discute avec une amie au téléphone, il était aux alentours de 22h. Elle me parle de ce concours, je lui demande quand est la date limite, elle me répond que c’est le soir même à minuit. Je voulais vraiment participer. Alors, en panique, j’ai écrit rapidement un scénario et je l’ai envoyé. Par miracle, j’ai gagné le prix ! Au-delà de ça, c’est en regardant les courts-métrages des autres que j’ai appris à filmer. En voyant beaucoup de films courts au long de ces 20 dernières années. Je travaille aussi avec des élèves au Sapir College, en Israël. Par conséquent, je visionne souvent leurs films, donc ce n’est pas comme si je n’avais pas revu de film court depuis des années. Encore la semaine dernière, j’en ai vu 10. Ce que les élèves apprennent dans ces travaux, c’est avant tout la difficulté de créer une structure, celle d’apporter de l’authenticité, de mettre leur personnalité dans ce qu’ils font.

Quels étaient vos rêves d’enfant ?

S.E. : Je voulais être écrivain. Dès l’âge de 14 ans, je m’étais décidé à être un auteur, c’est seulement à l’âge de 20 ans que j’ai changé d’avis et que j’ai décidé de faire du cinéma. J’ai découvert la liberté des images, voyez vous. J’aime toujours le pouvoir des mots, j’ai toujours en tête l’idée qu’un jour je m’assiérais et que j’écrirais un livre. À l’époque, on ne vivait pas dans un monde d’images. Aujourd’hui, les images, les photos, sont ultra présentes, les gens ne font même plus attention à tout ce qui leur est montré mais moi, j’ai été frappé par l’importance des images et de ce que je pouvais en faire. À l’époque, je ne me voyais pas dans le cinéma qui se faisait, je ne me voyais pas en tant que marocain, je ne me voyais pas en tant qu’homosexuel.. Vous savez, il y 35 ans il était très dur de voir ce genre de représentations au cinéma. Par exemple, j’étais très impatient de voir Merry Christmas Mr. Lawrence (1983). J’ai attendu sept mois sa sortie car je savais que David Bowie y embrassait un homme et je n’avais jamais vu d’homme embrasser un autre homme. J’avais besoin de voir cette image-là.

Les images étaient-elles aussi très importantes pour votre soeur Ronit ?

S.E. : Oui évidemment, extrêmement importante. Nous avons tourné des films pendant dix ans ensemble. Nous partagions cette passion très forte pour les récit visuels.

Que dites-vous aux étudiants de la Cinef que vous rencontrez ? Quels sont vos conseils pour faire des films ?

S.E. : Bien sûr, chaque conseil dépend de l’élève. Chacun a un monde qui lui est propre, mais mon instinct me dit toujours de les encourager à se rendre dans plein d’endroits, à voir des choses .. Je veux leur dire d’allier leurs forces et leurs faiblesses. Il ne faut pas avoir peur de faire des erreurs ..

Propos recueillis par Katia Bayer. Retranscription : Anouk Ait Ouadda

Boléro de Nans Laborde-Jourdàa

Queer Palm, Prix Canal + et Découverte Leitz Ciné à la Semaine de la Critique de Cannes, Boléro est un court-métrage réalisé par Nans Laborde-Jourdàa. Sur 17 minutes, nous suivons l’odyssée d’un danseur professionnel, revenu dans son village natal pour revoir sa famille, envoûtant tous ceux qui croiseront son chemin…

Le film s’ouvre sur une séquence de danse ; l’homme, filmé en plan moyen, déroule une performance à la fois millimétrée et spontanée du Boléro de Ravel. Ce début marque par l’association brillante de thèmes. Déjà, par son sujet, distant au premier regard, silencieux et froid comme les pieds du danseur tapant le sol dur de la scène. Ensuite, viennent les contrastes opérés entre la chair, que la caméra épouse dans son cadre dans des mouvements lents et circulaires, et le noir nébuleux de l’arrière plan entourant les habits colorés du danseur. Enfin, le rythme universel du Boléro, qui embarque l’auditeur malgré lui dans des sonorités lancinantes et fermes, stoppé brusquement par le titre. Le cadre de la scène est quitté, pour devenir celui d’une forêt, à travers laquelle l’homme et sa mère conduisent. Il devrait revenir les voir plus souvent, dit-elle. Les visages ne sont jamais visibles dans leur entièreté.

Pourtant, malgré ce décor bucolique, végétal et coloré contrastant, encore une fois, avec la froideur de l’ouverture, la mise en scène s’attarde sur les préservatifs jonchant le chemin champêtre que l’homme emprunte après que la voiture est tombée en panne. C’est d’ailleurs dans les toilettes d’un centre commercial miteux que le danseur choisit de répéter sa chorégraphie du Boléro. Par des plans morcelés sur des parties de son corps qui rappellent la force et la tendresse du début d’Hiroshima, mon amour d’Alain Resnais – où le corps des amants est filmé de manière parcellaire et inassemblable, ce danseur devient la chose qu’on veut regarder, écouter et sentir d’en dessous, d’au-dessus. L’érotisme se faufile alors paisiblement par ce corps en mouvement qu’on ne peut voir jamais voir complètement, que le public qui s’introduit dans les toilettes ressent physiquement par des accès de chaleur. La sensualité des rythmes du Boléro excite d’autant plus mystérieusement qu’elle n’est pas clairement identifiée. Est-ce ses pas, son odeur, ses doigts ou ses mollets furtivement aperçus qui créent cette attraction.

