Arrivé à l’écran à l’âge de 16 ans, déjà bien établi en tant qu’acteur dans des séries comme Les Revenants, Une affaire française, ou l’adaptation de Les particules élémentaires de Michel Houellebecq; et dans les films d’Emmanuel Mouret, Rebecca Zlotowski ou encore Teddy Lussi-Modeste, Guillaume Gouix avait déjà dévoilé trois courts-métrages prometteurs : Alexis Ivanovitch vous êtes mon héros (2011), Mademoiselle (2014) et Mon royaume (2019).
Nous l’avons rencontré à l’occasion de la sortie de son premier long-métrage Amore Mio ce mercredi 1er février, distribué par Urban Distribution. Cette fiction réunit à l’écran Alysson Paradis et Elodie Bouchez, jouant deux soeurs parties en road trip suite au décès du compagnon de l’une d’entre elles. Retour sur sa carrière, sur les challenges du passage au long-métrage et son goût pour les films de personnages.
Format Court : Comment est née l’idée du film Amore Mio ?
Guillaume Gouix : J’ai toujours aimé les personnages un peu flamboyants, qui vont au-delà des codes et des conventions, qui disent “merde” là où normalement, dans la vie on n’ose pas le dire. J’avais justement l’impression que le deuil, pour l’avoir vécu comme tout le monde, est un moment un peu particulier où les gens attendent quelque chose de la personne endeuillée, comme s’il devait y avoir une bonne manière d’être triste. Du coup, j’ai eu envie d’écrire un personnage qui prenait le contre-pied. Je voulais faire un film sur le souffle de vie, et pas du tout un film morbide. Et puis, je suis passionnée par les rapports entre frères et sœurs, et tout ce que cela implique.
C’est vrai que c’est quelque chose que l’on retrouve assez souvent dans vos films…
G.G. : Dans Amore Mio, j’avais envie de parler de deux sœurs, Lola (Alysson Paradis) et Margaux (Elodie Bouchez), qui se sont perdues de vue et qui se rencontrent de nouveau à l’âge adulte suite à un événement tragique. Leur relation est restée très enfantine, elles ne se sont pas vues grandir et évoluer, elles ne connaissent pas leurs vies d’adulte et c’est cette relation que j’avais de questionner. Cette relation fraternelle, je la questionnais déjà dans Mademoiselle et dans Mon Royaume. Je trouve que c’est passionnant en termes de rapport humain parce que dans les familles, on se donne des places très tôt et on a beaucoup de mal à sortir des schémas pré-établis. On a du mal à changer notre perception des gens, alors que ces derniers évoluent, il faut apprendre à se connaître de nouveau, ce n’est pas une relation figée.
Tu aimes les personnages un peu meurtris, qui passent d’une sorte d’excitation positive à une certaine déception intense, pourquoi ?
G.G. : Je ne sais pas, peut-être parce que j’aime la littérature russe (rires) ! Je suis latin, j’ai grandi dans le sud, alors ça vient peut-être de là. Quand je joue, quand j’écris, ou même quand je suis spectateur, je préfère quand c’est un peu plus complexe que de simples émotions binaires. Les gens qui rient quand ils sont tristes, qui pleurent de joie, ça m’émeut. J’ai un penchant pour les personnages un peu rock’n’roll et irrévérencieux.
Dans Amore Mio, tu pars sur un film road trip pour finalement remettre un cadre de vie plus traditionnel en deuxième partie, pourquoi ?
G.G. : J’avais envie de faire naître la frustration. Tant que le personnage endeuillé de Lola (Alysson Paradis) fuit, tant qu’elle roule, tant qu’elle ne sait pas où elle va, elle ne se confronte pas au deuil, à ce que va être sa vie et celle de son fils. J’aimais bien l’idée d’une fracture pour qu’elle soit confrontée à la violence de son quotidien, que quelqu’un lui impose de manière un peu brutale et inattendue un retour à la réalité.
Tu as tourné avec Emmanuel Mouret, comment était-ce de travailler sous sa direction ?
