Palme d’or 2023 du court-métrage à Cannes, 27 de la réalisatrice hongroise Flóra Anna Buda nous donne à voir la solitude et l’égarement d’une jeune femme à notre époque. En passant par des gestes doux et fluides et des transformations psychédéliques, ce court-métrage d’animation, Cristal du court-métrage et prix de la meilleure musique originale à Annecy, nous fait voyager dans un quotidien mélancolique où rêves et réalité s’entrechoquent.
Alice a 27 ans et vit encore chez ses parents. Il ne se passe rien dans sa vie, elle est ‘‘une ratée’’ comme se plait à lui répéter son frère, et semble s’ennuyer. Le monde est au plus mal, la radio tourne en boucle des nouvelles pessimistes quant à l’avenir des jeunes en Hongrie, et rien n’est mis en place pour les aider. Ce décor annonce dès lors la couleur du film, les jeunes peinent à s’en sortir dans ce monde et ils ne sont pas heureux.
L’isolement et la solitude d’Alice sont illustrés par sa vie sexuelle, inexistante. Alice avoue avoir l’impression de porter constamment une ceinture de chasteté, objet contraignant mais également protecteur. Elle se masturbe cependant volontiers, ne reniant ainsi pas totalement la sexualité mais plus spécifiquement celle avec les autres. Ainsi, en refusant cette course à la sexualité, elle se permet de sortir du système où le nombre et la performance priment. Elle sort de ce qui est devenu un ‘ »marché » et s’émancipe en faisant des rêves érotiques où ses fantasmes les plus secrets sont réalisés, notamment un plan à trois avec des policiers.
La réalisatrice Flóra Anna Buda avait déjà abordé le thème de la sexualité féminine dans Entropia, son film de fin d’études réalisé en 2019, où trois femmes vivant dans des mondes parallèles se retrouvaient soudainement face à face dans une sorte d’apocalypse. À cet instant de chaos, alors que le monde autour d’elles semble disparaitre, ces femmes exploraient leur sexualité. Le désir féminin devint ainsi le seul moyen d’échapper (ou de survivre ?) au cataclysme.
27 se déroule le soir de son anniversaire, et tout va mal pour Alice. Le temps d’une nuit, Flóra Anna Buda nous montre les angoisses d’un âge décisif où se trouve notre personnage, à la fois adolescente révoltée par le monde et jeune adulte préoccupée par ses responsabilités.
Avec un ami, elle prend de la drogue, ils créent un espace à eux, hors des angoisses de la vie quotidienne. Ils dansent, leurs corps bougent selon un rythme incessant. Alice, presque en transe, repense alors à sa sexualité. Ce moment hors du temps est coupé par un retour à la réalité. Dans un moment étrangement poétique, elle se retrouve face à des enseignes lumineuses de la ville. Des mots tels ‘‘maison’’, ‘’vente’’ ou ‘’loyer’’ sont affichés, mais également ‘‘cosmos’’. Dans ce moment très beau, Alice semble réaliser ce qui l’attend très prochainement. L’angoisse du futur, des responsabilités, qui mènent inévitablement à des questions existentielles. Son visage se métamorphose en diverses couleurs et formes. On y voit des angoisses, des peurs, des idées. Ces amas de couleurs mouvants prennent finalement la forme d’une vulve colorée dont Alice sort. Elle s’échappe du marché de la sexualité, et refuse ce système capitaliste dans lequel elle ne se retrouve pas. Alice tombe du haut de cette vulve et, de façon brutale, retourne dans le monde.
Ce film d’animation permet des divagations entre rêve et réalités par un entremêlement surréaliste des mouvements et des couleurs. Les angoisses et les désirs y sont décrits avec poésie. Dans cette société dont il faut suivre le rythme effréné, les larmes d’Alice coulent à flot, elle a tout juste 27 ans.
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Article associé : l’interview de la réalisatrice