Il était une fois, dans la campagne finlandaise enneigée, un bûcheron du nom de Pepe. Il vivait paisiblement avec ses proches jusqu’au jour où la situation se dégrade brutalement pour lui. Pepe doit alors faire face aux différents drames de la vie. Voici L’étrange histoire du coupeur de bois, le premier long-métrage du réalisateur et poète Mikko Myllylahti entièrement tourné en 35mm. Le film a déjà obtenu huit nominations et un prix en festival. Sélectionné à la 61ème Semaine de la Critique à Cannes 2022, il sort en salles en France ce mercredi 4 janvier 2023, distribué par Urban Distribution. L’étrange histoire du coupeur de bois, sonnant comme un charmant conte de fées pour enfants, se trouve être en vérité une comédie dramatique morbide à l’allure fantasque.
Dans un monde teinté de tristesse et de vicissitude, Pepe reste de marbre. Malgré les événements tragiques – chômage, maladie, tromperie et deuil – le visage du protagoniste reste fermé. Seules les paroles prononcées permettent de déceler une émotion, la rendant alors encore plus frappante. L’écriture à la fois douce et aiguisée de Mikko Myllylahti met en exergue le contraste avec l’attitude insensible de ses personnages. Même lorsque la violence atteint son paroxysme, lors d’un meurtre ou un suicide, elle reste silencieuse, presque muette. Une frontière s’établit entre les actes et les mots, créant une atmosphère dérangeante.
On ne peut regarder ce premier film sans remarquer le travail minutieux des plans, où tout semble ajusté au millimètre. Les espaces géométrisés et les lumières travaillées mettent en valeur ce vide qui se détache d’un quotidien absurde marqué par la fatalité. De cette manière, le spectateur plonge aisément dans ce grand calme, couleur blanc neige.
Ce calme inquiétant et tout particulier au réalisateur rappelle l’atmosphère hors du temps du village enneigé de son dernier court-métrage The Tiger (2018), également programmé à la Semaine de la Critique, où la violence d’un père était cette fois-ci clairement exprimée. Dans ce film, après avoir beaucoup bu, un homme se dispute avec sa femme et sort son fusil de chasse. La femme et le fils, déguisé en tigre de la tête au pied, quittent la maison pour le fuir. Malgré tout, le petit “tigre” veut rentrer à la maison pour voir ce qu’il s’y est passé. La folie, l’illusion, la désillusion et l’amour étaient déjà abordés avec finesse, tout comme dans le court-métrage Handbag (2013) dans lequel une jeune femme de ménage vient de se faire quitter par son petit ami. Un jour, dans l’hôtel où elle travaille, elle tombe sur un petit sac à main blanc contenant une lettre adultérine. Minée par la curiosité et le chagrin de sa relation récemment terminée, elle s’immisce alors comme vengeresse dans une histoire d’amour qui ne la regarde pas. Le jeu d’acteur est ici très éloquent alors que L’étrange histoire du coupeur de bois est un film silencieux, ce qui en fait toute sa singularité.
Dans ce premier long-métrage du réalisateur, on se laisse prendre par le jeu inexpressif, la poésie étrange et l’humour sombre du scénario. Sans aucun doute, le côté remarquable de ce film est, justement, que le doute subsiste. Et si tout n‘était qu‘une illusion ? Qu’est-ce-qui est important et qu’est-ce-qui ne l’est pas ? A l’attitude du bûcheron Pepe, rien ne l’est, mais dans son discours, tout peut l’être. L’écriture percutante et imagée du scénario permet de mettre des mots sur l’insaisissable. Vacillant entre le fantastique et le réel, Mikko Myllylahti nous livre une philosophie personnelle et énigmatique fondée sur le doute.
Cette notion de doute quant au possible bonheur des personnages est déjà présente depuis les débuts du réalisateur, notamment dans son premier court Love is Vain (2009) réalisé à la ELO Helsinki Film School. Le film aborde la journée précédant le mariage d’un homme d’une trentaine d’années. Si on comprend très vite que celui-ci se marie par défaut, sa future compagne étant enceinte et qu’il n’est pas très heureux en couple, passant ses journées à traîner au bar avec ses amis, il finit par sourire de la situation et à s’en acquitter. La fatalité ne pose jamais problème au protagoniste, ce qui est également le cas dans L’étrange histoire du coupeur de bois.
« Il y a de la neige mais la température monte » lance un personnage usé de fatigue dans ce premier long. Peut-être est-ce la phrase qui se rapproche le plus de ce que montre le long-métrage : un danger grandissant, ou le cycle absurde de la vie. Flottant comme un mauvais rêve devant les yeux du spectateur, l’histoire absurde de Pepe nous livre non seulement un parcours initiatique – semblant de fausse chute aux enfers – mais aussi une vision personnelle et poétique du monde : un monde singulier de pantins émotifs.