Ces intervalles de plans rapprochés entre le danseur enfermé dans les toilettes et les individus qui le désirent derrière développent des sortes de vibrato cinématographiques, sensuels et sexuels, sur l’interprétation de Ravel contaminant tous ceux qui osent se trouver sur son passage. Le ravissement du danseur par les individus hors du magasin, dont le tableau se réfère presque à une scène picturale christique, précède un chaos aussi jouissif que paisible où les plaisirs de la chair se confondent sur les herbes de montagne. Ce basculement indiscernable et absolu, Paul Valéry l’évoquait déjà en 1928 dans Calepin d’un poète : “Le passage de la prose au vers ; de la parole au chant, de la marche à la danse – ce moment à la fois actes et rêves.” Nans Laborde-Jourdàa accomplit alors un objet créatif et poétique dans le sens le plus originel du terme : comme les mots d’un poème à significations multiples, la présence du danseur intrigue par son instabilité interprétative. Boléro incarne alors cette exaltation de vie, de plaisir et de chaos que la poésie exulte. Une prise de risque brillamment exécutée.

Mona Affholder

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Article associé : l’interview du réalisateur

B comme Boléro

Fiche technique

Synopsis : Fran est de passage dans sa ville natale pour se reposer et rendre visite à sa mère. Suivant le rythme saccadé du Boléro, ce parcours sur les chemins du souvenir et du désir va le mener, ainsi que tout le village, à une apothéose joyeusement chaotique.

Genre : Fiction

Durée : 17’

Pays : France

Année : 2023

Réalisation : Nans Laborde-Jourdàa

Scénario : Nans Laborde-Jourdàa

Montage : Jeanne Safarti

Décors : Sophie Sacareau

Image : Manuel Bolanos

Son : Paul Guilloteau

Interprétation : François Chaignaud, Muriel Laborde-Jourdàa, Mellie Laborde-Jourdàa

Production : Wrong Films, Memo Films

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P comme La Perra

Fiche technique

Synopsis : Être Fille, Être Mère, Être Chienne. Devenir Femme.

Genre : Animation

Durée : 14’

Pays : Colombie, France

Année : 2023

Réalisation : Carla Melo Gampert

Scénario : Carla Melo Gampert

Montage : Juan Sebastián Quebrada

Production : June Films, Evidencia Films

Animation : Carla Melo Gampert, Andrea Muñoz Alvarez

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La Perra de Carla Melo Gampert

Après sa participation au Festival d’Annecy 2019 avec Por Ahora Un Cuento, la réalisatrice colombienne Carla Melo Gampert vient de présenter sa nouvelle animation La Perra (La Chienne) en sélection officielle à Cannes 2023. Le court-métrage enquête sur le passage de fille à femme à travers l’évolution de la sexualité de sa protagoniste, en montrant tous les événements, bons et mauvais, qu’une femme traverse après son réveil hormonal.

La metteuse en scène dévoile comment l‘arrivée à l’âge adulte implique plusieurs expériences inconfortables, conséquences de l’auto-perception du personnage par rapport à ses changements physiques et des réactions des autres vis-à-vis de son corps. Le film aborde des sujets tels que l’étrangeté face à sa nouvelle image (accentuée par la nudité constante de tous les personnages), le besoin de plus d’intimité pour comprendre ses nouveaux désirs, l’envahissement de son espace par l’harcèlement dans la rue, la nécessité de liberté, et le partage du quotidien avec un partenaire, malgré la peur de nouveautés.

Tandis que la protagoniste s’épanouit dans son auto-découverte, la figure de sa mère s’étiole, vivant la fin de cette phase. Le questionnement est posé sur l’impact de l’âge dans la vie sociale et l’activité sexuelle des femmes.

Se passant de dialogue, Melo Gampert parvient à rendre par le son l’étrangeté de cette inédite connaissance de soi. Le court n’est pas bercé par une bande musicale, mais par un silence solitaire rompu par les bruits gênants des actions produites par les personnages. La réalisatrice choisit de ne pas romancer les premières fois comme dans un film d’amour hollywoodien, mais d’expliciter les malaises liés à la nouveauté.

La Perra enquête sur la découverte sexuelle des femmes à travers une réalité qui n’inclut pas les pétales de rose sur le lit et les orgasmes multiples, mais l’inconfort des premiers contacts intimes avec un partenaire. Le choix d’une forme d’art aussi légère et belle que l’aquarelle pour l’animation adoucit la violence des situations présentées. Rappelons que la réalisatrice est d’abord dessinatrice et artiste visuelle, ce qui se ressent avec l’univers esthétique de son film. Les représentations picturales construisent un récit allégorique, raconté à travers des métaphores sensibles qui jouent avec la dimension et l’hyperbole.

Bianca Dantas

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La Palme d’or et la Mention spéciale du court 2023 !

Ça y est ! Cannes, c’est terminé. Du côté des courts, deux films ont été distingués lors de la cérémonie de clôture de la 76ème édition du festival par le Jury récompensant à la fois les films de l’officielle et ceux de la Cinef.

La Palme d’or du Court métrage 2023  a été remise au film franco-hongrois 27 de Flóra Ana Buda

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Une Mention Spéciale a également été attribuée au film islandais Fár de Gunnur Martinsdóttir Schlüter

 

As it was d’Anastasiia Solonevych et Damian Kocur

« Could you just not enter my room » lance à Lera, belle et jeune Ukrainienne, un garçon berlinois à la courtoisie aussi courte que son caleçon. Elle vient pourtant de lui préparer et servir son petit déjeuner, à la rigueur, un peu trop salé. Durant tout le film As it was d’Anastasiia Solonevych et Damian Kocur, dont le désespoir va plus dans la douceur que l’aigreur, en compétition officielle à Cannes (le film, pas l’aigreur), Lera va obéir à cette injonction et rester extérieure à tout lieu, fût-il celui originel.

