Elle a réalisé Je serai parmi les amandiers, un court franco-belge nommé aux César 2021 (verdict ce vendredi). Il joue le personnage de Iyad dans son film. Marie Le Floc’h est une cinéaste française. Jalal Altawil est un acteur syrien. Installés à Bruxelles, ils discutent autour d’un thé noir de liberté, de geste politique, d’instinct et de graines à retrouver.
Format Court : Quel regard portez-vous sur le court-métrage ? Comment vous y sentez-vous ? Est-ce une forme qui vous stimule ou qui vous bride ?
Marie Le Floc’h : Ce qui est très intéressant, c’est que c’est un format d’écriture qui nous pousse à aller à l’essentiel et à essayer de raconter beaucoup avec peu. Je trouve que c’est génial comme apprentissage et comme forme. Par rapport à d’autres formats, on peut y trouver un espace de liberté un peu plus grand, même si on se met après nos propres cadenas sur la tête.
Quels types de cadenas ?
M.L. : Des angoisses, des situations où on aurait pu être libre à un certain moment et où on s’est enlevé nous-mêmes notre propre liberté. Au fil du temps, on apprend le lâcher prise, à regarder ce qui se passe autour de soi sans avoir en permanence une idée au préalable de ce qu’on veut faire. Ca s’apprend au long cours. Ce sont les cadenas dont je parle.
Ca sent l’expérience vécue, sinon tu n’aurais pas utilisé ce mot-là !
M.L. : Oui (rires !)
Et toi, Jalal, que penses-tu du court ?
Jalal Altawil : J’aime beaucoup les courts-métrages, je les préfère aux longs, je ne sais pas pourquoi. Pour moi, le court apporte beaucoup de symboles, de choses cachées comme des phrases ou des gestes. En termes de jeu, il me semble plus difficile donc plus intéressant de jouer dans un court que dans un long. J’aime bien le fait qu’on n’exprime pas tout, qu’il y ait des petites lumières, des signaux, que les choses se complètent au fur et à mesure en peu de scènes. Le poème, c’est le court-métrage. Le roman, c’est le long. Tu voyages avec les deux mais avec le court, le voyage a lieu avec des mots très simples et… courts.
Marie, comment envisages-tu tes histoires en général et celle de Je serai parmi les amandiers en particulier ?
M.L. : Le désir de l’histoire, c’est le moteur de toute l’écriture. Pour Je serai parmi les amandiers, il s’agissait un peu du croisement de deux expériences mais ce sont des rencontres qui m’ont donné envie de raconter cette histoire. Après, il y a eu beaucoup de travail, de recherche A la fin du scénario, il y avait très peu d’indications de jeu. C’était écrit mais après, on a rediscuté ensemble à chaque fois de chaque point, je n’étais pas à ce point attachée aux dialogues.
(…) À chaque fois, à chaque histoire, on cherche ce qu’on désire, ce qu’on veut raconter. La seule différence peut-être, c’est on apprend peu à peu à gérer ses angoisses par rapport à l’écriture et au temps que ça demande.
Jalal, comment as-tu perçu le scénario de Marie ?
J. A. : Je suis tombé amoureux du scénario, il était magique pour moi. Je le l’ai lu mille fois. Ce n’était pas juste un scénario, j’ai vu le film. La manière dont elle l’a écrit, c’était un voyage. Elle a réussi à trouver les petites fissures qui conduisent à la grande casse, dans un langage mêlant cinéma et simplicité. Quand j’ai vu ça, j’ai dit directement oui, j’avais envie de jouer ça. Ce n’était pas juste un accord, j’ai senti que ça allait m’apporter beaucoup. Je n’ai pas vraiment regardé mon rôle. Quelque fois, le joueur d’échecs joue dans sa tête mais ne bouge pas les pions. Ce scénario, je devais le jouer dans ma tête, après, en le comprenant, je devais oublier le jeu et être là, dans le moment.
Tu as joué au théâtre avant de faire du cinéma. Fais-tu une différence entre les deux ?
J. A. : J’étais professeur de théâtre à Damas. J’aime beaucoup le théâtre. Chaque année, je faisais une pièce minimum. La peur, quand tu es dans les coulisses, avant de te lancer pour ta première scène, c’est quelque chose qui me manque toujours et c’est comme une drogue. Après, que ce soit au théâtre ou au cinéma, je suis acteur. Au cinéma, c’est le réalisateur qui guide les choses, qui décide du montage à la fin. Au théâtre, sur scène, tu décides de tout, tu es en contact avec les gens. Les ambiances, les mondes, sont différents.
