En compétition officielle au Festival de Cannes en 2019 et lauréat du jury étudiants de l’édition 2019 du Festival Paris Courts devant, L’Heure de l’ours, d’Agnès Patron, marque surtout par son jeu des couleurs et des contrastes.
Diplômée de l’ENSAD en 2011, Agnès Patron aime à travailler des matériaux originaux. C’était le cas déjà de Chulyen, histoire de Corbeau, sorti en 2015, mais aussi de ses aquateintes et de ses sérigraphies, qui reposent en grande partie sur des oppositions franches entre le blanc et le noir. Ainsi en est-il de L’Heure de l’ours, fait d’aquarelle sur papier noir.
Alors qu’il fait nuit, un petit garçon suit, fasciné et inquiet, les dérèglements permis par l’obscurité : l’accouplement des hommes et des sauterelles, mais aussi les maisons qui s’enflamment, les ours qui débarquent, les farandoles sans queue ni tête des adultes, le débordement des couleurs.
Car, s’il est une histoire que raconte ce court-métrage, c’est bien celle de la débauche des couleurs, qui semble suivre – ou anticiper – la dépravation du monde, tel que le voit l’enfant. Un monde d’abord trichromique, où l’opposition franche entre les traits blancs et le fond noir fait ressortir le rouge, presque fluorescent, des toits de maisons et des cheveux des personnages. Un monde multicolore ensuite, où cette tripartition se trouve annihilée par des bacchanales bariolées.
Un film sur le regard ensuite, puisque nous perdons très vite pied dans cet imbroglio et peinons à distinguer ce qui relève du fantasme de l’enfant de ce qui serait la réalité. Cela vaut-il seulement la peine de s’y essayer ? Puisque tout, lors de « l’heure de l’ours », est possible, pourquoi pas ce Carnaval aux allures de fin du monde ?
Si le film vaut surtout par la qualité du graphisme et du jeu des couleurs, il convoque aussi un certain nombre de références à la culture populaire et enfantine qui, sans doute, expliquent la fascination qu’il exerce. C’est, bien entendu, le cas du titre même, qui fait penser à « l’heure du loup », moment de la journée où l’obscurité rend tout possible. Mais le détournement de cette expression et le passage d’un animal à un autre nous amènent à délaisser Le Petit Chaperon rouge pour Boucle d’or, dont la brillance de la chevelure n’est pas sans évoquer celles des personnages du film. Enfin, comment ne pas penser, en voyant les enfants chevaucher ces ours monstrueux, aux éléphants d’Hannibal ?
Enfin, la musique de Pierre Oberkampf, avec ses percussions et son tuba, accompagne à la manière d’une marche militaire cet emballement du monde et des teintes, qui semble alors inexorable sans jamais paraître insoutenable. Elle le fait avec subtilité, presque à la barbe du spectateur, et sans jamais éclipser le travail plastique du film.
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