Le compagnon l’avait exigé le temps d’un Zoom, mais Lera accepte si bien de ne plus entrer dans la chambre qu’elle rassemble ses affaires et retourne à l’improviste au pays en guerre qu’elle avait dû quitter suite à l’invasion russe.

Dans les trente-sept plans somptueux, créés par Damian Kocur qui est aussi chef opérateur de l’œuvre, Lera va traverser différents espaces qui lui rappelleront peu à peu qu’elle n’a plus de chez elle. As it was, au titre international dont le début rime avec la fin, est un film poignant sur l’exil et l’impossible retour. Sa délicatesse est de masquer la détresse des situations dans une grande élégance esthétique et narrative, le décalage cocasse étant privilégié à l’adéquation avec la douleur, la tristesse est toujours hors-champ, à part un seul plan, mais il est capital.

Comment concilier les attentes de Lera, déjà réfugiée à Berlin, mais qui revient avec l’espoir de retrouver sa ville d’avant la guerre, avec celles de ceux qui restent et savent leur vie précaire ? Tout se joue dans un croisement musical qu’il vaut mieux détailler pour qui n’est pas le plus au fait de la musique ukrainienne. Lera est chez Kyrylo, un ami d’enfance qui semble l’aimer sans oser se déclarer, elle essaie de lui jouer au clavier électronique Melody de Myroslav Skoryk (1938-2020), tirée de la BO de The high pass (1981) de Volodymyr Denysenko. C’est maintenant joué à l’occasion de concerts caritatifs pour l’Ukraine. On y ressent déjà l’impossible retour, une forte mélancolie, un balancement sans aboutissement, un aller-retour essayé maintes fois sans beaucoup d’espoirs d’arriver quelque part…

Pourtant Kyrylo ne la reconnaît pas… Serait-ce une musique plus connue à l’étranger pour émouvoir à propos de l’Ukraine ? Ou une ruse des scénaristes (toujours Anastasiia Solonevytch et Damian Kocur) pour donner son titre au spectateur ? Kyrylo lui oppose à la guitare un morceau rock ukrainien dont la vitalité n’a rien à voir avec le mouvement hésitant et lancinant de Skoryk. Comme si, en exil, on privilégiait la mélancolie, tandis que sur place, l’exultation de vivre encore s’imposait. Il s’agit de Marshrutka d’Andrii Kuzmenko, de l’époque de son groupe Skryabin, d’un humour anarchiste que l’on retrouve chez d’autres bardes « dissidents » comme Vladimir Vyssotski, Jacek Kaczmarski et évidemment Viktor Tsoï qui meurt en s’endormant sur la route. Kiril Serebrennikov s’inspire de lui pour Leto (2018) tandis que l’on ne sait pas ce qui inspirait Andrii Kuzmenko lorsqu’au matin, il s’est écrasé avec sa voiture dans un camion de lait. Il est avéré que les produits lactés ne sont pas forcément bons pour la santé.

Que le personnage de Kyrylo réponde au côté mélodieux de Skoryk par la chanson loufoque d’un chanteur phare ukrainien mort brutalement semble marquer la frontière entre les deux Ukrainian way of life : tu pars ou tu prends le risque de crever violemment ici. La douceur du film est de les présenter sans jamais les opposer frontalement, elles seraient plutôt côte à côte, on dirait même qu’elle se cherchent, ne pouvant jamais s’atteindre.

Si les deux façons d’être se rencontrent dans les airs de musique, l’air lui-même est habité par les oiseaux à l’image ou au son. Ni Lera, ni Kyrylo ne semblent vraiment toucher terre comme en témoignent la scène, dans une cour d’immeubles à la morosité soviétique (entendre une monotonie architecturale sans fin qui donnerait envie d’envahir Moscou pour y mettre un peu de désordre). Ils jouent ensemble à qui restera le plus longtemps suspendu à la barre. Les oiseaux sont comme Lera, ils ne se posent que provisoirement avant de toujours s’envoler ailleurs. Ils n’habitent nulle part. Elle est tout le temps entre deux espaces, magnifiée dans de belles compositions lorsqu’elle est dans un escalier, un escalator, ou tout simplement est sur un toit… à tenter une photo d’oiseau.

Lorsqu’elle traverse un pont à Kyiv, on voit au loin une immense statue ailée. On sent que ce n’est pas innocent tant les plans sont réfléchis. Elle représente « la mère patrie ». Erigée le 9 mai 1981, elle est même inaugurée par Leonid Brejnev, qui à l’époque dirigeait l’URSS. Lera ne traverse pas un pont mais son identité russe. Elle est d’ailleurs reprise par sa mère après avoir utilisé un mot russe pour petit déjeuner. Et si Kyrylo s’amuse que Lera ne reconnaisse plus les noms de sa ville natale, c’est parce que depuis l’invasion de la Crimée, à tout ce qui a consonnance soviétique est substituée une origine plus ukrainienne. Cela ne va pas aider à se retrouver « as it was »… La guerre des origines a déjà eu lieu.

Si Valeriia Berezovska (Lera) est vraiment une actrice ukrainienne qui vit à Berlin, la réalisatrice, Anastasiia Solonevych a aussi fini ses études à Kyiv en 2020. Elle a déjà obtenu un prix à Prague en 2022 pour un festival de clips. La même année, elle organisait une exposition de portraits de réfugiées ukrainiennes. Le film est porté par son sens aigu du portrait, les ombres sur le visage donnent même parfois à Lera l’allure d’une icône, d’un magnifique tableau ou d’une photo que l’on croiserait en exposition… Anastasiia Solonevych varie ses emplois suivant le projet audiovisuel. Dans son CV, elle revendique même savoir travailler de -26 °C à 40 °C. Il faudrait qu’elle fasse attention si elle tourne un été en France.