Tu ne parlais pas un mot de français en arrivant en Europe il y a quelques années. Aujourd’hui, ton français est incroyable…
J. A. : J’ai appris le français grâce au Théâtre de la Colline pour la pièce Tous des oiseaux de Wajdi Mouawad. Je me souviens que quand on a tourné avec Marie, en 2019, c’était difficile de nous parler, même pendant le tournage. Marie avait je pense, envie de nous donner des indications…
M.L. : C’est marrant, je n’ai pas ressenti ça.
Marie, tu parles souvent de la famille dans tes films, que ce soit dans tes films d’école à l’IAD (Elena, Les herbes bruissent encore) et maintenant dans Je serai parmi les amandiers. Pourquoi est-ce intéressant d’en parler au cinéma ?
M.L. : Il n’y a que ces histoires-là que j’ai envie de raconter, c’est instinctif. Pour l’instant en tout cas, c’est quelque chose qui m’intéresse, d’autant plus en situation d’exil parce que je trouve que c’est quelque chose qui est très confrontant et qui peut révéler des personnes, des rapports humains avec d’autant plus de force et de lumière.
Jalal, est-ce que les jeunes Syriens se saisissent d’Internet pour faire des films, raconter ce qu’ils vivent ? Est-ce que les choses sont en train de changer dans ton pays ?
J. A. : Bien sûr. Ca commence, je suis très optimiste. On n’avait pas d’auteurs, de cinémas chez nous et maintenant, on trouve des énergies, des gens très jeunes qui sont libres en Europe d’étudier ou de faire quelque chose qu’ils aiment sans le poids de la contrainte. Les deux choses les plus développées maintenant, c’est le court-métrage et le rap. Pour ceux qui sont attachés au pays, ce qui se passe là-bas est une façon d’exprimer leurs idées avec beaucoup de symboles. Maintenant, avec un portable, tu peux faire un court, filmer, exprimer un geste. Les gens essayent, s’y mettent, mais je pense qu’on a besoin de temps, surtout pour qu’on ait de nouveaux scénaristes et écrivains. Tout a été interdit pendant 50 ans. On a juste quelques écrivains de théâtre et quelques scénaristes pour le cinéma, tu imagines ? Pendant longtemps, il y avait rien et maintenant, comme la terre retrouve ses graines, il faut du temps pour que ça pousse.
Il y avait beaucoup de salles de cinéma et de festivals avant, à Alep et à Damas ?
J. A. : Avant 1946, quand le [parti] Baas est arrivé, il y avait des salles et des festivals. Celui de Damas était un festival important, quasi au même niveau que celui de Carthage ou du Caire, Puis, tout s’est arrêté, tout est mort, il n’ y avait plus rien. Ce qu’on montrait dans les cinémas des universités ou à l’école, c’était le cinéma soviétique, un cinéma contre les Américains, les Israéliens, les ennemis, Aujourd’hui, le cinéma libre ne doit pas défendre un criminel ou un dictateur, On ne peut pas faire de cinéma avec Bachar al-Assad. Parfois, le cinéma doit être un acte politique.
Est-ce que Je serai parmi les amandiers pourrait être diffusé sur Internet une fois qu’il aura fini sa vie et être montré en Syrie ?
J. A. : J’adorerais, c’est mon rêve, j’aimerais beaucoup partager ce qu’on fait ici, comme quand on l’a fait avec les travailleuses du film. Quand tu partages le film avec ces gens-là, un petit film, c’est un festival. J’aimerais envoyer le film en Syrie, dans les camps, pour que les gens voient ce qu’on a fait en groupe.
Marie, l’aventure du long-métrage, ça représente quoi pour toi ?
M.L. : J’aimerais refaire un court avant mais j’ai vraiment envie de plonger dans l’écriture du long, dont l’histoire demande plus de temps que pour un court. Mais avant le de tourner, j’ai vraiment envie de continuer à expérimenter, d’aller plus loin dans la démarche du lâcher prise.
Propos recueillis par Katia Bayer
Article associé : la critique du film