Jurée au dernier Festival de Gand qui s’est terminé il y a un mois, Diana Cam Van Nguyen est une jeune réalisatrice tchèque d’origine vietnamienne. Son film de fin d’études réalisé à la FAMU à Prague, Love, Dad, a été diffusé dans le cadre du focus Locarno programmé lors de notre Festival Format Court 2021. Le film s’intéresse à une correspondance entre un père et une fille à travers un mélange de lettres déjà reçues et jamais écrites.
Format Court : Love, Dad est co-produit par plusieurs structures dont la FAMU à Prague. Comment ça se fait ?
Diana Cam Van Nguyen : C’est possible dans quelques pays, en République tchèque par exemple : on reçoit un chèque pour son film d’école. Mais pour avoir un budget, il faut compter sur le soutien d’une société de production professionnelle. Comme j’étais encore étudiante, mon film a été produit professionnellement pour l’obtention de mon diplôme. D’ailleurs, toute l’équipe, au son, à la lumière, à la co-écriture, était étudiante, et tout le monde a pu être payé grâce à ça !
Pourquoi as-tu choisi d’aller dans cette école ?
D.C.V.N : C’est la seule école pour faire du cinéma dans mon pays, et c’était mon rêve. Je voulais y aller après le lycée à 19 ans, mais je n’étais pas sûre de ce que j’allais faire là-bas. J’y suis allée pour un bachelor et j’ai rencontré des gens supers, mais j’avais l’impression de ne pas trouver ma place, sûrement parce que j’étais trop jeune, que je n’avais pas assez d’expérience et de technique pour raconter une histoire.
La plupart de mes camarades étaient plus âgés, ils avaient environ 30 ans – ce qui est normal à la FAMU, il n’y a pas d’âge limite. C’est pour ça que c’est dur d’y entrer, surtout il y a une dizaine d’années quand j’ai postulé. Au fur et à mesure, j’ai progressé et j’étais de plus en plus confiante sur mon travail.
As-tu directement choisi l’option animation ?
D.C.V.N : Oui, parce qu’on doit choisir dès le début quel sera notre domaine, même si on peut changer en cours de route. J’ai candidaté pour l’animation sans en avoir jamais fait. J’avais été dans une école d’art avant, en design et ça n’avait rien à voir ! Je dessinais beaucoup, et je voulais faire des films – une idée a germé dans ma tête : j’allais faire de l’animation, même si je n’y connaissais rien !
Comment te situes-tu par rapport au domaine aujourd’hui ?
D.C.V.N : Pour être honnête, maintenant, je n’aime plus vraiment en faire et je ne suis pas très douée. Je peux en faire, mais il y a des gens beaucoup plus talentueux qui arrivent à créer un mouvement fluide, ce qui n’est absolument pas mon cas. Je préfère y penser, être directrice artistique et donner l’idée à quelqu’un qui la reproduira en images. Et puis, l’animation me déprime un peu, parce que ça prend du temps, c’est un travail autonome, pas comme le plateau, avec la présence d’une équipe, la force collective du tournage. L’animation, c’est de la solitude devant un public.
Love, Dad est ton dernier film d’école, est-ce-que tu avais une consigne à respecter ?
D.C.V.N : Non, je pouvais faire ce que je voulais ! Et le sujet, je l’avais en moi depuis longtemps. Depuis mes 17 ans, je luttais avec mon identité, en me demandant à quelle culture j’appartenais – vietnamienne ou tchèque – et c’est pour ça que j’ai voulu traiter ce sujet. C’était important pour moi. J’écrivais ce que je ressentais sur le moment. J’étais vraiment contente parce que je ne savais pas vraiment ce que j’allais écrire, j’étais seulement dans un processus de comprendre ce qu’il s’était passé, comme une sorte de thérapie.
Tu as utilisé une technique vraiment mixte pour ce film, avec des lettres en papier, même s’il n’est plus très courant de correspondre de cette manière. D’où t’est venue cette idée ?
D.C.V.N : Au début, j’avais une idée de la technique qui était complètement différente. J’avais d’abord imaginé que les lettres de mon père se pliaient pour finalement former et incarner une sorte de personnage. Quand on a obtenu le budget d’une fondation, j’avais commencé à travailler là-dessus. Puis j’ai appris qu’on avait été sélectionné pour le CEE Animation Workshop, un atelier intensif d’une semaine avec des professionnels du monde entier, qui se déroule tous les mois dans une ville différente. Ma session était à Ljubljana, en Slovénie. J’ai rencontré un producteur français et un scénariste hongrois là-bas, ils m’ont suggéré de recommencer mon projet.
Après une semaine en workshop, alors que le film était prêt pour partir en production, j’ai décidé d’écouter vraiment leur conseil, et j’ai tout recommencé, notamment en écrivant une lettre à mon père. De cette lettre, est né le film. Je n’aurais jamais pensé faire un film si personnel par moi-même, qui va aussi loin dans les émotions, mais c’est arrivé. Ça m’a pris un an de plus pour finir le nouveau scénario.
Ces lettres, ton père te les a envoyées quand il était en prison. Tu les avais mises de côté ?
