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Les 45 courts présélectionnés aux Oscars 2025 (dont certains visibles en ligne !)

L’Académie des Oscars a annoncé il y a quelques jours les films shortlistés dans 10 catégories dont celles liées aux courts-métrages. À ce stade, 45 films sont en lice pour l’Oscar du meilleur court 2025, que ce soit en fiction, en animation et en documentaire. Les nominations seront annoncées le 17 janvier tandis que la cérémonie des Oscars aura lieu le 2 mars prochain. Bonne nouvelle : le tiers de ces courts en présélection est visible en ligne !

Documentaires

– Chasing Roo de Skye Fitzgerald

– Death by Numbers de Samantha Fuentes

– Eternal Father de Ömer Sami



– I Am Ready, Warden de John Henry Ramirez

Incident de Bill Morrison

– Instruments of a Beating Heart de Ema Ryan Yamazaki

– Keeper de Hannah Rafkin

– Makayla’s Voice: A Letter to the World de Julio Palacio

– Once upon a Time in Ukraine de Betsy West et Khodakivska Tetiana

– The Only Girl in the Orchestra de Molly O’Brien

– Planetwalker de Dominic Gill & Nadia Gill

– The Quilters de Jenifer McShane

– Seat 31: Zooey Zephyr de Kimberly Reed

– A Swim Lesson de Will McCormack et Rashida Jones

– Until He’s Back de Jacqueline Baylon

Animation

– Au Revoir Mon Monde de Florian Maurice, Maxime Foltzer et Estelle Bonnardel, Baptiste Duchamps, Astric Novais, Quentin Devred

A Bear Named Wojtek de Iain Gardner

– Beautiful Men de Nicolas Keppens

– Bottle George de Daisuke ‘Dice’ Tsutsumi

In the Shadow of the Cypress de Shirin Sohani et Hossein Molayemi

– Magic Candies de Daisuke Nishio

– Maybe Elephants de Torill Kove

– Me de Don Hertzfeldt

– Origami de Kei Kanamori

– Percebes de Alexandra Ramires, Laura Gonçalves

– The 21 de Tod Polson

– Wander to Wonder de Nina Gantz

– The Wild-Tempered Clavier de Anna Samo

– Beurk! de Loïc Espuche

– A Crab in the Pool de Alexandra Myotte, Jean-Sébastien Hamel

Fiction

– Anuja de Adam J. Graves

– Clodagh de Portia A. Buckley et Michael Lindley

– The Compatriot de Pavel Sýkora and Viktor Horák

– Crust de Jens Kevin Georg

– Dovecote de Marco Perego

– Edge of Space de Jean de Meuron

– The Ice Cream Man de Robert Moniot

I’m Not a Robot de Victoria Warmerdam

– The Last Ranger de Cindy Lee

A Lien de Sam et David Cutler-Kreutz



The Man Who Could Not Remain Silent de Nebojša Slijepčević

– The Masterpiece de Àlex Lora

– Une Orange de Jaffa de Mohammed Almughanni

– Paris 70 de Dani Feixas

Room Taken de T.J. O’Grady-Peyton

Votez pour les meilleurs courts de l’année 2024 !

En janvier, Format Court fêtera ses 16 ans d’existence (bouchon !). Comme chaque année, notre équipe prépare son Top 5 annuel des meilleurs courts-métrages, exercice réalisé depuis 14 ans déjà. Depuis 9 ans, vous avez également la possibilité de voter pour vos 5 courts-métrages préférés de l’année par mail.

L’an passé, 5 films avaient remporté le plus de suffrages : La Cour des grands de Claire Barrault, Caillou de Mathilde Poymiro, La Vie au Canada de Frédéric Rosset, Cultes de David Padilla et Binaud & Claude de Mélanie Laleu.

Faites-nous part jusqu’au mardi 31 décembre inclus de vos 5 courts-métrages favoris remarqués cette année, tous pays et genre confondus, par ordre de préférence, en n’oubliant pas de mentionner leurs réalisateurs et pays d’appartenance.

Nous ne manquerons pas de publier les résultats de vos votes sur Format Court !

À vos top, prêts ? Partez !

Formats Longs : Vingt Dieux de Louise Couvoisier

C’est un sacré premier film. Vingt Dieux de Louise Couvoisier, en lice pour la Caméra d’or, fait partie de la sélection Un Certain Regard 2024. La réalisatrice est issue de la section scénario de la CinéFabrique, une école de cinéma vieille de seulement 9 ans, basée à Lyon et qui a ouvert il y a un an une école à Marseille.

Le film de fin d’études, Mano a mano, de Louise Couvoisier, réalisé à la CinéFabrique, avait obtenu le Premier prix de la Cinéfondation (ex-Cinef) en 2019. Nous en avions parlé sur Format Court.

Dans son court-métrage, Louise Couvoisier traitait du rapport amoureux, entre deux jeunes acrobates. Le réel, le rapport au corps, l’amour étaient déjà au centre de ses préoccupations et de son cinéma. Le premier Prix de la Cinéfondation est une garantie de revenir à Cannes avec son premier long-métrage. C’est chose faite avec Vingt Dieux, le premier long tout en douceur de Louise Couvoisier.

D’une famille très simple (le mot n’est pas péjoratif), elle raconte l’histoire de Totone (Clément Favreau), un jeune paysan jurassien de 18 ans qui passe son temps à traîner avec ses potes. Dans sa vie, il y a bien son père, mais comme tous les jeunes, il en a un peu honte, d’autant plus que le paternel ne tient pas bien l’alcool. Lui reste sa petite soeur de 7 ans (Luna Garret) dont il doit bien s’occuper. Et puis, il y a les filles, les bagarres, les courses de bolides et les fêtes.

Le jour où son père meurt, Totone quitte le monde de l’enfance. Il doit s’occuper de sa soeur et de la ferme. Devenir un adulte, faire à manger, gagner de l’argent, prendre des décisions. Comme faire ? Pourquoi pas en faisant du fromage, voire le meilleur comté du coin, dans l’idée de remporter les 30 000 euros du concours ? Ce projet devient son objectif principal, alors qu’il n’y connaît pas grand chose, quelques soient les moyens pour y parvenir. Dans l’intervalle, il fait la connaissance de Marie-Lise (Maïwene Barthelemy), une productrice de lait réputé dans la région dont il tombe amoureux.

Dans son film, Louise Courvoisier filme joliment la nature, les vaches, la drague, la jeunesse, le sexe, la dureté de la vie et l’accent du terroir. Avec simplicité, douceur, légèreté et humour, elle touche juste, notamment car elle filme ceux qu’elle connaît, de son village. Pour ce film, la réalisatrice s’est entourée de comédiens professionnels et de sa troupe. On retrouve plusieurs Courvoisier au générique, que ce soit côté décors (Ella) ou musique (Linda et Charlie).

« Vingt Dieux », c’est le juron qui exprime la surprise, l’émotion, c’est le « sacrebleu » ou le « flûte » du terroir. On le lâche au bar, sur un tracteur, dans le champ. Il fait partie du quotidien et de l’ADN du cercle de Totone. Ce quotidien, ce monde rural aussi beau qu’éprouvant, bien loin de l’effervescence de la Croisette, on le garde en tête après sa projection. Ce qu’on retient aussi du film, c’est le soin porté aux dialogues (co-écrits par Louise Courvoisier et Théo Abadie), la tendresse à l’égard de cette jeunesse, porteuse d’espoir, ainsi que la solidité du lien familial et la solidarité au sein du groupe.

Issue d’une famille d’artistes du cirque et d’agriculteurs, Louise Courvoisier nous avait intrigués avec son court Mano a mano, inspiré de son premier cercle. Avec Vingt Dieux, lié au deuxième, elle ose un premier film percutant dans lequel l’âpreté n’est jamais loin de la joie et l’amour au plus près de ses personnages et décors.

Katia Bayer

William Lebghil : « L’empathie est inhérente au travail d’acteur et de réalisateur »

Venu au Festival d’Arras présenter Joli, joli de Diasthème, William Lebghil évoque pour Format Court ses amitiés en courts et en longs, l’empathie qu’il associe à son métier et la lucidité qu’il a face à l’incertitude des tournages. Vu dans les films Grand Paris de Martin Jauvat, La vie de sa mère aux côtés d’Agnès Jaoui ou la série Hippocrate de Thomas Lilti, il est à l’affiche de Le beau rôle de Victor Rodenbach (sortie prochaine), un premier long accueillant une pléthore de jeunes comédiens, avec en premier plan Vimala Pons. En parallèle, l’acteur joue ou prête sa voix dans des courts de fiction et d’animation. Rencontre avec un comédien qui rit beaucoup, qui cultive le mystère (zéro info sur Instagram) et qui est aussi naturel que sympathique.

© Aurélie Lamachère / Arras Film Festival

Format Court : Tu fais confiance à des réalisateurs de premiers longs qui viennent du court. Comme tes rôles sont de plus en plus importants, qu’est-ce qui fait que tu libères quand même du temps pour faire des courts ? Est-ce que tu crois vraiment dans ce format, est-ce que ce sont vraiment les projets qui te parlent ou alors ce sont plutôt les relations qui jouent ?

William Lebghil : Les courts-métrages, dans le fond, je n’en ai pas faits énormément, mais c’est en général des liens d’amitié qui m’amènent à en faire.

Comme avec Félix Moati, par exemple, sur Après Suzanne ?

W.L. : Oui, voilà. Avant le film de Martin Jauvat, j’avais fait deux courts avec lui. Je l’avais rencontré sur le film Yves de Benoit Forgeard, il faisait le making of et il s’occupait un peu de la street credibility du film. On est devenus plutôt très copains. J’avais vu ses précédents courts-métrages que j’avais beaucoup aimés, du coup, j’ai eu confiance en lui. Il parle aussi de la banlieue, et d’un endroit où moi, j’ai grandi, parce qu’on vient tous les deux du 77, la Seine-et-Marne. Ça m’intéressait de découvrir un mec qui parlait de là où j’ai passé mon enfance, avec une forme de poésie et d’humour, avec un propos que je trouve assez profond sur ces zones-là, où on n’est pas dans la cité. On est dans des pavillons où on se fait un peu chier. Bref, ça me parlait vachement. En fait, mon lien, en tout cas avec les courts-métrages, est surtout sentimental. J’en fais aussi quand ça m’intéresse. Par exemple, Choucroute a été réalisé par mon meilleur ami, Benoît Moret. On joue ensemble, je l’ai rencontré quand j’avais 16 ans à Paris. On est encore amis aujourd’hui, et il a fait son premier film. On adore manger, donc ça me paraissait tout à fait logique de faire ce film ensemble ! Ce que j’aime bien avec les courts-métrages, c’est la promesse qu’il y a derrière. La promesse d’un cinéaste, d’un auteur, c’est assez excitant.

Avec Anthony Bajon, on a parlé du premier casting, du début, des désillusions aussi. C’est vrai qu’à un moment donné, quand on est lancé, on met un peu ça de côté, mais il faut quand même se faire repérer et surtout persévérer. Comment ça s’est passé pour toi, les castings ?

W.L. : Au début, je faisais beaucoup de théâtre, et je m’étais donné tout seul du travail en produisant une pièce dans un petit café-théâtre. Je jouais tous les soirs. Après les castings, je n’en ai pas passés tant que ça non plus, mais parmi les premiers que j’ai passés, il y en avait un pour une pub pour la Wii. J’étais tellement stressé que j’ai découvert des muscles de mon visage que j’ignorais ! Ensuite, j’ai pris le métro et j’ai failli m’évanouir, j’ai eu comme un black out parce que j’étais vraiment ultra stressé.

Tu l’as eu, le casting ?

W.L. : Non, pas du tout (rires) ! En tout cas, je ne sais pas ce qu’il faut faire exactement, mais l’objectif pour un acteur, c’est de réussir à être assez détendu pour pouvoir être disponible pour pouvoir jouer, et pour pouvoir avoir une attention un peu aiguisée.

Comment conçois-tu ce métier ? Le reste du temps, comment est-ce que tu fonctionnes quand tu ne tournes pas ? Il y a quand même des périodes de doutes, des incertitudes.

W.L. : C’est ça qui est difficile. Si on arrive à faire deux films par an quand on est acteur, c’est que ça va, c’est chouette. Deux films par an, ça représente en termes de temps peut-être six à huit mois de travail, donc il y a six ou quatre mois à la limite dans l’année où il ne se passe rien, où on est au chômage en fait, où on est comme des retraités. C’est un peu ça qui est intéressant aussi je trouve, et qui est une vraie chance, c’est de réussir à remplir ce temps-là, et à le mettre à profit pour soi-même, pour son travail, pour son métier d’acteur. Moi, j’aime bien aussi aller au théâtre quand je ne tourne pas, parce que justement ça me fait continuer à travailler, parce que c’est un métier où on approfondit tout le temps, et c’est infini. Notre expérience de vie se mélange, elle se greffe, on grandit en même temps qu’on approfondit notre art dans ce métier. Moi en dehors, j’aime bien cuisiner, voir mes amis, voyager, faire des choses tout à fait normales.

Est-ce que ça t’arrive de revoir les images d’avant, et de réaliser comment tu as évolué, grandi, changé mentalement ?

W.L. : Je ne regarde pas vraiment les images. En fait, je ne vois pas trop quel serait l’intérêt de revoir des films dans lesquels j’ai joué. Non, je ne le fais vraiment pas du tout (rires) ! Mais je peux retomber parfois sur des films que j’ai faits et les revoir avec nostalgie. En fait, plus le temps passe, plus le film est derrière nous, moins on a un regard jugeant sur ce qu’on a fait, moins on se voit parce que c’est assez difficile de se voir à l’écran quand même. Et puis voir un film dans lequel on a joué, c’est comme regarder un film de vacances. On se souvient de ce qu’on avait mangé le midi à la cantoche, la blague qu’on avait faite à untel ou untel… Je trouve que c’est assez difficile quand on a joué dans un film de voir le film tel qu’il est. Notre regard, il est biaisé. En fait, plus le temps passe, plus on oublie ce qui s’est passé et plus on peut regarder le film tel qu’il est. Pour le coup, c’est assez intéressant.

« La cache »

Tu as joué dans le dernier film de Lionel Baier, La Cache. Tu y as joué aux côtés de Michel Blanc, tu as également joué dans son film Voyez comme on danse (2018). Comment fonctionnais-tu avec lui ? De manière plus large, tu t’es retrouvé avec des gens de ta génération, avec tes potes, comme sur Hippocrate, mais aussi avec des acteurs plus chevronnés, des références. Comment est-ce que tu arrives à trouver ta place ?