G.G. : J’étais très étonné qu’il m’appelle parce qu’a priori, j’étais dans tout, sauf dans ses films. Je suis un peu plus terrien que les gens qu’il aime d’habitude. Mais j’ai adoré cette rencontre, c’est un cinéaste qui a une musique précieuse. Il emmène les acteurs. Quand on est acteur, on aime les réalisateurs qui ont une forte personnalité, Emmanuel a une patte que personne ne peut nier. C’est vraiment un metteur en scène que j’ai adoré, j’espère qu’on se retrouvera.
Est-ce que ta carrière d’acteur t’a aidé à diriger tes acteurs.rices? Si oui, de quelle manière ?
G.G. : Je ne pourrai pas dire de quelle manière cela m’a aidé, mais c’est certain que cela a joué. La direction d’acteur, c’est quelque chose de très particulier. D’un côté, il faut aller où on veut, à une interprétation très précise, et de l’autre, il faut aussi créer une aire de jeu pour les acteur.rices. Dans Amore Mio, tous ont respecté scrupuleusement le texte, en revanche, je voulais que dans les sentiments, ils se sentent très libres d’essayer, de créer… Je crois que ça se voit dans le film, il y a une sorte de liberté, de complicité, que moi j’adore regarder. J’ai eu ces expériences en tant qu’acteur où je n’avais pas peur du ridicule, j’avais la liberté de tout tenter et c’est vraiment ce que j’ai essayé de recréer pendant le tournage. Pour Amore Mio, on a eu la chance d’être une petite équipe, c’était quelque chose de très simple. Il fallait que le film soit vivant, solaire et lumineux, et on a eu aussi la chance que Alysson Paradis et Elodie Bouchez se sentent bien et se rencontrent pendant le film. Leur talent et leur complicité, j’ai l’impression que ça transpire à l’image.
Quand as-tu eu l’envie de commencer à réaliser tes propres films ? Comment ça s’est fait ?
G.G. : Dès le Conservatoire de Marseille et l’École Régionale d’Acteurs de Cannes, je prenais le camescope, je filmais mes potes, j’essayais de faire des choses. Je ne dissociais pas vraiment les deux métiers. Quand on est acteur, on a aussi du temps libre, et dans ces moments-là, il faut rester créatif. Ça s’est fait un peu comme ça, ça n’a pas été un changement de cap soudain, j’ai toujours mêlé les deux. Mes premiers courts-métrages, Alexis Ivanovitch vous êtes mon héros et Mademoiselle, sont nés de l’envie d’écrire pour mes proches. Ça s’est fait très naturellement.
Qu’est-ce que le passage par le court t’a appris ?
G.G. : J’ai pris les courts-métrages comme des films à part entière, comme des films de 15 minutes qui me suffisaient pour raconter ce que je voulais raconter. Ça m’a appris à être sur un plateau, à m’intéresser à ce que chacun faisait : photographe, chef op, ingé son… Être réalisateur, c’est comme être chef d’orchestre de plein de personnes talentueuses.
Alexis Ivanovitch vous êtes mon héros date d’il y a plus de 10 ans. Comment s’est passé le tournage de ce film ?
G.G. : C’était très naturel. Je crois que les gens étaient assez contents d’être là. Ça frôle un peu l’artisanat pour moi, et je ressens la même chose quand je joue. Je ne me mets pas de pression particulière. J’ai essayé de rester un maximum dans le plaisir de faire des choses que j’aime. C’était très instinctif. Je prenais beaucoup de plaisir avec les acteurs, avec les personnes en charge de l’image et du montage. J’ai beaucoup appris sur ce film, mais je crois qu’on apprend de film en film. J’ai l’impression que c’est un métier où l’on apprend en permanence. Quand on arrête d’apprendre, il faut arrêter. De la même manière, il faut mieux arrêter quand on est totalement sûr de ce qu’on fait. Je crois que les doutes font la qualité. Ça permet de rester curieux, c’est essentiel.
Comment as-tu choisi les personnes qui ont travaillé avec toi sur ce premier long-métrage ?