Quant à Damian Kocur, le coréalisateur, né en 1983 à Katowice (Pologne), il a un parcours brillant, maintes fois célébré au plus haut niveau en festival international. Célébré à Kraków pour deux films Nic powego pod sloncem (Rien de sérieux sous le soleil) et pour Dalej jest dzien (Le prochain jour est le suivant) qui en 2021 reçoit à Clermont-Ferrand le prix du meilleur premier film européen. En 2022, son long-métrage Chleb i sol (Pain et sel) est récompensé à Venise, Gijon et au Caire. Surtout, c’est un film qui raconte déjà un retour douloureux, cette fois celui d’un étudiant de Varsovie dans sa campagne natale.

Le temps du film, Lera passe de l’exiguïté de la pièce berlinoise, rêve de goûter encore le cake au miel de sa mère, joue avec sa petite sœur qui a pris du poids (trop de cake au miel ?), croise des jeunes, exultant, dans une fête, des lourdes pertes russes, mais qui eux-mêmes devront partir au front. Toujours dans la perspective de différents immeubles de Kyiv qui à tout moment peuvent s’effondrer sous une bombe russe, peut-être n’est-elle pas condamnée à ne se retrouver nulle part…

Elle vit déjà dans le cœur de ceux qui voient As it was et se retrouvent dans son désarroi. Certes, elle habite l’exil, mais aussi un peu le nôtre, celui d’une origine que l’on ne retrouve jamais, celui du rêve que l’on n’atteint pas, celui des conversations avec des personnes que l’on ne reverra plus.

Patrick Hadjadj

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A comme As it was

Fiche technique

Synopsis : Lera rentre chez elle à Kyiv pour la première fois depuis le début de la guerre en Ukraine. Elle passe du temps avec ses proches et apprend progressivement la routine de la guerre au cours d’une seule journée.

Réalisation : Anastasiia Solonevych & Damian Kocur

Genre : Fiction

Durée : 15′

Pays : Pologne, Ukraine

Année : 2023

Scénario : Anastasiia Solonevych & Damian Kocur

Image : Damian Kocur

Son : Tadeusz Chudy, Lukasz Kaaczmarski

Montage : Damian Kocur

Musique : Andrii Kuzmenko, Myroslav Skoryk, Betbit, Maksymilian Wrzosek

Interprétation : Valeriia Berezovska, Kyrylo Zemlyani, Olena Korohod, Sofia Berezovska

Production : Exa Studio, Lizart Film

Article associé : la critique du film

Basri and Salma in a Never Ending Comedy de Khozy Rizal

Parfois, il arrive qu’un court-métrage se distingue de tous les autres par un sujet inattendu ou une réalisation mémorable. On se souvient de lui parfois comme un rêve fiévreux, parfois comme un moment qui marque avec curiosité une séance de visionnage. Sans hésitation, Basri and Salma in a Never Ending Comedy est l’un d’entre eux. Réalisé par l’indonésien Khozy Rizal, ce court métrage de 15 minutes est présenté en sélection officielle à Cannes 2023. Basri et Salma (Arham Rizki Saputra et Rezky Chiki) forment un couple qui gère un petit manège de campagne. Ils passent leurs journées à s’occuper des enfants des autres, tandis que leur famille leur met la pression pour en avoir eux-mêmes. Lorsque Salma reçoit un coup de fil anonyme d’un homme lui faisant du chantage sur une prétendue vidéo intime du couple qu’il garderait secrète en échange d’une importante somme d’argent, on croirait comprendre l’enjeu principal du film. Néanmoins, quelque chose de plus latent, de plus viscéral se trame ; une chose qui se tapit dans l’intimité du couple et qui l’empêche d’être heureux, que Khozy Rizal développe avec brio sur un quart d’heure de visionnage.

Déjà dans son premier court-métrage réalisé en 2021, Makassar is a City for Football Fans, Khozy Rizal mettait en scène un homme qui devait prétendre se conformer à la passion de ses amis de l’université pour le football, afin de s’intégrer en se conformant à des normes sociales qu’il n’approuvait pourtant pas. Dans Basri and Salma, nous retrouvons ce même type de personnages, amoureux mais entravés dans leur tranquillité par des attentes sociales lourdes, se vidant peu à peu de leur sens au fur et à mesure que leur mélancolie se tisse sous nos yeux. Entre les néons et les sucreries du manège, sont traités des thèmes délicats, tels que la charge mentale des femmes, la violence conjugale, l’intolérance assumée face à ceux qui s’écartent de la norme. En effet, le film interpelle par les contradictions surprenantes qu’il met en scène ; c’est un cercle social où on baisse le son d’un reportage informant de la distribution de préservatifs pour se protéger des maladies, avant de mimer les actes grivois de sa femme devant ses enfants, et devant son regard humilié. Lorsque la violence explose, c’est ce même son multimédia que Salma augmente pour ne pas y faire face, comme un enfant qui se bouche les oreilles quand ses parents se disputent.

Et puis il y a ces moments absolument surréalistes, extraordinaires, qui surgissent au milieu du film sans crier gare, où ce dernier se transforme en comédie musicale improvisée karaoké. Avec le sourire et leurs paroles affichées en couleur en bas de l’écran, la famille du couple chante gaiement sur le bonheur d’avoir une progéniture. C’est d’autant plus déstabilisant d’analyser ce jaillissement musical d’exubérance mis en parallèle avec la scène de dispute familiale, non seulement déconcertante mais bien violente. Elle se matérialise certes par les coups, mais surtout par le traitement qu’on réserve à cette femme sans enfants, qui n’existe que dans sa non-condition de mère, dégradée. Entre le conte philosophique et la braderie de fête foraine, Basri et Salma est une formidable satire aussi cinglante que créative, qui ne se prend pas au sérieux et qui, comme une sucrerie, nous ravit et nous pousse à en vouloir toujours plus.