W.L. : Je suis évidemment probablement plus impressionné par des gens qui m’ont bercé quand j’étais enfant et que j’admire beaucoup, ça, c’est sûr. Mais en même temps, mes expériences sont plutôt positives. Par exemple, quand j’ai rencontré Michel, c’était quelqu’un de plutôt simple, qui est devenu après un ami. Il me donnait des conseils sans m’en donner d’ailleurs, parce que ce n’était pas un donneur de leçons du tout. Je sais pas, sa façon d’être et de vivre, elle ressemblait plutôt à la mienne. Et en fait, je suis plutôt souvent agréablement surpris de voir que les gens qui font ce métier depuis longtemps et qui le connaissent bien sont des gens plutôt simples. En tout cas, c’est l’expérience que j’ai. Je le vis plutôt comme une chance de rencontrer ces gens-là et de pouvoir travailler avec eux, que ce soit Michel ou Agnès Jaoui. Que ce soit des acteurs ou des réalisateurs chevronnés, ils ont de l’expérience et donc de l’empathie, puisque c’est un métier qui tourne vachement autour de ça. Vu que ce sont des gens qui font ce métier depuis longtemps, ils arrivent à se mettre à la place d’un jeune acteur qui arrive et à l’aider. Moi, je me suis senti vachement dorloté, protégé et compris, en fait, par ces acteurs et réalisateurs et actrices et réalisatrices. L’empathie est inhérente à ce travail, il faut en avoir, c’est obligé.

Tu prêtes ta voix à un film d’animation réalisé par des étudiants des Gobelins, Au revoir Jérôme. Le héros est un personnage avec des grandes jambes, ta voix est méconnaissable, le dessin est ubuesque. Qu’est-ce qui t’a donné envie d’accepter ce projet ?

W.L. : Moi, j’adore. C’est un exercice qui m’a trop plu, qui est assez étonnant et qui est assez différent du jeu d’acteur. J’y vais avec plaisir, mais parce que ça me plaît. Si on m’avait envoyé un film qui ne m’avait pas plu, je ne l’aurais pas fait. Je fais confiance à mon intuition, à ce que je ressens à la lecture du scénario et à la rencontre aussi avec la réalisatrice ou le réalisateur.

Qu’est-ce que le court-métrage peut représenter ? On lui associe souvent cette expression de carte de visite.

W.B. : Un petit peu, oui. C’est ça, parce que le court-métrage ne passe pas en salle alors que le long, oui (rires) ! Ça ne fait pas vendre des confiseries, les courts-métrages (rires) !

Au Festival Format Court, il y a un distributeur ! On te filera des confiseries si tu viens.

W.B. : Génial !

Comment es-tu guidé dans tes choix ?

W.B. : Je fais très, très confiance à mon agent aussi. J’aime ses goûts, j’aime la manière qu’il a de parler des films, même de penser au casting des films. Je trouve que c’est un être précieux.

Dans tes projets super différents, il y a ce truc du mec souriant, « populaire », qui revient. Est-ce que tu as l’impression que tu renvoies à ça ?

W.B. : D’être sympathique ?

Oui, ce côté proche, pote, peu dans le star system.

W.B. : Ouais, tout à fait. Je regardais récemment une interview de Patrick Dewaere que j’aime beaucoup. Il dit : « Si les spectateurs me voient en train de faire une pub pour les pâtes et après une autre pour un parfum, ils ne vont jamais réussir à croire que dans un film à venir, je vais être le petit boulanger de quartier ». En fait, j’aimais bien cette approche du métier, c’est pareil avec les réseaux sociaux, je trouve que c’est hyper important de garder du mystère pour simplement ne pas dévoiler toute sa vie non plus, pour qu’en fait le spectateur puisse croire que tu es un rôle et puis un autre. Je me dis que le spectateur de cinéma, si il t’a vu juste avant sur son portable en train de faire cuire des saucisses et que tu joues un employé de banque, il va moins accrocher facilement, il va moins croire facilement que tu l’employé de banque. Tiens, j’espère qu’on me proposera un jour ce rôle (rires) ! Au final, j’ai quand même fait une pub pour la BNP [Mes colocs].

« Mes colocs »

Et là, tu ne stressais pas ?

W.B. : Non, pour le coup j’étais hyper détendu, c’était le premier casting que j’avais, que j’ai réussi et c’était Riad Sattouf qui réalisait cette pub. Je me souviens que j’arrivais dans la salle et qu’il n’y avait pas de texte. Au dernier moment, il nous filait un texte qui était totalement absurde. Du coup, c’était hyper relax, il n’y avait pas de pression. Tu savais que de toute façon, on ne te demandait pas d’apprendre un texte et de le savoir, on te demandait juste d’être naturel.

Le stress du casting est très différent de celui du théâtre.

W.B. : Oui, tu es en concurrence alors que le théâtre c’est vraiment autre chose et puis il y a un rapport au public alors que quand tu es dans une salle de casting avec une petite caméra et que tu dois faire semblant de lancer une machine à laver, c’est une autre façon de jouer.

Tu as des copains qui galèrent ?

W.B. : Bah oui, c’est une profession où il y a beaucoup de gens qui galèrent, ça fait vraiment partie de ce métier. J’ai écouté l’autre jour une interview de Charlotte Rampling, qui est une immense actrice dont je suis trop fan ! Elle racontait qu’elle a eu une espèce de traversée du désert pendant une dizaine d’années. On ne lui proposait rien et aujourd’hui, on la voit dans Dune de Denis Villeneuve. En fait, j’aime bien écouter ces acteurs et actrices qui parlent du métier où en fait de toute façon, on sait qu’à un moment donné, ça va être galère.

Tu en es conscient ?

W.B. : Mais bien sûr, c’est le jeu (rires) ! C’est en même temps ça qui est un peu excitant. On se prépare et si ça arrive, ça arrive. Il y a eu déjà des périodes où je n’ai pas ou très peu travaillé pendant un an ou deux. Là non, j’ai beaucoup travaillé ces derniers temps donc je suis très content.

Je trouve intéressant d’écouter des histoires de vies, des témoignages de gens qui ont eu une longe carrière. Est-ce que pour toi, l’idée, c’est d’en tirer une leçon ?

W.B. : Ou de me rassurer. En tout cas ça m’intéresse d’écouter l’expérience de vie d’acteurs qui font ce métier depuis très longtemps parce que c’est mon métier, ça m’intéresse, ça me passionne et du coup j’ai envie d’en savoir plus, je suis curieux.

Propos recueillis par Katia Bayer

Les Prix Louis Delluc 2024 remis à Alain Guiraudie et Jonathan Millet

Le Prix Louis Delluc est une récompense cinématographique française décernée depuis 1936 et nommée en hommage à l’écrivain et réalisateur Louis Delluc. En 1999, a été créé le prix Louis Delluc du premier film. Mercredi 4 décembre, deux réalisateurs, passés par le court, ont reçu ces 2 distinctions honorifiques. Un bon encouragement avant les Lumière et les César.

Alain Guiraudie a remporté le prix Louis Delluc pour son film Miséricorde, présenté à Cannes dernier. Il succède ainsi à Thomas Cailley, primé l’an denier pour son film Règne animal. En février 2023, nous interviewons Alain Guiraudie à l’occasion de sa participation en tant que juré à Clermont-Ferrand. Nous vous invitons vivement à (re)lire son long et passionnant entretien mené par Pierre Guidez.

Composé d’une vingtaine de critiques et personnalités, sous la présidence de Gilles Jacob, l’ancien président du Festival de Cannes, le jury du Prix Delluc a également récompensé, dans la catégorie Premier film, Les Fantômes de Jonathan Millet, présenté en séance d’ouverture lors de la 63ème Semaine de la Critique en mai dernier. Là encore, nous vous proposons de retrouver la riche interview conduite par Katia Bayer et David Khalfa, avec le réalisateur, sa productrice (Pauline Seigland, Films Grand Huit) et son monteur, Laurent Sénéchal.

Coup de sifflet à Cinébanlieue

Cette année, le festival Cinébanlieue nous a offert un large panorama de court-métrages, recouvrant pour un certain nombre le thème du ou des « Mouvement(s) », explorant ainsi le sport comme vecteur de changement social et personnel. Coup de projecteur sur deux films de la sélection compétition Talents en Court qui nous ont marqués.

« Hors jeu » de Paolo Mattei

Hors jeu de Paolo Mattei, c’est l’histoire d’un jeune garçon qui, à défaut d’être numéro 10 au foot, souhaite devenir un arbitre professionnel. Tout sauf reprendre le bar-tabac de sa mère aveugle en Normandie. À la fin de la semaine, la demi-finale de la coupe régionale sera déterminante pour son avenir en tant qu’arbitre… et pour son frère aussi, le numéro 10 du FC Offranville.

Comme pour le personnage principal, la tension monte au fil des entraînements jusqu’au jour fatidique, mais on se surprend à rire : le duo coach (Sandro Renault) – élève (Victor Lefebvre) marche parfaitement à cet effet-là. Et puis, on finit par s’attacher, et à prendre ce match aussi à cœur que les deux frères le prennent. Une histoire fraternelle qui remet à l’honneur une position oubliée du terrain, pour notre plus grand plaisir.

Que les meilleurs gagnent de Noah Cohen, c’est le court-métrage révélation de la sélection Talents en Court, qui a gagné le prix du meilleur court-métrage. Ici, on ne fait plus de sport, on assiste à une pratique sportive, la course de chevaux. Alex est un enfant de dix ans qui aime regarder la télé. Jusque là, rien d’anormal : la mère discute au téléphone au balcon, le père essaie de réparer la télévision puis prend de l’argent dans le porte-monnaie de sa femme, sans doute pour faire des courses.

« Que les meilleurs gagnent » de Noah Cohen

D’un seul coup, nous sommes transportés avec les personnages hors du foyer, à l’hippodrome. Le père, furtif, absorbé, tient un carnet de comptes entre ses mains. Et c’est parti, première course, premiers paris. Gros plan sur le visage d’Alex, il crie : “Cravache ! Cravache !”. Montée d’adrénaline qui redescend aussi vite que la course est finie.

Deuxième, troisième course. Images impressionnantes des chevaux en mouvement, démonstration de leur rapidité et de leur force. Puis on ne compte plus les courses, on a un sentiment désagréable. Le père d’Alex veut qu’il parie aussi, comme un jeu, c’est amusant – il n’a plus de pièces dans sa poche ? C’est là que va résider toute la force du court : le regard de la caméra, c’est celui de l’enfant vers son père, celui du passage de l’héroïsation à la déception.

Du coup d’envoi au coup de sifflet final, la sélection Compétition Talents en Court du festival Cinébanlieue nous aura fait (re) découvrir des pratiques sportives, et surtout, des liens qui entourent ces pratiques – fraternels, paternels, et même personnels, le sport permet de raconter de belles histoires, qui sur grand écran, résonnent bien au-delà du terrain.

Amel Argoud

Le court-métrage à l’honneur du Festival du Film franco-arabe !

Pour sa 13ème édition, le Festival du Film franco-arabe de Noisy-le-Sec programmait à nouveau une séance consacrée au court-métrage. Le cinéma le Trianon de Romainville proposait ainsi dimanche 24 novembre une compétition, avec sept courts-métrages en lice.

Un thème commun parcourait l’essentiel de la sélection, celui de la mémoire. L’abordaient ainsi le film Me-Moire, de Amel Zikikout, mais aussi 3350 km, de Sara Kontar, Le Cinéma Massara, de Stéphanie Amin ou D’Oran à Almeria, de Lina Saïdani. Me-Moire et Le Cinéma Massara reliaient la question de la mémoire avec celle de la filiation, avec comme fils conducteurs les relations petite-fille/grand-mère (Me-Moire) ou l’évolution d’un cinéma de quartier dirigé par la famille de la réalisatrice (Le Cinéma Massara). Ces films posent la question de l’héritage familial avec tendresse et subtilité. 3350 km nous plonge davantage, comme son titre l’indique, dans la distance qui sépare la narratrice de sa famille en rendant celle-ci palpable par un jeu sur la cartographie ; D’Oran à Almeria rend cette question de la mémoire davantage collective, puisque la réalisatrice y rend compte de la traversée de la Méditerranée par son frère sur une embarcation de fortune. Elle nous livre ainsi un beau film documentaire animé, dans lequel ciel et mer semblent se confondre.

« 3350 km »

D’autres questions de société étaient abordées lors de cette soirée, comme ce rite de passage qu’est le mariage d’un ami dans Le Verre de thé de Sara Bernanos ou la survie dans un quartier créé de façon anarchique à Tunis en 2011 dans Generous Bodies de Achref Toumi. Le travail du son et la beauté de certains plans font de ce film une véritable pépite. Une petite note d’humour, enfin, avec Boussa, de Azedine Kasri, qui met en scène un jeune couple cherchant désespérément un endroit où s’embrasser sans être importuné.

Le court-métrage à Noisy, toutefois, déborde de cette compétition : le film lauréat du Festival international du film d’Amman, partenaire du festival, était projeté en début de soirée. Il s’agissait de Rolling, de Omar Al-Taher. Quant à la séance d’ouverture, elle proposait en première partie la projection du film Vibrations from Gaza, de Rehab Nazzal, film-documentaire sur des enfants gazaouis sourds ou malentendants. Il ressort de l’ensemble de ces sélections une programmation en prise sur le monde et des films forts et émouvants, témoins de la maîtrise de leurs auteurs et autrices.

Julia Wahl

Formats Longs : Les Reines du drame de Alexis Langlois

Au milieu de milliers de tragédies grecques, le choix cornélien entre succès et amour se présente comme un sujet matriciel qui a toujours été réapproprié pour commenter son époque. Prenez comme exemple les quatre films A Star is Born, qui vont de l’œuvre classique hollywoodienne au film post-MeToo, en passant par l’œuvre rock pré-Reagan. Ici, à travers son propre prisme queer, Alexis Langlois nous raconte dans Les Reines du drame, sélectionné en séance spéciale à la Semaine de la Critique, le destin de la diva pop Mimi Madamour, au sommet de sa gloire en 2005, et de sa descente aux enfers précipitée par son histoire d’amour avec l’icône punk Billie Kohler.

L’excitation était grande tant nous connaissions le talent d’Alexis Langlois, qui a montré avec ses courts-métrages comme De la terreur, mes sœurs ! et Les démons de Dorothy un univers singulier, rempli d’influences, quoique foutraque et qui n’avait jamais été encore porté sur grand écran. Une impatience qui vaut le détour tellement on sort de la séance avec l’impression d’avoir assisté à deux heures de jouissance queer, fun, incontrôlable et absolument formidable. Avec Les Reines du drame, Alexis Langlois nous livre une œuvre baroque et musicale, toujours au bord de l’artificialité et de la facticité par son dispositif et le décorum qui l’entoure, mais qui ne passe jamais la ligne grâce notamment à l’humour de ce dernier. Cela nous est montré dès le début, dans un futur proche, avec l’apparition hilarante du personnage de Bilal Hassani, botoxé jusqu’aux chevilles, qui se présente à nous, spectateurs, comme le narrateur, celui qui va donner le ton de cette fable. Cette scène d’introduction se révèle ainsi comme la lettre d’intention d’un film qui utilise l’humour comme ouverture vers des personnages revendicatifs et fiers d’être ce qu’ils sont.

