Le 75ème Locarno Film Festival, qui vient de se terminer, a offert une grande diversité de courts en ce début août – ce qui n’est pas pour nous déplaire. L’expérimentation est un point-clé des animations présentes cette année en compétition internationale du côté des Pardi di Domani : il ne faut peut-être pas chercher le sens (il n’y aura souvent rien à trouver), mais se laisser emporter par les sons et les images.
Mini-mini-pokke no okina niwa de de Yoko Yuki fait l’effet d’un champignon hallucinogène. En coups de crayons nerveux et colorés, la jeune réalisatrice japonaise dessine un univers psychédélique, sorte de chaos où de petits personnages à la Keith Haring crient, chuchotent, chantent… L’image tremblotante participe davantage à cette folie, entrecoupée de cartons absurdes évoquant ou le fouillis (« une laitue explose sur le toit ») ou le paradis, le « Mahoroba », l’Arcadie japonaise.
Après s’être shooté avec ce court, il est temps de se coller à un tout autre registre, mélancolique et mystérieux, que propose la réalisatrice Sofia El Khyari (France, Portugal, Qatar, Maroc) dans L’ombre des papillons – qui, comme Yoko Yuki, a écrit le scénario et participé à la création graphique. Les deux courts-métrages font d’ailleurs partie de la sélection du concours international (Pardi di domani), tout en affichant un regard moderne – plus que singulier – dans le monde de l’animation.
L’atmosphère est néanmoins bien différente dans L’ombre des papillons : là, au milieu d’une forêt, une femme nue se met à rêver et s’imagine la présence de papillons colorés. Le court-métrage est un semblant de berceuse, avec des chants doux, abordant tout de même un côté perturbant – un papillon devient une langue dans l’oreille de la jeune femme. Le processus absurde du rêve, sans signification, pointant du doigt le désir sans jamais y toucher, est peut-être la spécificité à retenir de cette animation.
Du côté des documentaires, l’aspect social et politique est particulièrement marquant cette année, avec notamment Lopte de Gorana Jovanovic qui attire particulièrement notre attention. Après avoir réalisé d’autres courts (notamment la fiction Armadila, en 2020), la réalisatrice serbe se lance dans un projet documentaire, en nous faisant suivre un rassemblement de militaires venant des six anciennes républiques yougoslaves pour jouer au foot.
Cette réunion hautement symbolique – après les nombreuses guerres interethniques qui ont suivi la dislocation de la Yougoslavie dans les années 90, est dépeinte en plans fixes silencieux, dénués de commentaires ou d’explications. Le spectateur devient un observateur discret, qui assiste aux déplacements du groupe.
Le contexte politique complexe s’exprime par les différents drapeaux des anciennes nations yougoslaves répartis dans les villes traversées, la présence continuelle de militaires, mais surtout le choix des musiques : celle de la garde républicaine serbe, ou encore Zbogom, Kalifornijo de Miki Jevremovi, reprenant d’un ton morose le California Dreamin’ de The Mamas & The Papas (« I don’t know if I’ll return / Where are they sending us ? »). Excepté une voix s’élevant finalement contre les armes et les explosifs, le mutisme du court permet de montrer de façon presque mystique ce rassemblement autour du jeu, en interrogeant sur le lien entre sport et politique.