À Cannes, nous avons rencontré le jeune réalisateur portugais João Gonzalez. A tout juste 26 ans, il signe son troisième film d’animation Ice Merchants qui a remporté le Prix Découverte Leitz Ciné du court-métrage à la Semaine de la Critique 2022.
Format Court : Quel est ton parcours ? Qu’est-ce qui t’a amené aux courts-métrages et à l’animation ?
João Gonzalez : Ma première formation, c’est la musique. Mon père est professeur de piano, du coup j’ai commencé à jouer assez jeune. J’ai abandonné quand j’avais 13 ans pour me consacrer au volleyball. Je me suis ensuite dirigé vers les sciences, même si j’ai toujours su que j’avais un lien fort avec le dessin, l’illustration et la musique. Mon objectif était de postuler dans une école d’ingénieur en informatique, mais j’ai raté mon examen et je me suis finalement dirigé vers les arts multimédias. Honnêtement, c’est la meilleure chose qui me soit arrivée : j’ai étudié le design vidéo, la programmation, l’animation, le web design, le graphisme. C’est là que j’ai découvert l’animation. Au même moment, j’ai retrouvé mon amour pour la musique, et j’ai recommencé à jouer de manière très intensive. Je voulais intégrer un Master en Piano au Royal College of Music à Londres.
En troisième année à l’école ESMAD de Lisbonne, on nous a demandé un projet personnel de fin d’études : j’ai choisi de réaliser un film d’animation, alliant mon intérêt pour la musique et l’illustration. En parallèle, je dessinais et composais les bandes sonores. Une partie du projet est également une performance artistique. J’adore jouer du piano en direct lors des projections dans les festivals. C’est une façon de sortir de ma zone de confort.
Après avoir terminé ce premier film, j’étais totalement passionné par l’animation car cette technique demande des connaissances dans tous mes sujets de prédilection. Je me suis alors préparé pendant une année entière à l’illustration et au dessin d’animation pour entrer au Royal College of Art.
Combien de temps t’a-t-il fallu pour réaliser la version finale de Ice Merchants ?
J.G.: Ice Merchants est en fait mon film de fin d’études à RCA. Cela a pris deux ou trois ans. J’ai réécrit et amélioré certaines parties de l’histoire. La version actuelle n’est pas totalement la même version que celle de mon diplôme. Ça aurait certainement pris moins d’années si j’avais consacré tout mon temps au projet. En même temps, j’ai postulé à d’autres projets, fait d’autres œuvres… C’est pour ça que la production a duré deux ans.
C’est ton troisième film. Les deux autres ont déjà eu beaucoup de succès dans les festivals d’animation. Comment perçois-tu ces retours positifs ?
J.G.: J’ai l’impression qu’ils ont attiré beaucoup trop d’attention pour ce qu’ils sont, surtout le premier, The Voyager (rires). C’est un film très important pour moi parce que j’avais besoin de faire l’expérience de l’animation et de créer mon propre chemin vers elle. J’ai fait ce film sans aucune base, j’ai dû apprendre beaucoup sur la réalisation, le montage et masquer mes limites en matière d’animation technique. Être primé dans des festivals a été une grande surprise.
Comment définirais-tu tes films ?
J.G.: La plupart de mes films sont en fait nés d’images qui me viennent à l’esprit, celles que l’on a au moment de s’endormir. Ensuite, on y pense et elles disparaissent tout simplement. C’est ce qui me pousse à essayer de faire des films parce que j’aime beaucoup ces images. Quand j’en ai une, je commence à la dessiner, à écrire beaucoup dessus et à créer l’environnement dans lequel le film va se dérouler.
Dans le cas de Ice Merchants, l’image était une maison attachée à une très grande falaise. Cette image a servi de base à tout le film. Quand je commence à faire un film, je n’ai absolument aucune idée de ce que ça va être. Le scénario vient en premier et j’utilise ce dernier pour m’inspirer, pour créer le film.
J’ai passé beaucoup de temps à écrire le scénario de ce film. J’ai même modélisé un décor en 3D. Mes films passent normalement par des sujets personnels. Par exemple, The Voyager parle d’agoraphobie, quelque chose que j’ai vécu. Nestor parle de trouble obsessionnel compulsif, qui est quelque chose qui me tient à cœur. Le nouveau n’est pas aussi personnel que les autres : je raconte l’histoire du point de vue d’un père, ce que je ne suis pas. C’est donc un pas en avant. Mais nous avons tous subi une perte. Nous avons tous connu la solitude. Je pense que la plupart de mes films en viennent toujours à la solitude et à l’isolement dans un endroit spécifique, ce qui est quelque chose que j’aime.
Dans ce dernier film, tout tourne autour de la relation entre un père et son fils – nous sommes plus habitués aux représentations de liens entre un mère et son fils et aux clichés patriarcaux. Pourquoi as-tu choisi l’angle « père et fils » ?
J.G.: Encore une fois, c’est quelque chose qui s’est fait naturellement. Je ne voulais pas spécialement aller à l’encontre du stéréotype du père. C’était simplement plus facile à représenter pour moi. C’est peut-être inconsciemment parce que je suis un homme et que j’ai tendance à créer des personnages qui me sont plus proches. Mais la mère n’est pas totalement absente du scénario, elle est la protectrice et elle devient en quelque sorte le héros.
Tes dessins comportent un nombre limité de couleurs. Pourquoi ?