Une fierté, une pride qui transpire de tous les pores de l’œuvre et jusqu’à son genre, la comédie musicale, dont il respecte les codes, jusqu’à sa construction narrative en rise and fall. Ainsi en allant chercher du côté de Starmania ou encore de La La Land dans son histoire d’amour parasitée par la recherche du succès, Alexis Langlois se présente comme un auteur réellement passionné par ce genre et par les tensions qui en découlent. Et ceci tout en pervertissant les paroles et les musiques qui lui sont accolées, y ajoutant une couche extrêmement jouissive au film (petit coup de cœur pour la musique “Pas touche” de Mimi Madamour).

Une réjouissance qui se retrouve principalement dans l’envie de Langlois de nous livrer une œuvre pop qui se réapproprie les codes autant visuels que musicaux des années 2000. À l’intersection de plusieurs icônes féministes et queer des années 2000 comme Lorie, Priscilla ou encore Britney Spears, on retrouve le personnage principal de Mimi Madamaour, se présentant comme un melting pot, un pastiche de toutes ces influences, qui se reflète dans l’esthétique pink, kitsch et théâtrale.

Une esthétique et une mise en scène tellement propres à son auteur que le film ne présente que très peu d’aspérités et de sorties de piste, ce qui est rare pour un premier film. Notamment dans son traitement de la figure de la femme comme sujet, comme action de comédie et action de résistance face aux normes de la société. Avec une énergie fédératrice et une mise en scène qui met ses personnages et leurs doutes au cœur du régime de narration et d’esthétique, Alexis Langlois nous livre un female gaze absolument passionnant. Dans la continuité de ses courts-métrages comme De la terreur, mes sœurs !, il nous offre ainsi un éventail de personnages et de femmes en tout genre, chacun à leur manière iconisés et adoubés au niveau de reines. Le seul point noir au milieu de cet océan d’idées nouvelles est l’essoufflement de la relation entre Mimi et Billie qui, dans son dernier tiers, vire à une banalité qui nous fait regretter la première heure du film.

Issu du format court, Alexis Langlois ne semble pas en oublier l’inventivité, s’appropriant le format long comme un immense parc de jeux où il peut étendre toute une panoplie thématique inédite.

Dylan Librati

Maïté Sonnet : « La question des personnages féminins est assez centrale dans tout ce que je fais »

Avec ses courts métrages, tous deux nommés aux César, Maïté Sonnet transporte les spectateurs vers un univers méconnu et étrange. Dans Massacre (2019), deux sœurs forcées de quitter leur île décident d’empoisonner les touristes. Avec Des jeunes filles enterrent leur vie (2022), la réalisatrice peint l’escapade mélancolique d’un groupe de demoiselles d’honneur lors d’un enterrement de vie de jeune fille. Pour son prochain film, un premier long métrage intitulé Tu feras tomber les rois, Maïté Sonnet est l’une des cinq lauréat.e.s du prix d’Aide à la Création de la Fondation Gan, qui accompagne les cinéastes dans le développement de leur premier ou second long métrage. L’occasion pour Format Court de la rencontrer et de revenir plus en détails sur son travail, son expérience à travers le court métrage et le processus de réalisation d’un long.

© Julien Liénard

Format Court : Dans tous vos films, il y a une ambiance un peu particulière qui joue avec l’étrange et le fantastique. Comment écrivez-vous ces histoires et comment le processus du scénario se construit-il ?

Maïté Sonnet : C’est un mélange entre des influences qui viennent, notamment, un peu du conte et d’un imaginaire presque proche du merveilleux en littérature. En fait, j’écris ces ambiances étranges mais elles viennent aussi du fond de l’intimité psychique des personnages, c’est-à-dire que c’est toujours les personnages et leurs émotions qui projettent à travers la mise en scène, sur les lieux dans lesquels ils sont par exemple, une émotion qui crée une atmosphère. Dans mon film Des jeunes filles enterrent leur vie, c’est le personnage d’Axel (le personnage principal) qui est un peu, on va dire, en dépression, qui est triste dans un moment qui devrait être joyeux, ce qui fait que le décor en devient triste, la musique en devient triste, etc. C’est vraiment une manière de jongler, pour moi, entre le cœur le plus enfoui des personnages, qui déteint sur leur environnement, et aussi avec quelque chose de plus distancié, qui serait un rapport presque magique au monde contemporain, comme si c’était un conte.

Dans les deux courts métrages, il y a une attention d’autant plus particulière à la nature. L’ambiance fantastique de vos films est-elle aussi liée à cela ?

M.S : Oui, tout à fait, c’est une des manières que j’ai de faire ressentir, encore une fois, les états émotionnels des personnages. Par exemple, dans Des jeunes filles enterrent leur vie, il y a tout ce rapport au liquide et à l’eau, notamment, qui est filmé de deux manières dans le film. Au début, c’est une eau stagnante dans laquelle les personnages sont plongés, comme dans un bain mortuaire presque, une eau qui ne bouge pas, qui est coincée, bloquée, un peu comme le personnage lui-même est bloqué. À la fin, quand enfin la vie reprend, la vie rejaillit, l’eau se met à couler à nouveau. Je la filme, mais cette fois, c’est une eau vive, de rivière, qui coule dans tous les sens, et ça, par exemple, c’est quelque chose qui avait été très réfléchi. Au tournage, j’avais vraiment décidé d’exclure la rivière. On la voyait dans pas mal d’endroits dans lesquels on a tourné, et je ne voulais pas la filmer avant la toute fin, avant que le personnage lui-même soit prêt à laisser couler son émotion et à repartir. La nature est donc un des éléments, j’imagine, desquels je me sers pour écrire le monde extérieur, toujours en lien avec l’intimité du personnage, mais c’est aussi le cas des objets, ça peut passer par plein de choses.

Vos films décrivent des groupes de femmes unies par des liens familiaux ou amicaux. Comment souhaitiez-vous aborder cette idée de sororité ?

M.S : C’est quelque chose d’assez instinctif, parce que j’ai moi-même une sœur. Je crois que c’est aussi une manière, pour moi, d’inventer des figures. Dans Massacre, je me souviens qu’à l’époque, j’avais très envie de filmer des enfants violents, ou plutôt, j’avais envie de filmer des enfants qui se transforment en êtres violents, un peu métaphoriquement. La première image que j’avais, c’était un petit garçon. Finalement, le fait que ce soit des filles m’a permis de trouver quelque chose d’un peu singulier, et de trouver autre chose pour le film, qui sortait un peu de ce que j’avais déjà vu. La question des personnages féminins est assez centrale dans tout ce que je fais, mais ce n’est pas une démarche, c’est ma vie, je pense que je suis beaucoup plus entourée de filles que de garçons, depuis mon enfance, donc ça coule de source.

« Filles du feu »

Vous avez écrit une série (Filles du feu, 2023) sur les sorcières, pourriez-vous parler de ce projet ?

M.S : C’est un sujet qui me tient beaucoup à cœur, qui rejoint d’ailleurs un peu les figures des personnages de mes films, qui pourraient avoir quelque chose de sorcier, de sorcière. C’est une série que j’ai co-écrite, il y a quelques années pour France 2 avec une co-scénariste qui s’appelle Giulia Volli, à partir d’une histoire réelle terrible : une chasse aux sorcières au Pays Basque, qui a eu lieu au XVIIe siècle, pendant laquelle, durant un été, un juge mandaté par le roi de France est allé chasser les soi-disant sorcières du Pays Basque. Environ 200 femmes ont été condamnées d’après les archives. Avec Giulia, ce qu’on a voulu faire, c’était un travail historique, essayer de comprendre ce phénomène-là, évidemment à travers nos yeux d’aujourd’hui. Mais, c’était aussi essayer de comprendre ce qui s’est joué à ce moment-là en Europe dans les relations hommes-femmes, et qui a été un grand traumatisme à travers toute l’Europe, pas seulement en France. Giulia est italienne et on a trouvé aussi beaucoup de choses similaires qui s’étaient passées en Italie au même moment. C’était une démarche, bien sûr, fictionnelle mais aussi presque comme un questionnement, puisque ça nous interrogeait beaucoup.

Tous les sujets que vous venez d’aborder influencent-ils votre projet de long ?

M.S : Oui, bien sûr. Je ne sais pas si c’est que ça l’influence ou si tout ça s’est construit en parallèle, puisque le long, c’est aussi un projet que j’ai créé depuis longtemps. Finalement, ces choses ont avancé ensemble, en secret. Et oui, le long métrage, c’est à la fois, comme dans les courts, une sorte de terreau social et politique assez clair et contemporain, et une mise en scène proche du magique et presque du fantastique, qui accompagne encore une fois, l’état émotionnel d’un personnage.

Que pouvez-vous nous raconter sur ce projet ?

M.S : L’histoire du film, c’est l’histoire de Sybille qui a 12 ans et qui vit une enfance des plus heureuse et magnifique dans ses vignes du sud-ouest de la France, jusqu’au jour où elle vit un choc terrible, puisque son petit frère a un accident respiratoire dans les vignes. Elle le retrouve allongé par terre, elle a l’impression qu’il est mort. En fait, il n’est pas mort, mais il a inhalé des pesticides qui étaient répandus sur les vignes à ce moment-là. Il va donc se retrouver à l’hôpital pendant quelques semaines et c’est pendant ces quelques semaines que le film se déroule. Le personnage de la grande sœur, Sybille, livrée à elle-même à la maison, puisque ses parents passent tout leur temps au chevet de son frère, se retrouve à plonger littéralement dans une crise d’angoisse géante, qui la prend petit à petit. Le monde qu’elle connaissait autour d’elle comme un paradis devient un vrai enfer. Elle se rend compte tout à coup de la mort, qu’elle existe, qu’elle est liée à plein de choses, mais, notamment, à la Terre qui, elle-même, meurt à cause de nous. Dans cette expérience morbide qu’elle vit seule, elle va rencontrer, en se rendant à l’enterrement de quelqu’un qu’elle ne connaît même pas, attirée par toutes ces images morbides, une jeune fille de son âge à qui elle fait croire que son petit frère est vraiment mort. À travers ce mensonge, elle continue d’expérimenter son angoisse la plus profonde, qui est que son frère meurt, tout en nouant cette nouvelle amitié.

Comment s’est déroulé l’écriture et le financement du long ? Et quelles sont les différences avec votre expérience du court métrage ?

M.S : Comme je vous le disais, c’est un film que j’ai commencé à écrire il y a longtemps, et de ce fait, qui a beaucoup changé au fur et à mesure des années, puisqu’à chaque fois, j’avais besoin de le réadapter à ma sensibilité du moment. C’était un peu un travail de longue haleine. On a eu très vite des soutiens de la Nouvelle-Aquitaine, d’abord en écriture, puis en développement, du Lot-et-Garonne aussi en développement, et on a eu l’aide au développement du CNC. On a fait la résidence du Clos puisque c’est dans la région où je veux tourner. Il y avait une sorte de logique assez imparable. L’écriture s’est passée sur tellement d’années que je ne saurais même pas trop la raconter. On a été bien accompagnés, on a eu des bons retours, ça s’est plutôt bien passé. Je devais à chaque fois réadapter le film à mon sentiment actuel, ce qui est normal. C’est vrai que sur un long métrage, on doit tenir des années et des années avec le même projet contrairement au court, c’est ça la différence. Pour un court, on n’a pas le temps de le changer 36 000 fois puisque que le financement et le développement ne durent pas 5 ans. Mais c’est à peu près les mêmes façons d’écrire, à part ça. J’écris toute seule. Là, j’ai quand même travaillé avec un consultant pour ma dernière version, qui s’appelle Yacine Badday, ce qui m’a bien aidée.

« Des jeunes filles enterrent leur vie « 

Par rapport à ce que vous décriviez, comment s’est passé le cheminement du court métrage au long métrage dans le travail ?

M.S : Le cheminement s’est passé assez naturellement je dirais, parce qu’en plus, le dernier film que j’ai fait, Des jeunes filles enterrent leur vie est assez long, il fait 33 minutes. Ce qui est vraiment nouveau, c’est la confrontation à ce qu’est le marché. Ça, c’est quand même quelque chose de très obscur pour moi. Je n’ai fait que des courts jusqu’ici, la question du marché n’y est pas présente. Il s’agit seulement de faire des films et certains ne rapportent même pas d’argent à personne. Il n’y a donc pas de pression, on va dire, à ce que le film rentre dans une forme de marché. Et là, évidemment, la question se pose plus. C’est plutôt ça qui est nouveau, mais à vrai dire, dans le travail, c’est la même chose pour moi.

La question de « marché » que vous évoquez, et « l’après du film » sont des choses qui vont venir participer en amont à l’écriture du film, dans le cas du long métrage ?

M.S : Ça, c’est plutôt des choses que je découvre un peu au jour le jour. Il y a quelque chose dans le long où il faut presque, avant même d’avoir fait le film, pouvoir réussir à le situer dans une sorte de catégorie pour essayer de faire en sorte que les gens projettent le bon film et aient envie de le financer. Alors que dans le court, je ne me posais pas du tout ces questions. Il y a plus d’enjeux de savoir bien raconter et définir le film pour le donner à voir à nos interlocuteurs avant. C’est ça que j’ai l’impression de découvrir, mais c’est peut-être une évidence.

Que représente le soutien de la Fondation Gan dans ce processus de création ?

M.S : C’est vraiment quelque chose d’énorme pour le film parce qu’on est plutôt au début du financement. C’est une grande reconnaissance, ça nous donne confiance pour la suite et ça va nous permettre, je pense, de pouvoir parler du film à d’autres interlocuteurs à partir de ce point de départ là. C’est génial. Et puis surtout, ça ancre le film dans quelque chose de concret. J’y pense beaucoup plus depuis qu’on a eu l’aide. J’ai réécrit un peu le scénario parce que le jury nous a donné certains conseils qui étaient intéressants. Le film est plus présent et plus concret.

« Tu feras tomber les rois »

Vous écrivez aussi pour d’autres projets, que retenez-vous de votre expérience en tant que scénariste ?

M.S : Je suis scénariste à côté et tout s’alimente. Par exemple, j’écris de plus en plus de longs métrages pour d’autres. C’est une forme que je commence un peu mieux à appréhender de film en film. C’est en faisant les choses qu’on comprend comment elles fonctionnent, je pense. Je ne saurais pas dire qui alimente quoi. C’est un cercle vertueux. C’est aussi le fait d’être entourée de gens qui font des films, qui écrivent aussi leurs premiers longs, qui sont dans les mêmes questionnements, les mêmes choses. D’être entourée par ces gens, les gens de ma génération, ça nous aide beaucoup, je crois.

Vous avez le même producteur sur vos deux courts métrages précédents, est-ce celui qui vous accompagne aussi sur ce long ?

M.S : Oui, c’est Ethan Selcer, de Quartett Production. Toujours le même.

