L’adolescence est un thème amplement représenté dans le cinéma, s’appuyant trop souvent sur une projection de clichés, de stéréotypes et d’imaginaires sociaux infidèles à la réalité. Elle renvoie à cet âge trop lointain des adultes, dont il est plus simple de ne retenir que la superficialité et la légèreté.
Un parti pris que la réalisatrice Sofia Coppola a toujours rejeté dans ses films. Bercée depuis son enfance dans le milieu du cinéma et dans l’agitation hollywoodienne, Sofia Coppola s’est illustrée comme une réalisatrice talentueuse pour sa vision unique et sensible de l’adolescence.
Réalisatrice reconnue aujourd’hui pour ses explorations cinématographiques de l’adolescence dans des œuvres telles que Marie Antoinette ou encore Virgin Suicides, Coppola explore les drames intimes de jeunes filles transitant entre l’enfance et l’âge adulte, leur mal-être, la brutalité de leur monde et leur solitude perpétuelle. Des thématiques chères à Coppola que l’on voit déjà poindre dans ce premier court métrage Lick the Star, sorti en 1998, un an seulement avant l’œuvre magistrale Virgin Suicides.
En 14 minutes, la jeune cinéaste nous dépeint le tableau noir et blanc des intrigues de 4 adolescentes. Ces dernières complotent en secret un plan diabolique, visant à affaiblir les garçons.
La caméra s’attarde sur la représentation de lieux communs, on observe de loin l’agitation des élèves dans la cour de récré, leur ennui dans les salles de classes, leurs cris dans les vestiaires et leurs conversations murmurées dans le bus scolaire. Voilà le spectateur plongé dans une ambiance visuelle et sonore qui transcrit l’atmosphère du lycée.
Coppola représente aussi fidèlement les mécanismes sociaux typiques du monde adolescent où la hiérarchie sociale régit les relations. Les « popular kids » règnent sur les autres malchanceux. Si l’obsession cinématographique de Sofia Coppola est la figure féminine, généralement adolescente et à l’apparence blonde virginale (Kristen Dunst, Scarlett Johansson, Elle Fanning), elle fait pourtant le choix, ici, de mettre en avant un stéréotype opposé pour incarner la reine du lycée.
Chloé, 14 ans, brune, maquillée à outrance, provocatrice, une cigarette à la main, auréolée d’un diadème couronnant son statut royal, terrorise autant qu’elle fascine les autres élèves. La caméra suspend à plusieurs reprises la narration pour se focaliser entièrement sur l’aura dégagée par la jeune fille. Hors du temps, s’enchainent ainsi sur une musique punk, plusieurs gros plans sur les lèvres malicieuses, les yeux scintillants et étoilés. Coppola s’assure que le spectateur soit à son tour pleinement fasciné par cette ado. Sous le couvert d’une fausse superficialité et des jeux innocents d’une cour d’école, se cachent en réalité la brutalité et la cruauté du monde adolescent.
Coppola nous dévoile l’existence de véritables luttes de pouvoir. Chaque lieu commun est un lieu d’exercice du pouvoir où blagues et humiliations se succèdent. Il faut lutter pour grimper dans la hiérarchie sociale et se battre davantage pour y rester. Mais puisque l’inconstance est le propre de l’adolescence et que les rouages de la popularité sont impitoyables, la chute de la reine ne peut que se faire attendre. Aussi intouchable que fut Chloé, il aura suffi de quelques chuchotements et rumeurs pour briser son statut royal et la relayer au statut de paria.
C’est alors qu’entre en jeu la signature cinématographique propre à Sofia Coppola pour qui la solitude et l’isolement sont les plus violentes destructions de l’être. La descente aux enfers de Chloé est instantanée, caractérisée par la perte progressive de son emprise sur les autres et par un rejet social définitif.
La tentative de suicide de Chloé, remarquable par son esthétisme poétique sous fond de musique rock’n roll incisive, est elle-même moquée par les autres adolescentes.
Toutefois, c’est la dernière scène du court métrage qui incarne le mieux la solitude profonde de l’adolescente. Nous tournant le dos, Chloé s’éloigne, résignée, sur ces derniers mots « life goes on ». La lenteur du plan et la musique languissante accompagnent la chute de l’adolescente.
Une dernière question se pose, où sont les adultes ? Pourquoi ne protègent-ils par leurs enfants ? Chez Coppola, l’adolescence est un de ces drames intimes qui se joue loin du regard des adultes. Ces derniers brillent par leur absence ou par leur incompétence. L’autorité paternelle, invisible, est évoquée dans le seul objectif de souligner le mal qu’elle inflige, directement ou indirectement, à sa progéniture. Quant à l’autorité scolaire, si elle est belle et bien présente, elle n’est d’aucun secours pour protéger les adolescents. Uniquement là pour blâmer et punir, les adultes sont incapables de s’identifier aux adolescents.
Résonnent alors les mots de Cecilia, une des protagonistes de Virgin Suicides : alors qu’après sa tentative de suicide un docteur lui dit qu’elle est trop jeune pour connaître les duretés de la vie, la réplique se fait cinglante : « Obviously, doctor you’ve never been a 13-year-old girl.” Lick The Star pose définitivement les bases du cinéma de Sofia Coppola, un cinéma féminin, languissant et soulignant la solitude des êtres.
Sans jamais prendre position, la caméra de la jeune cinéaste ne cherche pas à donner du sens aux actions ou aux motivations des adolescents. Elle ne juge pas. Le regard ne fait que se poser sur ce qui est trop vite jugé insignifiant, il est là pour dévoiler l’intimité d’adolescentes abîmées.
Marguerite Stopin