Mona Affholder

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B comme Basri and Salma in a Never Ending Comedy

Fiche technique

Synopsis : Un couple possède un Odong-Odong au carnaval. Ils passent leurs journées à divertir et à s’occuper des enfants des autres sans en avoir eux-mêmes. Entre l’ingérence de la famille et le doute, ils découvrent pourquoi ils n’ont pas eu d’enfant.

Genre : Fiction

Durée : 15’

Pays : Indonésie

Année : 2023

Réalisateur : Khozy Rizal

Scénario : Khozy Rizal

Image : Andi Moch Palaguna

Décors : Bilal Raviadi

Musique : Abdul Chaliq Dp

Son : Rafiat Arya

Interprétation : Arham Rizki Saputra, Rezky Chiki, Alghifahri Jasin, Utri Fadhilla Muslimin

Production : Hore Pictures, XRM Media

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W come Wild Summon

Fiche technique

Synopsis : Narrée par Marianne Faithfull, cette fable écologique et aquatique de 14 minutes tournée en Islande suit le cycle de vie épique et dramatique de saumons sauvages anthropomorphes.

Réalisation : Saul Freed & Karni Arieli

Genre : Animation

Durée : 14’

Pays : Royaume-Uni

Année : 2023

Voix : Marianne Faithfull

Scénario : Saul Freed & Karni Arieli

Image : Saul Freed, Karni Arieli, Yuli Freed-
Arieli

Son : Jonny Crew

Décors : Karni Arieli

Montage : Saul Freed

Musique : Saul Freed

Production : Sulkybunny, Autour de Minuit

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Wild Summon de Saul Freed et Karni Arieli

Présents pour la première fois en compétition au Festival de Cannes, Saul Freed et Karni Arieli proposent avec Wild Summon une fable anthropomorphe au rythme haletant où se croisent pêle-mêle sociologie, philosophie et écologie. Ici, les messages subliminaux ne manquent pas et chaque plan prend la force d’un lanceur d’alerte.

L’ouverture grandiloquente sur des plans panoramiques place le sujet dans les Highlands islandaises : de grandes plaines où la nature (presque) intacte, vaste et monolithique s’étend sur plusieurs milliers d’hectares. D’une beauté époustouflante, ils donnent, à l’exception de quelques routes et infrastructures près, cette allure des temps ancestraux où seule la nature régnait… juste avant le grand désordre humain !

Sur la berge d’une rivière, on aperçoit le corps d’une femme se hissant péniblement hors du courant. Celle-ci porte un attirail de plongée rose fuchsia et lacéré de toute part qui nous laisse un instant circonspect, puis la voix rocailleuse de Marianne Faithfull dissipe le malentendu et souligne qu’il s’agit d’un saumon femelle adulte. L’aspect visuel, en particulier le traitement du visage, met alors le film au carrefour de trois esthétiques distinctes : la fiction, le documentaire et l’animation.

Après Turning (2010), Flytopia (2012) et Perfect World (2016), Wild Summon est le quatrième court-métrage signé Karni & Saul. L’incursion d’éléments d’animation dans la fiction est devenue un leitmotiv du binôme britannique jusqu’à en faire leur marque de fabrique. À l’instar de Turning où l’on percevait la réalité à travers les yeux d’un enfant lors d’un goûter avec trois vieilles tantes, les auteur.trice portaient alors un discours sur les souvenirs de l’enfance et jouait en conséquence avec ses distorsions.

Dès la première minute de Wild Summon, le spectateur signe un pacte avec sa propre perception où il accepte de considérer le personnage, qui est de forme humaine, comme un simple saumon ; de ce fait, Karni Arieli et Saul Freed se servent de l’animation pour déjouer nos repères et triturer ainsi notre entendement.

Postulat farfelu, cet aspect légèrement dissonant va impacter avec force toute notre lecture des événements à suivre, et conférer à certaines séquences une puissance visuelle démultipliée.

Prise sur la fin de son long parcours pour se reproduire et se laisser mourir, l’intrigue démarre concrètement en flashback lorsque nous remontons à la naissance de cette saumon femelle pour cheminer avec elle tout au long de sa vie en accélérée.

Tous les jalons du documentaire animalier étant réunis, nous prenons rapidement nos marques et c’est lorsque le périple de la jeune saumon se fait plus ardu que notre empathie progressivement se déplie.

Dans un contexte qui est le schéma même du cycle de la vie et selon la place qu’occupe le saumon dans la chaine alimentaire auprès des autres animaux et de l’être humain, nous assistons à l’évolution de la jeune saumon dans son habitat naturel. Graduellement, s’offrent à nous ces images bien connues de pollutions fluviales et autres désastres environnementaux ; à la seule différence que l’anthropomorphisme donne ici un caractère d’urgence écologique plus aigu, comme si cela prenait enfin un tour réellement grave et qu’il fallait agir. Notre ressenti est ainsi exacerbé sans relâche et les plans successifs au fil du voyage viennent remettre en question ce qu’on savait déjà : la surpêche prenant soudain des airs de boucherie insoutenable, les piscines d’élevage où sont parqués ces saumons par milliers font alors songer à ces prisons à ciel ouvert qui s’apparentent à des camps d’internement, passés ou présents.