Que pouvez-vous dire de la relation auteur.ice-producteur.ice, comme vous travaillez avec lui depuis longtemps ?

M.S : C’est une relation qui est très forte. J’ai fait mes films avec Ethan. C’est le premier qui m’a fait confiance depuis le début pour réaliser un premier court, alors que je n’avais jamais rien réalisé. Il y a une sorte d’énorme confiance entre nous. Lui, il me fait confiance. Il sait que j’ai raison quand je dis où je veux aller. Alors que, comme je vous l’ai dit, ça m’est arrivé des fois de changer radicalement de cap. À chaque fois, il m’a bien accompagnée parce qu’il sait que je sais moi-même où je veux emmener mon film, ce qui n’est pas le cas de tous les producteurs. Je pense qu’il y a des producteurs qui auraient été un peu plus bousculés par cette méthode. Et moi, de la même façon, je lui fais confiance sur sa partie. Ça s’est très bien passé sur les deux courts, donc, c’était aussi évident de faire le long ensemble.

En est-il de même avec les équipes du film? Est-ce important pour vous de travailler avec les mêmes personnes ?

M.S : J’espère faire le long avec au maximum la même équipe technique et artistique que mes courts. Tout ça est la continuité des courts. Comme avec la production, ce sont vraiment des relations qui se tissent au fil des années et qui font que les films ressemblent à ça. C’est parce qu’on les fait tous ensemble.

« Massacre »

Des jeunes filles enterrent leur vie a été sélectionné aux César l’année dernière. Qu’est-ce que cette nomination a représenté pour vous? Comment l’avez-vous vécue, sachant que le film avait déjà été sélectionné à la Quinzaine des cinéastes ?

M.S : Massacre avait aussi été sélectionné aux César. Pour moi, c’est vrai que le plus important, ça avait quand même été la Quinzaine des cinéastes. C’est là où les gens ont le plus vu le film, c’est à partir de là où j’ai eu le plus de retours, où j’ai rencontré le plus de gens. C’était plutôt ce moment-là qui était très important pour le film. Après, les César, c’est génial. Ce que ça a fait, j’imagine, c’est que d’autres gens l’ont vu, donc des nouvelles personnes, mais c’est vrai que je l’ai moins ressenti. En fait, c’est aussi arrivé après toute une fin de vie du film. Ça faisait au moins un an et demi qu’il était sorti. Il avait déjà tourné beaucoup. Les gens l’avaient déjà vu. Néanmoins, c’est génial d’être sélectionné aux César. Je suis vraiment très heureuse que mes deux films l’aient été.

Vous parlez de visionnage, du fait que le film soit vu par le plus de gens. Les parcours de diffusion des courts métrages sont très différents de ceux des longs, est-ce donc une question primordiale, lorsque vous faites des courts, de savoir comment il vont pouvoir être diffusés ?

M.S : Je ne pense pas trop à ça. Quand je fais un film, ceci est la partie que je ne maîtrise pas de toute façon. Je ne peux rien faire pour cette diffusion moi-même. J’espère juste que le film sera vu par des gens, si possible différents. Par exemple, je suis très contente que mes deux courts aient été projetés dans des lycées, des collèges, notamment beaucoup en Nouvelle-Aquitaine parce que je les ai tournés en partie là-bas. Ils sont aussi sur une plateforme qui s’appelle Comett, qui est la plateforme de courts métrages de la Nouvelle-Aquitaine, un peu destinée aux scolaires, mais pas seulement. Cela me réjouit parce que même si je ne suis pas toutes les diffusions, je sais que des jeunes ont vu les courts, ce qui n’est pas si commun, de voir des courts métrages quand on a cet âge-là, et en plus qu’ils ont été bien accompagnés par tout un travail de pédagogie, de beaucoup d’associations qui existent, notamment en Nouvelle-Aquitaine, que je ne saurais pas définir vraiment. C’était génial. Je peux juste espérer ça, pour le long, mais je ne peux rien faire à part espérer.

Revenons justement sur le long. Quelle est la place du territoire, et plus précisément de la région dans ce projet ? Vous venez de Nouvelle-Aquitaine par ailleurs ?

M.S : Oui, j’ai grandi dans le Poitou-Charentes, en région Nouvelle-Aquitaine, dans la campagne de Poitiers. C’est donc assez naturel de tourner dans cette région au fur et à mesure des films, parce que c’est une région que je connais et qui m’intéresse beaucoup. Il y a beaucoup de choses dans cette région. Mais ce qui est génial, c’est qu’il y a des rencontres qui se tissent au fil du temps. La région, on l’a eue en production, on est sûr de tourner là-bas, et notamment dans le Lot-et-Garonne et en Gironde. Les gens du Lot-et-Garonne, par exemple, ceux du bureau d’accueil des tournages, ce sont des personnes que j’ai rencontrés en montrant mes courts là-bas, en les diffusant auprès d’établissements scolaires, en les accompagnant. Je commence à connaître aussi des gens qui font du cinéma et qui permettent au cinéma d’être fait et diffusé dans cette région de plus en plus. Je suis très contente d’être ancrée là-bas pour mes films, il y a tellement de territoire, ce n’est pas infini mais presque.

Propos recueillis par Garance Alegria

After Short Documentaire, lundi 2.12, 19h à l’ESRA

Après deux After Short consacré aux courts de fiction et d’animation présélectionnés aux prochains César (en présence de nombreuses équipes), retrouvez-nous le lundi 2 décembre prochain dès 19h à l’ESRA pour notre 3ème After Short de l’année centré sur les courts documentaires en lice aux César, auquel participeront 9 équipes de films et 18 professionnels.

Ce nouveau cycle d’After Short, organisé par le magazine Format Court, en collaboration avec l’ESRA et le soutien de l’Académie des Arts et Techniques du Cinéma, a lieu à l’ESRA Campus Beaugrenelle (Amphithéâtre Jean Renoir, 37 Quai de Grenelle, 75015 Paris). Pas moins de 4 rencontres, autour des équipes des courts-métrages en lice aux César 2025, sont proposées entre novembre et décembre dans l’amphithéâtre de l’école accueillant plus de 250 places. Elles sont accessibles aux étudiants comme au grand public.

Vous voulez en apprendre davantage sur les parcours d’auteurs et producteur.trice.s qui bâtissent le cinéma d’aujourd’hui et de demain, découvrir leurs films, échanger avec elles et eux sur leurs œuvres, leurs choix artistiques, leurs expériences et le déroulement de leur travail, comprendre le fonctionnement de l’Académie des César et poursuivre ces discussions autour d’un verre ?

Un After Short, comment ça se passe ? 

En amont : les photos et bios des intervenants ainsi que les liens de visionnage des courts sont mis à la disposition des personnes ayant réservé leur place. Le jour J, le public a ainsi la possibilité de participer activement à la discussion qui s’engage avec les équipes de films.

Lors de l’évènement : les équipes (réalisateurs.trices et/ou producteurs.trices, anciens lauréats des César, membres de comités de sélection de l’Académie) se succèdent sur scène pour une intervention et un échange avec le public d’une dizaine de minutes chacune. Deux animateurs sont là pour introduire leur travail et vous donner la parole.

Info, rappel : il n’y a pas de projection de films au cours de la soirée. 

Après la rencontre : un cocktail est organisé à l’ESRA. C’est entre autres l’occasion de poursuivre les discussions de façon plus informelle avec les équipes présentes.

Intéressé(e)s par l’After Short ? Téléchargez la présentation (PDF) de nos invités ainsi que leurs bios et les synopsis de leurs films, représentés lors de notre soirée animation de l’année, le lundi 2 décembre 2024 à 19h à l’ESRA. 9 films sur 12 seront présentés lors de ce nouvel échange accueillant 15 pros. Si vous souhaitez assister à l’événement et visionner les films qui seront évoqués, reportez-vous aux infos pratiques mentionnées ci-dessous.

Nos invités :

Gala Hernández López, réalisatrice de La Mécanique des fluides, César du meilleur court-métrage documentaire 2024.

Jacky Evrard, membre du comité et directeur artistique du festival Côté Court

Clarisse Tupin et Camille Genaud, productrices (Paraiso Production) de Tornades.

Stéphane Rizzi, réalisateur, et Stanley Woodward, producteur (Les Films de la nuit) de Retour à Mamanville.

Nicolas Bailleul, réalisateur, et Manon Messiant, productrice (Iliade films) de Boolean Vivarium.

Paul Heintz, réalisateur de Nafura.

Marcello Cavagna, producteur (G.R.E.C) de Petit Spartacus, réalisé par Sara Ganem.

Inès Sieulle, réalisatrice de The Oasis I deserve.

Narimane Baba Aïssa, Lucas Roxo et Nicolas Brevière, réalisateurs et producteur (Local Films) de Aucun homme n’est né pour être piétiné.

Nader S. Ayache, réalisateur de La Renaissance.

Marcel Mrejen, réalisateur de Memories of an unborn sun.

En pratique

* After Short Documentaire. Lundi 2 décembre 2024, à 19h, à l’ESRA. En présence de 9 équipes ! PAF : 5€. Billetterie en ligne, dans la limite des 50 places encore disponibles). Pour les (ex-)étudiants de l’ESRA, les réservations gratuites se font à l’adresse communication@esra.edu

* Notez d’ores et déjà la date de notre 4ème et dernier After Short consacré aux courts de fiction, prévu le lundi 9 décembre prochain, à 19h, toujours à l’ESRA. En présence de nouvelles équipes ! PAF : 5€. Billetterie en ligne, dans la limite des 50 places encore disponibles). Pour les (ex-)étudiants de l’ESRA, les réservations gratuites se font à l’adresse communication@esra.edu

Ana Čigon : « J’adore utiliser la satire, l’ironie et l’humour »

Réalisatrice, vidéaste et peintre, Ana Čigon est une artiste slovène polyvalente, abordant majoritairement des sujets et problèmes de société dans son œuvre. On l’interroge aujourd’hui sur son court-métrage d’animation Catsland présenté dans la section Panorama du festival Cinémed en octobre 2024 à Montpellier. Catsland est une satire illustrant la manière dont l’Union Européenne traite ses réfugiés en mettant en scène des chats. On se questionne ici sur la manière dont la satire est utilisée dans l’animation pour dénoncer des lois et systèmes politiques.

Format Court : Qu’est-ce qui vous a donné le désir de vous lancer dans le cinéma, en particulier celui d’animation ?

Ana Čigon : J’ai étudié la peinture, puis l’art de la vidéo et l’art interactif. Si vous mixez la vidéo et la peinture, ça devient en quelque sorte de l’animation (rires) ! J’aime l’animation parce qu’on peut présenter des travaux plus conceptuels. Quand on n’a pas de photos à présenter, on peut dessiner. Je pense que c’est ce qui m’a amenée dans le monde de l’animation.

Quel a été votre processus de création pour Catsland ? Quelles techniques d’animation et de dessin avez-vous utilisées ?

A.C : Ces chats sont la continuation d’une autre animation que j’ai faite, utilisée dans mon film précédent, Rebellious Essence (2017). C’était un style similaire, il avait eu du succès dans les festivals de cinéma queer, car la thématique correspondait, et il comportait aussi des chats. Il s’agissait d’un style plus simple mais qui m’a amenée à l’idée de cette animation-ci, Catsland. Il s’agit d’une animation digitale cut-out (animation numérique de papiers découpés). Quand je réfléchis à la manière dont les personnages et le story-board vont ressembler, je dessine beaucoup sur papier, à partir de là, je crée numériquement le story-board et les dessins. Pour ce type d’animation (digital cut-out), il faut faire beaucoup de petites pièces qui sont ensuite déplacées et peuvent être distordues. Nous avions une équipe très cool, surtout composée de femmes, dont cinq qui travaillaient à l’animation. De la même manière, pour l’apparence des personnages, je vérifiais l’apparence des politiciens dont je m’inspirais pour l’animation.

Vous étiez inspirée par des politiciens européens ?

A.C : Oui !

S’agissait-il de politiciens slovènes ou aussi d’autres pays ?

A.C : Il y a un Français (rires) !

Ah, vous vous êtes inspirée d’Emmanuel Macron ?

A.C : Oui, il y a un chat qui est inspiré d’Emmanuel Macron, si vous arrivez à le trouver (rires) !

Il s’agit du chat principal au pelage bleu ?

A.C : Non, ce chat est inspiré de notre ancien ministre. Dans le film, il y a différents espaces, et plus vous allez vers le sud, plus c’est pauvre. Dans l’espace le plus riche, chez le chat rouge, tous les chats aisés et politiciens se retrouvent dans cette villa, et l’un d’eux est Emmanuel Macron ! Tous les chats ne représentent pas forcément des politiciens, j’en avais trois en tête : Miro Cerar, l’ancien Premier ministre slovène, Angela Merkel, puis Emmanuel Macron. Mais sinon, c’est davantage symbolique que concret, au sud, j’imagine un mélange entre une frontière macédoine ou grecque.

Pourquoi avez-vous choisi de représenter des chats en particulier ? Étiez-vous inspirée par des satires ou dystopies représentant aussi des animaux tels que Les animaux de la ferme de George Orwell par exemple ?

A.C : C’est difficile de localiser d’où vient l’inspiration. Bien sûr, j’adore les chats, mais aussi en choisissant de les représenter, je crée de la distance avec les spectateurs : c’est sympa d’avoir cette distance parce qu’on ne se sent pas tout de suite mal dès le début du film, on se dit : « Ah c’est une histoire drôle sur les chats, ça ne me concerne pas ». On baisse alors sa garde et on regarde jusqu’à la fin. L’univers de Catsland représente aussi l’Union européenne dans mon esprit. Comment les personnages pourraient communiquer avec toutes ces différentes langues, incluant celles des réfugiés ? C’est donc pratique d’avoir ces chats qui miaulent uniquement pour ne plus avoir ce problème de barrière de langue. On doit deviner et imaginer ce qu’ils disent quand ils miaulent. On est nous-mêmes renvoyés à cette position où on doit s’efforcer de comprendre ce que l’autre nous dit. Cela me semblait être la meilleure idée.

Les chats sont également des animaux très territoriaux marquant et délimitant leur territoire, ce qui constitue aussi le sujet du film.

A.C : Oui, j’aimais beaucoup l’idée des chats qui marquent leurs territoires dans l’animation, puisqu’ils le font dans la vraie vie. Je ne savais pas comment le représenter au début : « Est-ce qu’ils urinent simplement ? » Non. J’ai donc eu cette idée de pancartes représentant les parties intimes des félins qu’ils font apparaître en urinant : cela représente aussi en quelque sorte la bêtise et l’absurdité de tous ces pays obsédés par leurs territoires ! On est trop strict sur cela.

Pourquoi avoir fait le choix du chat bleu en personnage principal qui initie l’expulsion des réfugiés ?

