Présent pour la deuxième fois au Festival de Cannes après Un grand Voyage vers la nuit en 2018 dans la catégorie Un Certain Regard, Bi Gan a refait parler de lui cette année avec A Short Story en compétition officielle. À la manière d’un fabulateur, le réalisateur chinois nous plonge dans les tribulations d’un chat noir détective et de sa rencontre avec un épouvantail. Une épopée singulière qui prend des allures de fable de La Fontaine revue par David Lynch !
D’entrée de jeu, avec une voix austère se saisissant de l’ancestral « Il était une fois… », Bi Gan s’empare de marqueurs typiques du conte de fées et s’en sert pour poser l’aspect presque mythologique de son histoire. Un jeune chat noir solitaire, sans but et sans famille, est investi d’une mission par un mystérieux épouvantail.
Façonné depuis l’enfance par cette forme épique, notre imaginaire de spectateur prend rapidement le relais et nous embarque dans cette (en)quête à mi-chemin entre le théâtre de marionnettes et le cinéma expérimental.
« Quel est la chose la plus précieuse au monde ? ». Tel est le sujet d’expédition de notre félin héros ! Qui, au cours de son périple, croisera trois entités l’ayant successivement possédé. Bi Gan se sert de ce topos littéraire pour mieux dérouter son spectateur et mettre à l’épreuve notre perception du temps et de l’image. Il s’amuse à mettre à mal notre sens de lecture dans les tableaux qu’il propose et ses situations qui sont autant d’énigmes à résoudre pour le personnage que pour le spectateur. Ici, la quête du chat devient une quête de sens.
Un cyborg-confiseur à énergie solaire, une femme mangeuse de « pâtes » amnésique et un magicien déchu : trois confrontations saugrenues qui nous en apprend un peu plus à chaque fois sur notre protagoniste et ses motivations.
Il est réjouissant de voir à quel point Bi Gan se livre à cet exercice farfelu où son inspiration semble plonger dans cet infini des possibles qu’est souvent l’apanage des films d’animation, à la différence que les effets spéciaux semblent ici sortir tout droit du système D. Tout en révélant leur simplicité, ils dégagent paradoxalement une grande théâtralité et donnent un effet surprenant où, de la réalité pure, Bi Gan tire un effet presque fantastique.
Les signaux visuels et auditifs abondent, Bi Gan donne d’une main pour reprendre de l’autre et le montage qu’il offre présente des associations d’images et de sons où le sens vient se contredire, se nourrir. Un geste bien précis, une parole en rewind ou encore un simple travelling arrière va soudainement prendre en charge, au cours du plan, le rythme de la narration et ainsi apporter un élément de compréhension toujours nouveau. Ce condensé d’inventivité et de dérision que s’autorise Bi Gan fait de Short Story un objet détonnant, cocasse voire lunaire dans cette compétition officielle.
Au terme de ce parcours initiatique mêlant sans cesse sublime et grotesque dans un monde rempli de ces individus forgés par la solitude, Chat Noir découvre que la « chose la plus précieuse au monde » n’était pas finalement pas si loin. Mais comme dirait un vieux proverbe : « Qu’importe l’issue du chemin quand seul compte le chemin parcouru. »
Augustin Passard