- Fin mars, la petite ville de Chalon-Sur-Saône présentait la 9ème édition de son festival annuel de courts-métrages étudiants : Chalon Tout Court. Festival à petite échelle, Chalon Tout Court permet une réelle rencontre entre professionnels du cinéma, jeunes réalisateurs, cinéphiles et curieux dans une ambiance des plus familiales et conviviales. C’est aussi l’occasion de découvrir des courts-métrages d’étudiants venant des quatre coins du monde : Danemark, Finlande, Belgique, Allemagne, Espagne, Argentine, Mexique, Venezuela… La pluralité des provenances et des écoles représentées permet de découvrir un éventail de films très variés dont les suivants ont été repérés par Format Court.
Déjà récompensé dans de nombreux festivals et notamment à Annecy par le Cristal du meilleur film étudiant, Sog est un film d’animation allemand. Jonathan Schwenk, étudiant à l’Offenbach University of Art and Design, nous présente un peuple de créatures vivant dans une grotte. Après une inondation, des poissons se retrouvent coincés dans un arbre à proximité et, de peur de mourir desséchés, poussent des cris d’effroi dans l’espoir d’être sauvés. Mais les habitants de la grotte s’avèrent insensibles à la détresse des poissons et, agacés par le bruit, deviennent même cruels à l’égard de ceux-ci. Ici, la violence et la bêtise ne sont rien d’autre qu’un remède à l’ennui et ressemblent curieusement à la violence et la bêtise des hommes. Alternativement mystérieux, drôle et émouvant, Sog se distingue par sa technique. L’animation mixte (marionnettes, ordinateur 3D, prises de vues réelles, …) utilisée ici et la musique, parfois oppressante, lui confèrent une couleur et une texture toute particulière. Cet univers, auquel s’ajoute l’allégorie, rend le film très touchant.
Réalisé par Wenqian Gao, Xue Bing et Son Jixiang, trois étudiants chinois des Beaux-Arts de Paris, Peacock (Le Paon) est un court-métrage d’animation expérimental. Onirique et surréaliste, son animation peut faire penser à des tableaux de Dali et de Magritte ou encore à ceux de Takeshi Kitano dans Hana-Bi. Corps sans têtes, machines incroyables et animaux extraordinaires : un bal de créatures semblant tout droit sorties d’un rêve s’offre à nous. Les formes et les couleurs se succèdent dans une chorégraphie envoutante et obnubilante. Tout s’enchaîne comme le fil des pensées et, dès la première minute, nous sommes transportés, happés par la musique et ces projections merveilleuses.
Ce film d’école aux airs d’introspection et de méditation est inspiré du taoïsme. Si il semble absurde au premier abord, il propose une réflexion sur la vie et la société ainsi que sur notre appréhension du monde. Les hommes, ici représentés en pyjama car dans le monde du rêve, s’échangent des paroles pour finalement tous dire la même chose. Ils répètent les mêmes schémas et se façonnent la tête mutuellement. La synchronisation est parfaite et, dans ce rêve chorégraphié, l’orchestre de l’humanité suit son cours.
Documentaire allemand récompensé à Chalon par le Prix Découverte, Find Fix and Finish ne laisse pas indifférent. Dans ce film à la fois original, audacieux et puissant, Mila Zhluktenko et Sylvain Cruiziat, étudiants à l’University of Television and Film de Munich, nous projettent en altitude grâce aux témoignages de trois pilotes de drones militaires américains. Passant leurs journées à observer les gens, leur perspective est radicalement différente de la nôtre. Ce voyeurisme est aussi dérangeant que passionnant et le film nous ouvre les yeux sur cette réalité qu’on ne soupçonne pas. C’est une autre façon de faire la guerre, mais également de voir la vie et de se positionner face à l’humanité. Les hommes se transforment en pixels et la vie est derrière l’écran. À suivre les mêmes individus filmés de si loin et pourtant de si près, en ayant autant de pouvoir sur eux, on finit par s’interroger. S’attache-t-on à eux ou devient-on complètement indifférent à leurs égards ? Entièrement filmé au drone, ce court-métrage permet une réelle expérience d’immersion dans la peau de ces militaires. Leurs témoignages, des plus touchants, en font une expérience bouleversante.
Ces trois exemples sont issus de la programmation riche et éclectique de Chalon. Parallèlement aux projections, le festival, se déroulant majoritairement dans le Conservatoire de la ville, reste grandement centré sur la musique. Cette année, un large éventail d’activités en lien avec la musique au cinéma était proposé aux spectateurs : un atelier de création sonore animé par Serge Rouquariol (ingénieur son) pour les jeunes de la région, un ciné-concert de François Raulin (pianiste et compositeur) et enfin une conférence de Thierry Jousse (réalisateur et animateur d’émissions sur la musique sur France Inter et France Culture), invité d’honneur et président du jury professionnel.
En combinant projections, rencontres et activités musicales, le festival de Chalon propose une expérience variée et s’adresse à un public de tout âge aussi bien amateur que professionnel. Les festivals de courts-métrages étudiants comme celui-ci ou encore celui de Poitiers (Poitiers Film Festival) ne peuvent qu’être encouragés. Il est fondamental de permettre aux films d’écoles d’être visualisés par le plus grand nombre. Grand laboratoire du cinéma, le court-métrage étudiant donne la parole à toute une génération de jeunes cinéastes. C’est aussi l’opportunité pour ces jeunes réalisateurs d’avoir des retours sur leur travail et parfois de lancer leur carrière. Enfin c’est une invitation pour tous ceux qui n’ont pas encore eu la force de passer à l’acte de se lancer. C’est pourquoi les initiatives comme celles de Chalon Tout Court sont louables. À Chalon, c’est toute la ville qui peut, le temps d’un week-end, se tourner gratuitement et collectivement vers le cinéma : atelier pour les jeunes de cité, ciné-gouter pour les enfants, participation et implication des étudiants de l’école d’art et des élèves du conservatoire… Voilà bientôt 10 ans que Chalon se mobilise grâce à la ténacité de certains acteurs. C’est un exemple que pourrait suivre de nombreuses autres villes. En attendant, on ne peut qu’encourager toute l’équipe de Chalon Tout Court à poursuivre ses efforts pour l’anniversaire des 10 ans du festival les 4, 5 et 6 avril 2019 !