A.C : Selon moi, il n’y a pas vraiment de personnages principaux. Je voulais vraiment parler des Européens, et de la manière dont on agit afin de prendre conscience de l’héritage qu’on laisse derrière nous. Ce chat bleu est celui qui est dans le territoire du milieu. Il ne s’agit pas du territoire le plus riche, ce n’est pas le pire non plus. Il s’agit de la position de la Slovénie. Les réfugiés veulent plutôt traverser notre territoire, pour aller en Allemagne, France, Angleterre, etc…Très peu veulent rester en Slovénie. Cependant, les médias en Slovénie laissent entendre que tous ces réfugiés qui traversent le pays veulent y rester. Mais ce n’est pas vrai. C’est aussi la position avec laquelle j’étais le plus familière pour faire une déclaration sur ce que nous sommes en train de faire. Nous ne pensons pas aux humains. Comment être humain, comment intégrer les réfugiés ? Le problème, c’est qu’on réfléchit à comment créer des barrières et les envoyer au loin. C’est pourquoi j’ai choisi de commencer l’histoire à partir de ce chat bleu. Je voulais aussi faire un point sur ces différents statuts au sein de l’Union européenne, car beaucoup de réfugiés sont bloqués en Grèce ou en Italie : dans ces pays du sud à cause du Règlement Dublin où l’on doit rester dans le premier pays par lequel on arrive. On délègue donc beaucoup de pression à ces pays. Je ne sais pas si ça répond à votre question !

Si ! Et vous anticipez même la prochaine qui porte sur votre avis sur la situation politique en Slovénie à propos des lois pour les réfugiés.

A.C : Je peux aussi vous dire qu’en Slovénie, on attend juste de voir comment agissent les pays comme la France ou l’Allemagne, et on suit. Je ne suis pas du tout impressionnée par cela, on n’a pas d’idées originales : « Voyons ce qu’ils font et on fera la même chose ». Je pense que c’est dommage, car on pourrait trouver différentes initiatives, mais pour l’instant, il s’agit surtout de suivre.

Vous utilisez des ressorts comiques comme ces pancartes, un alphabet félin, des miaulements qui peuvent faire sourire. Vous aviez déjà cette veine comique dans l’un de vos précédents court-métrages Rebellious essence. C’est important pour vous d’utiliser l’humour comme un moyen de dénoncer des problèmes de société ?

A.C : J’adore utiliser la satire, l’ironie et l’humour, car je pense que cela a pour effet de rendre du pouvoir à celui qui n’en a initialement pas. Quand vous riez, vous oubliez en quelque sorte l’oppression et à quel point vous vous sentez mal, vous prenez le pouvoir de celui dont vous vous moquez. Je pense que c’est l’effet de la satire. Si j’arrive à faire de la satire, j’en suis très contente et je veux en faire plus. Je pense que cela a vraiment le pouvoir de redonner de la confiance aux gens. Enfin, j’espère ! En 2020-2022, nous avions ce gouvernement de droite très oppressant en Slovénie. Dès que nous parvenions à manifester avec de l’humour, c’était très bien pour tout le monde, car nous laissions retomber la pression et le stress.

Vous militiez également avec votre art ?

A.C : Je rejoignais les manifestations où il y avait d’ailleurs beaucoup d’artistes impliqué.es, qui ont fait beaucoup de blagues. Par exemple, le gouvernement disait qu’on ne pouvait pas du tout se rejoindre pour manifester, et la première idée qui émergea, partagée sur Facebook, a été de placer des pieds dessinés sur le sol pour montrer qu’on était là. Un mouvement qui a duré longtemps a également été de manifester en vélo : on ne pouvait pas marcher, on y allait donc en vélo ! On pédalait autour du Parlement et cette manifestation avait lieu à nouveau chaque semaine. J’aimais aller là-bas, cela faisait du bien au moral. Une autre fois, les militants ont décidé de marcher à reculons dans une grande rue qui avait rendu célèbre le Premier ministre de droite afin d’illustrer qu’on voulait remonter le temps et modifier les évènements pour qu’il ne soit plus Premier Ministre ! Ces éléments humoristiques ont un réel pouvoir.

Pensez-vous refaire des courts-métrages d’animation à l’avenir, avec peut-être un style artistique similaire ? Avez-vous déjà des projets en tête ?

A.C : Oui, je veux vraiment faire un film avec des chats, je devrais en faire un troisième car j’en ai déjà fait deux maintenant (rires) ! Mais je n’ai pas encore d’idées pour cela. Actuellement, je travaille sur trois différents projets qui sont tous en cours de développement. L’un est un documentaire animé qui traite du travail contemporain et des “bullshit jobs” définis par l’anthropologue David Graeber. Un autre projet est une très courte série en trois parties sur une critique féministe de littérature slovène. Le troisième sujet est politique, mais il est encore trop tôt pour en parler ! On verra lequel des trois projets avancera le plus vite ! Pour les chats, j’ai le plan de faire une troisième animation, mais je ne sais pas encore sur quel sujet. Cela pourrait porter sur le travail !

Ça tournera toujours autour des sujets de société.

A.C : Oui, ces sujets m’intéressent vraiment. J’aime vraiment l’idée que l’art soit connecté à la société. Je pense qu’on est trop enfoncé dans cette entité économique où chacun pense pour soi. Je veux casser cette idée et penser, en tant qu’artiste, à agir pour la société, et pas pour moi. Je me sens plus à l’aise de traiter ces sujets-là plutôt que des sujets plus intimes.

Propos recueillis par Laure Dion

Article associé : le reportage sur le festival Cinémed

Pendant ce temps sur Terre de Jérémy Clapin

Elsa (Megan Northam, nommée aux Révélations des César 2025) a 23 ans. Elle vient de perdre son frère Franck, astronaute porté disparu lors d’une mission spatiale. Perdre, ce n’est pas exactement le terme, car une entité venue des abysses de l’univers va lui proposer de le lui rendre. Néanmoins, tout se paye, pour les humains comme pour leurs voisins interstellaires.

Pendant ce temps sur Terre est le premier long-métrage en prise de vues réelles de Jérémy Clapin, réalisateur du film d’animation J’ai perdu mon corps (2019), lauréat du Grand Prix de la Semaine de la Critique à Cannes et nominé aux Oscars outre-Atlantique. Avec ce film, Jérémy Clapin signe un hommage réussi à sa passion du cosmos, et partage avec nous une vision sincère et gracieuse de la vie et des relations humaines (mais pas que) sous toutes leurs formes. Sélectionné à la Berlinale dans la section Panorama, le film est produit par Marc du Pontavice, qui avait déjà accompagné Jérémy Clapin sur J’ai perdu mon corps. Le film, distribué par Diaphana, sera disponible en DVD et Blu-Ray le 15 novembre 2024.

Le film s’ouvre sur une conversation entre Elsa et son frère, une communication au son grésillant qui a eu lieu avant le départ de l’astronaute. Ils y parlent de l’avenir. L’avenir, c’est un thème central de Pendant ce temps sur Terre, habilement porté par un personnage principal réservé et au destin incertain. Elsa n’a aucun projet, aucune perspective depuis que son frère a disparu. On comprend, grâce à des séquences animées d’une beauté onirique nous offrant une fenêtre sur l’imaginaire d’Elsa, que la jeune femme dépendait beaucoup du soutien de son frère. Celui-ci, où qu’il soit, pense qu’elle étudie toujours aux Beaux-Arts, alors qu’elle occupe en réalité un poste d’aide-soignante dans la maison de retraite gérée par leur mère.

Megan Northam, interprète d’Elsa, incarne avec brio ce personnage replié sur lui-même, bloqué par les circonstances, à la recherche d’une issue au deuil de son frère. Cette issue se présente sous la forme d’une voix (Dimitri Doré) d’abord évasive, venue de nulle part. Elle résonne dans son esprit, claire et pourtant lointaine. Lorsque Elsa réussit à établir la communication avec l’entité mystérieuse, celle-ci lui affirme pouvoir lui ramener son frère sain et sauf. Pour le lui prouver, elle permet à la jeune femme de parler à Franck. Une fois certaine que son frère est en vie, un avenir se dessine. Elsa est investie d’une mission par la voix venue d’ailleurs, une mission qui va la mettre en péril et la forcer à affronter un parcours semé d’embûches.

L’entité qui s’adresse à Elsa est une forme de vie extraterrestre, capable de faire aller et venir les êtres humains d’un monde à l’autre. Pour revoir Franck, Elsa doit pactiser avec cet être, et payer le prix qui lui est imposé. Jérémy Clapin nous immerge dans cette aventure existentielle, intimiste, universelle. Il nous demande, en mobilisant un univers de science-fiction sobre et efficace, ce que nous serions prêts à faire pour rétablir ce qui s’est évanoui. Grâce à des dialogues simples et marquants, il arrive à mettre en place des rencontres qui permettent à Elsa d’avancer, toujours, malgré l’adversité. Ces rencontres sont naturelles et permettent un équilibre brillant entre humain et inhumain, entre ici et ailleurs. C’est cette collision qui nous est racontée, à la lumière de l’amour d’une sœur pour son frère qui traverse le cosmos.

Les séquences animées représentant l’imaginaire d’Elsa et son frère sont importantes : elles répondent à des plans qui la montrent en train de dessiner tout au long du film. Elsa est une artiste démotivée, mais une artiste. Elle écrit une B.D, qu’elle espère montrer à son frère à son retour, mais n’arrive pas à visualiser un monde où son frère et elle se retrouveraient. Au fur et à mesure que cette possibilité se précise, son carnet se remplit, au gré des rencontres. Les séquences d’animation survenant à des moments clés du film, impressionnantes de beauté et remplies d’émotions, permettent à Clapin de relever le défi de ce premier film en prise de vue réelle, de genre, et comportant quand même une partie animée.

Grâce à une mise en scène imaginative et élégante et à une écriture naturelle, Jérémy Clapin réussit à nous transporter dans une histoire exaltante à laquelle il est facile de s’identifier. Il arrive à nous faire part des peurs d’Elsa, de ses espoirs aussi. À travers un deuxième long-long-métrage confirmateur, il ouvre une porte sur son univers tout en élargissant notre propre perspective sur le nôtre.

Inclus dans ce DVD, un court-métrage d’animation réalisé par Jérémy Clapin en 2008 et qui témoigne déjà d’un univers esthétique à la fois vaste et maîtrisé. Skhizein raconte l’histoire d’un homme frappé par une météorite, qui se retrouve en décalage avec lui-même. Où qu’il aille, quoi qu’il fasse, il se trouve à 91cm (précisément) de son corps, et doit s’adapter à ce nouveau plan d’existence bancal et même périlleux. Grâce à une animation 3D fluide et à un style de dessin transmettant à merveille les émotions du personnage, on est plongé dans ce quotidien loufoque et émouvant à la fois, où le moindre geste est lourd de sens et de conséquences. Déjà, on distingue une nette passion pour le cosmos, qui se retrouve, comme avec Pendant ce temps sur Terre, inévitablement lié à l’être humain, dans un équilibre fragile mais décidément captivant.

Sirine Lehoux

After Short Animation, jeudi 21.11, 19h à l’ESRA

Après un premier After Short, organisé mardi 12 novembre dernier autour des courts de fiction présélectionnés aux prochains César (en présence de 8 équipes), retrouvez-nous le jeudi 21 novembre prochain dès 19h à l’ESRA pour notre 2ème After Short de l’année centré sur les courts d’animation en lice aux César, auquel participeront 10 équipes de films et 15 professionnels.

Ce nouveau cycle d’After Short, organisé par le magazine Format Court, en collaboration avec l’ESRA et le soutien de l’Académie des Arts et Techniques du Cinéma, a lieu à l’ESRA Campus Beaugrenelle (Amphithéâtre Jean Renoir, 37 Quai de Grenelle, 75015 Paris). Pas moins de 4 rencontres, autour des équipes des courts-métrages en lice aux César 2025, sont proposées entre novembre et décembre dans l’amphithéâtre de l’école accueillant plus de 250 places. Elles sont accessibles aux étudiants comme au grand public.

Vous voulez en apprendre davantage sur les parcours d’auteurs et producteur.trice.s qui bâtissent le cinéma d’aujourd’hui et de demain, découvrir leurs films, échanger avec elles et eux sur leurs œuvres, leurs choix artistiques, leurs expériences et le déroulement de leur travail, comprendre le fonctionnement de l’Académie des César et poursuivre ces discussions autour d’un verre ?

Un After Short, comment ça se passe ? 

En amont : les photos et bios des intervenants ainsi que les liens de visionnage des courts sont mis à la disposition des personnes ayant réservé leur place. Le jour J, le public a ainsi la possibilité de participer activement à la discussion qui s’engage avec les équipes de films.

Lors de l’évènement : les équipes (réalisateurs.trices et/ou producteurs.trices, anciens lauréats des César, membres de comités de sélection de l’Académie) se succèdent sur scène pour une intervention et un échange avec le public d’une dizaine de minutes chacune. Deux animateurs sont là pour introduire leur travail et vous donner la parole.

Info, rappel : il n’y a pas de projection de films au cours de la soirée. 

Après la rencontre : un cocktail est organisé à l’ESRA. C’est entre autres l’occasion de poursuivre les discussions de façon plus informelle avec les équipes présentes.

Intéressé(e)s par l’After Short ? Téléchargez la présentation (PDF) de nos invités ainsi que leurs bios et les synopsis de leurs films, représentés lors de notre soirée animation de l’année, le jeudi 21 novembre 2024 à 19h à l’ESRA. 10 films sur 12 seront présentés lors de ce nouvel échange accueillant 14 pros. Si vous souhaitez assister à l’événement et visionner les films qui seront évoqués, reportez-vous aux infos pratiques mentionnées ci-dessous.

Nos invités :

Chiara Malta, membre du comité court-métrage animation et co-réalisatrice de Linda veut du poulet !, César du meilleur film d’animation 2024

Mathilde Bédouet, réalisatrice de Été 96, César du meilleur court-métrage d’animation 2024

Hélène Vayssières, Directrice adjointe de l’unité Cinéma, Responsable des courts métrages et séries courtes humoristiques, membre du comité court-métrage animation

Kenza Manach, responsable du Département courts métrages et du pôle éducation à l’Académie des César.

Lucas Malbrun, réalisateur de Margarethe 89.

Fabienne Wagenaar, réalisatrice de Plus douce est la nuit.

Juliette Marquet et Manon Messiant, productrices (Ikki films et Iliade films) de Beurk !, de Loïc Espuche.

Carole Guignard-Chabouis, chargé de production (Miyu Production) de La Voix des sirènes de Gianluigi Toccafondo et de Misérable miracle de Ryo Orikasa.

Marie Vieillevie, réalisatrice de Kaminhu.

Cynthia Calvi, réalisatrice et Pierre Grillère, consultant scénario de Gigi.

Luigi Loy, chargé de distribution (Sacrebleu Productions) de Papillon de Florence Miailhe et Maurice’s bar de Tzor Edery et Tom Prezman, et Pierre Oberkampf, compositeur de Papillon.

