Prix du meilleur court-métrage d’animation à Clermont-Ferrand en 2022, en lice pour les Oscars 2022, Bestia de Hugo Covarrubias, a rencontré de nombreux succès dans les festivals de courts-métrages à l’international depuis sa sortie en 2021. Le film était également en compétition lors de la troisième édition du Festival Format Court en novembre dernier lors duquel il a reçu la mention spéciale du Jury Presse.
Qui est la Bestia ?
Glaçant. Le premier mot qui vient pour décrire ce court d’animation de 15 minutes qui révèle un personnage que le public connait peu : Ingrid Olderöck. Cette fille d’immigrés allemands affiliés au nazisme, née au Chili et agente de la police secrète du pays pendant la dictature de Augusto Pinochet, plus connue sous l’alias « La mujer de los perros », a commis de multiples actes de barbarie envers les opposants du régime chilien de l’époque. Morte en 2001, elle n’a jamais été juridiquement reconnue coupable de ses crimes. Hugo Covarrubias a choisi de mettre en lumière son histoire et de l’exposer au plus grand nombre car une partie de la population chilienne et internationale reste dans le déni et l’ignorance des événements cruels qui se sont déroulés à cette époque dans le pays.
Pour la réalisation de ce film, Hugo Covarrubias s’est appuyé sur le livre de Nancy Gùzman “Ingrid Olderöck the Woman with the Dogs” paru en 2014. Si Bestia n’est pas uxfne adaptation à proprement parlé de cet ouvrage, le court-métrage se sert des diverses informations, interviews et témoignages portés à la connaissance de Nancy Gùzman pour décortiquer le personnage complexe qu’était la tortionnaire, et corroborer l’histoire narrée dans Bestia.
Le récit d’une vie ordinaire et sordide
Les premières scènes de Bestia semblent banales. Le bruit d’un avion, le plan fixe sur un plateau repas, une femme fumant ses cigarettes au-dessus des nuages nous ramenant avant les années 2000. Rien d’anormal ou plutôt rien de plus ordinaire. Oui, mais c’est finalement sur un visage que se rabat l’image : coupe carrée, visage disgracieux fait de porcelaine vernie semi-fissurée et troué à la tempe… Quelle est l’histoire de cette femme dont le profil atypique nous interroge ?
C’est dans ce destin que Hugo Covarrubias nous embarque, dans la dualité de ce personnage. Un quotidien qui semble tout aussi paisible que routinier. Réveil, petit dej, boulot, dodo. Mais peu à peu la bestia se révèle plus sombre, plus torturée et de moins en moins « humaine ». La lumière se fait sur sa vie où s’accumulent ordre, secrets et violences. De plus en plus visibles, les actions d’Ingrid mènent de l’indifférence, à la peur et au dégout.
Image sans voix : entre rêves et paranoïa
Tout l’histoire de Bestia se construit sans voix. On observe contentieusement, les moindres détails qui pourraient nous ramener à une histoire que nous connaissons. Avec une subtilité remarquable, Hugo Covarrubias fait naître une atmosphère anxiogène par la colorisation et le rythme des plans, l’alternance des scènes avec une présence musicale brutale et dérangeante (signée par Ángela Acuña), et d’autres totalement vierges de son. Grâce à ces enchaînements, on entre dans la psyché de Ingrid Olderöck, sans la comprendre et surtout sans vouloir le faire, entre colère, hallucination, paranoïa et perversion.
Il aura fallu 3 ans et demi à Hugo Covarrubias pour réaliser ce film et condensé dans cette animation de 15 minutes, qu’il a co-écrite avec Martín Erazo, la violence des agents de la dictature chilienne, et particulièrement celui de cette « femme aux chiens ». Ce film politique est à la fois bouleversant et écœurant. En tout cas, la motivation premier d’Hugo Covarrubias est respectée : il y a peu de chance que vous oubliez Ingrid Olderöck après avoir vu Bestia.