Sélectionné à la Semaine de la Critique, le court-métrage Will you look at me de Shuli Huang retient particulièrement l’attention pour la poésie qu’il dégage.
Le jeune réalisateur chinois de 25 ans avait déjà réalisé un film de cinq minutes en 2020, exposed sur l’histoire d’un petit garçon qui prenait des photos en ville. Il a été notamment directeur de la photographie sur un long-métrage Farewell, my home town réalisé par Wang er Zhuo qui a remporté un prix au festival de Busan en 2021. Shuli Huang continue sur sa lancée avec cette première à Cannes, avec un court-métrage introspectif de 20 minutes à l’image sublime.
Tout comme son premier court-métrage, Shuli Huang reprend l’idée de la photo spontanée et urbaine. Muni d’une caméra super 8 fraîchement acquise, il filme ses proches et ce qui l’entoure, en commentant le tout d’une voix-off calme et paisible. Il capture particulièrement le discours abrupt et fermé de sa mère, qui aborde le sujet de son homosexualité.
Shuli Huang nous livre des moments intimes de son quotidien, il réalise des portraits authentiques et plein de charme de ses amis et de sa famille à travers l’image de sa caméra fissurée. Le début du court-métrage d’abord très mélancolique, dont la continuité est assurée par la douce mélodie d’un instrument qui s’apparente à un carillon ou xylophone, contraste ensuite avec la violence de la dispute avec sa mère. Celle-ci ne supporte pas l’homosexualité de son fils, se lamentant sur l’éducation ratée de celui-ci.
Le court-métrage questionne la société chinoise très attachée aux valeurs traditionnelles. Souvent, les familles ont tendance à rester volontairement dans le déni quand un enfant est homosexuel, préférant préserver leur réputation plutôt que l’épanouissement de ce dernier. En Chine, l’importance de la descendance est essentielle. Le réalisateur révèle le problème de cette conception traditionnelle. Il souligne l’absurdité de ce phénomène avec le jeu du contraste entre images et sons : la mère arrose ses fleurs et sourit à son fils en train de la filmer, puis affirme ensuite qu’elle a donné naissance au « mauvais » enfant. Elle le compare notamment à une « monstruosité » puis découpe et cuisine un crabe vivant dans le plan suivant.
Dans ce film, l’idée de transmission entre les membres de la famille semble être évoqué à travers la présence de l’eau. Le réalisateur et narrateur, Shuli Huang insiste sur la passion de son père pour la nage. Suite à une dispute avec sa mère, celui-ci place au montage le son de l’eau qui bout, avec l’idée d’une intensité très forte au sein de leur relation mère-fils. Lors de la fin du film, Shuli Huang plonge dans l’eau rappelant son lien avec ses parents.
Le court-métrage de Shuli Huang sonne comme un long poème entrecoupé de magnifiques portraits, contrasté par la réalité d’une société stricte. Le réalisateur nous permet d’entrer en immersion dans sa vie, d’observer les choses à travers ses yeux d’artiste et de pénétrer dans l’intimité de ses souvenirs.
Laure Dion