Lors du Festival Entrevues Belfort 2023, Camille Tricaud a présenté son film Ralentir la Chute, co-réalisé avec Franziska Unger. Le court métrage raconte l’histoire de deux athlètes de saut à ski (Coline Mattel et Verena Altenberger) qui se rencontrent après leur rupture amoureuse pour tourner une pub pour des sponsors. La présence de Coline Mattel, la première médaillée olympique française de saut à ski de l’histoire, comme actrice principale apporte une dimension particulière à l’histoire.
Format Court : Tu es française mais tu as habité en Allemagne pendant des années. Comment as-tu commencé à y travailler ?
Camille Tricaud : J’ai commencé à faire des films un peu bricolés, toute seule et avec des amis… Réaliser n’était pas du tout mon objectif dès le départ. Je suis partie en Allemagne quand j’avais 20 ans, j’ai fait une fac de philosophie et j’ai présenté le concours de l’école de cinéma de Munich à un moment où je me suis rendue compte que le cinéma, c’était quand même quelque chose qui m’intéressait. Je me suis retrouvée dans le milieu du cinéma en Allemagne, alors que ce n’était pas forcément un parcours que j’avais prévu au départ. Je suis restée là-bas pendant tout le temps de mes études. Ce qui est marrant, c’est que le cinéma allemand ne m’a pas forcément marquée, mais il y a des rencontres que j’ai faites à ce moment-là qui ont été très importantes, notamment, les personnes avec qui je continue à travailler aujourd’hui, comme Franziska, ma co-réalisatrice, mais aussi Félix [Herrmann] et Max [Maximilian Bungarten], les deux producteurs du film. On a monté ensemble une société de production [Benedetta Films]. Notre fonctionnement est plus comme un collectif qu’une boîte de production normale. On est tous à la fois réalisateurs et producteurs et, selon les projets, on change un peu de casquette.
J’ai commencé par faire du cinéma documentaire. J’ai réalisé un premier film Les Sauvages qui a été montré au festival Côté Court, où mes personnages faisaient un peu de la performance. C’est une manière de travailler que j’ai découverte dans le documentaire, mais qui m’a de plus en plus donné envie d’aller vers la fiction, de partir de rencontres avec des gens et des lieux réels. Dans Ralentir la Chute, il y a eu aussi un point de départ qui a été la rencontre avec Coline Mattel, l’actrice, qui est surtout une athlète du saut à ski qui avait arrêté depuis 2 ans. Le film est parti de son expérience, de tout ce qu’elle nous a raconté. L’idée n’était pas de retranscrire exactement ses expériences, il y avait une transposition très libre.
Ce que tu as pris d’elle, c’est plutôt cette ambiance du sport ou son histoire personnelle ?
CT : Ce que j’ai pris d’elle, c’est le contexte, mais aussi ce qui l’a touchée. Il y avait des choses qui me touchaient dans ce sport, mais d’un point de vue extérieur. C’est un sport très médiatisé en Allemagne et en Autriche. Il y a quelque chose de très commercial, avec énormément de marketing. Finalement, tu as peu accès au sport en tant que tel. Une compétition de saut à ski, c’est un peu l’horreur, il y a de la musique en permanence, de la pub partout. Pourtant, le sport en soi est très simple, ce que fait l’athlète, c’est s’entraîner pendant toute l’année pour avoir une position correcte au millimètre près, pour que le corps intègre une mémoire de mouvement parfaite qui lui permettra de faire ce vol correctement. C’est ça qui m’intéressait.
Le titre Ralentir la Chute vient aussi de nos discussions avec Coline, et d’un moment où elle me disait que, dans le saut à ski, on pense à la dimension de vol, alors qu’il y a aussi l’image de la chute, et il faut que l’athlète la ralentisse. Cela m’a paru intéressant aussi pour la métaphore de la chute, qui était quelque chose qu’on pouvait relier à l’histoire du couple. Il y avait ce champ lexical qui s’ouvrait, qui était lié à la fois du au geste du saut et au parcours du personnage. J’ai trouvé cela assez beau.
