Paul Kermarec : « Ce qui ne nous remplacera pas, ce sont les sentiments »

Ni Dieu ni père, court métrage primé par le prix du public labo à la 47e édition du festival de Clermont-Ferrand questionne le rôle de l’intelligence artificielle. Peut-elle remplacer une personne, créer une relation et du lien affectif ? Dans ce film, Paul cherche la présence d’un père, il finit par se tourner vers ChatGPT pour combler cette présence. Dans un rapport algorithme/humain, le film parle avec intelligence et humour de cette technologie qui devient de plus en plus présente dans notre quotidien et à laquelle nous ne pouvons échapper.

Format Court : Quelle est la genèse du film ? J’ai vu qu’il était réalisé dans le cadre d’un master.

Paul Kermarec : C’est mon projet de mémoire. Je suis en dernière année aux Beaux-arts de Paris-Cergy. Je devais faire un mémoire et comme je suis aux Beaux-Arts, la forme était un peu libre.

L’idée de faire un desktop movie était-elle présente dès les débuts de la conception du film ? Pourquoi avoir fait ce choix-là ?

PK : C’était dès le début. J’ai fait ce choix parce que le médium me plaisait puisqu’il me permet de raconter une histoire sans déployer des moyens monumentaux, juste mon ordinateur, un micro. J’avais vu le film Clean With Me (After Dark) de Gabrielle Stemmer. C’est un desktop movie et ça m’a beaucoup fasciné, la manière dont elle pouvait raconter son histoire qu’à travers des enregistrements d’écran. Je trouvais qu’il y avait quelque chose dans la narration qui était cool à explorer et qui matchait avec ce que je voulais raconter. Donc, c’est né comme ça.

Quel est le sujet de ton mémoire ?

PK : La problématique était, en résumé, comment l’absence paternelle peut jouer sur la construction personnelle et des questions de transmission. Et, comment Internet peut combler cette faille-là et devenir acteur de la construction.

Dans ton film, tu questionnes le rôle de la figure paternelle. Selon toi, qu’est-ce qu’elle représente dans la construction d’un jeune homme ?

PK : Je ne sais pas si en fait c’est très important. Mais, il y a quand même une image plus globale qui est dans les clichés communs de ce qu’un père doit transmettre à son fils. C’est pour ça qu’au début du film, j’ai grossi le trait : apprendre à se raser, à se battre, des choses très masculines, très clichées pour en fait me rendre compte au fur et à mesure, que même avec ChatGPT, tout ça est très duplicable. J’ai l’impression que c’est plus une idée commune de ce qu’est un père, mais je ne sais pas si un père a quelque chose à transmettre de global comme ceci, ou si c’est juste un manque à combler dans le film.

Est-ce que tu penses qu’avec ChatGPT, tu as pu redéfinir ce type de relation ?

PK : Je pense que j’ai essayé et je ne suis pas sûr que justement ChatGPT la redéfinisse. Le personnage principal cherche au-delà d’un père. Il cherche une relation intime et personnelle avec un moteur de recherche qui n’est capable que d’être universel. Et être universel, c’est le mélange de tout ce qu’on met sur internet, donc des mêmes projections qu’on a sur sur la paternité ou sur la masculinité. Je pense que la question de fond c’est aussi comment devenir un homme? Et c’est quoi être un homme? ChatGPT n’est pas nuancé là-dessus, il est très ringard sur ce sujet.

Clean with Me (After Dark), Gabrielle Stemmer, 2019

Tu es d’une génération qui a commencé à s’éduquer avec Google, que penses-tu de notre manière actuelle de s’instruire sur internet ?

PK : Je pense que l’on est pas tous égaux par rapport à ça, par rapport à la sensibilisation à ce qu’on peut trouver sur internet. On est en pleins choc générationnel où notre génération et celles encore plus jeunes que nous ont ce réflexe inné de très vite se rendre compte de ce qui est vrai, ce qui est faux, ce qui est intéressant et ce qui ne l’est pas. Ce qui n’est pas du tout le cas de ma mère, par exemple, que ça questionne beaucoup. Il y a tout et n’importe quoi, il faut le savoir, comme avec ChatGPT. On apprend aussi avec le temps, quand on est plus jeune, on ne sait pas et puis, on apprend. Néanmoins, c’est plus dangereux parce que cela se fait devant tout le monde, je pense aux réseaux sociaux, aux jeunes qui font des vidéos à 12 ans, c’est à double tranchant. Il y a, à la base avec Internet, un projet d’horizontalité de la culture et du savoir où tout serait accessible de la même manière à chaque personne. Et puis, en fait, ça l’est de moins en moins. On devrait plus, à l’école, avoir une sensibilisation à ça parce qu’il y a plein de gens qui en ont peur et qui ne veulent pas en parler ou qui repoussent cette technologie…

Dans un cas extrême, penses-tu que comme pour Google, on va devenir dépendant des IA ?