D.C.V.N : Oui, j’ai retrouvé ces lettres parce que je savais que je les avais gardées, cachées quelque part, et un peu oubliées. Je m’en suis rappelée, je les ai lues et je me suis dit : « c’est vrai, elles sont pleines d’émotions, d’amour ». Les miennes, il devait les avoir gardées quelque part, mais il les a perdues. Ce dont je me souviens, c’est que ce sont des lettres d’une petite fille de 11 ans, qui disent : « salut papa, aujourd’hui j’ai fait ci et ça à l’école ». En contraste, les lettres de mon père étaient poétiques, remplies d’émotions. Il y avait une histoire à faire là-dessus, sur cet enfant qui attendait son père en prison.
Qu’est-ce qui t’a donné envie de raconter cette histoire ?
D.C.V.N : Je pense que j’aime raconter ce que c’est d’être différent, ou d’être perçu comme tel dans une petite ville d’Europe de l’Est. Quand j’ai grandi, j’ai pu mieux comprendre ce que j’avais éprouvé enfant, pourquoi je me sentais comme ça. Par exemple, je me sentais moche, moins bonne que les autres, et ce sont des choses qu’on ne peut pas expliquer à un enfant. J’ai pu enfin comprendre ce que je ressentais. Finalement, j’ai réalisé que partager deux cultures n’était pas une mauvaise chose mais quelque chose d’unique.
Quand on voit ton premier court-métrage (The Little One, 2017) et ton dernier film (Love, Dad, 2021), il est clair que tu utilises ta propre histoire et le choc des cultures. Est-ce-qu’on peut dire que cette mixité donne également une certaine force ?
D.C.V.N : Oui, je dirais que j’ai cet avantage parce que c’est très important d’être ouvert aux différentes cultures. Je suis heureuse de pouvoir en parler maintenant, je me sens privilégiée d’être une de ces voix et de pouvoir être écoutée, mais je ne réalisais pas ça quand j’étais petite. Je voulais juste être comme les autres, « n’avoir rien de spécial ».
Pourquoi as-tu décidé de rester en République tchèque malgré le jugement que tu as pu parfois ressentir ?
D.C.V.N : Mes parents sont divorcés : ma mère et ma sœur sont revenues au Vietnam, et mon père est resté en République tchèque. Ca n’a rien à voir avec moi. En fait, ça n’a jamais été une question de rester ou non en République tchèque pour moi. Je suis née là, je me sens plus tchèque que vietnamienne – au Vietnam, je me sens plus comme une touriste. C’est davantage pour le film The Little One que la position est intéressante : la protagoniste doit-elle rester ou doit-elle partir ? Ce n’était pas vraiment ma réalité.
Apart (2019) est un peu à part dans tes trois courts, il parle également de la perte. Comment ce film s’est-il retrouvé dans ton parcours ?
D.C.V.N : Je considère ce film comme un documentaire sur trois de mes amis proches. Il s’agit de l’expérience de la perte de leurs parents, quand ils avaient entre 18 et 19 ans. Personne n’en parlait parce que c’était trop tabou. Ils ont été très ouverts avec moi parce que j’étais leur amie, et en les interviewant pour le film, j’en ai su encore plus. Le processus était beaucoup plus agréable pour moi que pour Love, Dad car le film ne portait pas sur moi, mais sur d’autres personnes. Ce n’était pas du tout déprimant de le faire : ça ne se ressentait pas, c’était presque un bon moment entre amis, la mort devenant un sujet normal et sans tabou.
Tu as appris pendant 7 ans à faire de l’animation, et d’une certaine façon, tu as même touché à la fiction et au documentaire. Même si aujourd’hui, tu penches plus vers la fiction, qu’est-ce qui t’a intéressée au début dans l’animation ?
D.C.V.N : Ce qui est important pour moi, c’est de pouvoir mixer les genres et de faire disparaître les frontières. Ce n’est pas important de déterminer ce qu’est un film, mais plutôt quelle émotion en ressort.
Avant tout, l’animation permet de développer un bon sens esthétique, l’usage des couleurs, mais elle m’a surtout appris la patience et la minutie. Elle prend tellement de temps, il faut tellement bien tout préparer, le storyboard doit être parfait : en animation, tu dois vraiment savoir ce que tu veux faire et où tu veux aller. C’est moins le cas pour la fiction que je fais de plus en plus, mais c’est quand même très pratique. Et puis, les gens de l’animation sont plus humbles que dans les autres genres je pense, ce qui est une bonne chose à prendre. Peut-être parce qu’ils sont plus isolés, qu’ils sont moins bien payés ou reconnus… Je ne sais pas (sourire).
Love, Dad a son compte Instagram et son propre site web, ce qui est plutôt rare pour un court-métrage. Pourquoi est-ce important de faire son auto-promotion sur internet ?
D.C.V.N : Parce que les courts, ça n’intéresse pas tellement de gens, alors c’est bien de faciliter leur visibilité. Avec mes deux derniers courts, on a vu qu’on n’avait pas très bien fait leur promotion. Cette fois-ci, mon producteur est plus expérimenté, nous sommes plus préparés, pas seulement avec le site internet, mais aussi avec les réseaux sociaux, les distributeurs internationaux, les managers de relations publiques, etc. Tout fonctionne grâce aux relations publiques dans le monde, même si ça coûte beaucoup d’argent.
Combien de présélections aux Oscars as-tu obtenues pour ton dernier court, Love, Dad ?
D.C.V.N : Cinq. Le problème qu’on a eu, c’est qu’on a eu deux sélections pour la fiction et deux pour le documentaire. On doit en choisir seulement une, donc on a choisi l’animation !
Propos recueillis par Katia Bayer. Retranscription : Amel Argoud