En tant que binôme de réalisatrices, comment vous vous êtes réparties le travail ?
CT : On avait énormément de moments de discussion à deux. On était une sorte de trio, Franziska, le chef op Felix Pflieger et moi. Pendant le tournage, je dirigeais les comédiennes et Franziska était plus avec le chef op. On échangeait beaucoup, on se mettait d’accord sur ce qu’on faisait, mais pour simplifier la communication et pour que les actrices aient une seule interlocutrice, on a pris ces places.
Finalement, je trouve que le fait de travailler en co-réalisation, c’est vraiment à la fois une contrainte et aussi une force. Tout prend plus de temps parce qu’il faut prendre les décisions à deux, mais on ose aussi parfois tenter des trucs qu’on ne ferait pas toute seule. J’aime bien, c’est quelque chose que j’ai fait plusieurs fois.
Avec Franziska?
CT : Avec Franziska j’avais fait un premier court métrage et un clip. C’était des projets expérimentaux, sur un format très très court, mais qui au bout d’un moment m’ont moins intéressé parce que j’ai envie d’avoir de plus en plus de durée. J’aimerais bien passer à un long métrage pour avoir le temps de plus explorer des personnages.
Comment vois-tu la différence entre le court et le long ?
CT : J’ai l’impression que dans le court, l’avantage, c’est qu’on peut se permettre d’être assez extrême sur la forme. J’aime bien voir le court comme le poème en littérature; c’est vraiment très condensé. Ralentir la Chute, c’est un film concentré, chaque phrase est chargée, mais finalement ça ne prend pas le temps de raconter une histoire sur la longueur. J’aimerais bien essayer le format long parce que je ne l’ai pas encore fait, mais je pense que c’est super de continuer avec le format court pour avoir ce côté « film poème ».
Le film est très silencieux. C’est un silence très cohérent avec l’histoire parce qu’il nous met dans cet inconfort dans lequel se trouvent les protagonistes. Comment le son a-t-il été conçu ?
CT : Le son a été beaucoup créé en post-production. Une fois qu’on a été sur les lieux du tournage, on s’est rendu compte qu’il y avait une rivière qui passait en dessous du tremplin, des avions, des groupes de touristes, des drapeaux… La montagne est très parasitée par l’activité humaine, donc c’était pratiquement impossible de prendre du son direct de qualité. On s’est rapidement dit qu’on allait faire beaucoup de post-synchro, mais aussi qu’on allait enregistrer des sons ailleurs. Le son a quelque chose du collage, on a des bruits très précis à certains endroits, mais pas du tout une immersion plus réaliste. Les conditions du tournage ont défini ça, mais on s’est rendu compte que ça nous plaisait.
On ne voulait pas avoir un son réaliste qui comprenne tout ce qu’il y a dans ce lieu parce que ça serait trop. Finalement, on a choisi d’avoir une bande-son très simple, comme si on avait commencé par tout enlever pour remettre ensuite au fur et à mesure les sons. Pour moi, un des sons les plus importants c’est à la fin quand il y a le saut dans la nuit. Le bruit est discret mais on l’entend, c’est très étouffé. Pour nous, c’était important de l’avoir; mais même ce moment-là est construit en post-production.
Une image de Coline liée à une compétition apparaît dans le film. Est-ce une vraie image d’archive ?
CT : C’est une image d’archive, un saut authentique de Coline aux JO de Sotchi en 2014. Cette idée est arrivée assez tard. On a eu envie de l’intégrer ça parce que d’une part, il y a quelque chose d’assez étonnant sur le fait que notre comédienne soit aussi une ancienne championne, mais aussi, il y a un sous-texte que la plupart des spectateurs ne saisissent pas forcément : il se trouve que les JO de Sotchi étaient les premiers de l’histoire où les femmes étaient autorisées à participer au saut à ski.
Propos recueillis par Bianca Dantas