On se retrouve ainsi tiraillé chaque minute entre notre reconnaissance des faits, notre inaction, l’intolérabilité que ces atrocités soient endurées par une entité humaine et la totale cohérence du dispositif puisqu’en définitive, nous sommes dans un documentaire « humanimalier ». Un effet de bouleversement s’opère puisque tout cela devient brusquement visible et donc inacceptable. Comme quoi, l’humain est drôlement fait ; cela tombe bien, c’est le thème du film.

Dans un second temps, on peut s’interroger tout du long par l’impression familière qui se dégage de ces images. Récentes et d’une qualité remarquable, elles prennent déjà un air stéréotypé et l’on sent comme un pied de nez, de la part de Saul Freed et Karni Arieli, à ces documentaires sur drones en 8K qui pullulent aujourd’hui sur les plateformes de vidéos en ligne, et produites par celles-ci. Saul Freed et Karni Arieli reprendraient ainsi à leur compte ces cadres un brin artificiels qui prétendent montrer les choses telles qu’elles sont vraiment et dans ce qu’elles auraient de plus beau, de plus rare, de plus intime et de plus instagrammable. Des films qui passent pour documentaire mais dont le cinéma le plus esthète semble être venu se mêler, comme s’il fallait que la technique vienne sublimer les choses pour les rendre divertissantes. On peut alors légitimement se poser la question d’une technologie, éternellement repoussable, qui deviendrait nécessaire pour faire croire qu’on accède plus facilement aux trésors et aux mystères de ce monde.

L’ensemble de l’oeuvre de Karni Arieli et Saul Freed offre un exemple saisissant de ce que l’animation et la fiction peuvent produire et s’apporter mutuellement lorsqu’elles sont savamment entremêlées. Wild Summon n’y déroge pas et vient sonner le glas de cette indolence dans laquelle nous stagnons face aux incohérences de cette civilisation qui change vite, trop vite et continue pourtant sur sa lancée. Humaine ou animale, quel est le poids d’une vie en définitive ? C’est à cette condition que l’être humain est ici replacé ; le corps éprouvé, abimé et meurtri de la jeune saumon tout au long de son odyssée reflète la dimension animale d’un chemin de vie avec sa légendaire loi du plus fort. Une Mère Nature impitoyable où résistance et survivance sont les maitres-mots et où l’on perçoit en filigrane les règles de vie actuelles de nos sociétés modernes compressées, surexploitées, sur-épuisées… à l’heure où les abattoirs et les piscines d’élevages débordent pour subvenir aux besoins d’une planète de huit milliards de saumons-humains !

Par ailleurs, on peut songer à un court-métrage qui a fait parler de lui lors de la Semaine de la Critique 2021 : Brutalia, days of labour de Manolis Mavris. Ce dernier avait eu recours à un procédé semblable dans une forme de docu-fiction où hommes et femmes reconstituaient le fonctionnement d’une ruche avec ses abeilles ouvrières, ses bourdons et la Reine, bien-sûr. Réglé comme un ballet avec quelques séquences plutôt pittoresques, ce film mettait surtout en exergue les violences et les dérives patriarcales encore bien en place dans nos sociétés. Entre Brutalia et Wild Summon, le monde animal nous en dit parfois plus sur l’Homme que l’humain lui-même.

Exsangue et expirante, la femelle saumon réalise l’impossible et maintient son existence dans ce monde après mille tourments. S’il s’agit de se battre pour son espèce, c’est gagné. Maintenant, qu’en est-il de la nôtre ?

Augustin Passard

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H comme Hole

Fiche technique

Synopsis : Une jeune policière enquête sur des cas de maltraitance infantile, il ne lui reste plus qu’une maison à visiter pour finir son enquête. En arrivant sur les lieux elle decouvre une maison délabrée, des enfants étrangement muets et un trou noir au milieu d’une pièce duquel émane une force surnaturelle.

Genre : Fiction

Durée : 24’

Année : 2023

Pays : Corée du Sud

Réalisation : Hwang Hyein

Scénario : Hwang Hyein

Image : Park Junyong

Son : Chang Jungu

Montage : Hwang Hyein

Interprétation : Lim Chaeyoung,Kwak Sooheyon, Son Jiyu

Production : Korean Academy of Film Arts

Article associé : la critique du film

Cannes, les premiers prix du court

Cannes touche à sa fin. Plusieurs prix ont déjà été délivrés à des courts en attendant la remise des prix de ce soir, avec la Palme d’or du court et la Mention spéciale. Retrouvez d’ores et déj notre focus dédié au festival, qui sera complété par des prochains sujets dans les jours à venir.

Côté Semaine de la Critique 2023, Boléro de Nans Laborde-Jourdàa repart avec deux prix : le Prix Découverte Leitz Cine et le Prix Canal+. Le film a également remporté la Queer Palm du court.

Du côté de la Cinéf (la section dédiée aux films d’écoles), 3 films ont été distingués :

– Premier prix : Norwegian Offspring de Marlene Emilie Lyngstad (Den Danske Filmskole, Danemark)

– Deuxième Prix : Hole de Hwang Hyein Korean Academy of Film Arts, Corée du Sud)

– Troisième Prix : Ayyur (Lune) de Zineb Wakrim (ÉSAV Marrakech, Maroc)

Enfin, le Prix Light on Women attribué par L’Oréal à la meilleure réalisatrice en compétition et à la Cinef (dont le Jury est composé depuis 3 ans par Kate Winslet) a été attribué ce vendredi à La Voix des autres de Fatima Kaci (La Fémis, France)

L comme The Lee Families

Fiche technique

Synopsis : La maison de campagne, seul héritage laissé par le grand-père, a été léguée au petit-fils aîné. Mais la mère de Young-Seo ne peut pas rester les bras croisés et laisser faire.