Marc Faye, producteur (Novamina) de Soleil gris de Camille Monnier.

En pratique

* After Short Animation. Jeudi 21 novembre 2024, à 19h, à l’ESRA. En présence de 10 équipes ! PAF : 5€. Billetterie en ligne, dans la limite des 50 places encore disponibles). Pour les (ex-)étudiants de l’ESRA, les réservations gratuites se font à l’adresse communication@esra.edu

* Notez d’ores et déjà la date de notre After Short consacré aux courts-métrages documentaires, le lundi 2 décembre prochain, à 19h, toujours à l’ESRA. En présence de 9 équipes ! PAF : 5€. Billetterie en ligne, dans la limite des 50 places encore disponibles). Pour les (ex-)étudiants de l’ESRA, les réservations gratuites se font à l’adresse communication@esra.edu

2ème After Short Fiction (2/2), 9.12, à 19h à l’ESRA !

24 courts de fiction sont en lice aux César 2025. Après un premier After Short consacré le 12 novembre 2024 aux courts de fiction présélectionnés aux prochains César (en présence de 8 équipes), retrouvez notre nouvel After Short également centré sur la fiction, en présence de 13 autres équipes !

En collaboration avec l’ESRA et le soutien de l’Académie des Arts et Techniques du Cinéma, le magazine Format Court vous invite à la reprise de ses After Short, organisés cette année à l’ESRA Campus Beaugrenelle (Amphithéâtre Jean Renoir, 37 Quai de Grenelle, 75015 Paris).

Ce nouveau cycle, organisé entre novembre et décembre, propose pas moins de 4 rencontres autour des équipes des courts-métrages en lice aux César 2025, accessibles aux étudiants comme au grand public.

Vous voulez en apprendre davantage sur les parcours d’auteurs et producteur.trice.s qui bâtissent le cinéma d’aujourd’hui et de demain, découvrir leurs films, échanger avec elles et eux sur leurs œuvres, leurs choix artistiques, leurs expériences et le déroulement de leur travail, comprendre le fonctionnement de l’Académie des César et poursuivre ces discussions autour d’un verre ?

Un After Short, comment ça se passe ? 

En amont : les photos et bios des intervenants ainsi que les liens de visionnage des courts sont mis à la disposition des personnes ayant réservé leur place. Le jour J, le public a ainsi la possibilité de participer activement à la discussion qui s’engage avec les équipes de films.

Lors de l’évènement : les équipes (réalisateurs.trices et/ou producteurs.trices, anciens lauréats des César, membres de comités de sélection de l’Académie) se succèdent sur scène pour une intervention et un échange avec le public d’une dizaine de minutes chacune. Deux animateurs sont là pour introduire leur travail et vous donner la parole.

Info, rappel : il n’y a pas de projection de films au cours de la soirée. 

Après la rencontre : un cocktail est organisé à l’ESRA. C’est entre autres l’occasion de poursuivre les discussions de façon plus informelle avec les équipes présentes.

Intéressé(e)s par l’After Short ? Téléchargez la présentation (PDF) de nos invités ainsi que leurs bios et les synopsis de leurs films, représentés lors de notre 2ème soirée fiction de l’année, le lundi 9 décembre 2024 à 19h à l’ESRA. 13 films sur 24 seront présentés lors de ce nouvel échange accueillant 22 pros. Si vous souhaitez assister à l’événement et visionner les films qui seront évoqués, reportez-vous aux infos pratiques mentionnées ci-dessous.

Nos invités

– Kenza Manach, responsable du Département courts métrages et du pôle éducation à l’Académie des César

Nathalie Hertzberg, scénariste, membre du comité artistique

Grégory Audermatte, chargé des achats chez Arte France, membre du comité d’experts

Yohann Kouam, réalisateur d’Après l’aurore.

Avril Besson, réalisatrice de Queen size et Robin Robles, producteur (Topshot Films)

Jules Reinartz, producteur (Films Grand Huit) de Ce qui appartient à César de Violette Gitton

François Robic, réalisateur et Clémence Crépin Neel, productrice (Moderato) de Rien d’important.

Vibirson Gnanatheepan, réalisateur, Stanislas Wicker, co-producteur ((SIC) Pictures) d’Anushan.

Léa-Jade Horlier, réalisatrice, et Idris Lettifi, producteur (Piano Sano Films) de Na marei.

Nicolas Giuliani, réalisateur, et Gautier Raguenes, producteur (Les Films Hatari) de L’Envoûtement.

Adrien Selbert, réalisateur de Les Marquises.

Souliman Schelfout, réalisateur de Reset.

Johanna Canu, chargée de production (Kidam) de L’Anniversaire d’Enrico, réalisé par Francesco Sossai.

Guillermo García López, réalisateur de Malgré la nuit

David Frenkel, producteur (Synecdoche) de Une orange de Jaffa de Mohammed Almughanni

Augustin Bonnet, réalisateur, et Marie Lesay, productrice (Rue de la Sardine) de Grand Littoral

En pratique

* After Short fiction 2/2. Lundi 9 décembre 2024, à 19h, à l’ESRA. En présence de 13 équipes ! PAF : 5€. Billetterie en ligne, dans la limite des 50 places disponibles). Pour les (ex-)étudiants de l’ESRA, les réservations gratuites se font à l’adresse communication@esra.edu

1er After Short, mardi 12/11. Courts de fiction en lice aux César 2025 (1/2)

En collaboration avec l’ESRA et le soutien de l’Académie des Arts et Techniques du Cinéma, le magazine Format Court vous invite à la reprise de ses After Short, organisés cette année à l’ESRA Campus Beaugrenelle (Amphithéâtre Jean Renoir, 37 Quai de Grenelle, 75015 Paris).

Ce nouveau cycle, organisé entre novembre et décembre, proposera pas moins de 4 rencontres autour des équipes des courts-métrages en lice aux César 2025, accessibles aux étudiants comme au grand public.

Notre nouveau cycle s’ouvrira et se clôturera avec la mise en avant des courts-métrages de fiction présélectionnés aux César, les mardi 12 novembre (fiction 1/2) et lundi 9 décembre (fiction 2/2). De nombreux·ses professionnel·les (réalisateur·ices, producteur·ices) sont attendu.es à l’occasion de ces 2 événements.

Vous voulez en apprendre davantage sur les parcours d’auteurs et producteur.trice.s qui bâtissent le cinéma d’aujourd’hui et de demain, découvrir leurs films, échanger avec elles et eux sur leurs œuvres, leurs choix artistiques, leurs expériences et le déroulement de leur travail, comprendre le fonctionnement de l’Académie des César et poursuivre ces discussions autour d’un verre ?

Un After Short, comment ça se passe ? 

En amont : les photos et bios des intervenants ainsi que les liens de visionnage des courts sont mis à la disposition des personnes ayant réservé leur place. Le jour J, le public a ainsi la possibilité de participer activement à la discussion qui s’engage avec les équipes de films.

Lors de l’évènement : les équipes (réalisateurs.trices et/ou producteurs.trices, anciens lauréats des César, membres de comités de sélection de l’Académie) se succèdent sur scène pour une intervention et un échange avec le public d’une dizaine de minutes chacune. Deux animateurs sont là pour introduire leur travail et vous donner la parole.

Info, rappel : il n’y a pas de projection de films au cours de la soirée. 

Après la rencontre : un cocktail est organisé à l’ESRA. C’est entre autres l’occasion de poursuivre les discussions de façon plus informelle avec les équipes présentes.

Intéressé(e)s par l’After Short ? Téléchargez la présentation (PDF) de nos invités ainsi que leurs bios et les synopsis de leurs films, représentés lors de notre première soirée de l’année, le mardi 12 novembre 2024 à 19h à l’ESRA. 8 films sur 24 seront présentés lors de ce premier échange accueillant 13 pros. Si vous souhaitez assister à l’événement et visionner les films qui seront évoqués, reportez-vous aux infos pratiques mentionnées ci-dessous.

Nos invités

– Kenza Manach, responsable du Département courts métrages et du pôle éducation à l’Académie des César.

Caroline Maleville, membre du comité d’experts et responsable de programmation à la Cinémathèque française.

– Salomé Da Souza, réalisatrice de Boucan.

– David Padilla, réalisateur, et Jonathan Hazan, producteur (Les Films du Cygne) de Cultes.

– Théo Vincent, réalisateur de Mémoires du bois

– Noëlle Levenez, productrice (Les Films Norfolk) de The Man who could not remain silent, réalisé par Nebojša Slijepčević.

– Guil Sela, réalisateur et producteur de Montsouris.

Marie-Lola Terver et Paul Jousselin, co-réalisateurs de Les Mystérieuses Aventures de Claude Conseil

Hakim Atoui, réalisateur de Les Liens du sang

Charlotte Vincent et Katia Khazak, productrices (Aurora Films) de Et si le soleil plongeait dans l’océan des nues de Wissam Charaf

En pratique

* After Short 1 : mardi 12 novembre 2024 – 19h : catégorie fiction 1/2. Accueil : 18h30. En présence de 8 équipes ! PAF : 5€. Billetterie en ligne, dans la limite des 50 places disponibles. Pour les (ex-)étudiants de l’ESRA, pensez à réserver votre place gratuite à communication@esra.edu

* Notez d’ores et déjà la date de notre 2ème After Short consacré aux courts de fiction, prévu le lundi 9 décembre prochain, à 19h, toujours à l’ESRA. En présence de 13 nouvelles équipes ! PAF : 5€. Billetterie en ligne, dans la limite des 50 places disponibles). Pour les (ex-)étudiants de l’ESRA, les réservations gratuites se font à l’adresse communication@esra.edu

Nouveau Cycle After Short ! A la rencontre des équipes de courts en sélection officielle aux César 2025 !

En collaboration avec l’ESRA et le soutien de l’Académie des Arts et Techniques du Cinéma, le magazine Format Court vous invite à la reprise de ses After Short, organisés cette année à l’ESRA Campus Beaugrenelle (Amphithéâtre Jean Renoir, 37 Quai de Grenelle, 75015 Paris).

Ce nouveau cycle, organisé entre novembre et décembre, proposera pas moins de 4 rencontres autour des équipes des courts-métrages en lice aux César 2025, accessibles aux étudiants comme au grand public.

Vous voulez en apprendre davantage sur les parcours d’auteurs et producteur.trice.s qui bâtissent le cinéma d’aujourd’hui et de demain, découvrir leurs films, échanger avec elles et eux sur leurs œuvres, leurs choix artistiques, leurs expériences et le déroulement de leur travail, comprendre le fonctionnement de l’Académie des César et poursuivre ces discussions autour d’un verre ?

Au vu du nombre important d’équipes de courts de fiction (24) en lice aux prochain César, Format Court consacrera 2 soirées au genre. Ce nouveau cycle d’After Short s’ouvrira et se clôturera en effet avec la fiction, les mardi 12 novembre (fiction 1/2) et lundi 9 décembre (fiction 2/2), en présence de nombreux·ses professionnel·les (réalisateur·ices, producteur·ices, membres de comités).

2 autres After Short complèteront ce cycle. Le jeudi 21 novembre sera dédié aux courts d’animation nommés tandis que le lundi 2 décembre aura pour focus le cinéma documentaire.

Un After Short, comment ça se passe ?

En amont : les photos et bios des intervenants ainsi que les liens de visionnage des courts sont mis à la disposition des personnes ayant réservé leur place. Le jour J, le public a ainsi la possibilité de participer activement à la discussion qui s’engage avec les équipes de films.

Lors de l’évènement : les équipes (réalisateurs.trices et/ou producteurs.trices, anciens lauréats des César, membres de comités de sélection de l’Académie) se succèdent sur scène pour une intervention et un échange avec le public d’une dizaine de minutes chacune. Deux animateurs sont là pour introduire leur travail et vous donner la parole.

Info, rappel : il n’y aura pas de projection de films au cours de la soirée.

Après la rencontre : un cocktail est organisé à l’ESRA. C’est entre autres l’occasion de poursuivre les discussions de façon plus informelle avec les équipes présentes.

Calendrier

– After Short 1 : mardi 12 novembre 2024 – 19h : catégorie fiction 1/2. PAF : 5€. Billetterie en ligne, dans la limite des 50 places disponibles). Pour les (ex-)étudiants de l’ESRA, pensez à réserver votre place gratuite à communication@esra.edu

– After Short 2 : jeudi 21 novembre 2024 – 19h : catégorie animation. PAF : 5€. Billetterie en ligne, dans la limite des 50 places disponibles). Pour les (ex-)étudiants de l’ESRA, pensez à réserver votre place gratuite à communication@esra.edu

– After Short 3 : lundi 2 décembre 2024 – 19h : catégorie documentaire. PAF : 5€. Billetterie en ligne, dans la limite des 50 places disponibles). Pour les (ex-)étudiants de l’ESRA, pensez à réserver votre place gratuite à communication@esra.edu

– After Short 4 : lundi 9 décembre prochain – 19h : catégorie fiction 2/2. PAF : 5€.  Billetterie en ligne, dans la limite des 50 places disponibles). Pour les (ex-)étudiants de l’ESRA, pensez à réserver votre place gratuite à communication@esra.edu

En pratique

Amphithéâtre Jean Renoir. ESRA Campus Beaugrenelle, 37 Quai de Grenelle, 75015 Paris.

Tarif étudiants ESRA : gratuit (réservations : communication@esra.edu).
Tarif grand public : 5€ (uniquement en ligne, dans la limite des 50 places disponibles par soirée)

Grégoire Leprince-Ringuet : « Aujourd’hui, je pense autant en tant qu’acteur qu’en tant que poète »

Les Entrelacs, c’est à la fois le premier recueil de poèmes de Grégoire Leprince-Ringuet (Ed. La Rumeur libre) mais aussi le spectacle qui en découle, interprété par l’acteur, réalisateur et metteur en scène mais aussi la comédienne et réalisatrice Pauline Caupenne, accompagnés du pianiste Jean-Philippe Heurteaut. Présenté à la Maison de la Poésie à Paris il y a quelques mois, le spectacle a été donné en octobre dernier au Musée Paul Valéry de Sète, à l’occasion des Journées annuelles Paul Valéry. À cette occasion, Grégoire Leprince-Ringuet est revenu sur sa découverte du poète Valéry, le passage à la réalisation avec son premier long-métrage La forêt de Quinconces (2016) et ce qu’ont représenté dans son parcours des films comme L’Accordeur de Olivier Treiner, César du court en 2012, mais aussi Les Chansons d’amour de Christophe Honoré (2007). Ce long entretien aborde également l’incertitude, le temps, la discrétion et la technique. Tour de piste.

Format Court : Tu as déjà participé aux journées Paul Valéry. Ton recueil est inspiré de Valéry, mais en même temps il est très libre en terme d’écriture. Certains poèmes font 5 pages, d’autres 1 page. Tu ne parles pas de renaissance, mais de deuxième naissance, d’abord avec le chant que tu as pratiqué avant le cinéma, ensuite avec la poésie. Comme si le processus recommençait.

