À première vue, avec ses traits doux, ses couleurs chatoyantes et ses animaux forestiers anthropomorphiques, on pourrait croire que Le Gardien, sa Femme et le Cerf est une adaptation d’un album pour tout petits. On nous vend même une certaine mièvrerie en nous montrant ce couple de cerfs amoureux courir l’un vers l’autre au ralenti. Et rapidement, on nous fait comprendre qu’il n’en est rien : en un éclair (littéralement), un personnage meurt avec notre innocence, laissant son compagnon esseulé pleurer. Dans cette introduction de trente secondes, l’ambiance est posée : cet univers enfantin sera parasité par un humour absurde et une ambiance parfois carrément crasseuse.
Le film d’animation de David Stumpf et Michaela Mihalyi nous propose de suivre les trois personnages-titres embarqués dans un drame vaudevillesque au cœur d’un immeuble sur un bateau, tous trois ayant la particularité de subir différents démons comme l’alcoolisme, l’aliénation, la frustration sexuelle et surtout la solitude. Le style enfantin accentué par le travail de bruitage permet une irrévérence jouissive : celui de voir ses animaux tout mignons sortis d’un dessin animé sur Debout les Zouzous se mettre des murges, uriner dans le hall de leur immeuble et se rouler de langoureuses galoches. Passé cet humour un brin grossier mais diablement efficace, le film met en exergue la saleté de l’environnement, dans lequel tous ses figurants animaliers semblent se complaire et que nos trois protagonistes subissent bien malgré eux. Ce qui fait qu’il jongle avec virtuosité entre gaudriole vulgos issu d’un imaginaire que l’on pourrait rattacher aux années étudiantes (les réalisateurs, aujourd’hui âgés de trente ans, étaient eux même étudiants en animation à l’école de cinéma de Prague) et une mélancolie assez touchante.
Ce deuxième aspect est accentué par la réalisation d’une grande sobriété durant la majorité du film. Les plans sont souvent fixes, ponctués de temps en temps par de lents travellings et la mise en scène à un côté théâtral : vues de face ou de profil en plan en général larges. Les réalisateurs ne cherchent pas à être excessifs, laissant le rythme comique imprégner le spectateur sans avoir besoin d’être hystérique ni même spécialement rapide. Au contraire, ça nous permet de ressentir une gêne provoquant du cringe humor comme quand les animaux à qui la femme du gardien apporte à manger s’embrassent pendant de longues et embarrassantes secondes (le sound design servant une fois de plus très bien l’instant) ou encore lorsque ladite femme joue avec un concombre enduit de sauce sur fond de musique tout droit sortie d’un film érotique des années 70. Cela donne encore plus d’impact quand, vers la fin, le gardien sort de ses gonds en découvrant « son » fils et que la mise en scène devient soudain brusque et emplie d’effets comme si nous assistions à un bug électronique, le tout accompagné d’une musique électronique étrange et déprimante.
Les deux cinéastes ont le talent de nous faire comprendre les enjeux sans le moindre dialogue parlé. Dès le premier plan de chacune des quatre parties, on comprend immédiatement les tenants et aboutissants des personnages. Méchant sans être cruel, ce court-métrage fut sélectionné à la compétition « Orizzonti » à la Mostra 2019 et est actuellement dans la liste restreinte des nominés au César du meilleur court-métrage d’animation, ce qui laisse présager une carrière intéressante pour l’irrévérencieuse équipe slovaque.
Arthur Castille