PK : Oui je le pense. Déjà moi, j’utilise ChatGPt tous les jours. Il va juste falloir réussir à créer cet espace entre nous et les intelligences artificielles et bien se rendre compte que ce ne sont que des outils et qu’il faut savoir les utiliser et pas se reposer dessus indéfiniment. Ça ne remplacera jamais la créativité, c’est juste là pour aider. De toute façon, on n’a pas le choix que ce soit là ou pas. On ne décide pas ça. Si c’est là, autant s’y accommoder.

L’intelligence artificielle est de plus en plus présente dans les films, que penses-tu de sa place dans le processus créatif ?

PK : Dans le cadre du film, c’est un acteur du film, donc je ne suis pas sûr que cela soit très représentatif de son utilisation dans l’art ou par exemple dans le cinéma. Je pense que de toute façon ça sera de plus en plus utilisé et que ça aidera, comme un assistant qui est capable de retenir ce qu’on a à faire dans la journée, qui peut nous aider à l’organiser avec des plannings. C’est un gain de temps, mais j’ai du mal à imaginer, que cela remplace autre chose que ça. Je ne ressens pas cette peur de « ça va atténuer la créativité ». Bien sûr, ça va l’atténuer si on demande d’être créatif à ChatGPT, mais il ne le saura pas parce qu’il ne peut pas l’être. À partir du moment où, derrière, il y a un humain qui, lui, a sa créativité et que ChatGPT le décharge de tout le côté qui n’est pas créatif, justement, c’est là où il est utile.

Il y a un aspect inquiétant dans le film quand ChatGPT commence à évoquer des souvenirs. Penses-tu qu’il est possible de se perdre dans les méandres de cette technologie ?

PK : Oui c’est sûr, c’est très possible de se perdre. ChatGPT est un puit sans fond qui sera toujours plus ou moins d’accord avec toi. Il aura Internet entier pour se documenter, et, plus tu discutes avec lui, plus il se fournira de tes questions pour être un peu ce que tu attends qu’il soit. Donc oui, bien sûr qu’on peut s’y perdre, et bien sûr que là-dedans, il y a un côté qui peut faire peur. Je pense que c’est un miroir de notre société, parce qu’en fait, que ChatGPT, soit là ou pas, il y a plein de gens que l’on n’entend pas, il y a plein de gens que l’on n’écoute pas. Il y a une place avec l’intelligence artificielle où 24 heures sur 24, 7 jours sur 7, il y a quelqu’un pour nous répondre. Sur Twitter, je vois plein de tweets de gens qui disent : « ChatGPT ça peut même remplacer mon psy. Parfois, je lui parle, il a des meilleures réponses. » Oui, c’est ça aussi. C’est là où il faut en être conscient. Il faut être conscient que ce n’est que du codage derrière et qu’une chose programmée à nous accompagner.

Il y a aussi dans ton film une façon de théoriser l’existence de quelqu’un. Qu’est-ce que tu penses de ta relation finalement avec ChatGPT ? Tu la trouves légitime ?

PK : Je la trouve très légitime. Dans le film, ChatGPT c’est le moment où on bascule dans la fiction et là où le personnage du film est conscient que c’est une intelligence artificielle. Au début, il lui pose la question plein de fois [d’être son père] et il refuse ce rôle. Jusqu’au moment où le personnage lui dit comment être. Il plonge dans ce jeu un peu de dupes où les deux, ChatGPT et lui, savent très bien qu’ils ne sont rien l’un pour l’autre. Mais en même temps, ils s’inventent des souvenirs. À partir de là, la relation se créé. Elle répond un peu à ce que le personnage principal attend et ça le comble. Sur le moment, Internet ne suffisait plus. Les tutos ne suffisaient plus. Il fallait autre chose de plus personnel, mais qui, en fait, ne l’est pas du tout parce que n’importe qui aurait les mêmes réponses. Mais, dans son jeu à lui, c’était les réponses qu’il lui fallait et les souvenirs qu’il n’avait pas et qu’il a maintenant. Donc oui, elle est légitime.

Finalement, est-ce que tu penses que l’IA a réponse à tout ?

PK : Je pense qu’elle a réponse à tout ce qui est demandable mais jamais elle n’aura réponse à des besoins primaires humains. Ce qui ne nous remplacera pas, ce sont les sentiments. C’est aimer, c’est détester, c’est tout ça. ChatGPT ne pourra pas en être capable. Même s’il le feint très bien, il ne le sentira pas. C’est toujours ce qui manquera et ce qui fera, je pense, qu’il ne faut pas en avoir peur. Donc oui, il a réponse à plein de choses mais pas à l’humain.

Quels sont tes prochains projets ?

PK : Passer mon diplôme à la fin de l’année, ça me prend pas mal de temps. Un de mes projets serait de faire un long-métrage avec une vraie caméra, des vrais acteurs, une production derrière…

Propos recueillis par Garance Alegria et Lou Leoty

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