Grégoire Leprince-Ringuet : Oui, c’est vrai. C’est très libre. C’est vraiment la sensation que j’ai eue dans ma vie. J’ai eu le sentiment d’être né une deuxième fois quand j’ai découvert l’œuvre de Paul Valéry, spécifiquement. C’est quelque chose auquel je ne m’attendais pas du tout. C’est ce qui arrive, comme souvent pour les grandes découvertes, les grands chocs esthétiques, en littérature, mais aussi au cinéma ou en musique. On a déjà vu des choses qui nous ont plu, qui nous ont séduites, qu’on aime voir, mais un choc si fort, on ne s’y attend pas. C’est l’effet que m’a fait Paul Valéry. Ça nous change tellement qu’on a comme une deuxième vie. On n’est plus du tout la même personne. Quand j’ai découvert Paul Valéry, il y a tout un pan de la poésie, mais aussi de la pensée et de la conception du monde qui s’est ouvert à moi. J’ai été bouleversé par la découverte de son œuvre et plus particulièrement de ses poèmes.

C’est marrant parce que juste derrière toi, il y a des petites phrases-clés. L’une d’elles dit ceci : « Un chef est un homme qui a besoin des autres ».

G. L-R. : Je lis deux lignes de Valéry et à chaque fois, ça me suffit pour la journée en termes d’intelligence. Ces petits morceaux de prose sur ces petits aphorismes, ces réflexions, c’est tellement juste, bien pensé, bien vu, bien écrit. Il y en a plein, il y en a des milliers, des petites phrases comme ça. « Un écrivain est un homme qui cherche ses mots », c’est parfait, c’est exactement ça. C’est très très intelligent de le voir comme ça.

Ce n’est pas quelqu’un qui parle vite et bien, c’est quelqu’un qui sait que les mots ont tous une valeur différente et donc il les cherche. Ce n’est pas aussi naturel que pour les autres. « Un chef est un homme qui a besoin des autres », cette phrase est parfaite. C’est évidemment ça, on n’est pas chef tout seul. Avant Valéry, je ne pensais pas que c’était possible d’être aussi intelligent.

Ton spectacle se donne au Musée Paul Valéry, sa tombe n’est pas loin. Tu es dans une forme de fidélité…

G. L-R. : Tout à fait, ça compte, la présence réelle. Il y a d’ailleurs un poème dans mon livre qui s’appelle « Tombeau de Paul Valéry » et qui parle de ça. Il parle du fait d’être là, vraiment, à proximité de la tombe de Valéry et qui parle du trouble qu’il y a entre le fait que, par exemple, les gens illustres soient morts mais qu’ils ne soient pas morts pour nous. Valéry, pour moi, n’était vraiment pas mort du tout et c’est très troublant de penser qu’il est mort il y a maintenant déjà assez longtemps. Il y a des gens dont l’œuvre continue à exister longtemps après leur mort et qui sont plus vivants que jamais. Et ça, c’est une sorte de miracle de l’art.

Dans ta bio, maintenant, tu dis que tu n’es pas seulement acteur et réalisateur mais que tu es metteur en scène et poète. En tant que comédien, ce n’est pas évident de se dire poète. Est-ce qu’il n’y a pas quelque chose de l’ordre du romantisme dans l’image du poète ?

G. L-R. : C’est un nom un peu ridicule aujourd’hui. C’est un nom qui est un peu connoté pour être maudit ou péjoratif parce que ça ne fait pas sérieux. Ça fait quelqu’un qui glane, qui perd son temps, qui se promène dans les champs avec une vision très champêtre et, disons cliché de ce que peut être un poète.

Il se trouve que, dans la réalité, en tout cas, pour moi, tel que je pratique la poésie, ça demande surtout énormément de travail. J’écris en vers réguliers et rythmés, comme on le faisait beaucoup à l’époque, ça s’est beaucoup perdu. Disons que la poésie, c’est le fer de lance et la technologie de pointe de la littérature. C’est peut-être là où c’est le plus technique. Le métier de poète, il ne faut pas le prendre au sérieux, mais on le fait quand même très sérieusement. Ca demande de la technique et pas tellement du romantisme. Ce ne sont pas tellement les sentiments qui dictent les poèmes que la forme et la rigueur de la pensée.

Tu as écrit ton long-métrage il y a un moment, en 2016. Tu n’as pas réalisé de court-métrage, si ?

G. L-R. : Si, j’en ai fait un, mais on ne peut pas le trouver !

« La forêt de Quinconces » de Grégoire Leprince-Ringuet

Le premier long, on le sait, c’est un passage difficile et un format fragile. Comment as-tu perçu cet exercice ?

G. L-R. : Le scénario de mon film, La forêt de Quinconces, était au départ construit à partir de petits poèmes. Au départ, j’avais écrit des poèmes, une dizaine, pour la plupart assez maladroits, et en les mettant dans un certain ordre, ça faisait une ébauche de narration. C’était de la poésie qui abordait plutôt les thèmes amoureux à l’époque. C’était l’histoire d’un garçon qui rencontrait une fille qui lui jetait un sort. Le film est un conte sentimental, avec un aspect un peu fantastique. J’avais été assez influencé par la littérature fantastique à ce moment-là, par les contes de Grimm, mais aussi par ceux d’Hoffmann, et du coup, le film lui-même avait pour fondement une écriture poétique.

Il y a des dialogues en vers réguliers et rimés, en alexandrins, dans le film. C’était sa forme originelle. Originellement, il était fait pour être écrit comme ça, et puis il y avait une volonté de lyrisme aussi dans les sentiments que les vers prenaient en charge. Après, évidemment, comme tu l’as dit, il faut faire tenir une histoire debout, et ça, c’est beaucoup de travail très technique. Il a fallu, en écrivant le scénario, effectivement renoncer, ou en tout cas améliorer ou corriger certaines formes lyriques, pour qu’elles rentrent dans un cadre dramatique, dans le cadre d’une histoire, et que le spectateur puisse suivre l’histoire et s’attacher aux personnages.

Le projet aurait pu en rester à l’écrit. C’était important pour toi de le mettre en images ?

G. L-R. : Oui, c’est vrai, mais en même temps, j’avais très envie à l’époque de faire un film, de réaliser parce que j’avais été acteur pendant des années, que ça me trottait en tête. Le rapport aux images en poésie et dans le cinéma n’est pas du tout le même. Quand on fait des images poétiques, on essaie d’évoquer quelque chose pour l’imagination de quelqu’un, donc on essaie d’être le plus exhaustif possible. Quand on fait des images au cinéma, en tout cas comme je l’ai fait dans La forêt de Quinconces, c’est pour filmer des acteurs, donc pour leur donner la parole. J’aime beaucoup le cinéma éloquent, c’est-à-dire le cinéma où les acteurs ont beaucoup de mots ou de phrases à dire. J’aime voir les gens parler, comme chez Desplechin, ce serait ma référence la plus pertinente. J’aime quand il y a des scènes où les gens parlent, j’aime quand il y en a plus que pas assez. Woody Allen fait des films où ça parle beaucoup. Moi, j’ai un plaisir de spectateur face à ça, quand les dialogues sont savoureux. Dans cette tradition-là, je voulais aussi écrire du texte pour donner de la matière à jouer beaucoup aux acteurs, de la matière verbale. C’est comme ça qu’est né ce projet-là.

Ta compagne Pauline Caupenne a créé Les Visites imaginaires. Tu y collabores. De quoi s’agit-il ?

G. L-R. : L’idée, c’est d’amener le spectacle vivant au musée. Au lieu de proposer des visites guidées, traditionnelles, au lieu de fournir une information sur une œuvre, de bourrer la tête des gens avec des dates, des vies d’artistes, plutôt que de leur donner ce genre d’informations, on leur procure des émotions.

Nous, on va devant les œuvres, en jouant des poèmes, des petits morceaux de pièces de théâtre, en lisant des lettres qu’aurait écrites le peintre en question, … C’est imaginaire. On convoque une émotion littéraire, devant un tableau, ce qui fait qu’on a une autre porte d’accès à ce tableau, et un autre accès à ses propres émotions en voyant le tableau. C’était vraiment l’idée d’une visite imaginaire qui est celle de Pauline Caupenne.

Comment perçois-tu la lecture de poèmes dans un musée ? Ce n’est pas de la lecture de scénario autour d’une table, ce n’est pas une lecture individuelle chez toi, il y a un un public mais ce n’est pas non plus comme au théâtre.

G. L-R. : En fait, la forme qu’on joue est un peu hybride. Ça a vocation à se rapprocher assez du théâtre, sauf qu’il n’y a pas de situation, ce n’est pas vraiment une pièce. Il n’y a pas de rideau, on ne joue pas des personnages, ou alors on joue le même personnage, c’est-à-dire celui du poète, celui qui parle et qui s’imagine être telle et telle chose.

Mais effectivement, c’est plus de l’incarnation de poèmes que du théâtre. Le fait de le faire ici au Musée Paul Valéry, c’est une chance pour nous parce qu’effectivement, Paul Valéry est ma première inspiration, c’est une vraie image. Après, il n’y a pas dans le spectacle de véritable interaction entre les œuvres du musée où nous sommes et la forme qu’on propose. C’est comme si c’était dans un théâtre, sauf qu’on a la chance de le faire dans un musée. Ça n’a pas été conçu pour dialoguer avec les œuvres comme le sont les désirs d’imaginaire.

Comédien-poète, je ne connais pas trop. Comédien-réalisateur, c’est plus fréquent. Je sens qu’il y a une génération à laquelle tu appartiens qui ose, qui se lance. Du coup, ça m’intéresse, que tu ailles vers quelque chose de différent, que tu fasses des choix de projets et que tu utilises ainsi le temps où tu ne tournes pas.

G. L-R. : C’est très vrai, la vie d’acteur, surtout au cinéma, est faite de beaucoup d’incertitudes et de moments d’attente. La poésie, c’est presque le meilleur moyen d’attendre, parce que c’est un art qui est très long à pratiquer, qui se pratique avec beaucoup de lenteur. Moi, je mets 6 mois à écrire un poème. J’en écris plusieurs, en même temps. C’est très long à fabriquer un poème. Pour le dire vulgairement, c’est un passe-temps très efficace.

Aujourd’hui, je pense autant en tant qu’acteur qu’en tant que poète. En tout cas, en termes d’heures passées, je suis beaucoup plus poète qu’acteur. Je passe beaucoup plus de temps à écrire de la poésie qu’à jouer.

J’aime beaucoup jouer. Je suis très heureux sur les films. Mais ce n’est presque pas le même métier. Après, l’un influence un petit peu l’autre. Quand j’écris de la poésie, je pense qu’elle sera dite, qu’elle sera portée par la voix, et notamment par celle des acteurs, donc, ça compte pour moi. Mais ça compte peu par rapport à ce que c’est que d’écrire. Je suis beaucoup plus influencé par Paul Valéry que par le fait d’être acteur quand j’écris de la poésie. Et quand je joue, je ne suis plus poète du tout.

Je joue, je suis souvent au service de quelqu’un qui raconte une histoire. Et là, je suis un instrument entre ses mains. Ce qui est très agréable, c’est d’être un bon instrument, de sentir qu’on ne trahit pas la volonté du metteur en scène. Et au contraire, qu’on s’adapte le mieux possible à son geste. Ça, c’est un métier agréable. Mais c’est presque, à ce moment-là, deux métiers très séparés, auteur et acteur.

« Les Chansons d’amour » de Christophe Honoré

Face à des extraits de tes films, je me suis rappelée de ta partie chantée dans Les Chansons d’amour. La tonalité reste alors que le film date. Tu as commencé par le chant. C’est une autre façon aussi d’appréhender les mots. Comment cette partie musicale, chantée, t’a-t-elle accompagné aussi dans ton travail de comédien et peut-être aussi de réalisateur ?

G. L-R. : Tu as évoqué Les Chansons d’amour qui est, pour moi, peut-être le plus beau film auquel j’ai participé. J’en garde un souvenir extrêmement heureux, déjà parce que le film est génial. C’est une très grande chance, quand on est acteur, de participer à une expérience aussi complète. Tu parlais des chocs au tout début. Les Chansons d’amour, ça a été aussi un très grand choc dans ma vie d’homme et d’artiste, parce que le film est parfait, en fait.

C’est très, très rare de voir des films parfaits, de participer à des films parfaits. Il n’y a pas de défauts dans le film. Il y a eu des très, très, très beaux moments. La musique, évidemment, y est pour beaucoup.

Alex Beaupain, qui a écrit la musique, a réalisé un vrai petit chef-d’œuvre, en fait, parce que les musiques des Chansons d’amour sont suffisamment poétiques pour évoquer des moments de la vie très précis. Et, au contraire, pas tellement spectaculaires, comme peuvent l’être les comédies musicales, qui offrent tout de suite un décor très artificiel pour donner un plaisir au spectateur qui serait un plaisir de cabaret, un plaisir de spectacle, avec beaucoup de danseurs, etc. Des musiques très clinquantes, tu vois. Au contraire, il a réussi à faire des musiques où deux personnes seulement se parlent au bord d’un lit, d’amour, de la mort de quelqu’un, ou de choses beaucoup plus réalistes, beaucoup plus quotidiennes. Il a réussi à faire de la musique, du lyrisme avec ça, et on est ému. Le film est très inventif, et moi, je ne tarirai jamais assez d’éloges sur lui.

Dans mon parcours, ça m’a poursuivi évidemment, et il y a un rapport très direct, évidemment, entre le fait d’écrire de la poésie, notamment en vers réguliers, avec les rimes, qui est l’écriture la plus musicale de la langue. Les rimes elles-mêmes structurent et donnent une certaine musique, une musique même très audible, très forte, que chacun reconnaît. Même les gens qui ne connaissent pas la poésie entendent ces rimes.

Tu disais tout à l’heure que quand tu écris, ça prend du temps, mais que tu envisages les vers lus. Est-ce que tu pourrais envisager les mots chantés ?

G. L-R. : Bonne question ! Il y a dans le spectacle qu’on joue une chanson. Après dans ce recueil-là, les poèmes sont un peu trop denses en signification pour être chantés. J’ai essayé, pour tout te dire, et ça ne marche pas parce que les chansons doivent avoir une simplicité de sens qui est en rapport avec la musique directement. Si on dit trop de choses dans les mots, la musique devient parasite et empêche, en fait, le lyrisme. Ce qui nous plaît dans les chansons, c’est que c’est des paroles simples qu’on retrouve sur une musique parfois complexe ou très riche. Là, les paroles sont trop compliquées, ce ne serait pas possible de les chanter. J’ai écrit à côté des chansons que je n’ai pas encore chantées.

Il faut y aller petit à petit. On est en France et les gens adorent les étiquettes. Chaque chose en son temps !