J.G.: C’est surtout un choix de design. Mais en même temps les couleurs parlent beaucoup, elles font ressentir des choses. Pour moi, une palette de couleurs limitée rend le message plus simple. Aussi le film acquiert une autre identité car il a moins de couleurs. Il est plus identifiable. Je fais toujours attention à choisir des couleurs qui fonctionnent pour l’effet que je veux dans le film. Je commence avec trois ou quatre couleurs, puis j’ajuste. Et tous les jours pendant environ un mois, je teste, je créé ainsi une palette de couleurs plus large. L’important est que cela me plaise esthétiquement, même si les couleurs sont limitées, elles seront toujours similaires.
Par exemple, The Voyager parle d’agoraphobie et d’anxiété. Alors j’ai utilisé des couleurs froides : roses, violets, bleus… Et quand il y a un moment plus tendu, je passe aux rouges. Dans The Ice Merchant, il s’agit davantage du contraste entre le temps plus froid de l’extérieur et une sensation de confort plus chaleureuse, surtout lorsque les personnages sont à l’intérieur.
As-tu des sources d’inspirations artistiques ?
J.G.: Je ne peux pas citer d’inspiration précise. J’ai un problème avec les références : quand j’ai l’impression de faire quelque chose de trop proche de quelque chose que je connais, j’ai l’impression de le voler. Je ne suis pas à l’aise avec ça. Inconsciemment, nous nous inspirons de tout. Mais pour le film, j’ai essayé au maximum d’obtenir quelque chose que je n’avais jamais vu auparavant et qui me plaise esthétiquement. Je passe beaucoup de temps en pré-production. Je vais parfois à l’extrême : quand je fais un cliché, je vérifie sur Google images juste pour être sûr qu’il n’y a rien de semblable (rires) !
Tu dessines, tu composes la musique, tu t’occupes du montage tout seul. Tu ne veux pas travailler avec d’autres personnes ?
J.G.: Ice Merchants était mon premier film financé, donc on a pu réunir une équipe. Pour The Voyager et Nestor, j’ai tout fait moi-même sauf que j’avais un mixeur son qui travaillait avec moi. Il a également travaillé sur ce film. Et pour Nestor, j’avais des gens qui ont joué du violoncelle parce que j’ai composé pour cet instrument mais je ne le maîtrise pas. Ils ont fait un travail brillant. Je ne suis donc pas totalement seul. Avec les financements de Ice Merchants, nous avions une équipe formidable. Nous sommes très contents du résultat. J’ai beaucoup aimé travailler avec d’autres personnes même si c’est vraiment difficile pour moi car je suis très pointilleux.
J’ai travaillé avec Ala Nunu sur l’animation. J’animais la moitié des plans et elle faisait l’autre moitié. C’est l’une des meilleures animatrices au monde. Elle s’est vraiment adaptée très facilement à l’esthétique du film. Et pour moi, c’était une réelle opportunité car elle a beaucoup plus d’expérience que moi. Grâce à ma collaboration avec elle, je suis bien meilleur maintenant.
Pour la musique, nous avions Ed Rousseau pour la conception sonore. J’ai composé la bande originale, mais comme c’était la première fois que je composais pour plusieurs instruments, j’ai travaillé avec Nuno Lobo, un ami qui est compositeur. C’est lui qui a fait l’orchestration. Il m’a aidé à transposer ma composition.
Ricardo Real a été le chef d’orchestre des sessions d’enregistrement, ce qui m’a beaucoup aidé car je n’ai jamais dirigé personne. Nous avions aussi une équipe de coloristes incroyables. J’ai dessiné tous les décors et je les ai peints, mais l’animation des personnages a été faite par eux. Ils ont également fait les effets VR pour les nuages.
Souhaites-tu rester dans l’animation ou aimerais-tu un jour t’essayer à la fiction ?
J.G.: Je ne mets pas de côté le fait de faire de la fiction. Mais j’envisage plus de trouver le meilleur moyen de concrétiser mes idées en termes d’objet. Si une idée fonctionne mieux en fiction, je la ferai. Mais je ne me forcerai pas pour que cela se produise. Je n’ai aucune expérience dans ce domaine, mais je pense qu’en tant que réalisateurs il est vraiment important de comprendre quel est le meilleur format pour exploiter son idée. Les idées que j’ai eues jusqu’à présent étaient adéquates pour l’animation.
De la même manière, j’aimerais faire un long-métrage, mais je ne veux pas faire un long-métrage pour le faire. Si je meurs en ne faisant que des courts métrages, je serais heureux. Ma priorité est simplement de trouver la meilleure façon de représenter mes idées.
Que peux-tu nous dire à propos des financements de ce film ?
J.G.: J’ai trois producteurs : le Royal College of Art de Londres car c’est mon film de fin d’études ; Cola Quente qui est mon principal producteur au Portugal, et qui m’a aidé à travailler sur l’appel à subvention de l’Institut du Cinéma et de l’Audiovisuel (ICA, Lisbonne) grâce à qui nous avons obtenu 90.000 € pour le film. C’était très généreux. Nous avons également fait une partie de la production en France. Wild Stream nous a aidés à obtenir de l’argent pour les coloristes.
Nous avons pu réunir une équipe formidable. Comme j’occupais encore un grand nombre de fonctions dans le film, nous avons pu payer notre équipe très équitablement, ce qui est vraiment important pour moi. Tout le monde était très content et la production s’est très bien déroulée.
Travailles-tu sur d’autres projets ? As-tu d’autres courts-métrages en préparation ?
J.G.: En ce moment, ma priorité est de voyager et de me reposer pendant quelques mois, car ça a été deux années très intenses. J’ai déjà des points de départ qui peuvent être explorés et développés pour faire un film, mais j’y reviendrai l’année prochaine.
Propos recueillis par Anne-Sophie Bertrand
Traduction : Anne-Sophie Bertrand avec l’aide de Clarice Lagon
Article associé : la critique du film