Genre : Fiction

Durée : 25’

Année : 2023

Pays : Corée du Sud

Réalisation : Seo Jeong-mi

Scénario : Seo Jeong-mi

Image : Su Sion

Son : Kim Da-bin

Musique : Lee Ji-young

Montage : Lee Jung-eun

Interprétation : Jeong Ae-hwa, Lee Joo-Hyup, Cho Yoon-Ji

Article associé : la critique du film

The Lee Families de Seo Jeong-mi

The Lee Families fait partie des films d’écoles de la Cinef 2023. Le court métrage est réalisé par la jeune sud-coréenne Seo Jeong-mi, à l’occasion de son projet de fin d’études à Université Nationale des Arts de Corée.

Après la mort du patriarche de la famille Lee, ses descendants se disputent pour sa maison de campagne. Dans son testament, le père l’avait laissée en héritage à son fils unique, également décédé, ce qui transfère les droits à Tae-seok, le petit-fils et seul homme entre les héritiers. Sook-hyun, la fille aînée et sœur du disparu, s’engage dans une bataille verbale, physique et judiciaire pour des droits à la propriété mais son neveu reste obstiné à ne pas la partager avec ses tantes.

Le film montre quelques coutumes de la société coréenne. La tradition indique que, habillées en hanbok à l’enterrement, les femmes doivent exprimer de la tristesse et du désespoir face au décès d’un être cher pour affirmer son importance, pendant que les hommes restent sérieux. Plus élevé est le statut social du décédé, plus longue est la période de deuil. Les nouvelles générations, pourtant, adhèrent à des comportements plus discrets, comme Young-seo, fille de Sook-hyun, qui préfère garder le calme par rapport aux actions de sa mère. Le chagrin de la protagoniste n’est pas seulement fruit des règles sociales, mais de sa douleur, qu’elle gère avec insouciance.

Devant une situation tragique, la réalisatrice dépeint des personnages comiques qui rendent le film plus léger. L’humour se construit à travers le comportement de cette mère instable, échevelée, qui crie, jure, donne des coups de pieds et grimpe aux murs littéralement et métaphoriquement. En contrepartie, sa fille, aussi désorientée, veut la soutenir mais essaie de garder les pieds sur terre. Seo Jeong-mi utilise aussi sa mise en scène pour faire rire le public. En accentuant les scènes de conflit par des ralentis accompagnés de musique orchestrale, la réalisatrice construit une ambiance ironique qui fait appel à des scènes de guerre classiques. Cependant, cette bataille se traduit dans son univers par une famille dysfonctionnelle en perte de contrôle.

À travers l’humour, The Lee Families traite du sujet du deuil et des façons de lui faire face. Le film ne porte aucun jugement de valeur sur ses personnages, mais démontre différents points de vue sur les attitudes extrêmes et les motivations qui peuvent amener les individus à les adopter.

Bianca Dantas

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Margarethe 89 de Lucas Malbrun

Lucas Malbrun nous confronte dans Margarethe 89 à la violence psychologique du régime d’Allemagne de l’Est. Dans ce court métrage d’animation sélectionné à la Quinzaine des cinéastes, Margarethe, jeune punk contestataire, se fait interner en hôpital psychiatrique après avoir brûlé ses affaires et celles de son petit ami. Dans ce contexte, le climat social et politique est intrinsèquement lié aux questions de l’identité et de la santé mentale.

Le régime autoritaire de la RDA semble triompher à Leipzig en 1989 comme l’illustrent les images de parades militaires accompagnées de chants communistes. Margarethe est internée et fait face à la froideur et à la rigidité des médecins et des autres patients. Le régime exerce une intense surveillance à toute opposition politique en passant notamment par un contrôle des corps. Margarethe est enfermée, contrainte de travailler dans des fours à charbons et d’ingérer des médicaments. Cette “Zersetzung” (dissolution) vise à briser la santé mentale des opposants.

Margarethe trouve un échappatoire dans ses pensées, son imagination, en pensant à ses retrouvailles avec son petit ami Heinrich. Cependant, c’est annoncé des le début du film, Heinrich est un mouchard et collabore avec la Stasi.

Cette histoire d’amour et d’imposture révèle les paradoxes et les tiraillements internes des individus. Heinrich aime sincèrement Margarethe mais pactise toutefois avec le régime. Lucas Malbrun s’inspire de l’histoire d’amour dans Faust de Goethe où la trahison mène à la folie. Ce n’est toutefois pas une vision manichéenne des individus puisque le personnage de traître n’est pas accablé par ses actes. L’imposture de l’amour dans Faust est par ailleurs amenée par un pacte avec le diable, ici la RDA.

Le film met en scène les méthodes du régime pour épuiser et anéantir l’opposition. Ces individus en marge, dans la sous-culture punk notamment, font face à la méfiance et la paranoïa que répandent les mouchards.

Les traits fins aux couleurs douces des crayons feutres de Lucas Malbrun contrastent avec la violence de l’époque. Les plans rapprochés, aux mouvements doux et fluides, où l’on perçoit la fragilité des personnages, s’opposent aux plans larges et statiques dont la symétrie et les lignes droites révèlent l’autorité du régime.

L’attention portée au son et aux sensations révèle toutefois une certaine tendresse dans la froideur du climat social. Certains passages frôlent l’onirisme, les couleurs bleutés et violettes d’une mer où les biens aimés se retrouvent apportent une grande douceur dans l’agitation anxieuse des opposants politiques.

Si le régime ne perdure pas après 1989, année qui marque la chute du mur de Berlin, et que la lutte pour éliminer l’opposition perd de son sens, les traumatismes et la mémoire du régime persistent. Margarethe représente cette lutte, par sa sensibilité et son engagement, et ainsi le souvenir d’une contre culture émancipatrice.