G. L-R. : Oui, malheureusement, c’est vrai. Moi, j’aime beaucoup chanter. J’aimerais beaucoup faire un album. C’est aussi beaucoup de travail. Et là, j’essaie de faire un deuxième film.

« L’Accordeur » de Olivier Treiner

Tu as joué dans L’Accordeur de Olivier Treiner. Le film avait eu un César en 2012. Est-ce un film qui t’a accompagné ?

G. L-R. : Oui, forcément. C’est un film qui a eu un succès mondial. L’Accordeur a fait tous les festivals de cinéma du monde entier. Il a été acheté par des chaînes de télévision à l’autre bout de la planète. Dans l’histoire du court-métrage, ça arrive deux ou trois fois par carrière, au maximum. Il a eu le César du meilleur court-métrage. Il a peut-être eu 200 prix. C’est énorme. Ça a marché partout.

Moi, j’étais très content au départ parce que c’était mon premier rôle de vraie composition. Il fallait être crédible dans le fait de faire l’aveugle, de faire semblant de ne pas voir. C’était un peu technique.

C’était une expérience de tournage où j’avais une responsabilité peut-être supplémentaire parce qu’il y avait ce défi de créer le personnage très vite, qu’il fallait qu’on y croit et qu’il soit sympathique dès le départ.

C’est un film qui est très bien réalisé. Il n’a pas beaucoup de défauts. L’histoire est parfaitement bien maîtrisée pour arriver jusqu’au paroxysme. Techniquement, la structure est très bien faite. Quand on participe à des films qui sont proches de la perfection, c’est toujours stimulant. On se dit que ce n’est pas si loin, qu’on peut y arriver.

Après, j’ai proposé à Olivier de faire un long de cette histoire-là. On en a reparlé. Il est parti sur autre chose. Ça s’est un peu arrêté. Il a réécrit un autre scénario, et moi, j’ai commencé à développer mon film.

Après, c’est bien aussi parfois que les films restent dans leur format d’origine. Les longs ne doivent pas tous être des courts adaptés.

G. L-R. : Non, bien sûr. Il y a tous les exemples. Parfois, il y a des longs tirés de courts-métrages qui sont moins bien faits. Et l’inverse.

Qu’est-ce qui fait pour toi un bon texte et un bon lecteur ?

G. L-R. : C’est passionnant. Moi, ce que je recherche quand je lis, c’est du plaisir. Je suis très pragmatique. Pour qu’il y ait du plaisir, il faut qu’il y ait un peu de profondeur. Si c’est mièvre, plein de bons sentiments, que le ciel est bleu, que les pâquerettes poussent, si n’y a pas de profondeur d’idées, de contradictions, ça ne me procure pas de joie de l’esprit.

C’est comme dans une peinture, quand il y a du contraste, de la profondeur, de la complexité, une question qu’on n’arrive pas à résoudre. Il faut quelque chose qui me rend plus intelligent, qui me donne l’impression d’éprouver des choses plus fortes. Ça peut passer par plein de choses différentes. Il y a des milliers de bons textes.

J’aime Paul Valéry. Je suis aussi un lecteur très fervent de Proust. Qu’est-ce qui fait un bon lecteur ? J’essaie toujours, en tant que lecteur, d’être le plus neutre possible au moment où je découvre un texte, le plus disponible. Il faut être concentré aussi. Je dirais quelqu’un de disponible et qui ne s’arrête pas à un premier obstacle. J’aime les textes un peu difficiles à comprendre, mais qui ont un sens. Si c’est difficile à comprendre, et qu’à la fin de la page, on n’a rien eu à manger, et que l’auteur nous laisse dans le flou de la clarté, ça ne me va pas. En plus, je n’ai plus de plaisir. En revanche, si il y a une petite énigme, mais qu’il faut s’accrocher et se concentrer pour la décrypter, et qu’à la fin, j’ai vu que j’avais bon, là, il y a un vrai plaisir d’esprit. Le bon lecteur, c’est aussi celui qui n’arrête pas tout de suite. Typiquement, avec Proust, les paragraphes sont longs, parfois la phrase est difficile, il faut s’accrocher un peu. Le bon lecteur, c’est aussi ça, celui qui s’accroche.

« Voleurs de chevaux » de Micha Wald

Tu es familier des films de Robert Guédiguian. Tu as aussi tourné avec Wes Anderson, Martin Provost, Éric Toledano, Olivier Nakache, Guillaume Nicloux, Amos Gitaï, Micha Wald, … Tu es la fois discret et présent. Qu’est-ce qui fait que tu y vas et que tu fais confiance à des réalisateurs ?

G. L-R. : Ça peut être plein de choses différentes. Ça dépend même des époques. Il y a eu des époques où on me proposait beaucoup de rôles un peu pareils. J’étais beaucoup plus jeune. On m’a fait beaucoup jouer des fils de bonne famille, des amoureux transis, des bons petits gars, etc. J’étais heureux qu’on me propose autre chose du coup, je suis plus allé vers ce genre de rôles, même si ce n’était pas forcément un choix de cœur au départ, pour éviter de faire ce que j’avais déjà fait. J’ai été très heureux de commencer à jouer des méchants, par exemple. Ça, ça peut être une première raison. La deuxième raison, c’est surtout le hasard. Les projets, parfois, arrivent au compte-gouttes, parfois il y en a trop. Il faut choisir, l’un et pas l’autre. On voudrait les faire tous. Parfois, il n’y en a pas, et on a quand même besoin de travailler pour avoir de l’argent, on prend ce qu’il y a, on ne choisit pas du tout. C’est très varié et cette discrétion dont tu parles, elle se fait parfois malgré tout ça. Parfois, elle est assumée, parfois pas. C’est au cas par cas.

Même au départ, même économiquement, il y a des films très pauvres, où il n’y a pas d’argent du tout et qu’on fait vraiment par conviction. Les Chansons d’amour, c’était typiquement un film fauché. Il n’y avait pas un centime au début. Tout le monde était très mal payé, après, on a eu un peu d’argent. Personne n’y croyait, ne voulait miser un centime dessus. Ils se sont tous mordus les doigts après, les producteurs qui avaient dit non. Le film a fait tout le tour de Paris.

Tu n’as jamais envisagé de devenir producteur ?

G. L-R. : Ah, c’est tout un métier. Bien sûr, accompagner des jeunes auteurs, ça fait rêver tout le monde parce que d’un coup, on a un peu plus de pouvoir pour essayer de faire vivre les projets. Moi qui suis réalisateur, qui essaye de faire un deuxième film parce que les producteurs me disent non, bien sûr que j’y ai pensé.

« Gloria Mundi » de Robert Guédiguian

Tu es intervenant à la Fémis et au Conservatoire. Qu’est-ce que tu y donnes comme cours et qu’essayes-tu de transmettre à la relève ?

G. L-R. : À la Fémis, je donne des cours de direction d’acteur, souvent avec des acteurs qui viennent d’écoles de théâtre, du Conservatoire national supérieur d’art dramatique ou d’autres écoles comme l’ENSAD. J’essaye d’apprendre aux gens de la Fémis à se familiariser avec les acteurs, souvent, ils ne leur sont pas du tout familiers car ils manquent de culture, notamment théâtrale. Mon métier, c’est d’essayer de leur dire : « Voilà ce que c’est un acteur. Ce n’est pas une bête sacrée, vous pouvez toucher, vous pouvez appuyer sur le bouton, il peut jouer plus vite, moins vite ». Je leur apprends des techniques pour diriger des acteurs et comprendre des scènes. Au Conservatoire, ce que je fais, c’est un cours très spécifique sur les vers, les alexandrins. Comme c’est vraiment ma spécialité, j’ai une technique très spéciale, très personnelle que j’enseigne aux élèves.

Dans quelle mesure le théâtre peut-il aider un jeune réalisateur ou un jeune comédien ?

G. L-R. : Le théâtre, c’est là où c’est technique Alors, évidemment, c’est organique, on sent les choses mais on apprend à faire, à fabriquer. Être acteur, c’est savoir faire semblant. Il faut savoir fabriquer une émotion, une colère, une tristesse, une réplique, n’importe quoi. C’est comme faire une baguette de pain. Il n’y a pas le kit. Il faut apprendre à mettre la pâte, etc. C’est un métier très pratique. Il y a beaucoup de réalisateurs qui pensent qu’on peut prendre des gens dans la rue et les filmer parce qu’ils ont une présence. Évidemment, les gens ont une présence parfois dingue et on a envie de les filmer. Mais dès qu’il s’agit de jouer, de fabriquer quelque chose, c’est souvent limité ou alors il faut les prendre exactement pour leur emploi. Mais si on veut commencer à fabriquer des histoires et à faire des fictions, il faut avoir la technique de direction d’acteur et ça, c’est une technique de théâtre.

Propos recueillis par Katia Bayer

The Watchman de Ali Cherri

Le sergent Bulut, dont on ne connaît pas le prénom, surveille à longueur de journées et de nuits, les frontières qui bordent le village chypriote Lourujina, placé sous contrôle de la République autoproclamée turque. Perché dans sa tour de guet, celui qu’on observe observer est gagné peu à peu par la paranoïa de ce climat militaire omniprésent. Lauréat du Grand Prix du court-métrage à Cinémed 2024, The Watchman réalisé par Ali Cherri, illustre avec brio les différentes conséquences qu’une zone géographique touchée par les conflits militaires peut entraîner sur ses habitants.

Dès les premiers plans du court-métrage, les reliefs montagneux chypriotes sont inscrits dans les yeux rougis du jeune sergent. Les gouttes de sueurs perlent sur sa nuque après sa nuit de garde dans cet environnement aride et chaud. Il accuse le coup de cette surveillance exténuante qui le prive de sommeil. Les longs plans fixes silencieux témoignent également de la solitude du personnage. Cette solitude mêlée à de la nervosité atteint son apogée lorsqu’un oiseau décède dans la tour du sergent. On peut déceler une similitude entre le sergent perché dans sa tour en bois, et l’oiseau, un animal qui a pour habitude de se tenir en hauteur pour surveiller les alentours. Un gros plan centré sur le visage du sergent laisse d’ailleurs entrevoir les plumes de l’oiseau mort au premier-plan.

Cette omniprésence de la mort liée à la militarisation de la région touche également les villageois de Lourujina. Le protagoniste est invité à prendre le café chez une dame âgée qui se plaint de l’écho vide de sa maison dont les murs sont décorés par des portraits de sa famille absente. Elle s’inquiète pour ses enfants partis pour l’armée, qui pourraient trouver le même destin funeste que certains précemment tombés au combat. C’est peut-être ce climat et cette attente incessante qui amène le sergent à imaginer et anticiper l’arrivée de soldats ennemis.

Dans plan large somptueux (ou cauchemardesque ?), le sergent Bulut, de nuit, braque sa lanterne sur une rangée de soldats dont les mouvements synchronisés fascinants s’approche lentement de lui et de nous, spectateurs. On comprend que ces soldats terrifiants mais subjuguants sont probablement des fantômes de militaires morts au combat.

Cette rangée de soldats défunts peut rappeler cette célèbre scène tirée de l’un des huit courts-métrages qui composent le film Rêves (1989) réalisé par Akira Kurosawa, où un ancien commandant japonais se retrouve également face à un régiment de soldats-fantômes. On peut dresser un parallèle intéressant entre les deux courts-métrages. Les visages des soldats dans The Watchman semblent être en cire, dépourvus de yeux, arborant un teint blanc, fantomatique qui ne relève pas du vivant. Ils ne parlent pas et s’expriment à travers des bruitages que seul le sergent peut comprendre, comme si son destin était déjà lié à ces pantins. Cette scène relève de la peur, peut-être celle de devenir un mort parmi tant d’autres dans le chaos de la guerre.

Dans le film japonais, l’ancien commandant est confronté à une rangée de soldats défunts qui constituaient son régiment à l’époque de la Seconde Guerre mondiale. C’est ici, la culpabilité du commandant, qui se fait ressentir. Les soldats attendent ses ordres, et le vieil homme doit leur rappeler qu’ils sont morts et que lui seul, a survécu. Ils communiquent en japonais et le commandant se rappelle les noms des soldats. Ils ont donc un visage et un nom, contrairement aux militaires du court-métrage d’Ali Cherri.

Le jeune sergent a encore la vie devant lui, tandis que le passé militaire du commandant japonais est derrière lui. La forme de ces deux rêves est similaire, mais les émotions qui en transparaissent s’opposent.

La conclusion dans The Watchman ouvre plusieurs perspectives et interprétations possibles. On ne sait pas quelle voie prendra le jeune sergent, s’il sera attiré par ces étranges soldats qui veulent l’emmener avec lui, s’il s’éloignera de ce monde militaire ou s’il peut même faire un choix. Toutefois, Ali Cherri parvient parfaitement à nous immerger dans la psychologie et les émotions troubles du protagoniste impacté par les instabilités de cette région rongée par les conflits militaires. Très marquant, The Watchman mérite amplement son Grand Prix du court-métrage à Cinémed.

Laure Dion

Consulter la fiche technique du film

W comme The Watchman

Fiche technique

Synopsis : Sergent Bulut, un jeune soldat chypriote turc effectue son service militaire à Lourujina, village sous le contrôle de la République autoproclamée turque. Chargé de surveiller la frontière depuis une tour de guet, il commence à voir des choses étranges se produire…

Genre : Fiction

Durée : 26’

Pays : Italie, France

Année : 2024

Réalisation : Ali Cherri

Scénario : Ali Cherri

Image : Bassem Fayed

Montage : Denis Bedlow

Musique : Cynthia Zaven

Son : Stavros Terlikkas, Simon Apostolou

Interprétation : Halil Ersev Gökçek

Production : Fondazione In Between Art Film, KinoElektron

Article associé : la critique du film

Les belles cicatrices de Raphaël Jouzeau, Prix Émile-Reynaud 2024

Α l’occasion de la 23e édition de la Fête du cinéma d’animation coordonnée par l’AFCA (Association Française du Cinéma d’Animation), s’est tenue lundi passé au cinéma Le Méliès (Montreuil), la cérémonie de remise de Prix Emile-Reynaud 2024.

Parmi les 7 films en lice, Les belles cicatrices de Raphaël Jouzeau a obtenu le Prix Émile-Reynaud 2024 attribué par les adhérent·es de l’AFCA.

Depuis 1977, le Prix Émile-Reynaud est attribué à un court métrage français de l’année. C’est à la fois un hommage à ce pionnier de l’animation et une reconnaissance de filiation entre son travail et celui des créateurs contemporains.

Les belles cicatrices a fait l’objet d’une critique sur Format Court à l’occasion du dernier Festival de Cannes où le film figurait en compétition officielle. Il est visible en ligne, grâce à Court-Circuit (Arte).

Synopsis : Gaspard aime toujours Leïla. Un mois après s’être quittés, ils se retrouvent dans un bar bondé. Alors que le rendez-vous tourne mal, Gaspard se réfugie sous la nappe, loin des regards et plus près des souvenirs.