Les Corti d’Autore à Locarno

C’est la fin de l’été et déjà les premières lueurs de l’automne apparaissent. En ce temps de rentrée, que de mieux que de se remémorer quelques instants estivaux ? Et ainsi, se replonger dans le fameux festival suisse italien de Locarno qui a eu lieu en août. Une rencontre éclectique avec notamment une vaste proposition de courts métrages, mis à l’honneur cet été avec trois compétitions au sein de la catégorie « Pardi di Domani ». Nous y retrouvons une compétition internationale, une nationale et une nommée « Concorso Corti d’Autore » qui regroupe les courts métrages de réalisateur.ice.s établi.e.s.

C’est à cette dernière que nous prêterons attention. « Pardi di Domani » promet « un territoire pour l’expérimentation et les formes innovantes de poésie ». Un pari tenu, puisque parmi les dix œuvres des Corti d’Autore, nous pouvons apprécier un kaléidoscope de visions cinématographiques. Des propositions touchantes, des regards émergents et un goût prononcé pour raconter les histoires. Dix courts métrages qui questionnent notre part d’humanité, de belles visions poétiques qui remettent en question les structures normées et conventionnellement acceptées.

Ces réalisateur.ice.s ont à cœur de nous conter des histoires. Dans The Masked Monster, court métrage coréen, le réalisateur Syeyoung Park nous dévoile un conte horrifique en noir et blanc. Cette fulgurante apparition ou plutôt émanation de nos peurs irrationnelles est telle que nous suivons avec effroi les aventures d’une sœur et d’un frère tourmenté.e.s par les vices les plus cruels de nos existences à l’image de la peur et de la violence. Perdue dans une forêt, la sœur est à la recherche de son frère qu’elle a abandonné en échange d’un sac de riz. Inquiète de sa sûreté, elle essaie de le retrouver au plus profond des bois, prête à marchander avec un corbeau sournois, guide métaphorique d’un destin fatidique. Dans la forêt, se cache aussi une créature masquée. Anonyme, elle est le visage de nos inquiétudes les plus primaires. Tour à tour, c’est contre elle que se débattent nos deux protagonistes, aveuglé.e.s par la peur, occultant les intentions inoffensives du monstre. Car, il n’est de monstre que le nom, le mal que celle-ci représente n’est qu’illusoire puisque rien ne prouve son agressivité. Ainsi, la sœur l’attaque une première fois et prend alors sa place, devenant dorénavant la créature. Sous les traits du monstre orné d’un masque et dans l’incapacité de parler, elle continue de poursuivre son frère, qui finit par l’abattre retranché dans son instinct de survie. Finalement, ces deux êtres voués à se retrouver seront réduits à se confronter dans la violence, sous le regard mesquin du corbeau. Ce conte se rapproche de la fable, miroir de nos peurs, de la crainte de l’inconnu et de la violence réactionnaire. Accompagné d’un univers sonore strident, composé de cris et de percussions, ce film atypique et brutalement beau s’est vu décerné une Mention spéciale au festival.

La violence est aussi au cœur du film français de Caroline Poggi et Jonathan Vinel : La fille qui explose, qui a obtenu une nomination aux European Film Awards en tant que candidat de Locarno. Dans un univers numérique, une jeune femme nous raconte qu’elle ne cesse d’exploser. Son avatar éclate et laisse place à un corps reconstitué de bout en bout et à un visage défiguré. Le film suit la narration de ce personnage qui nous parle de sa relation avec une personne qui ne lui parle plus, de sa solitude et de ses interrogations. Son histoire est celle d’une angoisse, une angoisse générationnelle face à un monde de plus en plus en proie aux atrocités, et d’une question : « Elles vont où toutes ces horreurs ? ». Que devient toute celle violence qui nous entoure ? La fille qui explose y répond : elle est partout. Elle ricoche sur tout ce qui existe, s’infiltre dans nos vies, dans nos corps, dans nos vêtements. C’est esthétiquement choquant, cru, gore et perturbant. On s’interroge alors : est-ce que montrer des horreurs, dénonce l’horreur ? Cela prend sens dans le film de Caroline Poggi et Jonathan Vinel et fonctionne. Une dystopie inquiétante dans un univers de jeu vidéo et un personnage tourmenté par des troubles existentialistes. Finalement, cette histoire est celle d’une personne à bout, à force d’exploser littéralement, elle finit par chercher à détonner pour de bon et mettre fin à son clavaire. Le film devient ainsi une lettre d’adieu, à l’image de nos tourments. C’est une mise en scène déstabilisante pour un court métrage renversant.

Face à cette violence existe pourtant une lueur d’espoir. Un sentiment qui se manifeste par la tendresse avec laquelle ces réalisateur.ice.s écrivent leurs histoires. Le grand lauréat de cette compétition, un film produit par la Palestine, la France et l’Italie, réalisé par Maha Haj et intitulé Upshot (récompensé du Pardino d’Or) en est l’exemple. C’est avec un regard tendre que la réalisatrice nous dévoile une œuvre bercée par une douceur amer. Dans l’insouciance des discussions d’un couple à la campagne, dans un futur lointain, quelque part, se trame les tourments d’une actualité déchirante. Il et elle sont ancré.e.s dans une routine casanière au maintien de la ferme. Une série de repas se joue devant nous, l’occasion d’évoquer les aléas du quotidien de leurs enfants. Leurs aspirations, l’avenir qu’iels espèrent pour eux, la santé des petits-enfants, des dialogues qui font sourire tant par l’affection qu’ils témoignent que par leur banalité. Cette tranquillité tangible se craquelle à l’apparition d’un journaliste devant leur propriété. En demandant une interview à ce couple reclus de la société, des interrogations surviennent. La réalité rattrape l’insouciance des scènes précédentes. Le journaliste nous révèle qu’iels sont des survivants des bombardements à Gaza et qu’il souhaite recueillir leur témoignage sur leur famille marquée par le drame. C’est le deuil que peint Maha Haj dans son film. La perte et un rappel flagrant des horreurs ignorées. Leurs enfants ne sont que les mirages d’une réalité fantôme, marquée par les espoirs qu’iels auraient voulu pour elleux qui ne sont plus. Vivre au travers de ces souvenirs inventés est une manière de faire face au drame, car comment résister devant l’atrocité de ce qui est advenu et qui continue de se perpétuer sous nos yeux à l’heure actuelle ? C’est avec la plus grande empathie que la réalisatrice aborde le sujet. Ses personnages sont emplis de tendresse. L’absurdité n’est pas celle de leur illusion mais bien celle d’une réalité trop brutale. Le film nous confronte à ce qui ne peut être ignoré, à ce qui est en train d’arriver à des milliers de personnes en ce moment même. Ce Léopard d’or récompense la maîtrise de cette cinéaste et rappelle que l’art est politique, il est vecteur d’une parole, d’une voix qui s’élève pour témoigner de notre monde. Si il est porteur d’espoir, il est aussi une marque dans notre histoire. Et c’est pour cela qu’Upshot émeut autant qu’il est nécessaire.

Les Corti d’Autore sont innovants, inspirants et exigeants. Ces trois courts métrages bouleversants sont un aperçu des dix films qui composent cette compétition animée par un désir cinématographique fort. Les réalisateur.ice.s de cette programmation ont démontré leur talent pour écrire un récit ou expérimenter les formes visuelles. Ces courts métrages suscitent la curiosité, ils sont piquants et touchants, leurs regards témoignent d’une d’envie insatiable de cinéma.

Garance Alegria

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