Rose Delafosse

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M comme Margarethe 89

Fiche technique

Synopsis : Leipzig, 1989. Margarethe, une jeune punk contestataire du régime est-allemand, est internée en hôpital psychiatrique. Elle tente de s’enfuir pour rejoindre Heinrich, un chanteur punk dont elle est amoureuse. Mais alors que le régime vit ses dernières heures, la Stasi répand plus que jamais ses mouchards.

Réalisation : Lucas Malbrun

Genre : Animation

Durée : 18’

Pays : France, Allemagne

Année : 2023

Voix : Anna Hedderich, Franz Liebig, Lucas Prisor, Jochen Hägele

Scénario : Lucas Malbrun

Image : Lucas Malbrun

Son : Quentin Romanet

Décors : Marie Larrivé

Montage : Clara Saunier, Vincent Tricon

Musique : Maël Oudin

Production : Eddy Production

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Hole de Hwang Hyein

Hole est un court métrage de vingt-quatre minutes réalisé par une jeune cinéaste coréenne du nom de Hwang Hyein. Ce court-métrage d’horreur produit par la Korean Academy of Film Arts, est porté par son actrice principale Lim Chae-Young en jeune policière. Présenté dans la sélection de la Cinef de Cannes 2023, le travail de la jeune Hwang Hyein nous impressionne par sa maîtrise et par son élégance.

Si l’histoire débute comme un thriller ou un film noir, deux genres emblématiques du cinéma coréen, elle dérive et nous emmène dans le secteur du surnaturel. Ainsi, le synopsis se résume en ces mots : une jeune enquêtrice investigue sur des cas de maltraitance d’enfants et se rend dans une maison délabrée pour y faire la rencontre de deux enfants laissés seuls. Très vite, elle se rend compte que quelque chose ne tourne pas rond dans cette maison lugubre au papier peint déchiré. Dans ce décor parfait de film d’épouvante, une succession de petits évènements va survenir : des enfants muets aux visages sombres, des bruits inquiétants, une porte qui claque et vous enferme dans une pièce, et un trou béant.

Tout le récit s’articule autour de ce trou que découvre la jeune policière en soulevant une plaque de métal. Au milieu de l’une des pièces de la maison se trouve un trou noir, comme un puit sans fond, que les enfants regardent fixement. Quand la policière demande aux enfants où sont leurs parents, ils répondent que les ténèbres les ont mangés et désignent des yeux ce trou comme le coupable de leur ravissement.

Hwang Hyein nous offre avec son court métrage Hole un récit d’horreur tout en tension prouvant que l’économie est parfois le meilleur outil de la peur. La raison du succès de la simplicité est que le plus grand générateur de la peur est l’imagination. Nul besoin de gros monstres aux dents pointues pour terroriser un public, il suffit de suggérer l’inimaginable pour qu’il s’installe dans nos esprits et nous hante. C’est sur ce principe que la jeune réalisatrice a basé son court-métrage à l’articulation assez simple qui respecte quasiment les règles ancestrales de la mise en scène : unité de temps, de lieu et d’action.

C’est donc en huis clos que l’histoire de la capture d’une femme par une maison malsaine nous est racontée, une capture d’autant plus terrifiante qu’elle est insidieuse. Chaque élément qui compose le lieu est étrange, ses habitants ne se soustrayant pas à la règle, comme contaminés. Même les enfants qui sont supposés être les victimes à sauver, petites choses innocentes, nous glacent le sang par leur froideur, leur soi-disant maladresse qui manque de faire tomber la jeune policière dans le puits sans fond.

Le travail des lumières et des couleurs, malgré un certain académisme, est particulièrement remarquable. L’image s’assombrit à mesure que les ténèbres envahissent la pièce, libérée par ce trou qui ne veut plus se refermer. Le trou noir, qui revet quasiment une dimension métaphysique, engloutit tout ceux qui se trouvent autour de lui : les personnages et les spectateurs avec. Nous nous retrouvons entièrement à la merci de cette force inquiétante qui, inarrêtable comme la mort, vient vous chercher inexorablement.

Le personnage principal s’affiche comme une jeune femme en prise à une profonde terreur mais qui tente de rationaliser les évènements auxquels elle assiste. Tout dans l’histoire est fait pour nous faire hésiter entre le réel et l’irréel, et créer chez nous des questionnements qui persistent jusqu’à la fin. Comme elle, nous tentons de nous rassurer par le rationnel mais l’escalade de l’étrange nous dissuade au fur et à mesure et le destin de la policière nous semble scellé.

Somme toute, le premier projet de Hwang Hyein est une belle réussite. Le spectateur est vite plongé dans l’histoire qui nous accroche et nous fait attendre la suite dans une angoisse grandissante. Le film nous accroche par l’intensité de son suspense et se scelle par un dénouement qui nous intrigue davantage.

Anouk Ait Ouadda

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C comme Contadores

Fiche technique

Synopsis : Lors des négociations dans l’industrie métallurgique en 1978, un groupe d’activistes libertariens défendent leur vision radicale en opposition à leurs camarades d’usine, et deviennent les témoins désenchantés de l’atomisation du mouvement ouvrier.

Genre : Fiction

Durée : 19’

Année : 2023

Pays : Espagne

Réalisation : Irati Gorostidi Agirretxe

Scénario : Irati Gorostidi Agirretxe

Image : Ion de Sosa

Son : Iosu González

Montage : Sergio Jiménez

Interprétation : Santiago Fernández de Mosteyrín, Jaume Ferrete, Claugia Pagès, Iskandar Rementeria, Maite Ronse, Natalia Suárez, Marina Suárez

Production : Apellaniz & de Sosa, Pirenaika, Tractora

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