G.G. : Ça se passe souvent à l’écriture. Je choisis souvent des gens que j’admire, avec qui j’ai vraiment envie de travailler. Il n’y a pas eu de casting à part pour l’enfant. Amore Mio, je l’ai écrit pour Alysson Paradis. J’aime sa personnalité un peu rock’n’roll, son énergie un peu animale de mauvais garçon. Je ne voyais personne d’autre pour le rôle de Lola.
Et Elodie Bouchez, on se connaissait un petit peu mais c’est surtout une actrice iconique pour les gens de ma génération. J’aimais l’idée de lui donner du sarcasme et de l’autorité, elle qui est souvent dans la douceur et la rondeur. Mais tout s’est fait encore une fois de manière très intuitive et très simple.
Tu as mis un peu de temps à passer au long-métrage, est-ce un choix personnel ?
G.G. : À l’époque de Mon Royaume, j’avais déjà écrit un premier long que je n’avais pas réussi à financer. Pour Amore Mio, j’ai pris un peu plus de temps car je continuais de jouer en parallèle. J’étais sans doute moins assidu que les gens qui se consacrent à la réalisation.
Quelle est le grand défi du passage au long pour toi ?
G.G. : Amore Mio a des conditions très réduites donc je n’ai pas eu l’impression de passer à quelque chose de vraiment plus gros. Ça ressemblait un peu à mes courts-métrages. On était 25 dans l’équipe, c’était très artisanal. Après, le gros challenge, c’est le temps entre le scénario, la production, la post-production… Le temps où l’on vit avec le film dans la tête. C’est très long et très chronophage. Un court métrage, ça dure 2 mois, le long, ça dure 2 ans. Ce qui m’a le plus marqué c’est la patience et l’endurance qu’il faut avoir.
Quel souvenir retiens-tu de ton rôle dans Jimmy Rivière de Teddy Lussi-Modeste ?
G.G. : Je trouve Teddy Lussi-Modeste passionnant, Jimmy Rivière à la fois lyrique et à la fois cru. Il montre un monde qu’on ne connaissait pas. Et puis à titre plus personnel, c’était la première fois qu’on me laissait porter un aussi gros rôle. On m’avait vu quelquefois à la télé, mais ce film a vraiment marqué le début de quelque chose de nouveau, je me suis senti accepté dans une famille cinématographique. On m’a nommé aux César, ça ne peut être qu’un souvenir chaleureux.
Cela fait un moment que tu es dans le milieu. Trouves-tu qu’il a changé ?
G.G. : Aujourd’hui, il y a diverses façons de faire et de consommer des films. Le cinéma, c’est finalement une façon parmi d’autres. Moi, j’adore être en salles, je trouve qu’il y a quelque chose de sacré, un temps suspendu. Je vois aussi qu’il se passe plein de choses sur les plateformes, dans les séries… Ca a changé quelques paramètres, mais je pense qu’il y a une énergie pour que cela se passe bien et que de nouvelles formes naissent. Je suis un éternel optimiste.
Quels conseils donnerais-tu à des comédiens, pas forcément jeunes, qui souhaiteraient se lancer ?
G.G. : D’être patient et de savoir faire des choix, mais je sais que c’est plus facile à dire qu’à faire. C’est un luxe de pouvoir choisir. Je pense vraiment qu’une carrière d’acteur se construit avec les projets qu’on accepte de faire. Le conseil que je donnerais c’est d’essayer au maximum de choisir des projets dans lesquels on croit, et des réalisateur.rices avec qui on a vraiment envie de travailler.
Et après, mon vrai conseil aujourd’hui, c’est de prendre un caméscope, un iphone, ses potes et de faire des choses. Il y a plein d’endroits où l’on peut expérimenter. L’essentiel c’est de faire, de créer tout le temps, de rester curieux et créatif, et de ne pas attendre le téléphone ou un casting parce que c’est trop douloureux. Il faut se créer des armes, une famille… Moi, c’est ce qui m’a aidé, de faire des courts-métrages, de créer un monde et des liens.
Propos recueillis par Anne-Sophie Bertrand
Article associé : la critique du film