C’est un grand jour pour le peuple égyptien : au kilomètre 375, là-bas dans le désert, on inaugure les nouvelles toilettes publiques. Du sable à perte de vue, une chaleur écrasante, cinq hommes en grande pompe et un âne, tout le monde est en place, la voiture du grand chef arrive, silence. Jamais a-t-on vu pareille solennité. Armé de sa truelle, le maître scelle la dernière brique. Applaudissements, silence. Oui mais voilà, un petit fonctionnaire vient d’éternuer, trois fois. Pourra-t-il un jour réparer sa faute et réussir à dormir sur ses deux oreilles ?
Fraichement diplômé de l’Academy of Arts High Cinema Institute, le jeune réalisateur égyptien Omar El Zohairy ̶ ayant travaillé comme assistant réalisateur auprès de Yusri Nasrallah, puis de Tamer El Said sur Les derniers jours d’une ville ̶ présentait en 2014 à la Cinéfondation son film de fin d’études The Aftermath Of The Inauguration Of The Public Toilet at Kilometer 375. Un très long titre saugrenu pour raconter l’histoire toute aussi absurde d’un éternuement devenu affaire d’Etat.
L’absurde y est politique. L’ Égypte de 2014 a vu ses espoirs révolutionnaires dissolus dans de malheureuses promesses. À travers l’histoire de cet homme qui, ayant passé sa vie à se faire petit – aussi grand qu’il puisse être – est terrifié par l’idée d’avoir dérangé un éminent homme d’état en éternuant, El Zohairy porte le message d’une jeunesse qui refuse ce retour forcé à la crainte devant l’ordre. Mais l’absurde est aussi poétique. Le désert regarde la mer sur un poste de télévision, les personnages grands, minces et silencieux rêvent d’eau dans de grands espaces vides, quand un énorme poisson se retrouve, lui, bien à l’étroit dans son bocal rempli d’eau.
Les plans fixes à la fois épurés et très composés, la désolation de cet employé et de sa femme résignés, et le seul souffle du vent comme bande sonore donneraient presque à cette adaptation de la nouvelle La mort d’un fonctionnaire de l’écrivain russe Anton Tchekhov, des airs de western moderne, où les employés administratifs soumis à de désuètes lois hiérarchiques seraient les cowboys peu fringants d’une Égypte en costume noir désertée par la raison.
L’espoir est pourtant là. L’eau arrive jusque dans le désert au kilomètre 375 pour faire fonctionner les toilettes, et El Zohairy, loin d’avoir asséché les ressources de l’absurde, poursuit son geste libérateur des craintes de l’asservissement dans un premier long-métrage en préparation, Feathers of a father, sélectionné en résidence à la Cinéfondation.